Ce que l’”aide à mourir”
ne devrait pas cacher
Source : Aleteïa
Jean Duchesne - publié
le 27/05/25
La loi sur la "fin de vie" s’inscrit dans une série
de "ruptures anthropologiques" irrationnelles, constate l’essayiste Jean
Duchesne. L’émotion de compassion n’envisage aucun avenir sinon le néant.
Qu’ajouter aux discours passionnés qu’inspire ces temps-ci le
projet de loi, actuellement débattu au Parlement, visant à légaliser et à la
fois garantir et réglementer l’"aide à mourir" ? Cette
formulation évite les termes encore trop agressifs d’"euthanasie" et
de "suicide assisté", car ce que ces mots désignent est, depuis des
temps immémoriaux, réprouvé avec une constance rare (si ce n’est unique) dans
l’histoire de l’humanité (ou du moins des civilisations). On peut s’aventurer à
offrir quelques remarques, au risque d’irriter ou décevoir de tous côtés.
Un
problème de "riches"
On relèvera d’abord que ce genre de problème apparaît quasi
exclusivement dans des pays "riches", c’est-à-dire où l’on vit assez
vieux et où la médecine est assez développée et efficace pour que la frontière
entre la vie et la mort devienne parfois incertaine : avec un équipement
et des substances appropriées, on peut empêcher quelqu’un de décéder, mais sans
pouvoir le guérir. La question de savoir si cet état peut et doit être
indéfiniment prolongé se pose lorsque le patient est sans doute irréversiblement
inconscient. Elle devient terrible lorsqu’il peut s’exprimer et réclame de
"partir". Et la réponse va encore moins de soi lorsqu’il est
difficile d’établir si la personne concernée garde des désirs et, si oui,
quelle liberté elle conserve.
Un consensus semble s’être assez vite dégagé vers la fin du XXe siècle
pour réprouver l’"acharnement thérapeutique". Ce qui a permis
d’élaborer les "soins palliatifs" qui soulagent simplement les
souffrances physiques, mais aussi psychiques, sociales et même spirituelles de
l’agonie. Reste que la "fin de vie", comme on dit pudiquement
maintenant, présente toujours des défis qui n’ont pas de solutions faciles. On
s’en est aperçu à partir des années 1970, à travers une succession
d’"affaires". Ces situations limites, mais exemplaires, ont contribué
à introduire les débats d’aujourd’hui. Il n’est pas inutile d’en rappeler
quelques-unes, même s’il est impossible ici d’entrer comme il conviendrait dans
les détails.
Quand les
techniques reconditionnent la culture et la morale
Il y a eu en Inde (1973-2015) l’histoire d’Aruna Shanbaug,
morte "naturellement" après 42 ans de vie végétative suite à un viol
avec violences : ses soignants refusaient d’interrompre les soins, malgré
les pressions pour que soit mis fin au calvaire de cette victime qui ne
semblait pas souffrir. Aux États-Unis, on s’est ému de même pour Karen Ann
Quinlan (1975-1985), puis pour Terri Schiavo (1990-2005). En Italie, ce fut
Eluana Englaro (1992-2009). En France, nous avons eu Vincent Humbert
(2000-2003) et, avec un nom si proche, Vincent Lambert (2008-2019), avec
entre-deux Chantal Sébire (2008, accompagnée le même jour dans son suicide par
l’écrivain flamand "nobélisable " Hugo Claus, qui n’avait
"que" la maladie d’Alzheimer)…
Par-delà ces cas médiatisés et tous singuliers (mais sans
doute y en a-t-il quantité d’autres qui font moins de bruit), le problème n’est
pas seulement que le progrès des moyens techniques soulève des difficultés
inédites (comme on le voit plus largement à travers les dégâts de l’industrialisation
et de la consommation effrénée). C’est aussi l’évolution des mentalités, de la
culture et de la morale qu’engendrent ces avancées. Pour faire court, on peut
dire que, sur le chapitre de la mort, l’objectif d’une "belle" a
remplacé celui de la "bonne". Cette dernière consistait à
"s’endormir" en paix, après s’être "mis en règle" avec
"le ciel" (grâce aux sacrements de l’Église) et avec le monde
(vis-à-vis de ses proches et par un testament).
