Homélie
de Père Elie de Terrasson-LavilleDieu
pour le Dimanche de Thomas
Père Elie
Le 25 avril 202
Huit jours après Pâques plusieurs enquêtent encore, plus ou moins discrètement,
pour savoir s’il y a eu du monde au monastère pour célébrer Pâques, malgré le
« confinement » rigoureux.
Eh bien après
tout, pourquoi vous cacherais-je la vérité ? Oh que oui, il y avait du
monde ! Et du beau monde ! Vous voulez des noms ?
Attendez un peu, après une longue introduction, que je crois nécessaire,
je vais vous en révéler quelques-uns. Vos investigations pourtant
m’étonnent : quoi ! Vous ne les avez pas vus ?
La Liturgie pascale sur le monde
Ou : Pâques 2020 au monastère de
la Tansfiguration
Cela ne s’était
jamais produit depuis 2000 ans : ce que les grands empereurs romains
persécuteurs n’avaient pas réussi à faire, les Néron, Domitien, Trajan, Adrien,
Antonin, Marc-Aurèle, Septime-Sévère, Maximin le Thrace, Dèce, Valérien,
Aurélien, Dioclétien et Maximin, Julien l’Apostat… ce à quoi n’étaient pas
parvenus les Sarrasins et les Seldjoukides, les Jacobins et les Bolcheviques,
ni les régimes issus de la Grande Révolution maoïste et celle de Khmers Rouges,
le « Nouvel-Ordre Mondial », lui, a réussi. Nikos Kazantzakis avait
écrit « le Christ recrucifié », nous attendons qu’un auteur génial
écrive une relation historique intitulée : « Le Christ
reconfiné ».
Certes, des
persécutions il y en a eu ; et il y en a de plus en plus !!!
Certaines ouvertes, d’autres clandestines, toujours larvées. Des prêtres ont
été déportés, des églises ont été détruites ou fermées, des chrétiens ont été
arrêtés, torturés, pendus, empalés, égorgés, et cela continue !
L’éducation religieuse a été brimée, les écoles fermées, les œuvres caritatives
interdites, les léproseries, les hôpitaux et les hospices spoliés, les biens
des Églises confisqués et vendus, dilapidés. Bref, rien de nouveau sous le
soleil. Mais, même appliquées à grande échelle, ces persécutions restaient
locales. Dans d’autres contrées, l’Église chrétienne vivait, se développait ou
vivotait, survivait, espérait ; respirait.
En l’an 33, Jésus
crucifié et mort sur la croix a été enfermé, sous scellés officiels, dans une
chambre sépulcrale. Il a été « mis en confinement » dans le creux
d’un rocher, gardé par des soldats mandatés et soudoyés pour qu’on ne puisse
pas Le dérober ! Peine perdue, comme on le sait aujourd’hui dans le monde
entier, personne ne L’a dérobé : Il s’est soustrait tout seul à la mort en
ressuscitant ! Ouch ! Incroyable, mais vrai ! Et maintenant Il
vit ! (mais autrement et presque imperceptiblement…) Mais voilà, deux
mille ans après, Il a été « re-confiné », pas en un lieu seulement,
en une région ou en un pays, mais presque, nous osons à peine le dire tout
bas, mondialement. « On » aurait voulu que ce fût
universellement !
- Avant de
poursuivre, je veux préciser ceci, car j’entends déjà les Inquisiteurs avides
de proies et de bûcher, que ce n’est pas du « confinement » que
je veux parler ; je ne viens pas ici contester ni condamner, même si vous
sentez parfois poindre une note d’agacement. Mais je constate que les
églises-Tombeaux-lieux résurrectionnels du Christ ont eu l’obligation légale de
fermer leurs portes ; que là où des hommes, des femmes et des enfants
venaient tout de même chercher réconfort, secours, guérison ou espoir, les
soldats d’Hérode ont perquisitionné (armés parfois afin de poursuivre ceux qui
n’ont à opposer comme arme que leurs chapelets), exigé la cessation des
Offices, dispersé les participants (même lorsqu’ils n’étaient que cinq ou six,
séparés pourtant par des distances sanitaires réglementaires), dénoncés par des
faux témoins, les mêmes qui déjà portaient de faux témoignages lors du Jugement
du Juste et qui ont apporté le prétexte à Sa condamnation. Ose-t-on
s’introduire brutalement dans les lieux de prière musulmans, dans les quartiers
« de non-droit » pendant la prière du vendredi ?
Blasphème !
Donc c’est presque universellement
que l’Église a été réduite au silence. De nouveaux scellés ont été apposés et
la nuit pascale n’a pas pu avoir lieu, à quelques exceptions près :
Chypre ? La Géorgie ? Le Monténégro ? La Sainte Montagne… Le
patriarche de Jérusalem a pu recueillir le Feu sacré sorti du Tombeau comme
tous les ans. Il doit sans doute être mort, maintenant, avec les fidèles et
spectateurs présents, du coronavirus ! En d’autres lieux sans
doute, la résurrection aura-telle été célébrée officiellement, mais je n’ai pas
d’informations, ou ailleurs de façon clandestine et hors-la-loi.
Autre phénomène
nouveau : ce fut fait, encouragé, exigé avec la bénédiction des autorités
religieuses. Je ne conteste toujours pas ! Certains, qui ont été
pris en fait de « désobéissance », - pour dix-neuf
« contrevenants » - sont condamnés à une privation de liberté de
plusieurs années. On ne badine pas avec le confinement sanitaire, fut-ce celui
du Christ, quelquefois qu’en ressuscitant Il nous apporterait le covid 19 mortel !
