Hiéromoine
Gabriel (Bunge):
La réconciliation des Eglises, une vision
personnelle
La revue « Neskoutchny Sad » (journaliste Anna Paltcheva) a
obtenu un entretien avec le père Gabriel Bunge (1)
- NS. Vous vous êtes converti à l’orthodoxie, ceci à un âge fort avancé. Il n’est pas fréquent que de telles décisions soient prises aussi tard dans la vie. Votre conversion a eu lieu à Moscou, fin août dernier. Elle a suscité de grands remous parmi les catholiques. Vous avez dit que cette décision avait mûri en vous pendant toute votre vie. Vous êtes un théologien, un patrologue connu, un ermite. Racontez-nous cette évolution.
- GB. Dès ma naissance je me suis heurté au drame de la division de la chrétienté : mon père était protestant, ma mère catholique. J’ai été baptisé dans l’Eglise de Rome. A l’âge de 21 ans j’ai décidé d’entrer dans les ordres mais mon père s’y est opposé. J’étudiais alors à la faculté de philosophie et je suis allé passer deux mois en Grèce avec des camarades.
- NS. Vous vous êtes converti à l’orthodoxie, ceci à un âge fort avancé. Il n’est pas fréquent que de telles décisions soient prises aussi tard dans la vie. Votre conversion a eu lieu à Moscou, fin août dernier. Elle a suscité de grands remous parmi les catholiques. Vous avez dit que cette décision avait mûri en vous pendant toute votre vie. Vous êtes un théologien, un patrologue connu, un ermite. Racontez-nous cette évolution.
- GB. Dès ma naissance je me suis heurté au drame de la division de la chrétienté : mon père était protestant, ma mère catholique. J’ai été baptisé dans l’Eglise de Rome. A l’âge de 21 ans j’ai décidé d’entrer dans les ordres mais mon père s’y est opposé. J’étudiais alors à la faculté de philosophie et je suis allé passer deux mois en Grèce avec des camarades.
C’est alors que j’ai rencontré l’Eglise orthodoxe. A Athènes
nous nous sommes mis à discuter avec les étudiants grecs de la faculté de
théologie qui nous recevaient. J’ai dit à l’un d’entre eux, devenu par la suite
un théologien célèbre : « Tout me plaît chez vous, tout est beau, à l’exception
d’une seule chose : vous vous êtes séparés de nous ». Il me répondit : « Non,
tu te trompes, c’est vous qui vous êtes séparés de nous ».
Cette réponse fût moi un véritable choc. J’appartenais à l’Eglise catholique, comme plus d’un milliard de fidèles. Je connaissais des protestants. Voilà que j’avais rencontré quelque chose de tout à fait nouveau. Je savais que l’Eglise grecque avait été fondée par l’apôtre Paul et qu’il n’allait donc pas de soi de lui reprocher de s’être éloignée de l’Eglise de Rome. Cette conversation déclencha en moi tout un processus de pensée. En définitive je me fis quand même moine. D’abord dans un cloître bénédictin en Allemagne. Rapidement les frères remarquèrent ma dévotion à l’égard de la tradition orientale. Le prieur, non sans regret car il m’était attaché, me transféra à Chevetogne, en Belgique, dans un monastère bénédictin de rite oriental. Mes réflexions s’approfondissaient, je lisais, j’étudiais l’histoire de la séparation des Eglises. Seul un retour à nos racines communes est à même d’aboutir à un rapprochement. L’Eglise unie a réellement existé dans le passé et ceci pendant plus d’un millénaire. Dans un certain sens Elle existe toujours car la période de l’unité n’est pas oubliée. Espérons que nous réussirons à retrouver ce socle commun, et je suis loin d’être aujourd’hui le seul à le penser.
Cette réponse fût moi un véritable choc. J’appartenais à l’Eglise catholique, comme plus d’un milliard de fidèles. Je connaissais des protestants. Voilà que j’avais rencontré quelque chose de tout à fait nouveau. Je savais que l’Eglise grecque avait été fondée par l’apôtre Paul et qu’il n’allait donc pas de soi de lui reprocher de s’être éloignée de l’Eglise de Rome. Cette conversation déclencha en moi tout un processus de pensée. En définitive je me fis quand même moine. D’abord dans un cloître bénédictin en Allemagne. Rapidement les frères remarquèrent ma dévotion à l’égard de la tradition orientale. Le prieur, non sans regret car il m’était attaché, me transféra à Chevetogne, en Belgique, dans un monastère bénédictin de rite oriental. Mes réflexions s’approfondissaient, je lisais, j’étudiais l’histoire de la séparation des Eglises. Seul un retour à nos racines communes est à même d’aboutir à un rapprochement. L’Eglise unie a réellement existé dans le passé et ceci pendant plus d’un millénaire. Dans un certain sens Elle existe toujours car la période de l’unité n’est pas oubliée. Espérons que nous réussirons à retrouver ce socle commun, et je suis loin d’être aujourd’hui le seul à le penser.