La vie
réduite aux satisfactions qu’elle peut procurer
La "belle" mort est, à l’inverse, celle qu’on ne
voit pas venir, qui ne laisse pas le temps de souffrir ni d’angoisser. On la
redoutait jadis, parce que l’individu qui périssait à l’improviste pouvait être
en état de péché mortel et perdre alors sa liberté de demander à être
réconcilié avec Dieu et avec les autres. Aujourd’hui, la sédation des mourants
ne facilite pas toujours la préparation au trépas, et c’est pourquoi le
sacrement des malades est proposé bien avant "la dernière extrémité".
Mais la nouveauté réside dans l’attitude face à la vie plus encore qu’à la
mort. Cette dernière tend à être escamotée. On en parle le moins possible (sauf
lorsqu’elle est réclamée) et elle est de plus en plus "gérée" dans un
lieu spécialisé, avec un maximum de discrétion, à rebours de l’exigence par
ailleurs affichée de transparence.
La vie, par contraste, est valorisée, mais en même temps
paradoxalement limitée : elle n’a d’intérêt qu’à la mesure des
satisfactions qu’elle procure. Une existence comportant ou causant trop de
frustrations est considérée comme ne méritant pas d’être vécue. Ainsi, un
malade incurable peut souhaiter être "délivré" de sa misère par une
piqûre létale, et par là épargner à son entourage des soins pénibles et
dispendieux. De même, on se débarrasse (sans tourments avoués, la contraception
s’avérant moins efficace qu’escompté) d’un bébé qui gênerait, ou bien on en
fabrique artificiellement un si l’on n’arrive pas à en concevoir. Ainsi encore,
un parent fatigué de son conjoint peut le quitter même si leur progéniture en
pâtit. Ou deux personnes de même sexe peuvent se marier et avoir des enfants.
Et (enfin) on prépare des transformations biologiques rendant
plus "performants" certains privilégiés et faisant des autres
des déchets.
L’émotion
insensible à la rationalité
L’euthanasie et le suicide assisté s’inscrivent donc dans un
cadre plus vaste où l’amélioration (assurément heureuse) de la sécurité,
poussée jusqu’au confort, stimule un égocentrisme qui entend que ses tentations
soient validées et même protégées par des lois. Or cette vision manque
sérieusement de recul et d’horizon. D’un côté, elle fait fi de la sagesse
immémoriale qui enseigne : "Tu ne tueras pas." Et de l’autre,
elle n’envisage aucun avenir : elle ne conçoit qu’un néant après la mort,
tandis que beaucoup hésitent à s’encombrer de gamins et que certains s’y
refusent même ouvertement, jugeant l’espèce humaine la plus nuisible de toutes.
Ce pragmatisme hédoniste à courte vue découle immédiatement
d’émotions de compassion qui balaient la rationalité, toute victimisation
générant d’inaliénables droits correctifs. C’est pourquoi les mises en garde
argumentées, mais ciblées sur la seule "fin de vie", comme celle
la Conférence des responsables de culte en France,
n’ébranlent guère les sensibilités qui voient dans la "rupture
anthropologique" dénoncée un irrésistible progrès de plus, même s’il ne
mène qu’à du vide chaotique d’avant la Création et même si le reste du monde
demeure décidément rétif à cette "philosophie" qui fait collaborer
l’humanité à sa propre élimination.