Oui, je sais, j’entends vos sarcasmes, je ne suis pas encore complètement fou
ni fanatique, mais une pointe d’humour est-elle encore permise ?
Sérieusement, évidemment ce n’est pas de cela que l’on a peur, mais de la
contamination par ceux qui viennent à Sa rencontre. Ça se comprend… du
moins par ceux qui n’ont pas la foi en la Présence vivificatrice de Dieu et qui
n’ont pas besoin de Son secours. Il serait normal que nos autorités civiles ne
soient pas sensibles à ces réalités, ce n’est pas leurs champs d’action, mais
il revient aux autorités religieuses de leur faire part du point de vue des
« croyants ». L’Eglise chrétienne a son mot à dire sur le destin du
monde ! Un message original, et salvateur ! Mais qui s’en
préoccupe ?
Je ne
conteste pas, mais j’ai le droit de manifester mon étonnement que si peu de
hiérarques aient défendu le besoin de « leurs » ouailles de supplier
Dieu EN Église. Nos chefs sont bien d’accord pour que l’on aille
faire nos courses dans les supermarchés – suivant quelques précautions
légitimes – pourquoi ne nous aident-ils pas, pour qu’avec les mêmes garanties,
on puisse entrer dans nos églises ? La plupart d’entr’elles sont assez
vastes pour y garder les distances de sécurité légales, et même plus.
Une autre chose ne
manque pas de m’étonner et d’en surprendre beaucoup comme moi : qu’a
trouvé la Gouvernance mondiale pour en arriver à ce silence de la majeure
partie des services, entreprises, religions, associations, bref l’arrêt de la
vie universelle et de l’économie mondiale ? Oh je ne dis pas qu’il y a
«théorie du complot ». Mais on nous a communiqué la peur, la peur
panique, l’obsession, la psychose. Nous sommes tous morts de frousse ! On
nous culpabilise : « vous serez responsable de la mort d’autrui si
vous ne respectez pas les règles, si vous sortez de chez vous… ». Nous
sommes donc des assassins en puissance ? On a peur d’être
malades nous-mêmes! On a peur de mourir ? Or la vie et la santé sont
les biens suprêmes : « Bonne Année, bonne santé surtout » se
souhaitait-on il y a quatre mois. Il n’y a dons pas de bien supérieur dans la
vie. Je ne parle même pas du Paradis et de la Béatitude éternelle, mais même de
l’Amour, de la Paix… Pense-t-on donc qu’il va nous être possible de ne jamais
mourir ? A-t-on peur à ce point-là de comparaître devant Dieu ou de nous
« ouvrir » à une vie que ne nous décrit pas La Science – et pour
cause, puisque ce n’est pas son domaine d’investigation - et donc à
« l’Inconnu » ? Mais quand les églises sont ouvertes, on y apprend
justement à connaître l’Inconnu et l’inconnue vie ! Afin d’échapper à
cette peur, à cette menace de la mort dont on prend tout à coup conscience
qu’elle pourrait nous frapper, nous aussi, à l’improviste, on est prêt à
renoncer à toutes nos libertés, à tous nos projets, et remettre notre destinée
à nos experts es guerre. On se défausse de nos responsabilités, on accepte
l’esclavage, demain les puces électroniques sous-cutanées, et le suivi
permanent par GPS, drones, etc. Toute une panoplie de guerre contre quel
ennemi ? Le virus à la mode ? Non : la population ; nous.
Même monsieur
Matteo Salvini – il est vrai qu’il n’est pas très bien vu par les médias de la
« pensée unique », donc « pas crédible » — même monsieur
Salvini donc, reconnaissait que les mesures sanitaires n’étaient pas
suffisantes pour lutter contre les ravages du Coronavirus version 2020,
mais qu’il fallait aussi l’intervention de Dieu (c’est moi qui l’exprime
ainsi). « Pour vaincre ce monstre, disait-il à la télévision italienne, la
science seule ne suffit pas. Nous approchons de Pâques et nous avons besoin de
la protection du Cœur Immaculé de Marie » et il renchérissait :
« … le bon Dieu est nécessaire ». Il a lancé un appel aux évêques
d’Italie dans ce sens ; je ne sais s’il a été écouté ; en tout cas au
Vatican il ne semble pas avoir été entendu ; tout se fait par
retransmission internet ou télévisée. En France non plus. On
« retransmet » (mais seules les chaînes mandatées peuvent le faire,
pas les autres) on ne peut pas célébrer « clandestinement » même pour
« retransmettre »…
Pire, alors que
l’on parle du « déconfinement progressif », les autorités religieuses
et celles de la Franc-maçonnerie – promue au rang de « grande
religion » - ont été briefées pour leur annoncer que les lieux de cultes
ne seraient pas rouverts avant juin… Trop tard pour Pâques, mais messeigneurs
les archevêques et évêques, profiterez-vous de ce laps de temps confortable
pour « oser » demander à Pilate le Corps de Jésus ? Nous savons
que vous avez beaucoup à faire pour vous occuper de vos brebis spirituelles
très éparpillées, et vous faites beaucoup. Si vous êtes astreints aussi au
confinement, vous devez économiser certainement en temps de déplacements, aussi
pouvons-nous oser vous demander quelque démarche locale pour les besoins de nos
âmes. Nous vous demandons rarement des faveurs ; ce n’en sont pas.
