par Archimandrite Sophrony
Le Nom de "
Jésus " fut donné par révélation d’En-haut. Il provient de la sphère
divine, éternelle, et n’est en aucune façon le produit de l’intelligence
humaine, bien qu’il soit exprimé par un mot créé. La révélation est un acte,
une énergie de la Divinité ; comme telle, elle appartient à un autre plan
et transcende les énergies cosmiques. Dans sa gloire supraterrestre, le Nom de
" Jésus " est métacosmique. Lorsque nous prononçons le Nom
du Christ, lui demandant de se mettre en relation avec nous, lui qui remplit
tout, il prête attention à nos paroles, et nous entrons en un contact vivant
avec lui. Comme Logos éternel du Père, il demeure avec lui dans une unité
indivisible, et ainsi Dieu le Père entre par son Verbe en relation avec nous.
Le Christ est le Fils unique et coéternel du Père, et c’est pourquoi il peut
dire : Nul ne vient au père que par moi (Jn 14, 6). Le Nom de
" Jésus " signifie " Dieu-Sauveur " ; dans ce sens, il
peut être attribué à toute la Sainte Trinité, mais aussi à chacune des
Hypostases séparément. Mais, dans notre prière, nous utilisons le Nom de "
Jésus" exclusivement comme nom propre du Dieu-Homme, aussi est-ce vers lui
que se dirige l’attention de notre intellect. En lui habite corporellement
toute la plénitude de la Divinité, dit l’apôtre Paul (Col 2, 9). En lui se
trouve non seulement Dieu, mais encore tout le genre humain. En priant par le
Nom de Jésus-Christ, nous nous plaçons devant l’absolue plénitude et de l’Être
premier incréé, et de l’être créé. Pour pouvoir pénétrer dans le domaine de
cette plénitude de l’Être, nous devons le recevoir en nous de telle manière que
sa vie devienne aussi la nôtre, et cela par l’invocation de son Nom en
conformité avec son commandement.
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur.
Celui qui s’unit
au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit (1 Co 6, 17).
Il ne sera sans
doute pas inutile de préciser que prier par le Nom de Jésus n’a rien
d’automatique ni de magique. Si nous ne faisons pas d’efforts pour observer ses
commandements, c’est en vain que nous invoquerons son Nom. Il nous avertit
lui-même : Beaucoup me diront en ce jour-là : "Seigneur,
Seigneur ! n’est-ce point par ton Nom que nous avons prophétisé, et par
ton Nom que nous avons chassé des démons, et par ton Nom que nous avons fait de
nombreux miracles ?" Et alors je leur déclarerai : "Jamais
je ne vous ai connus ; éloignez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité"
(Mt 7, 22-23). Il est essentiel pour nous de ressembler à Moïse qui se montra
ferme et patient dans les difficultés comme s’il voyait celui qui est invisible
(cf. He 11, 27), et de L’invoquer avec la conscience du lien ontologique qui
unit le Nom avec le Nommé, avec la Personne du Christ. Notre amour pour lui se
développera et deviendra parfait dans la mesure où augmentera et s’approfondira
en nous la connaissance relative à la vie du Dieu aimé. Lorsque sur le plan
humain, nous aimons quelqu’un, nous mentionnons avec plaisir son nom et nous ne
nous lassons pas de le répéter. Cela est encore incomparablement plus vrai avec
le Nom du Seigneur.
Lorsqu’une
personne que nous aimons s’ouvre progressivement à nous avec tous ses dons,
elle nous devient d’autant plus précieuse et avec joie nous discernons en elle
tout le temps de nouvelles qualités. C’est ce qui se passe avec le Nom de
Jésus-Christ. Avec un intérêt grandissant, nous découvrons dans ce Nom de
nouveaux mystères des voies de Dieu et, nous-mêmes, nous devenons les porteurs
de la réalité qui y est contenue. Grâce à cette connaissance vivante, acquise
par l’expérience même de notre vie, nous entrons en communion avec
l’éternité : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le
seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ (Jn 17, 3).