Dystopies
et promesse à Noé
Un peu de littérature peut aider à y voir plus clair. On
citera Le Dernier Homme (2003) de la Canadienne Margaret Atwood (née
en 1939), mais aussi un roman de P.D. James (1920-2014), héritière britannique
d’Agatha Christie dans l’art du polar. Elle s’écarte du genre avec Les
Fils de l’homme (1992), qui est une dystopie comme Le Meilleur des
mondes d’Aldous Huxley ou 1984 de George Orwell. Elle imagine
que, pour une raison inexpliquée, l’humanité est devenue stérile (plus aucun
enfant ne naît) et s’organise. C’est un tableau assez saisissant du monde qui
prend forme en Occident. On pourrait s’attendre à ce que les derniers humains
se prolongent par tous les moyens. Eh bien, non : on euthanasie plus ou
moins franchement et médicalement les plus âgés, qui coûtent de plus en plus
cher, afin que les moins vieux continuent à "profiter" jusqu’au bout.
D’où des scènes poignantes, où des vieillards, pourtant dûment endoctrinés ou
anesthésiés, regimbent (en vain) au moment d’être liquidés.
Le tableau n’est toutefois pas entièrement noir : dans le
dénouement, une jeune femme se découvre enceinte dans une bande de doux dingues
qui s’entraiment gratuitement et refusent d’obéir aveuglément dans une société
qui les conduit à l’anéantissement tout en sauvegardant les apparences. En
bonne chrétienne (anglicane), P.D. James savait que Dieu a promis à Noé de ne
pas laisser disparaître de la terre les hommes qui s’entretuent et la ravagent
(Gn
6-9).
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Les députés adoptent la loi créant
un “droit à l’aide à mourir”
305 députés contre 199 ont adopté ce mercredi 27 mai la loi
créant un "droit à l’aide active à mourir".
Après des mois de débats, d’auditions d’experts et de
témoignages, l'Assemblée nationale a tranché. Les députés ont adopté les deux
propositions de loi sur la fin de vie : la première portant sur
les soins palliatifs a été adoptée à l'unanimité (560 voix, 0 contre) et la
seconde relative au "droit l’aide à mourir" par 305 voix pour et 199
contre. Si le premier texte s'est avéré consensuel par son amélioration d'offre
des soins palliatifs sur le territoire national, la proposition de loi sur
"l'aide active à mourir" franchit un seuil décisif comportant des
enjeux éthiques majeurs. En dépit de la controverse suscitée par le texte qui
légalise, sous l'expression édulcorée "aide à mourir", le suicide
assisté et l'euthanasie, et malgré les voix dissonantes qui se sont élevées
pour alerter sur les risques de dérives, rien n'aura ébranlé les députés à qui
les groupes avaient laissé la liberté de vote.
"Nous avons été collectivement à la hauteur, pour les
malades qui attendaient qu'un nouveau droit leur soit proposé, pour les
soignants qui accompagnent les patients", a ainsi déclaré Philippe Vigier
pour le groupe Les Démocrates. "C'est un texte solide et équilibré, qui
s'appuie sur un seul mot, le discernement", a martelé le député en balayant
d'un revers de main les inquiétudes relatives à l'application d'un texte aux garde-fous trop incertains. Pas selon Agnès
Fimin Le Bodo, députée Horizons de Seine-Maritime, pour qui le texte "ne
sacralise pas une idéologie, n’ouvre pas une liberté sans
garde-fou" mais trace un "chemin balisé, exigeant,
réfléchi".
"Introduire l'euthanasie dans un système de soins encore
si insuffisamment formé à la culture palliative serait non seulement une faute
morale mais une défaite collective."