Seulement l’expression d’une soif et d’une faim auxquelles vous pouvez
remédier, vous nos « pasteurs » qui n’êtes pas
« mercenaires ». Vous pourriez peut-être demander que soient
rouvertes les églises, permises les Liturgies et les prières communes. Faute de
masques, nous aurions besoin de recevoir le Sacrement de l’Huile-sainte (le
« sacrement des malades » dans l’Église orthodoxe), c’est efficace
vous savez, pour le corps et pour l’âme. Nous voulons prendre soin de l’une et
de l’autre. Nous non plus nous ne voulons pas mourir, spirituellement !
Nous aurions aussi besoin de célébrer EN Église des Paraclisis
(offices d’intercession), et des Pannykides (offices pour les défunts) pour les
victimes du virus sévissant, et pour nos autres défunts, et des Actions de
Grâces pour les miracles de charité dont nous sommes témoins journellement, et
pour des guérisons miraculeuses du covid 19 (il y en a, dues à
l’interventions de saints, mais on n’en parle pas ! Si nous pouvions aller
à l’église, on nous en parlerait, ça nous redonnerait de l’espoir. Le son des
cloches (mues électriquement) et le chant du muezzin (appel agressif à la
prière coranique) ne sont pas suffisants. Nous oxygéner en sortant Mirza, Titi
ou Youka, (ou notre poisson rouge ! Même l’humour est banni. Quel monde
triste !) faire notre jogging autour de notre maison ou quarante
kilomètres à vélo autour de l’église de mon village, ne nous suffit pas non
plus. Vous savez, on ne nous a pas formés à la Prière intérieure – on nous a
dit que c’était réservé aux moines - ni à la lectio divina. Il nous est
bien difficile de prier pendant longtemps : nous n’avons pas l’habitude.
L’aide de la Communauté, la chaleur de la célébration commune, la vision du
reflet de la gloire de Dieu dans une assemblée de prière, la charité d’un amour
partagé malgré des rivalités, des antipathies au nom de notre Sauveur
manifesté, le mélange des conditions sociales différentes en un Corps, tout
cela nous manque cruellement. Par dessus-tout, la vision, la proximité,
l’expérience de l’Autre monde, la présence réconfortante de la Mère de Dieu,
des saints, des Anges, dans une Action de grâces commune, nous fortifieraient,
élargiraient nos perspectives vitales qui se sont rétrécies à nos murs et nos
jardins (quand on en a !). Nous en avons besoin pour nous réchauffer et
affronter nos épreuves, qui ne font que commencer, car on nous dit bien :
« rien ne sera plus comme avant ! » En voilà une perspective !
Si donc il n’y a que cet horizon là, accordez-nous la possibilité d’un horizon
infini, céleste, éternel. Si vous ne nous concédez pas cela, le pire qui est en
nous va ressurgir : je vais devenir plus mauvais encore, je vais me
révolter, casser, piller, tuer peut-être, ou me suicider ; pire
horreur ! La violence n’est pas loin au fond de moi ; enfouie
seulement sous une couche superficielle et fragile. Je connais la bête qui
sommeille en moi et que seule la grâce de Dieu peut contenir, retenir, domestiquer
ou ré-orienter. La prière personnelle appelle la grâce, certes, mais aussi la
prière en Église. Bien sûr, je suis d’accord, on peut prier individuellement ou
en famille. Et ça se pratique, nous assistons même à des conversions
spectaculaires avec cela. Qui plus est, c’est une bonne école pour l’avenir.
Mais enfin cela ne nous suffit tout de même pas. Ne nous en veuillez pas, nous
sommes faibles et inhabitués ; peut-être rêveurs, mais « le
monde » ne nous accorde plus de rêves, d’idéal, d’enthousiasme. Nous
n’avons plus que la tristesse et l’angoisse.
Savez-vous comment
a commencé l’héroïque – et éphémère (encore que… !) - insurrection de
Vendée en 1793 ? La Convention, avec les prêtres jureurs à la Constitution
(déjà) avait fermé les églises et posté des gardes à leurs portes (c’est une
habitude, hein Pilate !). À Châtillon-sur-Sèvre alors que des villageois
vendéens tentaient de se révolter contre ces ordres légaux qui arrêtaient les
« prêtres non-jureurs », somme toute des prêtres fidèles à leur foi et
à leurs pratiques de nombreuses fois centenaires, à leur Église et à leurs
évêques, un jeune paysan, Jean Ripoche - mémoire éternelle !- épuisé par
vingt-deux blessures, s’est effondré au pied d’un calvaire. Un soldat
républicain lui a alors crié : « Rends-toi ! » Ripoche lui a
rétorqué : « Rendez-moi mon Dieu ». À peine eut-il dit cela
qu’il fut exaucé, puisque d’un coup de mousqueton héroïque le soldat en a fait
un martyr, qui a ainsi immédiatement retrouvé « son Dieu ». C’était
une manière de Le lui rendre, mais pas celle qu’il était en droit
d’attendre ! Il est vrai que c’était une époque de fanatiques. Ses
coreligionnaires ont aussi voulu qu’on leur « rendre leur Dieu » et
qu’on leur rouvre leurs églises… ce fut le massacre que nous connaissons, le génocide
qui commence à être dévoilé. Mais les temps ont changé... !
Jadis,
Joseph d’Arimathie a donc osé demander le Corps de Jésus à Pilate ;
nous supplions maintenant nos hiérarques, évêques et pasteurs, « d’oser
s’introduire auprès de » « l’Élysée » ou de la « Place
Beauvau » et de demander humblement, mais fermement, que l’on « nous
rende notre Dieu » ! Vite, aussi vite que les supermarchés qui
ouvrent et les écoles où des milliers d’enfants vont se rendre, avec beaucoup de
leurs parents. N’ayez crainte, il n’y a pas de danger : ces établissements
ne fonctionnent pas aux mêmes heures, ni aux mêmes jours que nos églises. Les
nôtres, c’est le dimanche, le jour de la « grasse matinée », le
lendemain des « sorties ». Il y a d’ailleurs moins de dangers de
contamination : les clients des Temples de Dieu sont moins nombreux que
ceux des temples de la consommation ou des temples du Savoir !