Seigneur
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous et de ton monde.
L’homme qui croit
vraiment que les commandements évangéliques nous ont été donnés par l’unique
vrai Dieu, puise dans cette foi les forces nécessaires pour mener une vie à
l’image du Christ. Le croyant ne se permet pas d’approcher la parole du
Seigneur avec un esprit critique ; bien au contraire, il se soumet
lui-même à son jugement. Sur cette voie, il se reconnaîtra pécheur et
s’affligera de son état lamentable. S’il n’éprouve pas de contrition pour ses
péchés, c’est le signe qu’il n’est pas encore parvenu à la vision du modèle
selon lequel l’homme a été conçu dès avant la création du monde. Quiconque
éprouve un repentir réel et profond ne recherchera pas de contemplations
sublimes : il est entièrement absorbé par la lutte contre le péché, contre
les passions. Une fois qu’il se sera libéré des passions, ne serait-ce encore
que partiellement, des horizons spirituels baignés de Lumière, et dont il ne
soupçonnait pas jusqu’alors l’existence, se découvriront naturellement et sans
contrainte à ses yeux ; son intellect et son coeur seront soulevés par l’amour
divin. Alors notre nature, brisée par la chute, se renouvelle et devant nous
s’entrouvrent les portes de l’immortalité.
La voie menant à
la vraie contemplation passe par le repentir. Tant que nous serons dominés par
les ténèbres de l’orgueil - orgueil qui s’oppose à Dieu, à la Lumière dans
laquelle il n’y a pas de ténèbres -, nous ne serons pas admis dans son
éternité. Or cette passion est extraordinairement subtile et, par nous-mêmes,
nous ne sommes pas en mesure d’en déceler la présence en nous jusqu’au bout. De
là vient notre ardente prière : Ses péchés, qui les connaît ? De
ceux qui sont cachés en moi, purifie-moi, et de ceux qui me sont étrangers,
préserve ton serviteur : s’ils ne l’emportent pas sur moi, alors je serai
sans reproche, et pur du grand péché. Alors les paroles de ma bouche te seront
agréables, et la méditation de mon coeur sera sans cesse devant toi, Seigneur,
mon aide et mon Rédempteur ! (Ps 18, 13-15).
Personne de nous,
aucun des fils d’Adam ne voit distinctement ses péchés. Ce n’est que lorsque
nous sommes éclairés par la Lumière divine que nous nous libérons de ces
terribles chaînes. Et si tel n’est pas le cas, il est bon pour nous de crier
avec larmes :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur.
Au début de notre
ascèse, nous n’arrivons pas à saisir les voies indiquées par Dieu ; nous
essayons d’éviter le pénible affrontement avec la fournaise de l’épreuve (1
P 4, 12). Nous pouvons demeurer dans un lancinant état d’incompréhension, nous
demandant pourquoi donc Dieu, Amour absolument parfait, a voulu que la voie qui
mène à lui soit si terrible par moments. Nous le supplions de nous dévoiler le
secret des voies du salut. Peu à peu notre intellect s’éclaire et notre coeur
rassemble les forces nécessaires pour suivre le Christ et, au travers de nos
petites souffrances, nous associer aux siennes. Il nous est indispensable de
vivre et la douleur et l’effroi, si nous voulons découvrir les profondeurs de
l’être et devenir capables de l’amour qui nous est commandé : hors de
l’expérience de la souffrance, l’homme reste spirituellement paresseux, à demi
assoupi, étranger à l’amour du Christ. Sachant cela, quand notre coeur est
comme un volcan éteint, réchauffons-le par l’invocation du Nom du Christ :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi.
Et la flamme de
l’amour divin touchera notre coeur.
Acquérir la Prière
de Jésus signifie acquérir l’éternité. Aux instants solennels et pénibles entre
tous où notre organisme physique se désintègre, la prière " Jésus-Christ
" devient le vêtement de l’âme ; lorsque l’activité cérébrale s’interrompt
et qu’il est déjà difficile de se rappeler et de prononcer toute autre prière,
la lumineuse connaissance de Dieu procédant du Nom et intimement assimilée par
nous ne pourra être effacée de notre esprit. Après avoir vu la fin de nos
pères, morts en prière, nous avons la ferme espérance que la paix céleste qui
dépasse toute intelligence nous enveloppera, nous aussi, pour les siècles.