La raison qui a fait que j’ai décidé de devenir orthodoxe à un âge aussi tardif est triste, elle est certainement désagréable à des oreilles catholiques. Je suis venu à l’amère conclusion que la réconciliation est tout à fait impossible au niveau des structures et des hiérarchies. Cela ne se produira jamais car l’Orient et l’Occident se trop éloignés l’un de l’autre avec les siècles. Je n’essaye d’accuser personne car il est difficile de nommer des coupables. Il ne s’agit que de choses qui ont eu lieu dans l’histoire. C’est lorsque j’ai pris conscience de l’impossibilité de réconcilier les Eglises que j’ai décidé que la seule chose qui me restait à faire était de me convertir. C’est à mon niveau personnel que la réconciliation devait se faire.
J’ai beaucoup prié, réfléchi, j’ai pris des notes. Je n’aspirais qu’à accomplir la volonté de Dieu. Je répétais sans cesse dans mes prières : « Si Ta volonté y est contraire, donne moi un signe, car Tu es à même de m’empêcher de la faire ».
Nous nous sommes rencontrés une fois à Milan avec Mgr Hilarion Alféev. Je lui ai fais part de mes pensées. C’était pour moi comme un ballon d’essai, je voulais connaître sa réaction. Je me suis dis que la volonté de Dieu allait se manifester. La suite est venue comme de par elle-même : me voilà avec vous, en Russie, et heureux d’être là.
- NS. Entre-temps les sites et la presse catholiques disent de vous que vous êtes un traître.
- GB. Gloire à Dieu, je me passe d’internet et je ne sais donc pas ce que disent les gens. Cela ne m’intéresse nullement. Par naïveté j’étais certain que cet événement passerait inaperçu, il en a été tout à fait autrement. Voilà 50 ans que j’ai apporté mes vœux, trente ans que je vis isolé dans un skite. Le monde entier était contre moi quand j’ai voulu devenir moine : mon père était un chercheur très connu, le milieu dont j’étais issu, tous mes amis d’enfance et de jeunesse, tous étaient contre moi, personne ne m’a soutenu.
A l’exception, de mon directeur spirituel, un staretz, higoumène d’un monastère. Souvent il ne faut pas s’attendre à une approbation unanime lorsque l’on prend des décisions très importantes.
Je n’imaginais pas en devenant orthodoxe des réactions aussi virulentes. Je n’ai rien, je l’ai déjà dit, contre les catholiques. Simplement, je crois en l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. Le Christ rendra son unité à l’Eglise, ce que nous ne pouvons pas faire de par nous mêmes. Ce qui s’est passé avec moi est une sorte de prémonition de ce qui adviendra, fût-ce dans un autre monde.
- NS. Il y a trente ans vous avez quitté votre monastère
pour aller vivre en ermite dans les Alpes suisses. Comment voyez-vous votre
avenir ?
- GB. J’ai vu en Russie plusieurs endroits où je serais resté avec plaisir. Je pense au monastère de Valaam. Les moines m’y ont accueilli en frère. J’y ai passé un jour avec des ermites accomplissant un exploit spirituel. J’avais le sentiment d’avoir trouvé ce que j’avais cherché pendant toute ma vie. Mais je suis revenu dans mon skite en Suisse.
- NS. Si vous décidiez à changez de lieu, que deviendront vos enfants spirituels ? Qui prendre soin d’eux ?
- GB. Je n’ai pas d’ouailles au sens propre du mot. Je reçois beaucoup de visiteurs dans mon skite, ils viennent se confesser ou s’entretenir avec moi. Je n’assume pas à leur égard de responsabilité pastorale. Ce n’est que rarement que je m’éloigne du skite.
- NS. Cependant votre décision sera perçue comme quelque chose de très grave par ceux qui venaient chez vous ?
