jeudi 18 janvier 2024

 

Père Séraphim Rose



L'attitude envers les hétérodoxes

Quelques années avant sa mort, le Père Seraphim Rose reçut une lettre d'une femme afro-américaine qui, comme catéchumène faisant l'apprentissage de l'orthodoxie, avait du mal à comprendre l'attitude peu charitable que certains chrétiens orthodoxes montraient à ceux qui étaient hors de l'Eglise, attitude qui lui rappelait la façon dont les siens avaient été traités. "Je suis profondément troublée", écrivait cette femme  "de la façon dont l'orthodoxie voit ce que le monde pourrait appeler les chrétiens d'Occident, c'est-à-dire, les protestants et les catholiques romains. J'ai lu de nombreux articles de nombreux auteurs orthodoxes, et quelques uns utilisent des mots comme "papistes", etc, ce que je trouve très inquiétant et très injurieux. Même "hérétique" me dérange...


« Où en suis-je avec mes amis et mes parents? Ils ne connaissent pas l'orthodoxie ou ils ne la comprennent pas. Pourtant, ils croient et adorent le Christ... Dois-je traiter mes amis et mes parents comme s'ils n'avaient pas de Dieu, pas de Christ?... Ou puis-je les appeler chrétiens, ou seulement ceux qui ne connaissent pas la véritable Eglise?

Quand je pose cette question, je ne peux pas m'empêcher de penser à Saint Innocent d'Alaska quand il a visité les monastères franciscains en Californie. Il est resté tout à fait orthodoxe, pourtant il traitait les prêtres, qu'il a rencontré là-bas avec gentillesse et charité et non pas avec des insultes. Cela,  c'est je l'espère, ce que l'orthodoxie dit sur la façon dont on doit traiter les autres chrétiens.

J'ai été heureux de recevoir votre lettre-heureux non pas parce que vous êtes confuse au sujet de la question qui vous préoccupe, mais parce que votre attitude révèle que dans la vérité de l'orthodoxie à laquelle vous êtes attirée, vous souhaitez trouver de la place aussi pour une attitude aimante et de compassion envers ceux qui sont en dehors de la foi orthodoxe.

Je crois fermement que c'est effectivement ce que l'orthodoxie enseigne...

Je vais exposer brièvement ce que je crois être l'attitude orthodoxe envers les chrétiens non-orthodoxes.

 

1. L'orthodoxie est l'Eglise fondée par le Christ pour le salut de l'humanité, et donc nous devons nous garder avec notre vie la pureté de son enseignement et de notre fidélité à elle. Dans l'Église orthodoxe seule est donnée la grâce par les sacrements (la plupart des autres églises ne prétendent même pas avoir des sacrements dans l'acception sérieuse de ce terme). L'Eglise orthodoxe est le seul Corps du Christ, et si le salut est déjà assez difficile au sein de l'Eglise orthodoxe, combien plus difficile doit-il être hors de l'Eglise!

2. Toutefois, ce n'est pas à nous de définir l'état de ceux qui sont hors de l'Eglise orthodoxe. Si Dieu veut accorder le salut à quelques-uns qui sont chrétiens de la meilleure façon qu'ils connaissent, mais sans jamais connaître l'Église orthodoxe, c'est Lui que cela concerne, pas nous. Mais quand Il fait cela, c'est en dehors de la voie normale qu'Il a établie pour le salut, qui est dans l'Église, en tant que partie du Corps du Christ. Je ne puis pas, en ce qui me concerne, accepter l'expérience des protestants d'être "né de nouveau" dans le Christ, j'ai rencontré des gens qui ont entièrement changé leur vie grâce à la rencontre du Christ, et je ne peux pas nier leur expérience tout simplement parce qu'ils ne sont pas orthodoxes. J'appelle ces gens des chrétiens "subjectifs" ou "débutants". Mais jusqu'à ce qu'ils soient unis à l'Église orthodoxe, ils ne peuvent pas avoir la plénitude du christianisme, ils ne peuvent pas être objectivement chrétiens comme appartenant au Corps de Christ, et recevoir la grâce des sacrements. Je pense que c'est pourquoi il y a tant de sectes parmi eux, ils commencent la vie chrétienne avec une authentique conversion au Christ, mais ils ne peuvent pas continuer la vie chrétienne dans le droit chemin jusqu'à ce qu'ils soient unis à l'Église orthodoxe, et ils ont donc substitué leur propres opinions et expériences subjectives aux enseignements et aux sacrements de l'Eglise.