Jésus,
sauve-moi... Jésus-Christ, aie pitié, sauve... Jésus, sauve-moi... Jésus, mon
Dieu.
Le triomphe -
silencieux et saint - de connaître le Dieu d’amour éveille dans l’âme une
profonde compassion pour l’ensemble de l’humanité. Cet " homme
total " est ma propre nature, mon corps, ma vie et mon amour. Je ne
puis pas me dépouiller de ma " nature ", m’arracher à mon "
corps " continuellement déchiré par la violence qui oppose, les unes aux
autres, les " cellules " qui forment en réalité un organisme unique.
Cet immense corps de l’" homme total " se trouve continuellement dans
l’état d’un douloureux démembrement. Le mal semble incurable. Mais cela aussi
fait partie de notre destinée sur terre. Dans sa prière, l’âme pleure jusqu’à
épuisement ; pourtant le salut ne viendra que si, dans leur liberté, les
hommes le désirent aussi eux-mêmes. Aimez vos ennemis - voilà où se trouvent la
guérison de la vie historique et le salut pour l’éternité. Celui qui a connu la
force de l’amour pour les ennemis, a connu le Seigneur Jésus, crucifié pour les
ennemis ; par avance, il s’est emparé de sa résurrection et du Royaume du
Christ Vainqueur (cf. Jn 17, 21-23 ; 11, 51-52 ; Ép 2, 14-17 ; 1
Co 3, 22-23).
Seigneur
Tout-Puissant, Christ Jésus, aie pitié de nous et de ton monde.
C’est un grand don
que de contempler l’éternité dans l’inapprochable Lumière de la Divinité. Ceux
qui ont eu l’expérience de cette félicité ne cherchent pas à acquérir de
richesses passagères. Cependant cette grâce ne demeure pas invariablement dans
l’homme, et la Lumière faiblit dans l’âme. La perte d’un tel Dieu plonge notre
être tout entier dans la souffrance. De pareils abandons sont pourtant
indispensables à tout un chacun afin que nul ne soit tenté de se reposer sur
ses lauriers mais que, au contraire, nous continuions à suivre le Seigneur dans
son ascension du Golgotha, de toutes les montagnes la plus élevée du point de
vue spirituel. Quelque insuffisante que soit pareille démarche, elle régénère
cependant l’homme et lui donne de nouvelles forces pour réaliser sa
ressemblance au Christ.
Jésus, notre
Sauveur, sauve-moi, pécheur.
Quand nous prions
dans un endroit silencieux et solitaire, il arrive bien souvent que toute sorte
de pensées importunes viennent solliciter notre intellect et détourner son
attention du coeur. La prière semble stérile parce que l’intellect ne prend pas
part à l’invocation du Nom de Jésus, et seules les lèvres continuent de répéter
mécaniquement les paroles. Mais quand nous mettons fin à notre prière, habituellement
les pensées s’éloignent et nous retrouvons le calme. Ce lassant phénomène peut
s’expliquer de la façon suivante : par l’invocation du Nom de Jésus nous
mettons en mouvement tout un monde secret qui se cache en nous ; on peut
comparer la prière à un faisceau lumineux dirigé dans les régions obscures de
notre vie intérieure et nous révélant les passions ou les inclinations qui se
tapissent dans nos profondeurs secrètes. Dans de tels cas, il faut prononcer le
saint Nom avec plus d’intensité, pour que le sentiment de repentir croisse dans
l’âme.
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur.
