Les
leçons des Pères du désert pour vaincre l’orgueil
Source Aleteïa
Si la chute de Satan est due à son orgueil, il est donc primordial
pour un chrétien de rejeter ce poison de l’âme s’il veut rester uni à Dieu. Dès
la fin du IIIe siècle, les Pères et Mères du désert, des hommes et des femmes
désireux de vivre la radicalité évangélique, ont cultivé par-dessus tout
l’humilité et ont partagé leur sagesse avec leurs contemporains. Comment
pratiquaient-ils l’humilité et quel est leur enseignement pour vaincre
l’orgueil ?
Les Pères du désert sont des hommes qui, passionnés par le
Christ, se sont retirés dans le désert pour vivre un cœur à cœur avec Dieu,
dans la solitude. Ils vécurent aux premiers temps du christianisme (à partir de
la fin du IIIe siècle si l’on se réfère au premier reconnu, Antoine le
Grand, jusqu’au VIIe siècle), essentiellement au Moyen-Orient. Les Pères
les plus connus sont ceux du désert d’Egypte. Parmi eux, il y avait les ermites
ou anachorètes, ceux qui vivaient seuls, et les cénobites, ceux qui vivaient en
communautés.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur rupture avec la
société : les persécutions anti-chrétiennes organisées par le pouvoir impérial,
notamment entre 250 et 303, ayant particulièrement touché les chrétiens du nord
de l’Afrique ; les luttes doctrinales au sein de la jeune Eglise ; ou
encore le désir de suivre le Christ en répondant, tel Antoine le Grand, à son
appel radical (« Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et
suis-moi. » Mt
19, 21).
Des Pères du désert, on sait peu de choses, si ce n’est que
leur retraite a fait d’eux des maîtres dans le domaine du discernement
spirituel. Souvent, de jeunes disciples venaient les voir pour leur demander
« une parole » qui allait éclairer leur chemin.
Ils nous ont laissé de savoureux apophtegmes, ensemble
d’anecdotes et de paroles dont la sagesse, souvent piquante, a édifié leurs
contemporains. Ces récits ont été compilés, sans doute vers la fin du
Ve siècle, non sans poser quelques problèmes d’authenticité.
La conscience très fine que les Pères avaient du péché, à
commencer par le leur, mais aussi de la perfection et de la miséricorde de
Dieu, leur a fait estimer l’humilité plus que toute autre vertu, comme en
témoignent ces deux apophtegmes, l’un d’Antoine le Grand, connu pour être le
« père des moines », et le second d’Amma Synclétique, l’une des rares
« mères » du désert.
« J’ai vu tous les filets de l’Ennemi tendus vers la
terre, et je disais en gémissant : qui donc passera à travers ? Et
j’entendis une voix me dire : l’humilité. » (Antoine le Grand,
251-356)
« De même qu’il est impossible de construire un navire
sans clous, ainsi est-il inconcevable d’être sauvé sans humilité ». (Amma
Synclétique, 270-350)
Nous retiendrons ici cinq leçons qui émergent de la lecture de
leurs apophtegmes et autres écrits, pour vaincre l’orgueil et cultiver
l’humilité au quotidien.
1/ MÉDITER
SUR SON ÉTAT DE PÉCHEUR ET RAPPORTER TOUT BIEN À DIEU
L’upérèphania (l’orgueil) manifeste une ignorance
profonde de la nature humaine. L'orgueil est certainement la « pathologie
la plus évidente de l’homme contemporain ». Il s’agit d’une « forme
de démesure au niveau spirituel ». L’orgueilleux se suffit à
lui-même ; il prend la place de Dieu autant dans ses pensées, ses
jugements que dans ses actes.
Dès lors, le meilleur remède pour contrer cette tendance
naturelle chez l’homme est de méditer sur son état de pécheur et sur son
impuissance à faire soi-même le moindre bien.
« On demanda à Abba Isaïe : Qu’est-ce que
l’humilité ? Et il dit : « L’humilité, c’est de se considérer
comme plus pécheur que les autres hommes, et de se déprécier soi-même comme ne
faisant rien de bien devant Dieu ».
Les Pères du désert ont tellement à cœur de rapporter toute
œuvre bonne à Dieu qu’ils se dissocient totalement de leurs charismes. Le récit
ci-dessous est rapporté dans « La sagesse des Pères du désert :
maximes et autres pépites spirituelles illustrées, 2021» (où l’humour des
planches de dessin rejoint parfaitement l’esprit piquant des paroles des
pères !).
