Déclaration
de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF) sur la fin de vie,
adoptée le jeudi 12 janvier 2023
L’AEOF est interpelée par le grand débat national sur la fin
de vie ouvert par le Président de la République et qui pose la question d’une
éventuelle légalisation de l’euthanasie
ou du suicide assisté en France. Une telle évolution, si elle se précise,
constitue un vrai sujet de préoccupation
pour les orthodoxes qui y voient un changement de paradigme juridique et du
système de valeurs qui est le nôtre.
Plutôt qu’une évolution, il
s’agit là d’une rupture. En effet, l’avis consultatif n°139 du comité
consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé
(CCNE) du 13 septembre 2022 a envisagé, pour la première fois, même si c’est
sous certaines conditions strictes et pour autant que le législateur en décide,
la possibilité « d’un accès légal à une assistance au suicide » pour les
malades atteints « de maladies graves et incurables provoquant des souffrances
réfractaires et dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ».
Il est important de rappeler dans ce contexte que les lois
actuelles sur le droit des malades et la fin de vie, les lois « Léonetti » de 2005 et « Claeys-Léonetti » de 2016,
constituent de l’avis d’un grand nombre de praticiens, des lois sages et d’équilibre, en ce sens qu’elles n’entraînent pas
ce changement radical qui nous ferait passer de « l’accompagnement de la fin de
vie » vers un système qui « mettrait fin à la vie ».
Qu’on le
veuille ou non, l’éthique a une portée métaphysique. Une lame
de fond voudrait faire table rase de cette dimension, ce qui ouvrirait la voie
à un « droit de donner la mort ». La vie n’est plus considérée alors comme
donnée. Cette élasticité des valeurs nous semble dangereuse. Les médecins
eux-mêmes se disent soucieux de ce déplacement de curseur et de ses
implications éthiques et pratiques. Il
est de notre rôle, en tant que pasteurs, de le rappeler. Les évêques
orthodoxes de France souhaitent ainsi mettre en relief quelques convictions
fondamentales de la foi chrétienne telle qu’elle est enseignée et vécue par
l’Église orthodoxe :
• Mourir fait partie de la condition humaine
marquée par la chute d’Adam, mais la vie d’une personne humaine ne peut pas se
réduire à la mort qui aurait le dernier mot. La condition humaine
devrait toujours être envisagée à la lumière de la Résurrection du Christ. La
riche Tradition de l’Église orthodoxe ne cesse de le montrer par son
enseignement théologique et par l’ensemble des pratiques ecclésiales et
liturgiques. Selon la théologie orthodoxe, l’objectif final de toute vie est la
communion éternelle avec Dieu, or celle-ci est indissociable de la relation
profonde et attentive que tout être humain (peu importe son état de santé
mentale, physique ou autre) a avec l’ensemble de la création divine (les autres
êtres humains, mais également, avec les animaux, les plantes, etc.). Il est
vrai, qu’en considérant la vie comme un don éternel de Dieu, la mort reste un
dernier ennemi. Or celui-ci a été vaincu une fois pour toute par la mort et la
résurrection du Christ. Depuis, la mort est transformée en un « passage »
bienvenu, qui nous guide vers la vie éternelle de communion joyeuse qui ne
connaîtra ni fin ni souffrance ni séparation.
• Dieu
est le créateur de la vie et toute vie est l’œuvre de Dieu. Dès lors, ni la vie
ni la mort ne nous appartiennent. Dans cette perspective, il
semble clair qu’il ne faudrait pas s’acharner à prolonger artificiellement la
vie par une thérapie médicalisée pour éviter la mort biologique, ni l’abréger
afin d’éviter tout contact avec l’angoisse suscitée par la mort. Les questions
qui se posent en ces moments difficiles ne sont souvent pas d’ordre purement
médical ou biologique, mais touchent à l’ensemble de la condition de vie d’un être
humain. L’anthropologie chrétienne ne se lasse pas de répéter que la personne
humaine souffrante reste une personne humaine qui transcende les données du
mesurable, car elle est « à l’image et à la ressemblance » de Dieu tri-unique,
un mystère que la science ne pourra jamais circonscrire dans sa totalité. C’est
cette participation à la vie divine instaurée par l’incarnation du Christ et
l’Église – son Corps, qui empêche de pétrifier l’homme, de le chosifier en
produit moral ou physique et de l’humilier.
• La souffrance, subie ou observée, des personnes qui sont en phases
terminales purifie l’éthique abstraite et normative de tous les éléments
théoriques et juridiques qui la réduisent à une simple morale, pour en faire
essentiellement un acte d’amour et une expérience spirituelle. Selon le
philosophe et théologien orthodoxe Nicolas Berdiaev (1874-1948), « en plaçant
l’homme au-dessus de la dialectique du bien et du mal, le christianisme
accomplit la plus grande révolution de l’histoire, mais (que) la chrétienté n’a
pas toujours été capable de l’assumer ».
• Les
communautés ecclésiales devraient donc porter une attention particulière aux
personnes souffrantes et malades. Elles devraient également rechercher parmi
les voies existantes ou en créer de nouvelles pour repenser et renforcer ses
pratiques du soin. Elles peuvent non seulement prier pour les
personnes malades, mais mettre en place des aumôneries, là où elles n’existent
pas, ou renforcer davantage l’action de celles qui existent, où les personnes
formées pourraient accompagner de près les personnes souffrantes ainsi que
leurs proches. Dans cette perspective, les aumôniers chrétiens pourraient
renforcer les rangs de ceux qui œuvrent dans les soins palliatifs. Ils
pourraient ainsi être à l’écoute des questions et des peurs qui accablent les
personnes en fin de vie et leur épargner le sentiment de solitude et d’abandon.
Ils pourraient aider à la préparation à une mort où les valeurs premières,
c’est-à-dire spirituelles, seraient respectées, à savoir, que le malade puisse
maintenir autant que possible une relation consciente et personnelle avec Dieu
et avec le monde qui l’entoure, qu’il puisse se confesser et communier une
dernière fois, et qu’il se sache accompagné par la présence, l’amour et la
prière de ceux qui le remettent doucement et paisiblement entre les mains de
Dieu.
Que nous soyons croyants ou non, la vie demeure un mystère pour tous.
La limite de la vie aussi. Toute évolution législative qui supprimerait
cette distinction fondamentale entre le laisser-mourir et le faire-mourir
constituerait un abîme remettant en cause les convictions fondamentales de
nombreuses personnes.
Tout en renouvelant leur confiance dans le développement de
l’intelligence scientifique et de l’éthique qui l’accompagne, comme un don de
Dieu, les évêques orthodoxes de France rappellent cette conviction fondamentale
qui est la leur : le Seigneur est le
Maître de la Vie.
Source :
AEOF