Cette demande mise
à part, je ne revendique rien. Mes propos ont seulement pour but de
décrire une situation dont je laisse le soin aux « responsables » de
juger selon leur conscience de ce qui est bon, utile et nécessaire. Mais de
grâce, que parlent ceux qui savent, que ceux qui sont au pouvoir agissent. Que
tous cherchent à exercer leur discernement personnel et s’affranchissent de
« l’opinion publique » ou de la « pensée unique ».
Que les chefs et les responsables cherchent les informations justes. Il y a un
charisme dont Dieu n’est pas avare, c’est le « discernement ». C’est
le moment de l’exercer, avec la grâce de l’Esprit-Saint ! Où sont les
prophètes, je parle des vrais, pas des illuminés, des charlatans ou des
opportunistes qui ont encore plus peur que les autres et qui se réfugient
dans le confortable « politiquement correct » ou qui veulent sauver
leur bout de gras en se mettant bien avec les « puissants » ?
Ces derniers devraient savoir que c’est risqué et éphémère. « Il n’y a pas
loin du Capitole à la Roche Tarpéienne » !
Enfin, voilà où je
voudrais en venir : l’inanité de ces mesures. Je ne parle pas des mesures
sanitaires et des précautions pour la santé publique (encore que je
revendiquerai pour les uns et pour les autres la liberté et le droit de ne pas
penser obligatoirement comme tout le monde, c'est-à-dire comme il est demandé
de penser.) Ces mesures drastiques et contrôlées et les dispositions de
rétorsion qui en découlent, n’ont brimé que nos corps. Et nous l’avons bien
supporté ! Nos âmes cependant restent libres et personne ne peut nous ôter
cette liberté : elle vient de Dieu. Ainsi, en silence, dans l’obscurité
pré-pascale, d’une façon cachée comme les saintes Myrophores au Tombeau, des
milliers de personnes se sont retrouvées, dans le sanctuaire de leur cœur et de
leurs demeures, au cœur même de l’Église et du monde. Dans l’ensemble on n’a
pas déjoué les décisions officielles ; Dieu a permis que nous les
dépassions, que nous les sublimions.
Je ne peux
que m’extasier devant le miracle dont nous avons été témoins.
« Confiné » pour la seconde fois, le Christ n’en a pas moins persisté
à ressusciter. Non, Il n’est pas ressuscité une nouvelle fois, mais Il a
manifesté une nouvelle fois Sa Résurrection ! Il n’a pas pu, Il n’a pas
voulu rester caché, Il est sorti du Silence : « Il s’est manifesté
Orient des orients » ! Discrètement, reconnu par quelques-uns seulement,
ceux qui L’attendaient. Oh oui, les cierges et les encens, les thrènes et les
« Christ est ressuscité ! », les « Hristos
Voskresse ! », les « Hristos anesti ! » ou autres
« Hristos a înviat ! », nous ont manqué ! Le fait est que
l’on peut s’en passer – on l’a vu - et l’exprimer par téléphone, Internet ou
messageries, mais ce n’est pas complètement pareil ! C’est toute la
différence qu’il y a entre le savoir et l’agir, l’analyse et
l’expérience ! Comme je l’ai évoqué plus haut, une solidarité extraordinaire
s’est développée entre tous, chacun encourageant l’autre, priant aux mêmes
heures les uns et les autres pour manifester leur communion, rivalisant
d’ingéniosité pour transformer leurs maisons en églises domestiques, en lisant
des ouvrages spirituels, théologiques ou bibliques qu’en temps ordinaire ils
n’ont pas le temps d’ouvrir, se transmettant « des liens »
électroniques pour regarder reportages ou retransmissions, conférences,
musiques ou spectacles, voire vidéos. Pour combien de ces « Églises
domestiques » ce fut l’occasion de se retrouver ensemble devant Dieu,
alors que les circonstances, les incompréhensions, les querelles, l’oubli de
Dieu, la honte peut-être, en avaient divisé, séparé, opposé les membres ?
Quelques prêtres - respectons leur conscience - ont réussi à célébrer des
Offices et la Liturgie pascale, en petit comité, à « huis clos »,
mais pas clandestinement, comme les Vendéens lorsqu’ils se réfugiaient dans les
forêts de Grasla ou de Vezins… Mais que n’ont-ils pas vu alors?
Oh surprise !
Lorsqu’ils se retournaient pour dire « Paix à tous ! » au Nom de
Jésus, ils s’attendaient à ne voir qu’un assistant ou deux, ou même personne.
Mais ils étaient des milliers là, présents, des millions, des myriades, qui
répondaient « et avec ton esprit ! » Il y avait les absents
physiquement pour « des motifs raisonnables » et les
« empêchés ». Il y avait ceux qui se calfeutraient chez eux parce
qu’ils avaient peur, mais personne ne peut ni n’a le droit de les juger. Il y
avait les malades du covid 19 ou de quelque autre maladie, il y
avait tous ceux qui s’associaient dans le monde entier à la Prière de l’Église,
à la Mort-Résurrection de Jésus, L’Oint de Dieu.
