mardi 14 avril 2020


« Pourtant, auparavant, pendant les épidémies, tout le monde allait à l’église! » – réponses d’un évêque et virologue aux commentaires indignés au sujet du coronavirus

L'évêque Pierre de Kalatchinsk et Mouromtsevo, avant de recevoir la prêtrise, a été diplômé de la faculté de biologie de l'université d'État de Moscou, a travaillé à l'institut de recherche sur les infections focales naturelles d'Omsk et a soutenu sa thèse sur la spécialité "Virologie". Le site Internet Foma.ru lui a demandé de répondre aux commentaires des personnes « indignées » qui ne comprennent pas pourquoi nous avons besoin de mesures de sécurité sérieuses pendant la période de coronavirus

14 avril 2020 par Jivko Panev

« Au contraire, auparavant, lors des épidémies, on allait toujours à l’église ! »

– Non, pas toujours ! Ceux qui parlent ainsi sont peu familiers de l’histoire, y compris celle de l’Église. Dans le passé, il y avait aussi l’isolement et la quarantaine – ne pensez pas que ce soit une mesure nouvelle, inventée. Bien sûr, le niveau de connaissance des causes et du déroulement des épidémies était très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Cependant, les gens savaient que la seule façon d’arrêter la peste, le choléra et la variole était d’instaurer la quarantaine. Et dans de nombreux cas, ils se protégeaient et priaient chez eux.

On parle maintenant beaucoup du haut fait de saint Philarète, qui encourageait les Moscovites et les invitait à la prière, mais cet exploit est exceptionnel. Je me souviens que S. Philarète, qui porte le même nom, non de Moscou, mais de Tchernigov, a accompli le même exploit pendant le choléra, mais a été infecté, et les médecins n’ont pu le sauver. C’était en 1866.

Si l’on parle de maladies contagieuses, le principal exploit du clergé a été de visiter des hôpitaux ou des baraquements temporaires remplis de malades. Ce fut et c’est toujours un risque énorme – c’est là la preuve du haut fait des vrais pasteurs. Mais on leur demandait souvent aussi autre chose. On s’efforçait de faire communier les malades soit séparément de ceux qui étaient considérés comme sains (comprenez qu’il n’y avait pas les connaissances modernes sur la transmission du virus à l’époque), soit à la maison ou dans les hôpitaux.

Depuis l’époque des apôtres, on nous a enseigné à obéir aux autorités. Contrairement à la persécution des chrétiens, l’Église a accepté les mesures de quarantaine avec compréhension, et personne n’a été scandalisé par le fait que les lois et règlements de l’Empire russe, prévoyaient la fermeture temporaire des églises pendant les épidémies. Non, ce n’est pas de l’apostasie. Vous et moi vénérons le saint juste Théodore Ouchakov. Et saviez-vous qu’il a réussi à sauver son équipage naval et toute la ville de Kherson pendant la peste ? Moyennant quoi, une quarantaine stricte y avait été instaurée  et les offices publics dans les églises avaient été interdits.
L’amiral Ouchakov a mis en place des patrouilles aux entrées et sorties, a ordonné à tout le monde de rester chez soi et a isolé tous les malades. La maladie a été vaincue, et l’amiral a été décoré de l’Ordre de Saint-Vladimir. Et nous voyons avec vous que l’Église ne considère pas  seulement ses actions comme celles d’un chef. Cet homme profondément croyant est devenu pour nous un saint qui intercède pour nous devant le trône de Dieu.
Nombreux sont ceux qui se souviennent de l’un des patriarches orthodoxes de l’époque soviétique, le patriarche Pimène (Izvekov), et ils le vénèrent beaucoup. Saviez-vous que lorsqu’il était locum tenens patriarcal, environ un an avant d’être élu patriarche, il a participé à la lutte contre l’épidémie de choléra dans les régions du sud de l’Union soviétique ? Le Caucase, la région d’Astrakhan et Odessa étaient infectés par la maladie, et le danger menaçait l’ensemble du pays.

Un décret ecclésiastique a alors été signé, selon lequel il était strictement interdit d’embrasser les icônes, et la communion des laïcs n’était possible qu’à domicile en cas d’infirmité ou de maladie. Cela, dans la communauté ecclésiastique, n’a pas entraîné de changement d’attitude envers le patriarche Pimène, et l’action conjointe des autorités et de l’Église a permis de vaincre la maladie la plus dangereuse, rapidement, et avec un minimum de pertes.

