vendredi 6 juin 2025

 

S.P.I

Collège des Bernardins

EUTHANASIE

"La souveraineté sur la mort comme point de bascule

2 juin 2025

Père Laurent Stalla-Bourdillon


Vertige. Tel est le mot qui s’impose lorsque l’on prend la mesure des conséquences profondes de la légalisation de l’euthanasie en France. L’intention peut sembler noble : soulager les souffrances. Mais la rupture qu’elle introduit est irréversible. Car derrière les revendications d’un nouveau “droit”, se cache une bascule anthropologique majeure : l’État dispose désormais du pouvoir légal de donner la mort. Ce glissement transforme l’État protecteur de la vie, en gestionnaire de la mort. La vie humaine cesse d’être un bien intangible. Elle devient conditionnelle, soumise à des critères aujourd’hui médicaux, et non plus protégée par un principe supérieur d’inviolabilité. À partir du moment où l’on admet que certaines vies peuvent être abrégées, d’autres pourront être jugées indignes de vivre. Ce vote des députés français est l’expression ultime d’une anthropologie réductrice, purement matérialiste, qui croit servir la liberté en abolissant la douleur par la mort. Cette brèche ouverte sera lourde de conséquences. 


    L’interdit de tuer n’est pas un vestige religieux, mais le socle de toute société civilisée. Il protégeait d’abord les plus vulnérables, les personnes malades, les personnes âgées, les personnes handicapées ou dépressives contre la pression implicite de devoir disparaître “raisonnablement”. Transgresser cet interdit conduit à abandonner la protection inconditionnelle de la vie, pour entrer dans une logique de sélection. Un jour, nous nous souviendrons que les députés ont voté cette loi au lendemain de la publication d’un rapport sur l’entrisme islamiste. Deux faits en apparence sans lien, mais liés par une même logique : la légitimation de la mort administrée par une autorité. Si la France légalise la suppression de la vie de personnes innocentes au nom de leur souffrance, sur quelle base solide pourra-t-elle condamner des régimes qui suppriment des vies au nom de la pureté morale ou religieuse ? 

    Ce que redoutait Robert Badinter [1] n’était pas seulement le retour de la peine de mort, mais la réintroduction du principe même de la mort légale infligée par l’État. Un pouvoir qu’il ne devrait jamais, jamais posséder : le pouvoir de trancher entre les vies qui méritent d’être vécues et celles qu’il serait légitime d’abréger. Ce que l’euthanasie inaugure est une extension silencieuse du champ de la mort administrée et autorisée, dont nul ne peut dire jusqu’où elle ira. C’est là le paradoxe tragique : au nom d’une autonomie exaltée, d’une liberté de disposer de son corps, nous appelons sans le vouloir le retour d’autres idoles bien plus brutales. Ce que nous justifions ici par la liberté individuelle, d’autres le justifieront demain au nom de leurs principes religieux ou d’un idéal collectif. Une société qui banalise la mort et la donne, prépare le terrain pour celle qui imposera la mort comme solution.     Nos parlementaires, souvent hypnotisés par le désir de plaire en accordant des droits nouveaux, manquent de lucidité sur la réalité de la nature spirituelle de l’être humain. Sans conscience claire de la profondeur réelle et spirituelle de la personne, ils semblent croire qu’en mettant fin à la vie du corps, on délivre des souffrances.         Rien n’est moins garanti. En effet, l’être humain n’est pas qu’un corps. Il est doué d’une âme unique, immortelle et irréductible à la matière du corps. À la mort, on ne perd que son corps. Jamais son histoire. Car tout ce qui nous a fait demeure : le bien comme le mal, la vérité comme le mensonge, lumière et ténèbres coexistent en chacun de nous. La mort fait advenir une séparation, celle de l’âme et du corps. Si le corps meurt en effet, l’âme humaine demeure indestructible. Or, l’âme a été sciemment éliminée de tous les discours pour mieux livrer les corps au pouvoir de la société. L’âme est simplement cette instance qui nous permet de dire « je ». Ce « je » ne meurt jamais ! Notre société s’est délestée de la vérité la plus essentielle et commune à toutes les civilisations. L’âme, séparée du corps, entre dans sa destinée éternelle. Elle devient incapable de progresser ou de régresser. Elle est comme figée dans un état à l’instant de la mort. La négation de cette vérité métaphysique est dramatique. Les députés semblent ignorer qu’une souffrance plus aiguë peut demeurer en l’âme, celle du désespoir, du rejet de la Bonté qui nous a offert le cadeau de la vie en ce monde. Qui peut, en vérité, présumer de sa capacité à affronter ce face-à-face ultime sans être terrassé d’orgueil ? Voilà pourquoi il est si redoutable d’en hâter l’instant.

         Il semble bien que nos députés soient les seuls à ne plus craindre la mort et ce qu’elle provoque. Il y a sur ces questions un interdit, qu’il faut dénoncer. Une confusion qu’il faut clarifier : une vérité philosophique et métaphysique n’est pas d’abord religieuse. Par peur de la seconde, on en écarte la première. Derrière l’affirmation de la liberté de disposer de soi, c’est en vérité une défaite de la raison et une trahison de la dignité humaine. Hâter la mort, c’est jouer avec un mystère que nul ne maîtrise. La dépénalisation de l’euthanasie fait du « meurtre », défini par le Code pénal comme « le fait de donner volontairement la mort à autrui », une procédure désormais légitime dans certains cas. Car l’euthanasie, ne nous y trompons pas, n’est rien d’autre qu’une forme d’auto-condamnation du malade, déguisée en libération. C’est le malade qui, dans sa souffrance extrême, demande à subir une peine pour être délivré d’un poids dont personne n’est objectivement coupable. Et l’État, au lieu de protéger, exécute sa demande. Ce geste, fût-il encadré, demeure la réplique, en miroir, de ce que des régimes autoritaires pratiquent depuis des siècles : donner la mort, avec justification. Il faut élargir la focale pour prendre la mesure de notre dérive ! 

        L’État n’a pas le droit de tuer. Il ne l’a jamais eu. Et il ne l’aura jamais sans trahir ce qu’est une civilisation humaine. L’euthanasie est une loi qui conjugue les trois vents mauvais de notre époque : le vent de l’indifférentisme à l’égard de la réalité de la mort ; le vent du matérialisme qui réduit l’homme à son corps ; le vent de l’individualisme qui fait primer la liberté individuelle sur le bien de tous. Il est encore temps de refuser cette défaite morale. 

        Notre civilisation n’a pas besoin de légaliser la mort : elle a besoin de retrouver le sens de la vie. Il n’y a de vraie rédemption que dans l’accueil lucide et courageux de l’existence, jusque dans l’épreuve. Il faut choisir entre une société fondée sur le respect de toute personne, aimée et soutenue jusqu’au terme inéluctable à son heure, ou une société livrée à l’arbitraire de la mort légitime. La ligne de fracture est là.(source)

 

Notes : [1https://www.lefigaro.fr/actualite-france/nul-ne-peut-retirer-la-vie-a-autrui-dans-une-democratie-quand-robert-badinter-s-opposait-a-l-euthanasie-20240209