«
Pourtant, auparavant, pendant les épidémies, tout le monde allait à l’église! »
– réponses d’un évêque et virologue aux commentaires indignés au sujet du
coronavirus
L'évêque Pierre de Kalatchinsk et Mouromtsevo, avant de
recevoir la prêtrise, a été diplômé de la faculté de biologie de l'université
d'État de Moscou, a travaillé à l'institut de recherche sur les infections
focales naturelles d'Omsk et a soutenu sa thèse sur la spécialité
"Virologie". Le site Internet Foma.ru lui a demandé de répondre aux commentaires
des personnes « indignées » qui ne comprennent pas pourquoi nous avons besoin
de mesures de sécurité sérieuses pendant la période de coronavirus
14 avril 2020 par Jivko Panev
« Au
contraire, auparavant, lors des épidémies, on allait toujours à
l’église ! »
– Non, pas toujours ! Ceux qui parlent ainsi sont peu
familiers de l’histoire, y compris celle de l’Église. Dans le passé, il y avait
aussi l’isolement et la quarantaine – ne pensez pas que ce soit une mesure
nouvelle, inventée. Bien sûr, le niveau de connaissance des causes et du
déroulement des épidémies était très différent de ce qu’il est aujourd’hui.
Cependant, les gens savaient que la seule façon d’arrêter la peste, le choléra
et la variole était d’instaurer la quarantaine. Et dans de nombreux cas, ils se
protégeaient et priaient chez eux.
On parle maintenant beaucoup du haut fait de saint Philarète,
qui encourageait les Moscovites et les invitait à la prière, mais cet exploit
est exceptionnel. Je me souviens que S. Philarète, qui porte le même nom, non
de Moscou, mais de Tchernigov, a accompli le même exploit pendant le choléra,
mais a été infecté, et les médecins n’ont pu le sauver. C’était en 1866.
Si l’on parle de maladies contagieuses, le principal exploit
du clergé a été de visiter des hôpitaux ou des baraquements temporaires remplis
de malades. Ce fut et c’est toujours un risque énorme – c’est là la preuve du
haut fait des vrais pasteurs. Mais on leur demandait souvent aussi autre chose.
On s’efforçait de faire communier les malades soit séparément de ceux qui
étaient considérés comme sains (comprenez qu’il n’y avait pas les connaissances
modernes sur la transmission du virus à l’époque), soit à la maison ou dans les
hôpitaux.
Depuis l’époque des apôtres, on nous a enseigné à obéir aux
autorités. Contrairement à la persécution des chrétiens, l’Église a accepté les
mesures de quarantaine avec compréhension, et personne n’a été scandalisé par
le fait que les lois et règlements de l’Empire russe, prévoyaient la fermeture
temporaire des églises pendant les épidémies. Non, ce n’est pas de l’apostasie.
Vous et moi vénérons le saint juste Théodore Ouchakov. Et saviez-vous qu’il a
réussi à sauver son équipage naval et toute la ville de Kherson pendant la
peste ? Moyennant quoi, une quarantaine stricte y avait été instaurée et
les offices publics dans les églises avaient été interdits.
L’amiral Ouchakov a mis en place des patrouilles aux entrées
et sorties, a ordonné à tout le monde de rester chez soi et a isolé tous les
malades. La maladie a été vaincue, et l’amiral a été décoré de l’Ordre de
Saint-Vladimir. Et nous voyons avec vous que l’Église ne considère pas
seulement ses actions comme celles d’un chef. Cet homme profondément
croyant est devenu pour nous un saint qui intercède pour nous devant le trône
de Dieu.
Nombreux sont ceux qui se souviennent de l’un des patriarches
orthodoxes de l’époque soviétique, le patriarche Pimène (Izvekov), et ils le
vénèrent beaucoup. Saviez-vous que lorsqu’il était locum tenens patriarcal,
environ un an avant d’être élu patriarche, il a participé à la lutte contre
l’épidémie de choléra dans les régions du sud de l’Union soviétique ? Le
Caucase, la région d’Astrakhan et Odessa étaient infectés par la maladie, et le
danger menaçait l’ensemble du pays.
Un décret ecclésiastique a alors été signé, selon lequel il
était strictement interdit d’embrasser les icônes, et la communion des laïcs
n’était possible qu’à domicile en cas d’infirmité ou de maladie. Cela, dans la
communauté ecclésiastique, n’a pas entraîné de changement d’attitude envers le
patriarche Pimène, et l’action conjointe des autorités et de l’Église a permis
de vaincre la maladie la plus dangereuse, rapidement, et avec un minimum de
pertes.