- GB. Oui, sans doute. Mais jamais je n’ai fait mystère de mes convictions. Une moitié au moins de ces personnes diront : « C’est ce à quoi nous nous attendions depuis longtemps ». Deux évêques orthodoxes que je connaissais avant m’ont récemment rencontré en Russie et m’ont dit : « Vous avez toujours été l’un des notre. Maintenant nous communions au même calice ». C’est précisément ce quoi à j’aspirais. Dans tous mes livres j’ai traduit et commenté des textes qui tous datent du premier millénaire, c’est à dire d’avant la séparation des Eglises.
Benoît XVI connaît bien l’orthodoxie et s’y réfère souvent. Malheureusement il prêche souvent dans le désert. Dans l’une de ses interventions datant des années soixante-dix le futur pape avait dit que si les Eglises s’unissaient Rome ne serait pas en droit de demander plus que ce qu’elle n’avait au premier millénaire. Cela aurait été suffisant pour maintenir l’unité. Un orthodoxe, moi par exemple, devrait répondre : « Parfait, alors revenons au statut du premier millénaire ». Mais je ne crois pas que cela soit aujourd’hui possible. L’Eglise catholique existe partout dans le monde, elle n’est pas du tout la même en Amérique, en Afrique et en Europe. Des tendances diverses, parfois contradictoires et ne communiquant pas entre elles existent au sein de cette Eglise. Si certains acceptaient ce retour au premier millénaire, d’autres le refuseraient.
- NS. Vous dites vous-même que les orthodoxes sont bien plus sur leurs gardes dans leurs relations avec les catholiques que le contraire.
- GB. Lorsqu’en 1961 je suis allé en Grèce mes professeurs de l’université de Bonn m’avaient averti de ne pas entrer en contact avec des orthodoxes : « Ce sont des schismatiques, n’aie aucun contact avec eux ». Aussi, j’ai fait de mon mieux pour ne pas me compromettre. Mais vous savez qu’aucun orthodoxe n’incitera un catholique à communier avec lui. Un starets orthodoxe vint me trouver à l’issue d’une liturgie, je me tenais au fonds de l’église, et me mit dans la main une parcelle d’antidoron.
Alors qu’aujourd’hui on voit des catholiques chassés des paroisses orthodoxes. C’est Vatican II qui a tout changé. L’Eglise catholique a proclamé alors une politique d’ouverture à l’égard du monde entier, non seulement à l’égard de l’orthodoxie. Les catholiques se montrent très amicaux avec nous. A Lugano, ma ville, la communauté orthodoxe vient célébrer Pâques dans la cathédrale catholique car sa paroisse ne pourrait contenir tous les fidèles. Dans presque chaque foyer catholique en Suisse ou en France on peut voir des icônes. Tous écoutent des chants religieux orthodoxes.
L’essentiel est que Vatican II a été suivi par une période de sécularisation de la société. On pourrait parler d’une « protestisation » du catholicisme. C’est précisément cet esprit protestant qui effraye les orthodoxes. C’est d’ailleurs cette tendance là au sein de l’Eglise de Rome qui est à l’origine du changement de posture à l’égard des orthodoxes. J’ai été témoin de ce changement d’attitude. Or, je ne suis pas tellement vieux. Les relations entre les deux Eglises ont souvent changé dans le temps. Il y a eu des époques de « coexistence pacifique » suivies par des périodes d’activisme prosélyte de la part des catholiques. Les orthodoxes réagissent par une posture défensive. C’est une sorte de mouvement de pendule.
Ce n’est que d’En Haut que nous viendra la réponse.
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(1) Le hiéromoine Gabriel Bunge est né en 1940 à Cologne. En 1963 il devient moine bénédictin, prêtre en 1973. Docteur ès philosophie, théologie. Patrologue, spécialiste d’Evagrius du Pont-Euxin. A partir de 1980 vit en ermite en Suisse dans le skite de la Sainte Croix . En août 2010 il rejoint l’Eglise orthodoxe russe.
La revue « Neskoutchny Sad » Traduction Nikita Krivocheine "P.O."
Photo: skite de la Sainte Croix en Suisse
- GB. J’ai vu en Russie plusieurs endroits où je serais resté avec plaisir. Je pense au monastère de Valaam. Les moines m’y ont accueilli en frère. J’y ai passé un jour avec des ermites accomplissant un exploit spirituel. J’avais le sentiment d’avoir trouvé ce que j’avais cherché pendant toute ma vie. Mais je suis revenu dans mon skite en Suisse.
- NS. Si vous décidiez à changez de lieu, que deviendront vos enfants spirituels ? Qui prendre soin d’eux ?