Incorruptible
selon le dessein de Dieu à notre endroit, notre esprit languit dans l’étroite
prison des passions pécheresses. Plus profonde est la douleur provoquée en nous
par la conscience de notre éloignement de Dieu en raison de notre péché, plus
intense sera l’élan de notre âme vers Dieu, et elle priera avec un grand désir
et de nombreuses larmes, cherchant ardemment à s’unir à lui. Il ne méprise pas
le coeur contrit et vient à nous et le coeur " profond " de l’homme
prend conscience de notre affinité avec lui " sensiblement "
présent en nous et agissant à l’intérieur de nous. Cela montre que notre corps,
lui aussi, est capable de percevoir, de la manière qui lui est propre, le souffle
du Dieu Vivant.
Jésus, Fils du
Dieu Vivant, aie pitié de moi.
Pour le
croyant, le Nom de Jésus-Christ est semblable à la haute muraille d’une
forteresse. Il ne sera pas facile pour l’ennemi d’y pénétrer par ruse en en
traversant les lourdes portes de fer, pourvu que notre attention ne soit pas
distraite par des objets extérieurs. Prier par ce Nom donne à l’âme non
seulement la force de résister aux influences pernicieuses venant de
l’extérieur, mais bien davantage : la possibilité d’influencer le milieu
dans lequel nous vivons en sortant du fond de notre coeur et en rencontrant nos
frères en paix et avec amour. Quand la paix et l’amour commandés par Dieu
s’approfondissent, ils deviennent la source d’une ardente prière pour le monde
entier. L’Esprit du Christ nous conduit dans les vastes espaces de l’amour qui
embrasse toute la création. Dans cet état, l’âme prie avec une grande
émotion :
Seigneur,
Jésus-Christ, notre Dieu et Sauveur,
aie pitié de nous et de ton monde.
Dieu n’exerce
jamais de contrainte sur la volonté de l’homme, mais lui non plus, on ne peut
pas l’obliger par force à faire quoi que ce soit. Dans notre prière, nous
aspirons à nous tenir devant Dieu dans l’unité et l’intégralité de notre être,
en particulier avec l’intellect uni au coeur. Pour réaliser cette bienheureuse
union des deux principales puissances de notre personnalité, nous ne recourons
à aucun procédé artificiel (psychotechnique). Au début nous habituons notre
intellect à persévérer attentivement dans la prière, comme nous l’enseignent
les Pères, c’est-à-dire à prononcer le Nom de Jésus-Christ et les autres
paroles de la prière avec une grande attention. Invoquer avec concentration le
Nom divin, et s’efforcer chaque jour de vivre en accord avec les commandements
de l’Évangile a pour effet la fusion de l’intellect et du coeur en une unique
activité.
Dans notre ascèse,
nous ne devons jamais nous hâter. Il faut absolument écarter l’idée de faire le
maximum dans les délais les plus brefs. L’expérience séculaire a montré que
l’union de l’intellect et du coeur réalisée au moyen d’une psychotechnique ne
dure jamais longtemps ; et ce qui est plus grave, elle n’unit pas notre
esprit à l’Esprit du Dieu Vivant. Or nous sommes confrontés au problème du
salut éternel, dans son sens le plus profond. Pour cela toute notre nature doit
être renouvelée : de charnelle, elle doit devenir spirituelle. Et quand le
Seigneur nous trouve capables de recevoir sa grâce, il ne tarde pas à venir en
réponse à notre humble invocation. Parfois sa venue nous absorbe tellement que notre
coeur et notre intellect sont entièrement occupés par lui seul ; ce monde
visible cède le pas à une réalité d’un autre ordre, supérieure. L’intellect
cesse de penser en mode discursif ; il devient tout attention. Le coeur
entre en un état difficile à décrire : il est pénétré de crainte, mais
d’une crainte révérencielle, vivifiante. Simultanément on retient son souffle.
Dieu remplit tout, et l’homme tout entier - l’esprit-intellect, le
coeur-sentiment et même le corps - ne vit que par Dieu.
Seigneur, Jésus-Christ,
notre Dieu,
aie pitié de nous et de ton monde.
