" Une
épreuve de vérité, de rappel de notre condition la plus profonde : nous sommes
des êtres de communion » par le père Jean Gueit "
27 mars 2020
Frères et sœurs,
La première semaine de confinement est passée. Nous avons été
bousculés par la soudaineté ;
nous entrons maintenant dans un temps plus ou moins long de confinement
renforcé qui va se traduire pour beaucoup par des situations de solitude.
Celle-ci, à de rares exceptions, constitue une épreuve qui peut être une épreuve
de vérité, de rappel de notre condition la plus profonde : nous sommes des
êtres de communion. Sans doute nous apprécions des instants de solitude, de
recueillement, qui sont certes de plus en plus souvent bienvenus et nécessaires
dans ce monde de sur-activité, profondément agité en définitive, et à ce titre
« désintégrant ». Un monde de « sans visage », le monde de « Mr Market » comme
certains l’ont appelé, le monde de Mammon coupé de l’image de Dieu, « l’homme animalisé, robotisé,
réduit à sa dimension biologique et mécanique, l’individu génétique,
dépersonnalisé, mais qui tente de prendre la tête de l’humanité »[1].
L’être humain, créé à l’image de Dieu, est une personne, un être de communion, tourné vers l’autre. L’épreuve d’aujourd’hui révèle le mal être résultant du confinement qui impose l’isolement de chacun. Dans le même temps elle suscite, à la faveur des moyens de communication modernes, l’établissement, parfois le rétablissement des liens de voisinage, fraternels, familiaux qui ont pu être distendus par le fonctionnement sociétal foncièrement individualiste. Aujourd’hui, les manifestations de solidarité fraternelle, le dévouement, sont saisissants. Ce mouvement rappelle s’il en faut qu’ultimement nous ne pouvons pas (sur) vivre sans l’autre, nous ne sommes pas « sauvés » sans l’autre.
La lecture spirituelle de cette tribulation majeure a déjà été largement développée et le sera encore assurément.[2]
Une autre dimension de l'évènement paraît très symptomatique : la nature du mal provoqué par le virus : une double paralysie. La paralysie de la rencontre de visage à visage ; la paralysie respiratoire. Le masque sépare. Les poumons sont asphyxiés, ne laissant plus passer l’oxygène vital, le souffle de vie.
Ces quelques éléments nous suggèrent de rappeler que la prière
de l’Église (assemblée) est fondamentalement une prière communautaire – liturgique qui
elle aussi, ou plutôt en premier lieu, nous rappelle que nous ne nous sauvons
pas seuls.
Ainsi les prières, dites « initiales » par lesquelles nous commençons les offices, et
que nous sommes supposés prononcer quotidiennement sont toutes des prières
communautaires :
Roi céleste, consolateur…….demeure en nous….purifie nous de toute souillure et sauve nos âmes….
(Rappelons que l’invocation de l’Esprit saint revêt une importance toute particulière, car il s’agit précisément du saint Souffle, donateur de vie, la véritable antidote à l’asphyxie….)
Très Sainte Trinité aie pitié de nous, Seigneur purifie nous, Maître pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons (ensemble) La seule prière que nous a transmis le Seigneur est une prière communautaire qui fonde toutes les autres : Notre Père, donne-nous aujourd’hui…… , pardonne-nous…. , ne nous soumets pas…… mais délivre nous.
Kyrie eleison – Seigneur aie pitié – peut-être à la fois
personnelle (aie pitié de moi) et communautaire (aie pitié de nous). Le Mont
Athos suggère en ce moment de prier à la même heure (22 h) : Seigneur
aie pitié de ton peuple.
Ainsi frères et sœurs, prions le saint Souffle pour qu’il
demeure en nous tous, qu’il nous donne toujours la vie ; et c’est par Lui que nous
communions au Fils, que nous prions comme Maître de MA vie ; mais cette prière personnelle,
et non individuelle nous place en relation avec l’autre, pour que
nous soit épargné l’esprit de domination, et de vaines paroles, de jugement du
frère. Mais que nous soit accordé un esprit d’intégrité (qui s’oppose
à la désintégration), d’humilité de patience et d’amour.
Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi pêcheur
Seigneur Jésus-Christ aie pitié de nous pêcheurs
P. Jean Gueit (photographie : source)
[1] L’homme.
Éléments d’anthropologie chrétienne, collectif, éd. Apostolia, 2019
[2] Notons
en particulier archiprêtre Vladimir Zelinsky : « La quarantaine, quel sens tirons-nous de cette épreuve ? » in Orthodoxie.com ;
archimandrite Syméon : « Oui, nous sommes dans le désert ! »
in Orthodoxie.com.