- GB. Je n’ai pas d’ouailles au sens propre du mot. Je reçois beaucoup de visiteurs dans mon skite, ils viennent se confesser ou s’entretenir avec moi. Je n’assume pas à leur égard de responsabilité pastorale. Ce n’est que rarement que je m’éloigne du skite.
- NS. Cependant votre décision sera perçue comme quelque chose de très grave par ceux qui venaient chez vous ?
- GB. Oui, sans doute. Mais jamais je n’ai fait mystère de mes convictions. Une moitié au moins de ces personnes diront : « C’est ce à quoi nous nous attendions depuis longtemps ». Deux évêques orthodoxes que je connaissais avant m’ont récemment rencontré en Russie et m’ont dit : « Vous avez toujours été l’un des notre. Maintenant nous communions au même calice ». C’est précisément ce quoi à j’aspirais. Dans tous mes livres j’ai traduit et commenté des textes qui tous datent du premier millénaire, c’est à dire d’avant la séparation des Eglises.
Benoît XVI connaît bien l’orthodoxie et s’y réfère souvent. Malheureusement il prêche souvent dans le désert. Dans l’une de ses interventions datant des années soixante-dix le futur pape avait dit que si les Eglises s’unissaient Rome ne serait pas en droit de demander plus que ce qu’elle n’avait au premier millénaire. Cela aurait été suffisant pour maintenir l’unité. Un orthodoxe, moi par exemple, devrait répondre : « Parfait, alors revenons au statut du premier millénaire ». Mais je ne crois pas que cela soit aujourd’hui possible. L’Eglise catholique existe partout dans le monde, elle n’est pas du tout la même en Amérique, en Afrique et en Europe. Des tendances diverses, parfois contradictoires et ne communiquant pas entre elles existent au sein de cette Eglise. Si certains acceptaient ce retour au premier millénaire, d’autres le refuseraient.
- NS. Vous dites vous-même que les orthodoxes sont bien plus sur leurs gardes dans leurs relations avec les catholiques que le contraire.
- GB. Lorsqu’en 1961 je suis allé en Grèce mes professeurs de l’université de Bonn m’avaient averti de ne pas entrer en contact avec des orthodoxes : « Ce sont des schismatiques, n’aie aucun contact avec eux ». Aussi, j’ai fait de mon mieux pour ne pas me compromettre. Mais vous savez qu’aucun orthodoxe n’incitera un catholique à communier avec lui. Un starets orthodoxe vint me trouver à l’issue d’une liturgie, je me tenais au fonds de l’église, et me mit dans la main une parcelle d’antidoron.
Alors qu’aujourd’hui on voit des catholiques chassés des paroisses orthodoxes. C’est Vatican II qui a tout changé. L’Eglise catholique a proclamé alors une politique d’ouverture à l’égard du monde entier, non seulement à l’égard de l’orthodoxie. Les catholiques se montrent très amicaux avec nous. A Lugano, ma ville, la communauté orthodoxe vient célébrer Pâques dans la cathédrale catholique car sa paroisse ne pourrait contenir tous les fidèles. Dans presque chaque foyer catholique en Suisse ou en France on peut voir des icônes. Tous écoutent des chants religieux orthodoxes.
L’essentiel est que Vatican II a été suivi par une période de sécularisation de la société. On pourrait parler d’une « protestisation » du catholicisme. C’est précisément cet esprit protestant qui effraye les orthodoxes. C’est d’ailleurs cette tendance là au sein de l’Eglise de Rome qui est à l’origine du changement de posture à l’égard des orthodoxes. J’ai été témoin de ce changement d’attitude. Or, je ne suis pas tellement vieux. Les relations entre les deux Eglises ont souvent changé dans le temps. Il y a eu des époques de « coexistence pacifique » suivies par des périodes d’activisme prosélyte de la part des catholiques. Les orthodoxes réagissent par une posture défensive. C’est une sorte de mouvement de pendule.
Ce n’est que d’En Haut que nous viendra la réponse.
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(1) Le hiéromoine Gabriel Bunge est né en 1940 à Cologne. En 1963 il devient moine bénédictin, prêtre en 1973. Docteur ès philosophie, théologie. Patrologue, spécialiste d’Evagrius du Pont-Euxin. A partir de 1980 vit en ermite en Suisse dans le skite de la Sainte Croix . En août 2010 il rejoint l’Eglise orthodoxe russe.
La revue « Neskoutchny Sad » Traduction Nikita Krivocheine "P.O."
Photo: skite de la Sainte Croix en Suisse