Ce ne sont là que quelques exemples dont nous avons
connaissance. Ceux qui le souhaitent peuvent également se référer au « Livre de
chevet du clergé », de S. V. Boulgakov, publié la première fois à la fin du
XIXème siècle. Dans le périodique « Foma » un article a déjà été
publié à ce sujet. Dans le « Livre de chevet », le lecteur attentif
trouvera des précautions particulières pour les pasteurs et les fidèles en cas
d’épidémie. Les événements actuels obligeront à étudier plus attentivement
l’histoire de l’orthodoxie à ce sujet, qui a suscité des interrogations dans
une partie de l’opinion. Il s’agit là d’un autre véritable témoignage. Je pense
que les événements actuels inciteront les historiens de l’Église à travailler
intensivement, afin que les gens entendent sans éprouver de doute à l’égard des
pasteurs et fassent preuve d’une obéissance raisonnable aux autorités.
Il est très important de comprendre que les célébrations des
offices dans notre Église se poursuivent. Notre pays a connu des temps bien
plus terribles en ce qui concerne la possibilité de communier aux sacrements de
l’Église et de recevoir des soins pastoraux. Nous ne devons pas oublier
l’époque où presque toutes les églises de notre pays étaient détruites ou
fermées, et où le clergé était arrêté et souvent martyrisé. Mais la prière retentissait
à ces moments, et les croyants essayaient de soutenir leurs archipasteurs et
pasteurs, priaient en secret, apportaient secrètement les Saints Dons dans les
prisons et en exil – et c’était s’exposer à la mort.
Et maintenant, les Liturgies sont célébrées, les offices
divins sont retransmis en direct pour les fidèles, il y a des processions, les
prêtres vont chez les personnes âgées et leur donnent la Communion à la maison.
Comparons la situation actuelle avec ce que nous avons vécu au XXe siècle.
Les paroissiens ont la bénédiction du Patriarche pour rester
chez eux. C’est la réponse de l’Église, c’est l’aide à nos autorités, à nos
médecins et à nos bénévoles qui luttent maintenant contre l’épidémie. Personne
n’attaque notre foi, l’unité de l’Église se vérifie sur un autre plan – dans la
conscience que, où que nous priions, à l’église pendant les offices ou à la
maison, le Christ est parmi nous. Nous sommes séparés extérieurement par la
quarantaine, mais nous pouvons prier et être ensemble spirituellement. Il ne
faut pas avoir peur – nous sommes unis par le Seigneur Lui-même.
« Le
danger est exagéré – nous avons tout le temps des épidémies d’infections
respiratoires virales! Et rien ne nous arrive, nous sommes vivants sans aucune
mesure spéciale ! »
Les gens qui disent cela ne disposent pas d’informations
complètes. Ils croient surtout dans ce qui est écrit sur Internet. Ils
comparent les taux de mortalité liés à différentes maladies à un moment où
l’infection par le coronavirus est encore en train de se renforcer dans de
nombreux pays. Les experts sérieux ne peuvent pas aujourd’hui évaluer toutes
les conséquences de ce qui se passe, mais il est clair pour eux qu’une telle
épidémie n’a jamais eu lieu depuis longtemps – c’est un nouveau virus non
étudié : très contagieux, car il se transmet par les aérosols (des gouttelettes
dans l’air).
Des précautions aussi draconiennes ne peuvent s’expliquer par
l’intérêt de quiconque, par une conspiration prétendue de fonctionnaires – tous
les pays du monde subiront d’énormes dégâts à cause de la quarantaine. Il ne
peut y avoir qu’une seule raison de mettre en risque le bien-être de milliards
de personnes : le danger objectif du coronavirus.
Il n’existe pas encore de remède, il n’y a pas de vaccin, de
nombreux médecins ont été infectés et sont morts, même s’ils ont essayé de
respecter toutes les mesures de sécurité. Les médecins se sacrifient
aujourd’hui pour notre vie et notre santé.
Regardez ce qui se passe en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni
et aux États-Unis. En Chine, le seul moyen de réduire le nombre de maladies
était la quarantaine la plus brutale. Et en Italie, les médecins pleurent et
disent : « Je dois décider qui vit et qui ne vivra pas ».
C’est une maladie très dangereuse et si nous ne réagissons
avec les mesures de prudence prescrites, elle sera encore pire qu’en Italie.
Vous pensez vraiment que les 10% de la mortalité n’est qu’une
plaisanterie ?