A propos de ces chrétiens qui sont hors de l'Eglise orthodoxe, donc je dirais: ils n'ont pas encore la pleine vérité, peut-être qu'elle n'a tout simplement pas encore été révélée à eux, ou peut-être est-ce  notre faute de ne pas vivre et d'enseigner la foi orthodoxe d'une manière qu'ils peuvent comprendre. Avec ces gens-là nous ne pouvons être unis dans la foi, mais il n'y a aucune raison pour que nous devions les considérer comme totalement étrangers ou égaux aux païens (bien que nous ne devrions pas non plus être hostiles aux païens car ils n'ont pas encore vu la vérité! ). Il est vrai que la plupart des hymnes non-orthodoxe contiennent un enseignement ou du moins un accent mis sur ce qui est faux -en particulier l'idée que quand on est "sauvé", on n'a pas besoin de faire quelque chose de plus parce que le Christ a tout fait. Cette idée empêche les gens de voir la vérité de l'Orthodoxie, qui met l'accent sur l'idée de lutter pour son salut, même après que Jésus-Christ nous l'ait donnés, comme le dit saint Paul: Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement [Phil. 2:12].

Le mot "hérétique" est en effet trop souvent utilisé de nos jours. Il a un sens et une fonction précis pour distinguer de nouveaux enseignements de la doctrine orthodoxe, mais peu de chrétiens non-orthodoxes aujourd'hui sont consciemment "hérétiques", et cela n'apporte vraiment rien de bon de les appeler ainsi.

En fin de compte, je crois, que l'attitude de père Dimitri Doudko est la bonne: Nous devrions considérer les non-orthodoxes comme des personnes à qui l'Orthodoxie n'a pas encore été révélée, comme des gens qui sont potentiellement orthodoxes (si seulement nous nous leur donnions un meilleur exemple!). Il n'y a aucune raison pour que nous ne puissions pas les appeler chrétiens et être en bons termes avec eux, reconnaître que nous avons au moins notre foi dans le Christ en commun, et vivre dans la paix, notamment avec nos propres familles. L'attitude de saint Innocent à l'égard des catholiques romains en Californie est un bon exemple pour nous. Une attitude dure, polémique est de mise seulement lorsque les non-orthodoxes cherchent à nous priver de nos troupeaux ou à modifier notre enseignement... » père Séraphim Rose.

L'Église orthodoxe est la véritable Église, dans laquelle sont conservées inaltérées la Sainte Tradition et la plénitude de la grâce salvatrice de Dieu. Elle a conservé dans leur totalité et dans leur pureté l'héritage des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît l'identité de sa doctrine, de sa structure liturgique et de sa pratique avec la prédication apostolique et la Tradition de l'Église Ancienne.

L'Orthodoxie n'est pas un " attribut national et culturel " de l'Église d'Orient. L'Orthodoxie est une qualité interne de l'Église, la conservation de la vérité doctrinale, de la structure liturgique et hiérarchique et des principes de la vie spirituelle demeurant sans interruption ni changement dans l'Église depuis les temps apostoliques.

 

L'Église orthodoxe affirme par la bouche des saints Pères, que le salut ne peut être atteint que dans l'Église du Christ. Mais en même temps, les communautés déchues de l'unité avec l'Orthodoxie, n'ont jamais été considérées comme totalement privées de la grâce divine. La rupture de la communion ecclésiale conduit inéluctablement à la dégradation de la vie de grâce, mais pas toujours à sa complète disparition dans les communautés séparées. C'est à cela que se rattache la pratique de la réception dans l'Église orthodoxe de personnes venant de communautés hétérodoxes, pas uniquement par le sacrement du baptême. Malgré la rupture de l'unité, il reste une certaine communion incomplète, qui agit comme le gage de la possibilité du retour à l'unité dans l'Église dans la plénitude et l'unité catholique.

Les orthodoxes ne prient pas les saints qui n'ont pas une confession juste de la foi. La sainteté n'est pas séparable de la vérité dogmatique, car les dogmes sont l'expression de la foi de l'Eglise. On ne peut considérer comme saints des personnages, aussi pieux soient -ils, qui confessent une Trinité qui s'écarte de la Révélation, ou qui suivent une ecclésiologie qui s'est éloignée considérablement de la Tradition de l'Eglise entraînant ainsi une spiritualité faussée. La vie vertueuse et ascétique ne suffit pas à la sainteté. Il faut aussi qu'elle soit tendue de Vérité.

On ne peut fixer une date arbitraire qui permettrait de décider brutalement qu'à partir de 1054 tous les membres rattachés à Rome sont déchus de l'Eglise. L'hérésie de Rome commence avant et met plusieurs siècles pour se répandre sur tout l'occident. C'est ainsi que les orthodoxes s'en tiennent à leur synaxaire.