Étaient là, tous
les fidèles et habitués ordinaires de nos paroisses et de nos monastères et
tous chantaient à l’unisson. Les voisins étaient là, qui nous honorent de leur
amitié, même si en temps ordinaire ils ne sont pas encore à l’aise avec le Père
éternel, tant d’années d’anticléricalisme les ont tellement éloignés de Ses
représentants. On a paralysé leurs âmes, anesthésiées. Avec eux participaient
tous ceux qui se sont endormis avant nous, ensevelis ou « passés par
l’Église » en ce lieu même et ils revivaient avec nous, ils
ressuscitaient. Ceux qui avaient été baptisés ici, ceux qui s’y étaient mariés,
repentis, apaisés, réconciliés. Leurs chants, dépassant les siècles,
résonnaient avec les nôtres. Leur silence était assourdissant, qui annonçait la
glorieuse Résurrection, celle du Christ, de la leur et de la nôtre. Mais avec
eux chantaient aussi, avec nous tous, les Chrétiens de tous les temps, depuis
Adam, jusqu’au dernier homme, incorporés au Christ, souffrant, ressuscitant et
glorifiés avec Lui.
Autour de l’autel,
Géronda Aimilianos présidait, assisté de son disciple Élisée, des saints Jérôme
et « Papa » Éphrem (il avait toujours ses quatre assiettes de
pastèque à la main), de nos pères Sérapion, Myron et les autres. Le sanctuaire
s’agrandissait, s’élargissait et se remplissait. En fait, tous présidaient, non
pas chacun à son tour, mais tous ensemble. Ils ne faisaient qu’un Corps, un
seul être et nous voyions que cet Être était le Christ qui nous incorporait à
Lui ! Le grand saint Athanase était là, avec saint Hilaire et saint
Martin, Clovis, Sorus et Arédius. Nous reconnaissions parmi eux les pères
Placide et Séraphim, Cassien et Théotokis, François, Jules, Jean et
d’innombrables autres. Dans le même instant nos bien-aimés frères athonites se
tenaient au chœur de gauche, que nous croyions vide jusqu’à ce que nos yeux
s’ouvrent, alors que les sœurs d’Ormylia, Gérondissa Nikodimie en tête,
soutenaient le chant de nos quatre Françaises, accompagnées par celles de Solan
et de Bois-Salair ou de Maldon, surmontant avec elles leur fatigue et leurs
maux.
Sainte Geneviève
et Jehanne d’Arc leur tenaient compagnie et chantaient aussi leurs hymnes
propres, en concordance avec les nôtres, chacun selon sa langue et sa
Tradition, comme « les Parthes, les Mèdes et les Élamites » à la
Pentecôte, car c’était déjà – ou c’était encore - la Pentecôte. « La
multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme, et nul ne disait sien
ce qui lui appartenait, mais tout était commun entre eux. Avec grande
puissance, les Apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur
Jésus, et une grande grâce était à l’œuvre chez tous ». En ce moment de
grâce, nous en avons été témoins !
Nos amis grecs ne
manquaient pas, et Marie-Noël, avec son beau-père Hristos, tout étonné de se
trouver là. Nous avons reconnu nos frères serbes et monténégrins, avec leurs
saints Sabba, Lazare, Basile, Nicolas, Justin, rencontrés à maintes reprises,
et les évêques qui nous manifestent leur communion vivante, Irénée,
Amphilokijé, Athanasijé, avec tous nos amis que je ne peux nommer tellement ils
sont nombreux. En première place Vladika Chrysostome qui reconnaissait la croix
pectorale qu’il avait offerte, et Ivanna, qui s’élève rapidement vers le
Royaume avec notre frère-père Déjan et leurs petites ; tous deux (
Chysostome et Ivanna) martyrs au milieu de centaines d’autres holocaustes
consumés par l’uranium appauvri que notre barbarie otanienne leur a déversé par
tonnes. Ils nous souriaient et chantaient à tue-tête avec nous pour nous
signifier leur pardon et leur douloureuse joie d’accomplir leur destin
national. Ils nous invitaient à honorer le nôtre… Les parias du Kosovo, ses
martyrs, ses moines étaient là aussi, nombreux.
N’avons-nous pas
reçu aussi nos sœurs de Moscou ( tiens ! l’une d’elle est
« coronavirusée » : au secours Saint Nicéphore le
Lépreux !) avec père Hyéronimijé. Et celle de l’Oural, Ekaterinbourg,
GaninaYama et Alapavesk, avec leurs fidèles, leurs prêtres et évêques dont le
courageux Cyrill (qui a fait d’ailleurs à cette occasion une profonde,
merveilleuse et encourageante homélie), et leurs saints, Séraphim, Serge et
Sabbas, Nicolas, Siméon de Verkouturijé et Féodor Kouzmitch. Nathalie de
Valamo… et j’en passe. Beaucoup !
Plus nous
regardions et plus nous reconnaissions de visages connus et aimés, d’Égypte et
de Roumanie, de Géorgie et du Liban, d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse.
L’archevêque du Sinaï aussi, et celui de Chypre, les Abyssiniens et les Coptes
d’Alexandrie, ou du Waddi Natroun et ceux de saint Georges de Kozeba,
quoi, tous ici aussi ? Mais pourquoi les nommerais-je tous ? Ils sont
trop nombreux et d’ailleurs, les dyptiques en font mémoire lors de la
proscomidie. Nous avons la liste, et il y en avait encore de bien plus
nombreux, anonymes que nous nous mettions à aimer aussi comme si nous les
connaissions depuis toujours. Tout le monde était là, personne ne manquait,
autour du Trône glorieux du Ressuscité, c’était le plérôme du Corps du Christ.