Croyez-moi, il ne s’agit pas seulement d’une d’infection
respiratoire virale : selon les statistiques, un patient atteint d’infection
respiratoire virale ou de grippe contamine moins de personnes autour de lui
qu’un patient atteint de coronavirus. Quelqu’un a peut-être manqué ces
informations en provenance de Corée du Sud sur la « patiente 31 ».
Celle-ci, atteinte du coronavirus, était une paroissienne du culte Shincheonji
de « l’Église de Jésus », et ignorait sa maladie. Elle s’est rendue
dans plusieurs lieux publics en trois jours, infectant des centaines de
personnes. Parmi les personnes infectées, 544 sont tombées malades et les 9 000
autres ont été mises en quarantaine.
Une seule personne a contaminé plusieurs centaines de
personnes. Le fait est que certaines personnes propagent des virus de manière
plus intense. Les scientifiques ne savent pas pourquoi cela se produit – ils
étudient toujours cette question, ainsi que le virus lui-même – il se comporte
différemment partout, apparemment, il change et mute rapidement.
Je suis virologue et lorsque je travaillais en tant que
spécialiste, je devais enquêter sur les nouveaux foyers de maladies et
sélectionner les mesures épidémiologiques à prendre – c’est ce que fait
maintenant l’État. Je n’ai donc maintenant pas de raison de ne pas faire
confiance à l’État.
Je le répète avec les spécialistes : tant que nous n’avons pas
de vaccin, seule une quarantaine peut arrêter la transmission du virus. Ce
virus parasite principalement l’homme – et vit tant qu’il est transmis.
Certaines personnes ne se rendent pas compte qu’elles peuvent être porteuses,
ou qu’elles peuvent être malades sans symptômes (ce sont deux choses
différentes). Elles contribueront toutes à la transmission du virus. Cette
transmission peut être arrêtée de trois façons : soit la personne s’est
rétablie, soit elle est morte, soit elle est confinée et en quarantaine. Par la
quarantaine, le cheminement du virus est arrêté. Il ne faut pas être un expert
pour le comprendre : on ne peut passer entre les gouttes. C’est d’ailleurs
aussi une question de responsabilité envers nos proches, que nous pouvons
involontairement mettre en danger.
« Avoir
peur d’être infecté dans une église où tout est sacré, c’est avoir peu de foi
! »
En substance, une telle question pourrait être posée par les
Pharisiens de l’Évangile qui exigeaient des signes ou des miracles de
Jésus-Christ. Et le Sauveur a fait des miracles, mais pas pour ceux qui en
exigeaient, mais en raison de la foi de ceux qui Lui demandaient miséricorde.
Ces derniers n’étaient pas nombreux à cette époque, et pour cette raison il y a
eu peu de miracles. Dans tout miracle accompli par Dieu, au moins deux
personnes y participent nécessairement : le Créateur lui-même et celui (ou
ceux) pour qui le miracle est accompli. Dans le miracle accompli, il y a
nécessairement deux facteurs : l’amour tout-puissant de Dieu et la foi de
l’homme aussi minime soit-elle, mais sincère et humble, basée sur l’amour.
L’amour de Dieu restera avec nous jusqu’à la fin des siècles.
En fait, nous tous, toute l’humanité, malgré nos péchés,
sommes encore littéralement immergés dans l’océan de l’amour divin. Mais si
l’amour de l’homme ne va pas à la rencontre de celui-ci, il n’y a pas alors de
foi, ce qui signifie que notre prière est vaine, et que la grâce de Dieu ne
touchera pas notre vie.
Le Christ a toujours rappelé à ses disciples l’importance de
la foi. Prenons le passage de l’Évangile où le père demande au Seigneur de
guérir son fils de la maladie épileptique. « Tout est possible à celui qui
croit », a répondu le Christ au père de l’enfant, qui a dit :
« Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité ! ». Et
cette humble « petite foi » suffisait pour que le Seigneur lui fasse
grâce. Et souvenons-nous d’un autre passage de l’Évangile, où l’apôtre Pierre
lui-même a promis de ne pas quitter son Maître, même face à la mort. Peut-on
douter de la foi du futur apôtre, sur laquelle le Christ a fondé son Église
comme sur une pierre ? Bien sûr que non ! Mais il semble que la grande foi
de Pierre à ce moment-là ait été touchée par une certaine vanité, un certain
orgueil, tentant le Seigneur. Et la grâce de Dieu se retira, puis la peur entra
dans le cœur de l’apôtre. Et ce n’est qu’après ses larmes amères que la grâce
est revenue.