Ce ne sont là que quelques exemples dont nous avons connaissance. Ceux qui le souhaitent peuvent également se référer au « Livre de chevet du clergé », de S. V. Boulgakov, publié la première fois à la fin du XIXème siècle. Dans le périodique « Foma » un article a déjà été publié à ce sujet. Dans le « Livre de chevet », le lecteur attentif trouvera des précautions particulières pour les pasteurs et les fidèles en cas d’épidémie. Les événements actuels obligeront à étudier plus attentivement l’histoire de l’orthodoxie à ce sujet, qui a suscité des interrogations dans une partie de l’opinion. Il s’agit là d’un autre véritable témoignage. Je pense que les événements actuels inciteront les historiens de l’Église à travailler intensivement, afin que les gens entendent sans éprouver de doute à l’égard des pasteurs et fassent preuve d’une obéissance raisonnable aux autorités.

Il est très important de comprendre que les célébrations des offices dans notre Église se poursuivent. Notre pays a connu des temps bien plus terribles en ce qui concerne la possibilité de communier aux sacrements de l’Église et de recevoir des soins pastoraux. Nous ne devons pas oublier l’époque où presque toutes les églises de notre pays étaient détruites ou fermées, et où le clergé était arrêté et souvent martyrisé. Mais la prière retentissait à ces moments, et les croyants essayaient de soutenir leurs archipasteurs et pasteurs, priaient en secret, apportaient secrètement les Saints Dons dans les prisons et en exil – et c’était s’exposer à la mort.
Et maintenant, les Liturgies sont célébrées, les offices divins sont retransmis en direct pour les fidèles, il y a des processions, les prêtres vont chez les personnes âgées et leur donnent la Communion à la maison. Comparons la situation actuelle avec ce que nous avons vécu au XXe siècle.
Les paroissiens ont la bénédiction du Patriarche pour rester chez eux. C’est la réponse de l’Église, c’est l’aide à nos autorités, à nos médecins et à nos bénévoles qui luttent maintenant contre l’épidémie. Personne n’attaque notre foi, l’unité de l’Église se vérifie sur un autre plan – dans la conscience que, où que nous priions, à l’église pendant les offices ou à la maison, le Christ est parmi nous. Nous sommes séparés extérieurement par la quarantaine, mais nous pouvons prier et être ensemble spirituellement. Il ne faut pas avoir peur – nous sommes unis par le Seigneur Lui-même.

« Le danger est exagéré – nous avons tout le temps des épidémies d’infections respiratoires virales! Et rien ne nous arrive, nous sommes vivants sans aucune mesure spéciale ! »

Les gens qui disent cela ne disposent pas d’informations complètes. Ils croient surtout dans ce qui est écrit sur Internet. Ils comparent les taux de mortalité liés à différentes maladies à un moment où l’infection par le coronavirus est encore en train de se renforcer dans de nombreux pays. Les experts sérieux ne peuvent pas aujourd’hui évaluer toutes les conséquences de ce qui se passe, mais il est clair pour eux qu’une telle épidémie n’a jamais eu lieu depuis longtemps – c’est un nouveau virus non étudié : très contagieux, car il se transmet par les aérosols (des gouttelettes dans l’air).

Des précautions aussi draconiennes ne peuvent s’expliquer par l’intérêt de quiconque, par une conspiration prétendue de fonctionnaires – tous les pays du monde subiront d’énormes dégâts à cause de la quarantaine. Il ne peut y avoir qu’une seule raison de mettre en risque le bien-être de milliards de personnes : le danger objectif du coronavirus.

Il n’existe pas encore de remède, il n’y a pas de vaccin, de nombreux médecins ont été infectés et sont morts, même s’ils ont essayé de respecter toutes les mesures de sécurité. Les médecins se sacrifient aujourd’hui pour notre vie et notre santé.

Regardez ce qui se passe en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. En Chine, le seul moyen de réduire le nombre de maladies était la quarantaine la plus brutale. Et en Italie, les médecins pleurent et disent : « Je dois décider qui vit et qui ne vivra pas ».