Et, au fur et à
mesure que le temps passe, me reviennent à la mémoire les noms ou les faces de
ceux que nous n’apercevions pas alors et n’en étaient pas moins présents. Le
plus surprenant était que tous ces corps saints se déplaçaient immobiles,
tantôt présents dans « l’assistance », – et en même temps – à la
Sainte Table, tantôt sur l’iconostase et tantôt sur les murs, icônes vivantes
parmi les icônes vivantes. C’était une incessante et immobile danse sacrée, une
valse, un tournoiement perpétuel et hésychaste en même temps, auquel se
joignait le mouvement pendulaire du polyéléos. L’église de béton s’agrandissait
aux dimensions de l’univers, et nous voyions à travers le monde et au-delà de
l’histoire d’autres lieux où se célébrait la Liturgie, mais il nous semblait
que c’était la même, en même temps, unique et universelle : « eux en
nous et nous en eux », comme lors des harmonieuses et multiples Liturgies
sur l’esplanade de l’Ascension au Mont des Oliviers, les jours de la panégyrie.
Plongeant son
regard plus intérieurement, le prêtre, le fidèle, le « croyant »
voyaient les Puissances célestes qui dansaient dans le Ciel pour accueillir le
Roi de la Gloire, la Lumière véritable. Les bougies de nos polyéléi, des choros
(lustres qui ornent les églises orthodoxes) et des couronnes de lumières,
allumés « pour le panache », manifestaient la ronde glorieuse des
Anges et des Archanges qui se joignaient à nous dans leur étonnement de voir
Dieu revêtu de notre nature, puis bafoué ensanglanté, mort et ressuscité, nous
entraînant avec Lui auprès d’eux. Des déportés emprisonnés à Solovky vivaient
aussi de telles Liturgies, et d’autres à Buchenwald, Jacenovac ou au Struthof,
au Cambodge, en Chine ou au Chili. La Liturgie est universelle. Le Golgotha,
partout ! La Résurrection, cosmique !
Que ne nous a-t-il
pas encore été donné de vivre ? Notre microcosme était changé. Enfermés
dans nos quelques mètres carrés, tout à coup les murs disparaissaient, et
autour de nous – ou bien était-ce même en nous ? - les arbres et les
plantes, les plus petites fleurs de printemps, les camélias rouges et les
herbes vertes et tendres, les oiseaux, tous les animaux qui dormaient ou les
hulottes qui veillaient, et même la souris qui me nargue et qui m’énerve dans
le coin là-bas, tous manifestaient leur manière individuelle de refléter la
Lumière divine. La Gloire de Dieu se révélait à travers eux. Et je me suis mis
à aimer la petite souris. Les objets inertes, les rochers, les minéraux, les
éléments, même les forces dites « naturelles » qui d’ordinaire nous
terrifient et détruisent nos biens et nos demeures et nos civilisations, tout
prenait sa raison d’être. Nous voyions comment Dieu arrive à Ses fins à travers
eux, en les prenant à Son service, et les dispose au service des hommes ;
comment ils Lui rendent aussi grâces, non pas en toute liberté personnelle
comme il nous est donné de le faire - c’est là d’ailleurs où Dieu trouve
« Sa gloire en l’Homme » — mais parce que telle est Sa Volonté, pour
la glorification de l’univers entier, visible et invisible, subrepticement
rendu visible. Nous percevions cela « intuitivement », car nous
étions en symbiose ! La prodigalité des dons divins nous devenait
apparente, la communication de Ses Énergies, diraient les savants théologiens.
Par Sa
résurrection ignorée de beaucoup, rejetée par certains – qui ne pourront
pourtant pas la fuir toujours - La lumière Véritable a éclairé le cosmos tout
entier, et nous pouvions voir les planètes, les astres et les galaxies que nos
télescopes ne peuvent déceler, tous prenaient leur centre au cœur de chacun de
nous. Et ils brillaient de notre joie, la distance et le temps ne
fonctionnaient plus comme nous l’expérimentons d’habitude ! De la qualité
de notre adoration dépendait leur propre action dans le cosmos. Le soleil en
premier lieu, les autres beaucoup plus éloignés aussi. En Christ ils étaient
nous et nous étions eux, rois de la création avec le Roi de l’univers et leur –
notre - Créateur. Lorsqu’un élément de la création se mouvait, agissait,
« pensait », aussitôt à l’autre bout de l’univers, mais c’était ici
même, les autres éléments vibraient, réagissaient, se manifestaient,
changeaient. La pureté de notre pensée, de notre cœur, notre orientation vers
Dieu conditionnaient l’équilibre qu’ils apportent à la marche du cosmos et à
ses effets pour l’humanité. Nous étions cause de leurs dérèglements et de notre
déséquilibre, nous influencions leur harmonie et notre destinée. Notre regard
voulait voir encore plus, assoiffé que nous étions d’Amour comme Lui nous le
communiquait : Sa nature. Il nous semblait, mais c’était la réalité, que
chacune des cellules de notre corps vibrait de la même joie, du même Amour. Il
serait difficile de s’exprimer clairement, mais le moindre atome de notre être,
et ceux de tous ceux qui étaient ainsi mystérieusement présents, ne faisaient
qu’un. Tous étaient unifiés non pas par la Lumière de la Résurrection, mais
devenaient Lumière avec La Lumière, Amour avec l’Amour. Véritablement sous nos
yeux se réalisait ce vœu de Jésus que nous avions entendu deux jours
auparavant : « Père… je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée,
pour qu’ils soient un, comme nous, un : moi en eux et toi en moi, pour qu’ils
soient parfaitement un, pour que le monde connaisse que c’est toi qui m’as
envoyé, toi qui les as aimés comme tu m’as aimé. Père, ce que tu m’as donné, je
veux que, où je suis, ils soient aussi avec moi, pour qu’ils voient ma gloire,
celle que tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du
monde » (Jn 17, 22-24 et suiv. ; 1er évangile de l’Office des
Saintes Souffrances)
Mais pourquoi ne
parlerais-je que de l’Espace qui se télescope. Le temps ne comptait plus, ne se
comptait plus, ne s’égrainait plus. Et pourtant rien n’était figé ni statique.