"Nous ici, dans ce moment solennel, nous devons laisser
aux portes du palais Bourbon nos dogmes et nos croyances", a quant à lui
déclaré René Pilato pour la France Insoumise. "Quand la médecine ne peut
rien, notre corps devient une prison", estime encore le député LFI qui
loue "l'ultime liberté de quitter cette prison". "Ce nouveau
droit ne trouble pas l'ordre public. Rien ne révèle mieux l'âme d'un pays que
la façon dont il traite les personnes les plus fragiles", assure encore le
député pour qui honorer les plus fragiles revient donc à leur proposer la mort
comme ultime compassion. "Notre devoir est de protéger la fragilité humaine
plutôt que de l’effacer et de l’abandonner", a quant à lui souligné
Christophe Benz (RN) parmi les plus grands opposants du droit à l'aide à
mourir. Le député RN était suivi par Patrick Hetzel pour les Républicains, qui
a réaffirmé son opposition à l'introduction de l'euthanasie et du suicide
assisté en France. "Aujourd'hui encore, 500 personnes meurent chaque jour
parce qu'ils n'ont pas eu accès aux soins palliatifs", a rappelé le
député. "Je le dis avec gravité : introduire l'euthanasie dans un système
de soins encore si insuffisamment formé à la culture palliative serait non
seulement une faute morale mais une défaite collective. Les soins palliatifs ne
sont pas une solution de repli, ils sont une promesse, celle de l'humanité
partagée jusqu'au bout dans le respect de la vie et de la personne".
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Aide à mourir : les députés adoptent
la procédure
et rejettent le délit d’incitation
La rédaction d'Aleteia - publié
le 22/05/25
Les députés ont adopté ce mercredi 22 mai l’article 5
définissant les modalités selon lesquelles une personne pourra demander une
aide à mourir à un médecin.
Quelle procédure les Français devront-ils suivre pour accéder
à l’aide à mourir ? Après avoir voté les critères, les députés ont adopté ce
mercredi 22 mai l’article 5 de la proposition de loi définissant les
modalités selon lesquelles une personne pourra demander une aide à mourir à un
médecin. Une personne demandant à accéder à
une aide à mourir devra le faire auprès d'un médecin
"qui n'est ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, ni son concubin,
ni le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité, ni son
ayant droit."
Les députés ont par ailleurs souhaité préciser, en adoptant un
amendement du gouvernement, que la demande faite par le patient au médecin soit
exprimée "par écrit ou par tout autre mode d'expression adapté à ses
capacités". La version initiale ne mentionnait qu'une "demande
expresse", renvoyant le détail à un décret en Conseil d'État.
Le texte prévoit qu'une même personne ne puisse pas présenter
simultanément plusieurs demandes. Un amendement de Christophe Bentz
(Rassemblement National) interdisant la téléconsultation, que ce soit pour
formuler une demande d’"aide à mourir" ou pour la confirmer, a
également été adopté. Un amendement de députés du groupe indépendant Liot a par
ailleurs été adopté pour préciser que la demande pourra être recueillie au
"domicile" ou "dans tout lieu où est prise en charge"
la personne, si celle-ci ne peut se rendre chez son médecin.
Le délit
d’incitation rejeté
Le médecin devra informer la personne sur son état de santé,
et qu'elle peut bénéficier de soins palliatifs. Mais les amendements visant à
introduire le délit d'incitation à l'aide à mourir ont été rejetés en bloc.
Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) préconisait ainsi d’insérer
un alinéa disposant que le médecin "ne peut en aucune manière inciter ni
encourager la personne à recourir à l’aide à mourir" (amendement
1358). Amendement soutenu avec force par Patrick Hetzel (LR) :
"Avec un peu de décence, cet amendement il faudrait l’adopter",
a-t-il lancé. Mais l’amendement a été rejeté.
Le texte prévoit aussi que le médecin "propose à la
personne et ses proches de les orienter vers un psychologue ou un
psychiatre". Des députés à droite ont tenté de rendre systématique la
consultation d'un psychologue ou d'un psychiatre. "Parce qu'on peut avoir
des troubles dépressifs, en particulier anxieux, qui peuvent (...) altérer le
jugement", a fait valoir le député Philippe Juvin (Les
Républicains). "C'est mettre sous tutelle le patient en réalité, et
le mettre dans la main de la décision d'un psychiatre", a rétorqué la
députée écologiste Sandrine Rousseau. La ministre de la Santé Catherine Vautrin
a souligné que le gouvernement porterait, dans la suite du texte, un amendement
prévoyant que le médecin recueille l'avis d'un psychiatre "lorsqu'il a un
doute sérieux sur le discernement de la personne".
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