Une femme atteinte d’un cancer, qui avait entendu parler
d’Abba Longin et de son charisme de guérison, alla le trouver et se vit
vivement réprimandée par celui-ci. « Pourquoi veux-tu aller chez ce
charlatan ? », lui dit-il. « Je suis malade »,
répondit-elle. Abba Longin la renvoya en lui disant : « Va, et Dieu
te guérira. Longin, lui, ne peut te rendre aucun service. C’est un nul. »
2/VIVRE
L’EVANGILE
Les Pères du désert ne disposaient pas comme nous d’une
« Bible », mais de fragments bibliques qu’ils consultaient sur des
rouleaux de papyrus ou qu’ils entendaient à la liturgie. Aussi avaient-ils
l’habitude, selon l’expression d’Abba Nesterios (rapportée par Jean Cassien,
XIVe conférence), de « les repasser sans cesse dans la
mémoire ».
Cette « rumination » quotidienne de la Parole avait
pour double objectif d’éviter les pensées mauvaises et aussi de laisser la
Parole prendre peu à peu racine en eux jusqu’à ce qu’ils se conforment
parfaitement à la vie même du Christ. L’apophtegme suivant d’Abba Daniel nous
montre à quel point les Pères avaient à cœur de vivre l’évangile jusqu’au
bout.
« Il vint un jour qu’une possédée donna un soufflet au
moine. Celui-ci tendit aussitôt l’autre joue, selon le précepte du Seigneur.
Torturé, le démon s’écria : « Ô violence, le commandement de Jésus me
chasse. » Aussitôt, la femme fut purifiée. Lorsque vinrent les anciens, il
leur fut annoncé ce qui s’était passé, et ils glorifièrent Dieu en
disant : « Il est habituel de faire tomber l’orgueil du diable par
l’humilité du commandement du Christ. »
3/GARDER
SON CŒUR ET SES PENSEES
Les Pères avaient pour objectif premier de demeurer toujours
dans la pensée de Dieu. Aussi ont-ils préconisé une constante vigilance, ou
selon leur expression, une « garde du cœur ».
Être attentif à soi-même, avoir toujours Dieu « devant
les yeux », « faire violence » à ses pensées et acquérir un
« cœur d’acier » sont les préceptes qu’ils ont pu transmettre à leurs
disciples. Abba Théonas résume ceci en une phrase : « Je veux
remplir mon esprit avec Dieu ! ».
4/SE
DEFIER DE SOI ET ESTIMER SON PROCHAIN
A l’opposé de l’orgueilleux qui s’arroge le droit de juger son
frère comme s’il était Dieu, l’homme humble se défie de son propre
jugement. Les Pères du désert se sont prémunis de l’orgueil de l’esprit en
se référant toujours à un ancien et en reconnaissant aussi lorsqu’un disciple
ou un séculier les dépassait. Cet apophtegme d’Abba Arsène témoigne de cette
humilité de l’esprit vis-à-vis du prochain : Comme Abba Arsène interrogeait
un vieillard égyptien, un autre, le voyant, lui dit : « Abba Arsène,
comment toi qui possèdes une telle culture romaine et grecque, interroges-tu ce
paysan sur tes propres pensées ? » Il répondit : « Certes
je possède la culture romaine et grecque, mais je ne connais même pas
l’alphabet de ce paysan. »
5/SE
CONSIDERER TOUJOURS COMME UN NOVICE
Si les Pères du désert ont pu acquérir une « paternité
spirituelle » reconnue de tous, c’est parce qu’ils sont passés par le
creuset de l’anéantissement de leur « ego ». Ayant conscience de leur
petitesse, de leur « rien » face à l’infini de Dieu, ils avaient
l’humilité de se considérer toujours comme des novices. Abba Sisoès, à l’heure
de sa mort, fit cette expérience :
« On disait d’Abba Sisoès que, lorsqu’il fut sur le point
de mourir, alors que les Pères étaient assis auprès de lui, son visage brilla
comme le soleil. Et il leur dit : « Voici que vient Abba
Antoine. » Peu après, il dit : « Voici que vient le chœur des
prophètes. » Et à nouveau son visage brilla intensément et il dit :
« Voici que vient le chœur des apôtres. » Et son visage redoubla
d’éclat et il semblait converser. Et les anciens lui demandèrent :
« Avec qui parles-tu, Père ? ». Il dit : « Voici que
les anges viennent me prendre, et je les supplie de me laisser faire un peu
pénitence. » Les anciens lui dirent : « Tu n’as pas besoin de
faire pénitence, Père. » Mais Abba Sisoès leur dit : « En
vérité, je n’ai même pas conscience d’en être encore au commencement ». Et
tous surent alors qu’il était parfait.