Il était devenu un instant, un mystérieux Présent qui ne finit pas et n’a pas
commencé. Comme lors de la prière ! Mais nos paupières ne tombaient plus et les
pensées s’étaient enfin unifiées et apaisées. Oh oui, nous avions conscience
d’être présents devant le Tombeau ouvert miraculeusement pour que les Maries le
voient vide, ainsi que les premiers Apôtres, témoins des deux Anges assis sur
la pierre, mais nous étions au même instant présents tous ensembles dans la
grotte de Bethléem lorsque naissait Dieu incarné, et avec la Bienheureuse
Théotoque lorsque l’Ange Gabriel lui a annoncé qu’elle serait mère du
Rédempteur. Nous étions avec Moïse sur le Sinaï et avec Paul au énième ciel, et
avec Abraham qui, sur le mont Morriah, substituait un pauvre bélier, entravé à
un buisson par les extrémités, à son fil Isaac qui portait déjà le bois de
l’Holocauste Parfait et qu’il croyait que Dieu lui demandait de sacrifier. Et
avec Joseph dans la citerne, vendu, sacrifié par ses frères, ensanglanté mais
non-mort et même glorifié à la cour de Pharaon. Et, nous étions – aurais-je
assez d’audace pour l’affirmer ? – témoins de la création de
« l’Homme », Adam. Oh ! Que loin de nous étaient les pensées de
connaissances curieuses et oisives : si les jours de la création
selon la genèse représentent des ères géologiques, et s’il y avait eu un seul
homme à l’origine, ou une race, ou des races, et si Dieu continuait à créer, et
si le monde évoluait successivement de la biosphère jusqu’à quelque
noosphère, et quel rôle nous, l’homme, avions à y tenir... C’était plutôt comme
si nous renaissions de nouveau avec Adam et Ève, comme le disait Jésus à
Nicodème ou plus exactement c’était comme si nous assistions à notre propre engendrement.
Nous étions rendus « au principe » de la Création, et nous englobions
en même temps son achèvement. L’alpha et l’oméga. Et il en était en réalité
bien ainsi ! Nous contemplions, nous recevions, nous applaudissions, nous
acquiescions : nous adorions. Et déjà, nous pénétrions avec Jésus dans le
Royaume qu’Il nous a promis. Nous étions ressuscités, la mort était déjà
vaincue. Quelle différence y a-t-il entre notre vie d’aujourd’hui et celle de
demain ? Il nous a été donné de voir un instant que ce n’est qu’une
différence d’état : espace et temps sont déjà dépassés, il n’existe plus
que le « aujourd’hui » de Dieu. Christ est ressuscité et nous
aussi ! Notre regard rivé à la terre et à ses lois physiques transitoires
nous aveugle ! Ah, quelle déchéance ! Notre effort, notre prière,
notre « retournement intérieur » consisteront désormais à nous hisser
à ce niveau d’existence, sans l’imaginer, sans vouloir le revivre sensiblement,
mais dans la certitude que là est la Vérité, car nous l’attestons, nous l’avons
vue. Il est la Voie, La Vérité, La Vie ! Il nous faut retrouver cette
unité de temps et d’espace, ce monde divin dans lequel le Seigneur nous avait
placés et dont nous n’aurions jamais dû nous séparer par orgueil (pas seulement
Ève et Adam, mais moi aussi, pauvre de moi !). Et ce pourquoi ? je
m’en rends compte maintenant, pour nous faire dieux sans Lui ou en rivalité
avec Lui, alors qu’Il voulait nous faire Dieu en Lui ; nous déifier. C’est
l’Unique Présent, c’est l’éternité, c’est notre expérience pascale et
chrétienne. Quotidienne, quoique souvent inconsciente. Mais notre circulation
lymphatique aussi est « inconsciente », elle n’en demeure pas moins
notre « expérience », tout comme les échanges d’oxygène dans nos
cellules par le sang et tant d’autres choses ! Si nous ne faisons pas
l’expérience de l’éternité de cette façon, c'est-à-dire même inconsciente, nous
ne sommes pas chrétiens, nous ne sommes pas hommes !
Et puisqu’il nous
était interdit de nous embrasser, nous avons dit le « baiser de
Paix ». Dans cette frustration humaine, une grande paix nouvelle s’est
répandue dans tout notre être. Nous étions un avec les absents, avec les morts,
avec les hommes de bonne volonté, avec les saints et aussi avec les pécheurs
dont je suis le premier. Pécheurs avec les pécheurs, nous portions avec eux le
poids de notre patrimoine déchu collectif, héritant en commun de la miséricorde
unique de Dieu. Et notre effort de « conversion » les soulageait et
les encourageait et les aidait aussi à se lever ; et nous voyions que la
sainteté du Christ rejaillissait sur les saints et eux nous soutenaient dans
notre effort ou le suscitaient, car ce n’était qu’un Corps, qu’un être en une
multitude de personnes qui se mouvait sous la Puissance de l’Esprit-Saint. Si
faible sois-je, je sentais bien moi-même que c’est la vie du Christ qui me
mouvait, qui m’élevait, qui me faisait me tourner vers Lui et vers le Père,
dont pourtant je me sens, je me sais, si loin ; si proche !