Le Nom divin,
révélé aux hommes, a servi de lien entre Dieu et nous. C’est par le Nom de Dieu
ou, pour mieux dire, par les Noms divins, que sont accomplis dans l’Église tous
les sacrements. Toute activité doit être accomplie " au Nom de Dieu
". Par l’invocation du Nom du Très-Haut, sa présence devient vivante,
continuellement perceptible ; lorsque notre oeuvre se fait selon la
volonté du Seigneur, notre coeur est en paix, mais toutes les fois que nous
dévions de la vérité, il éprouve une certaine " gêne ". Ainsi donc,
au moyen de la prière, nous opérons un vigilant contrôle intérieur sur chaque
mouvement de notre esprit ; aucune pensée, aucune parole ne lui échappe.
Cette conséquence de la prière incessante permet de réduire nos péchés au
minimum.
Seigneur
Jésus-Christ, Fils et Verbe du Dieu Vivant, aie pitié de nous.
" Daigne,
Seigneur, en ce jour nous garder sans péché. " C’est ainsi que nous prions
le matin. Mais seule la subtile présence en nous de l’Esprit divin donne à
notre esprit la possibilité de demeurer dans une vigilante sobriété
intérieure. Nul ne peut dire : "Jésus est le Seigneur" si
ce n’est par le Saint-Esprit (1 Co 12, 3). De nouveau, nous réalisons que
par l’invocation mentale du Nom du Seigneur nous nous protégeons du péché dans
nos paroles et dans nos actions : " Seigneur Jésus, tu es la
Lumière venue pour sauver le monde, éclaire les yeux spirituels de mon coeur,
pour que je sois digne de marcher devant ta Face sans faire de faux pas, comme
à la lumière du jour " (cf. Jn 11, 9-10).
Pour que la
pratique de la prière aboutisse aux résultats dont parlent avec tant
d’enthousiasme nos pères et nos maîtres, il est indispensable de suivre leur
enseignement. La première condition, c’est de croire en Christ comme
Dieu-Sauveur ; la seconde, de se reconnaître comme un pécheur en train de
se perdre. Cette conscience peut atteindre une telle profondeur que l’homme se
sent pire que tous les autres ; et cela lui apparaît comme une évidence,
non en raison de ses actes extérieurs, mais en constatant son éloignement de
Dieu et en se voyant comme potentiellement porteur du mal sous toutes ses
formes.
Plus nous nous
humilions dans un douloureux repentir, plus rapidement notre prière atteindra
Dieu. Mais lorsque nous perdons l’humilité, aucune ascèse ne peut nous aider.
La présence en nous de l’orgueil et du jugement de nos frères, le mépris et la
haine de notre prochain nous rejettent loin du Seigneur.
Nous nous
approchons de Dieu comme les derniers des pécheurs. Nous nous condamnons
sincèrement en tout. Nous n’imaginons rien, ne cherchons rien, sauf le pardon
et la miséricorde. Tel est notre constant état intérieur. Nous supplions Dieu
lui-même de nous aider à ne pas contrister l’Esprit Saint par nos misérables
passions, à ne causer aucun tort à notre frère, à tout homme quel qu’il soit.
Nous nous condamnons, comme indignes de Dieu, aux tourments de l’enfer. Nous
n’attendons aucun don particulier d’En haut, mais nous aspirons seulement de
toutes nos forces à saisir le vrai sens des commandements du Christ et à vivre
en accord avec eux. Nous implorons :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous et de ton monde.
Et Dieu nous
entend, le salut s’approche de nous. Et alors quiconque invoquera le Nom
du Seigneur [dans un état d’esprit semblable au sien] sera sauvé "
(Jl 3, 5).
