mardi 21 juin 2022

 

Le sort surréaliste des enfants

 nés d’une erreur de GPA ou de PMA/Source Aleteia

 


Tomsickova Tatyana | Shutterstock

Blanche Streb - publié le 20/06/22

De bien tristes histoires que celles de ces enfants abandonnés à la suite d’une erreur dans le processus de GPA ou de PMA. Docteur en pharmacie, Blanche Streb observe que ces situations montrent aussi que le lien génétique ne peut être balayé comme ne comptant pour rien.



Voici des faits qui donnent à penser. Un couple d’américains — ne parvenant pas à avoir d’enfant — en commandite un par l’intermédiaire d’une gestation pour autrui, tolérée dans certains États des États-Unis. L’homme et la femme fournissent les gamètes qui servent à la conception par fécondation in vitro de l’embryon, implanté dans l’utérus d’une autre femme, une « mère porteuse ». Mais à la naissance, voilà qu’un grain se glisse dans les rouages de cette « aventure humaine », comme la qualifient onctueusement les promoteurs de cette pratique. Lorsqu’ils découvrent le visage du petit bébé, ils trouvent qu’il dénote, qu’il a un petit air asiatique alors qu’eux-mêmes sont blonds aux yeux bleus. Dans le doute, ils réalisent un test génétique. Verdict : la femme est bien « mère génétique » mais l’homme n’est pas le père. Enquête. Effectivement, quelqu’un a fait une erreur dans la clinique et a utilisé un échantillon de sperme d’un autre homme. 

Un troc saisissant

Dans la tourmente de cette « mésaventure humaine », le couple partage son émoi sur les réseaux sociaux, et jusqu’à leur choix : abandonner le bébé ! Ils ont organisé et financé sa venue au monde, elle est mère génétique, ils formaient en couple se présentant comme désespéré car n’ayant pas d’enfant. Et malgré cela, ils annoncent remettre le bébé à l’adoption…

Ces faits-divers sinistres — comme savent en engendrer les désirs tout puissants, servis par la technique et poussés par son compère, le marché — se multiplient.

Un mot me vient ici à l’esprit : « surréaliste ». Intéressant de penser aux deux sens de cet adjectif : « impensable » ou « relatif au surréalisme », ce courant littéraire et artistique du début du XXe siècle visant à libérer la création de toute contrainte et de toute logique, et pouvant utiliser l’absurde et l’irrationnel… Ces faits-divers sinistres — comme savent en engendrer les désirs tout puissants, servis par la technique et poussés par son compère, le marché — se multiplient. Il y a quelques mois, un autre couple californien avait aussi réalisé, plusieurs mois après la naissance de leur fille, que la banque de gamètes avait commis une erreur. Un échange d’embryons s’était produit avant l’implantation. Deux filles étaient nées, dans deux familles inversées. L’un des couples avait fini par entreprendre des tests ADN car le père trouvait que leur fille ne leur ressemblait pas du tout. Les deux familles se sont rencontrées, et après quelques temps, ont décidé d’échanger leurs enfants, âgés d’un an. Un « troc » pour le moins saisissant…

Si l’enfant est un dû

Il est un paradoxe à relever. Dans ces deux affaires, l’importance majeure accordée au lien génétique conduit deux couples à échanger leurs enfants et l’autre couple à abandonner l’enfant, car le patrimoine génétique qui les unit ne s’avère être qu’à demi. Je relève aussi toute la fragilité du concept de « mère d’intention », souvent mis en avant dans les cas de gestation pour autrui. La femme qui n’a pas attendu, porté et mis au monde l’enfant se révèle capable de l’abandonner, alors même qu’elle désire plus que tout un enfant. Même s’il y a, entre elle et lui, ce fameux lien génétique. Mais ce bébé n’est pas celui de son conjoint et il ne correspond pas à leur projet initial, à la conception mentale qu’ils s’en sont fait pendant que la conception artificielle se bricolait. On voit bien à quoi aboutit la logique même de la gestation par autrui. Elle s’organise autour d’un « projet », une succession d’étapes de production avec différents maillons et des cases à cocher. Ici, l’enfant est vu comme un dû, certes attendu, mais pas comme réponse à une attente « pour lui-même ». Il dévie du projet ? Alors, il n’est pas accueilli. L’intention d’avoir un enfant peut muter en intention de ne pas avoir cet enfant. 

" La fabrication de la vie à tout prix ne cesse de montrer ses limites. Quant au prix à payer, passé sous silence, il le sera toujours par l’enfant ".

Ces situations montrent aussi que, même si la filiation ne peut se résumer à la biologie (pensons aux adoptions), le lien génétique ne peut être balayé comme ne comptant pour rien, ou n’étant qu’une simple idée. Et cela est vrai dans les deux sens, pour les enfants aussi. Il y a cinquante ans, le don de sperme a été autorisé. Les enfants ainsi nés sont adultes aujourd’hui. Beaucoup témoignent de leurs questionnements existentiels, de leur quête insatiable pour découvrir de qui ils sont nés : quel est son visage, son âge, son métier ? Pourquoi avoir donné ? Ai-je des demi-frères et sœurs ? Ils ont même créé des associations. On a pensé, à leur place, que naître d’un don anonyme était sans conséquence. On avait tort. Cette réalité a même conduit le Parlement à changer la loi bioéthique en 2021 pour supprimer l’anonymat du don. Mais la loi n’a pas remis en question le fondement du problème, juste une partie de ses conséquences. Finalement, la fabrication de la vie à tout prix ne cesse de montrer ses limites. Quant au prix à payer, passé sous silence, il le sera toujours par l’enfant.