Moi-même, penché
sur le saint calice dont je ne distribuerai aujourd’hui le Précieux Sang qu’à
une infime minorité de personnes, et sur le discos (patène) où je disposais les
saintes parcelles du Précieux Corps, je voyais rassemblées toutes les parcelles
eucharistiques à travers le monde entier, et de tous les temps, comme l’unique
et total Corps du Christ qui unit tous les hommes en un seul être divinisé,
« christifié ». Et je communiais pour les autres, pour les absents,
pour les privés de communion, pour les indécis qui n’osent croire à la dignité
que Dieu leur confère malgré leur péché. Que je me sentais petit et que Dieu me
révélait ! Que j’étais grand en Lui, avec tous ! Je ne pouvais pas ne
pas les aimer – j’aurais pu ; j’en gardais la liberté mais pour rien au
monde je l’aurais voulu – au contraire de toute ma volonté je voulais les aimer
et je voulais recevoir leur amour, l’échanger, chose impossible par moi-même.
Dieu me le montrait, je voulais les faire miens, me les assimiler et
m’assimiler à eux. Et, puisque je ne le pouvais, Jésus ressuscité le faisait
pour moi et mon bonheur était d’y acquiescer. Que j’étais heureux, je ne
m’appartenais plus, j’appartenais à Dieu et au monde et le monde m’appartenait
et Dieu me laissait « L’accaparer » bien qu’il soit impossible de
s’approprier Dieu, pour l’offrir au monde, invisiblement, mais réellement et
efficacement.
Est-ce cela la
Résurrection ? Car il ne s’agit pas de « revivification »,
n’est-ce pas ? Alors que depuis mon enfance j’en avais
perpétuellement l’image et que je ne pouvais m’en départir. Celle de Jésus a
bien eu lieu historiquement, et une fois pour toutes, il y a vingt siècles,
mais notre participation à la résurrection, aujourd’hui, n’est-elle pas ce
changement de niveau d’existence, encore momentané certes, cruellement
fugitive, mais prélude – sans doute bien faible et partiel – à ce qui se
passera lorsqu’à mon tour, à notre tour, nous rendrons notre dernier soupir,
avec Lui et en Lui : « Père entre tes mains je remets mon
esprit ! » En attendant, nous réendossons notre corps charnel, et
nous supportons la tentation du désespoir, nos doutes, l’impression d’abandon
de Dieu à cause de nos fautes, notre indignité pour le « salut », nos
innombrables mesquineries qui pourtant nous meurtrissent moi-même en premier
chef. Quel masochisme ! Mais, qu’importe : « Ta volonté, non la
mienne ! » Non, décidément, « rien ne sera jamais plus comme
avant ! »
Seigneur, ne nous
laisse pas entrer en tentation, et si demain des épreuves terribles nous
attendent, laisse-nous nous rappeler ces moments d’éternité afin que nous ayons
la force, par ton Esprit-Saint, de nous souvenir de toi et de dire
toujours : Christ est ressuscité !
Alors,
véritablement non, le « confinement », même s’il est sagesse des
hommes aveugles, et œuvre du Malin clairvoyant qui par cela aurait voulu nous
couper de la Source de notre Vie, non, véritablement non, le Christ n’est pas
resté confiné ; Il s’est manifesté. Cependant, rouvrez-nous vite nos
églises, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elles. « Princes,
enlevez vos portes, et le Roi de Gloire entrera ! » que nous nous
engouffrions à Sa suite ! Laissez-nous notre divin
« vivarium » !
Merci, mon
Seigneur, de nous avoir montré cela ; merci de t’être servi de nos
maîtres, professeurs et initiateurs et pères successifs, et les Pères de
l’Église, et ses saints que nous y avons trouvés vivants. À nos pèlerinages sur
leurs lieux de vie ou de martyre, et la vénération de leurs saintes Reliques,
celles de leurs icônes que nous avons embrassées avec tant d’amour, ils ont
répondu par ces Liturgies, ils se sont manifestés vivants, ils nous ont éveillés
à une autre forme d’Amour. Aujourd’hui nous te rendons grâces pour eux, car
c’est à eux, et à Ton Esprit que nous devons cela. Nous rendons grâces
également pour nos compagnons de route, de ceux qui nous ont fait confiance et
de ceux qui nous ont blessés, voire trahis. À ceux-là nous pardonnons de tout
cœur, nous leur demandons pardon et prions avec eux dans le même amour de
Dieu ; ce sont peut-être ceux-là d’ailleurs qui nous ont le plus aidés,
encouragés, éclairés, initiés. Puissent-ils encore nous aider à être fidèles
jusqu’au dernier moment, que nous entrions ensemble dans le Monde Nouveau dont
nous n’avons perçu que l’ombre. Mais quelle ombre !
Et merci à vous
tous qui étiez ainsi présents et dont j’ai indiscrètement révélé l’identité.
Mais, « rien de caché qui ne doive être manifesté, rien n’arrive de secret
que pour venir se manifester » ! (Mc 4,22).
À Jésus,
ressuscité, revient la gloire et notre adoration, avec Son Père Éternel et avec
Son Esprit Très-Saint et vivificateur, maintenant et toujours, et dans les
siècles des siècles.
Amen !