C’est une maladie très dangereuse et si nous ne réagissons avec les mesures de prudence prescrites, elle sera encore pire qu’en Italie. Vous pensez vraiment que les 10% de la mortalité n’est qu’une plaisanterie ?
Croyez-moi, il ne s’agit pas seulement d’une d’infection respiratoire virale : selon les statistiques, un patient atteint d’infection respiratoire virale ou de grippe contamine moins de personnes autour de lui qu’un patient atteint de coronavirus. Quelqu’un a peut-être manqué ces informations en provenance de Corée du Sud sur la « patiente 31 ». Celle-ci, atteinte du coronavirus, était une paroissienne du culte Shincheonji de « l’Église de Jésus », et ignorait sa maladie. Elle s’est rendue dans plusieurs lieux publics en trois jours, infectant des centaines de personnes. Parmi les personnes infectées, 544 sont tombées malades et les 9 000 autres ont été mises en quarantaine.

Une seule personne a contaminé plusieurs centaines de personnes. Le fait est que certaines personnes propagent des virus de manière plus intense. Les scientifiques ne savent pas pourquoi cela se produit – ils étudient toujours cette question, ainsi que le virus lui-même – il se comporte différemment partout, apparemment, il change et mute rapidement.
Je suis virologue et lorsque je travaillais en tant que spécialiste, je devais enquêter sur les nouveaux foyers de maladies et sélectionner les mesures épidémiologiques à prendre – c’est ce que fait maintenant l’État. Je n’ai donc maintenant pas de raison de ne pas faire confiance à l’État.
Je le répète avec les spécialistes : tant que nous n’avons pas de vaccin, seule une quarantaine peut arrêter la transmission du virus. Ce virus parasite principalement l’homme – et vit tant qu’il est transmis. Certaines personnes ne se rendent pas compte qu’elles peuvent être porteuses, ou qu’elles peuvent être malades sans symptômes (ce sont deux choses différentes). Elles contribueront toutes à la transmission du virus. Cette transmission peut être arrêtée de trois façons : soit la personne s’est rétablie, soit elle est morte, soit elle est confinée et en quarantaine. Par la quarantaine, le cheminement du virus est arrêté. Il ne faut pas être un expert pour le comprendre : on ne peut passer entre les gouttes. C’est d’ailleurs aussi une question de responsabilité envers nos proches, que nous pouvons involontairement mettre en danger.

« Avoir peur d’être infecté dans une église où tout est sacré, c’est avoir peu de foi ! »

En substance, une telle question pourrait être posée par les Pharisiens de l’Évangile qui exigeaient des signes ou des miracles de Jésus-Christ. Et le Sauveur a fait des miracles, mais pas pour ceux qui en exigeaient, mais en raison de la foi de ceux qui Lui demandaient miséricorde. Ces derniers n’étaient pas nombreux à cette époque, et pour cette raison il y a eu peu de miracles. Dans tout miracle accompli par Dieu, au moins deux personnes y participent nécessairement : le Créateur lui-même et celui (ou ceux) pour qui le miracle est accompli. Dans le miracle accompli, il y a nécessairement deux facteurs : l’amour tout-puissant de Dieu et la foi de l’homme aussi minime soit-elle, mais sincère et humble, basée sur l’amour. L’amour de Dieu restera avec nous jusqu’à la fin des siècles.

En fait, nous tous, toute l’humanité, malgré nos péchés, sommes encore littéralement immergés dans l’océan de l’amour divin. Mais si l’amour de l’homme ne va pas à la rencontre de celui-ci, il n’y a pas alors de foi, ce qui signifie que notre prière est vaine, et que la grâce de Dieu ne touchera pas notre vie.

Le Christ a toujours rappelé à ses disciples l’importance de la foi. Prenons le passage de l’Évangile où le père demande au Seigneur de guérir son fils de la maladie épileptique. « Tout est possible à celui qui croit », a répondu le Christ au père de l’enfant, qui a dit : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité ! ». Et cette humble « petite foi » suffisait pour que le Seigneur lui fasse grâce. Et souvenons-nous d’un autre passage de l’Évangile, où l’apôtre Pierre lui-même a promis de ne pas quitter son Maître, même face à la mort. Peut-on douter de la foi du futur apôtre, sur laquelle le Christ a fondé son Église comme sur une pierre ? Bien sûr que non ! Mais il semble que la grande foi de Pierre à ce moment-là ait été touchée par une certaine vanité, un certain orgueil, tentant le Seigneur. Et la grâce de Dieu se retira, puis la peur entra dans le cœur de l’apôtre. Et ce n’est qu’après ses larmes amères que la grâce est revenue.

