Le chant de la Grande Doxologie
des Matines
La Doxologie est un texte liturgique de grande antiquité, qui
se prête particulièrement à la réflexion spirituelle. Plus encore, il
interpelle les chefs de chœur et les chantres qui l’entonnent aux matines des
fêtes. De quoi est-il question dans cette prière ?
Elle commence par le chant des anges à la naissance du
Seigneur : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre,
bienveillance parmi les hommes ». Ceci nous place dans la perspective de paix
et de salut apportée par le Fils de Dieu lors de sa Nativité. Ce chant
sanctifie nos lèvres pour entonner ensuite : « Nous Te chantons, nous Te
bénissons, nous T’adorons ». Ce texte est proche de la conclusion du huitième
cantique du canon des matines, où il est question de toute la création chantant
la gloire du Seigneur, proche aussi du chant solennel lors de la consécration
des Saints Dons à la liturgie : « Nous Te chantons, nous Te bénissons ».
Ici les objets de la louange ne sont pas spécifiés : nous remercions Dieu en
général, pour toute la gloire qu’il nous a été donnée d’entrevoir.
Ayant invoqué la Sainte Trinité, nous nous tournons vers notre
avocat au ciel, l’Agneau (c’était la désignation bien-aimée du Sauveur employée
par les premiers chrétiens, dont les représentations symboliques se voient toujours
dans les catacombes et les anciennes basiliques), auquel nous demandons d’avoir
pitié de nous. L’humble condition de l’homme déchu est invoquée avec
insistance :
« Seigneur Dieu, l’Agneau de Dieu, le Fils du Père, Toi qui
prends le péché du monde, aie pitié de nous ; Toi qui prends les péchés du
monde, reçois notre prière. Toi qui sièges à la droite du Père, aie pitié de
nous. »
La différence entre le singulier et le pluriel quant à la
situation de péché dans laquelle est plongé le monde demande à être expliquée.
Le péché global du monde – au singulier – est le rejet de Dieu par l’homme, ou
du moins son oubli de Dieu et sa tendance de se tourner vers des soucis ou des
objets où Dieu n’est pas. Nous sommes alors – tels Adam – jetés hors du
Paradis. Ce péché singulier peut aussi être compris comme le premier péché que
nous commettons dans la vie, et ceci souvent à l’aube de notre vie. C’est de
cela que le Seigneur est venu nous libérer. Les péchés au pluriel sont, eux,
non seulement la multitude de nos travers, mais aussi l’habitude de notre
faiblesse devant les tentations et les instincts pervers, qui nous ligote
littéralement au mal. Pour contrer l’habitude, nous avons besoin d’une prière
incessante en vue d’être purifiés. Dans la confiance d’être entendus, notre
chant se conclut par une référence à la fraction du Pain consacré dans la
liturgie eucharistique : « Car Tu es le seul Saint, Tu es le seul
Seigneur, Jésus-Christ, à la gloire de Dieu le Père. Amen. »
Après cet « amen » affirmatif, nous passons à une
courte deuxième partie de la doxologie. Celle-ci souligne l’expression de
louange incessante avec laquelle le croyant fidèle s’adresse au Seigneur Dieu.
C’est aussi l’attitude normative de l’Ancien Testament, du Psautier en
particulier. L’objet de la louange est ce qui distingue le Très-Haut de tout
autre être, son Nom, sa Personne révélée. Suivant le psaume 144/145,2 (« Chaque
jour je te bénirai, je louerai ton nom éternellement »), à perpétuité,
nous chantons : « Chaque jour je te bénirai et louerai ton Nom pour les
siècles des siècles », et à la suite du livre de Daniel (Dan
3,25), nous nous exclamons : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos
pères, ton Nom est loué et glorifié dans les siècles. Amen. »
Le sentiment glorieux de gloire divine, que nous avons
rencontré en première partie, s’assombrit ici, dans la troisième partie, très
priante, de la doxologie, pour montrer la possibilité du péché que l’homme
commettrait : « Daigne, Seigneur, nous garder ce jour sans péché ».
C’est alors que l’amour divin se révèle comme miséricorde à
l’égard de l’homme brisé, mais non détruit, de sa faiblesse. Dans cette prière,
tirée du psaume (Ps 32/33,22), la tristesse qui vient du péché, mêlée à
l’espérance, domine : « Que ta miséricorde, Seigneur, soit sur nous, comme
nous avons espéré en Toi. » La gloire de Dieu, sujet de l’hymne, se voile
quelque peu, elle se révèle sous la forme d’une pédagogie (Ps
118/119,12) : « Tu es béni, Seigneur, enseigne-moi tes
jugements », prière plus précise demandant l’enseignement de la sagesse
(les « jugements »), répétée trois fois pour signaler la présence de
la Sainte Trinité et pour souligner l’insistance du demandeur confiant. Pour
s’assurer de l’application des jugements divins, nous avons besoin d’une
purification des péchés et d’être en capacité d’accomplir la volonté de Dieu. Seul
Dieu peut accorder cela, il faut donc se référer à Lui, comme tout croyant l’a
toujours fait (Ps 89/90,1) : « Seigneur, Tu as été pour nous un
refuge d’âge en âge ».
La prière s’achève dans la pleine confiance qu’elle sera
exaucée, comme la finale des litanies « car Tu es bon et ami des hommes
… », sur la base de ce que Dieu nous est proche,« car Tu es mon
Dieu » (Ps 142/143,10),
qu’Il est la source de vie (Ps
35/36,10), « car auprès de Toi est la source de vie », et de la
lumière matinale (Ps 35/36,10), « en ta lumière nous verrons la
lumière ».
Cela nous ramène avec bonheur à l’exclamation initiale :
« Gloire à Toi qui nous as montré la lumière. »Les paroles finales de
la doxologie (Ps 35/36,11), « Étends ta miséricorde sur ceux qui Te
connaissent », retentissent avec une force accrue, et nous ramènent à la
première mention de la miséricorde divine.
En conclusion, dans quel esprit les chanteurs vont-ils
interpréter cette doxologie ? Elle part de la Nativité du Fils de Dieu et de la
paternité de Dieu, elle est illuminée de la lumière divine de la
Transfiguration, elle porte dans ses accents l’Agneau qui prend le péché du
monde, elle soulève l’homme de sa déchéance et aboutit à notre Rédemption dans
le Christ victorieux et plein de miséricorde. Du point de vue de la forme, les
chanteurs donneront à leur chant un phrasé soutenu et volontaire, à la manière
dont un peintre peint une fresque monumentale. Dans son contenu, les chanteurs
s’efforceront d’exprimer des sentiments de joie sobre, presque triste, à la
manière d’un moine du désert, contrit et libre à la fois. Pour parler un
langage de musicien, ils s’efforceront de chanter legato et sans à-coups, dans
une modulation allant par endroits du mezzo-piano au mezzo-forte, sans jamais
verser dans le sentimentalisme, ni dans un triomphalisme déplacé. Leur émotion
doit être celle d’une joie triste et confiante.
P. Michel Fortounatto (+)
Le p. Michel Fortounatto (1931-2022) fut un
spécialiste réputé de la musique liturgique dans la Tradition orthodoxe,
qui a passé 45 ans à la cathédrale de Londres comme chef de choeur aux côtés de
Mgr Antoine Bloom.
Source : extrait d’un cours de formation à la direction
de chœur à la paroisse Saint-Serge de Paris (2008).
Source Chroniques du Sycomore