Nous souvenons-nous de l’apôtre Paul, qui a demandé à son
Seigneur de le guérir de sa maladie ? Paul a compris correctement la volonté de
Dieu, et s’est humilié lorsqu’il n’a pas été guéri. Plus tard, il écrivit à ses
disciples avec soin et anxiété, leur demandant de prendre soin de leur santé.
Nous pouvons trouver les mêmes paroles chez saint Jean Chrysostome, qui
lui-même souffrait beaucoup de maladies et avait recours à l’aide de médecins,
et conseillait aux autres de prendre soin de leur santé.
À qui ressemblerons-nous si nous ne prêtons pas attention à la
menace réelle d’infection, en particulier pour les paroissiens âgés ? Qui d’entre
nous dira qu’il a plus de foi que nos grands saints ? Parler de sa foi et être
sûr que le Seigneur nous protègera de la maladie, c’est montrer est une grande
insolence et tenter le Seigneur. « Ne tente pas le Seigneur ton
Dieu » – ces mots restent au centre de notre situation actuelle.
Les détracteurs des mesures de sécurité ne comprennent
probablement pas la gravité de la situation actuelle. Au moment où nous vous
parlons, un groupe de travail spécial sur les coronavirus est à l’œuvre dans
l’Église. Tout d’abord, bien sûr, il y a la question de l’assistance globale
aux personnes : il y a aussi la livraison de nourriture, de médicaments, la
collecte de dons, et là où la qualification le permet – l’assistance à
l’hôpital. Mais en même temps ce groupe de travail a reçu l’information selon
laquelle la maladie a été confirmée chez certains prêtres, plusieurs ont des
symptômes, et certains, malheureusement, sont dans un état grave. Et nous
prions pour eux.
Leur maladie n’est pas un signe de manque de foi. Dans
certains cas, il s’agit d’un manque de prudence de leur part, mais en général,
c’est l’une des raisons pour lesquelles le sacerdoce est précisément appelé
« service ». Et c’est le chemin pour suivre le Christ, et le Grand
Carême nous rappelle Ses souffrances et Sa mort sur la croix. L’Église, les
objets saints, les sacrements – tout cela sauve, mais beaucoup de gens,
malheureusement, ne veulent toujours pas entendre qu’il ne s’agit pas du salut
pour la prospérité dans ce monde. Le salut ne consiste pas à se débarrasser de
la maladie et de la mort, le salut consiste à s’unir à Dieu et à Le suivre déjà
dans cette vie, une tentative d’entrer dans la vie éternelle, le Royaume de
notre Père, pour éviter la perte spirituelle. C’est à cela que servent les
Mystères et les Sacrements.
Il faut avoir le courage de reconnaître que la foi en
elle-même ne garantit personne contre les maladies. Bien plus, le Christ nous
invite à porter notre croix selon nos forces, pour notre vie éternelle.
Traiter l’Église comme une chambre barométrique dotée d’un
microclimat particulier et de désinfecté est une tentation lourde, cette foi
peut être très chancelante. La maladie touche jeunes et vieux, médecins et
scientifiques, orthodoxes et catholiques, musulmans et athées. Une personne peut
venir à l’église sans savoir qu’elle est déjà malade. Les églises sont souvent
visitées par des personnes peu pratiquantes et qui se contentent de poser des
cierges et partir. Ils ne savent pas ce qu’est la communion spirituelle, ce que
sont la prière et les sacrements de l’Église. Toute personne qui vient dans
l’église peut être porteuse potentielle du virus.
Cette pandémie devrait nous faire réfléchir et nous rappeler à
quel point nous nous sommes éloignés de Dieu. Pendant le Grande Carême, nous
nous sommes retrouvés dans une situation où toutes les installations de
divertissement sont fermées, où nous sommes épargnés par l’agitation et les
distractions quotidiennes. Pour beaucoup, cette situation est forcée et
inhabituelle, mais chacun peut la retourner pour son propre bien. Je vois ici
la Providence de Dieu pour ceux qui doivent rester en mode d’auto-isolement.
Nous n’avons pas besoin de chercher comment nous divertir à la maison – nous
devons l’accepter et prier avec humilité. Mais nous ne devons pas laisser la
peur nous envahir. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour le Christ,
pour nos proches. Lorsque nous suivons le Christ, nous demandons sa miséricorde
et nous croyons que le Seigneur est partout et tout près de nous. Ce n’est pas
sans raison qu’il est dit : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon
nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18:19-20).
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