Nous souvenons-nous de l’apôtre Paul, qui a demandé à son Seigneur de le guérir de sa maladie ? Paul a compris correctement la volonté de Dieu, et s’est humilié lorsqu’il n’a pas été guéri. Plus tard, il écrivit à ses disciples avec soin et anxiété, leur demandant de prendre soin de leur santé. Nous pouvons trouver les mêmes paroles chez saint Jean Chrysostome, qui lui-même souffrait beaucoup de maladies et avait recours à l’aide de médecins, et conseillait aux autres de prendre soin de leur santé.

À qui ressemblerons-nous si nous ne prêtons pas attention à la menace réelle d’infection, en particulier pour les paroissiens âgés ? Qui d’entre nous dira qu’il a plus de foi que nos grands saints ? Parler de sa foi et être sûr que le Seigneur nous protègera de la maladie, c’est montrer est une grande insolence et tenter le Seigneur. « Ne tente pas le Seigneur ton Dieu » – ces mots restent au centre de notre situation actuelle.

Les détracteurs des mesures de sécurité ne comprennent probablement pas la gravité de la situation actuelle. Au moment où nous vous parlons, un groupe de travail spécial sur les coronavirus est à l’œuvre dans l’Église. Tout d’abord, bien sûr, il y a la question de l’assistance globale aux personnes : il y a aussi la livraison de nourriture, de médicaments, la collecte de dons, et là où la qualification le permet – l’assistance à l’hôpital. Mais en même temps ce groupe de travail a reçu l’information selon laquelle la maladie a été confirmée chez certains prêtres, plusieurs ont des symptômes, et certains, malheureusement, sont dans un état grave. Et nous prions pour eux.

Leur maladie n’est pas un signe de manque de foi. Dans certains cas, il s’agit d’un manque de prudence de leur part, mais en général, c’est l’une des raisons pour lesquelles le sacerdoce est précisément appelé « service ». Et c’est le chemin pour suivre le Christ, et le Grand Carême nous rappelle Ses souffrances et Sa mort sur la croix. L’Église, les objets saints, les sacrements – tout cela sauve, mais beaucoup de gens, malheureusement, ne veulent toujours pas entendre qu’il ne s’agit pas du salut pour la prospérité dans ce monde. Le salut ne consiste pas à se débarrasser de la maladie et de la mort, le salut consiste à s’unir à Dieu et à Le suivre déjà dans cette vie, une tentative d’entrer dans la vie éternelle, le Royaume de notre Père, pour éviter la perte spirituelle. C’est à cela que servent les Mystères et les Sacrements.

Il faut avoir le courage de reconnaître que la foi en elle-même ne garantit personne contre les maladies. Bien plus, le Christ nous invite à porter notre croix selon nos forces, pour notre vie éternelle.

Traiter l’Église comme une chambre barométrique dotée d’un microclimat particulier et de désinfecté est une tentation lourde, cette foi peut être très chancelante. La maladie touche jeunes et vieux, médecins et scientifiques, orthodoxes et catholiques, musulmans et athées. Une personne peut venir à l’église sans savoir qu’elle est déjà malade. Les églises sont souvent visitées par des personnes peu pratiquantes et qui se contentent de poser des cierges et partir. Ils ne savent pas ce qu’est la communion spirituelle, ce que sont la prière et les sacrements de l’Église. Toute personne qui vient dans l’église peut être porteuse potentielle du virus.

Cette pandémie devrait nous faire réfléchir et nous rappeler à quel point nous nous sommes éloignés de Dieu. Pendant le Grande Carême, nous nous sommes retrouvés dans une situation où toutes les installations de divertissement sont fermées, où nous sommes épargnés par l’agitation et les distractions quotidiennes. Pour beaucoup, cette situation est forcée et inhabituelle, mais chacun peut la retourner pour son propre bien. Je vois ici la Providence de Dieu pour ceux qui doivent rester en mode d’auto-isolement. Nous n’avons pas besoin de chercher comment nous divertir à la maison – nous devons l’accepter et prier avec humilité. Mais nous ne devons pas laisser la peur nous envahir. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour le Christ, pour nos proches. Lorsque nous suivons le Christ, nous demandons sa miséricorde et nous croyons que le Seigneur est partout et tout près de nous. Ce n’est pas sans raison qu’il est dit : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18:19-20). 
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