Repentez-vous (Mt
4, 17). Il nous faut prendre très au sérieux cet appel du Christ, changer
radicalement notre mode de vie intérieure et notre vision du inonde, notre
attitude envers les hommes et envers tout phénomène survenant dans l’être
créé : ne pas tuer nos ennemis, mais les vaincre par l’amour. Se souvenir
que le mal absolu n’existe pas ; seul est absolu le Bien sans origine. Et
ce Bien nous a commandé : " Aimez vos ennemis [...] faites du
bien à ceux qui vous haïssent [...] soyez parfaits, comme votre Père céleste
est parfait " (Mt 5, 44 et 48). Se laisser immoler pour ses frères
est le meilleur moyen de les arracher à l’esclavage du menteur - du Diable -,
et de préparer leurs âmes à accueillir Dieu qui veut sauver tous les hommes. Il
n’y a pas d’homme en qui ne serait présente, dans une mesure ou dans une autre,
la lumière, car Dieu éclaire tout homme venant dans le monde (Jn 1,
9). Le commandement de ne pas résister au méchant (cf. Mt 5, 39) est la forme
la plus efficace de la lutte contre le mal. Lorsqu’à la violence on oppose les
mêmes moyens que ceux auxquels recourt celui qui accomplit l’injustice, alors
le dynamisme du mal augmente dans le monde. Le meurtre des innocents déplace,
souvent de manière imperceptible, les forces morales de l’humanité du côté du
bien pour lequel est mort l’innocent. Tel n’est pas le cas lorsque des deux
côtés intervient la même mauvaise tendance à dominer. La victoire obtenue par
la force physique ne dure pas éternellement. Lumière sainte et pure, Dieu se
retire des criminels ; ceux-ci se séparent de l’unique source de vie, et
meurent : " Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez
agir la colère [de Dieu] ; car il est écrit : À moi la
vengeance, à moi la rétribution, dit le Seigneur. [...] Et ainsi, ne te laisse
pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien (Rm 12, 19 et
21).
Les hommes
porteurs d’une vérité relative seulement luttent bien souvent avec fanatisme
pour assurer le triomphe de leurs idées ; ils brisent ainsi l’intégrité de
l’être et, en fin de compte, mènent tout à la ruine. Dans leur aveuglement, ils
absolutisent l’aspect positif de leurs doctrines politiques et sont prêts à
éliminer tous ceux qui voudraient voir la vie du monde s’édifier sur des
principes meilleurs, plus humains et, bien sûr, avant tout, sur les
commandements du Christ, mis à mort à cause de sa prédication de l’amour. Dans
le monde contemporain, les paroles évangéliques du Christ revêtent une
actualité toute particulière : Vous entendrez parler de guerres et de
bruits de guerres : gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces
choses arrivent [...] ; et vous [les chrétiens] serez haïs de toutes les
nations, à cause de mon Nom [...]. Et, parce que l’iniquité se sera accrue, la
charité du plus grand nombre se refroidira [...] et alors viendra la fin (Mt
24, 6-14).
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous et de ton monde.
Alors le Seigneur
Dieu façonna l’homme avec la poussière du sol, et il lui insuffla dans les
narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant (Gn 2, 7).
Nous sommes attirés vers lui, assoiffés d’être éternellement unis à lui ;
et lui-même, il nous attend avec amour. La soif de Dieu est une note permanente
de notre existence terrestre ; nous nous préparons même à mourir avec elle.
Le Christ lui-même avant de mourir sur la Croix s ‘écria : J’ai soif.
" Et il eut faim (Mt 21, 18), et il eut soif, et il fut
dans l’angoisse (cf. Lc 12, 50), pour que nous connaissions le Père. Nous
aussi, nous languissons sur terre, accablés par cet interminable et
cauchemardesque spectacle de violences, de meurtres et de haine ; nous
avons soif d’arriver vers le Père, et nous invoquons le Nom de son Fils
unique :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous.
La grandeur
démesurée de la tâche qui nous attend, nous inspire de la crainte. Il nous a
été dit : Le Royaume des cieux souffre violence, et les violents s’en
emparent (Mt 11, 12). Une ascèse prolongée nous montrera que dans la
révélation évangélique tout appartient à un plan différent, supérieur.
L’aveuglante Lumière de la Divinité se reflète dans notre monde sous forme de
commandements : Aimez vos ennemis [...] Soyez parfaits comme votre
Père céleste est parfait (Mt 5, 44 et 48). Seule l’habitation en nous de
celui qui nous a donné ces commandements nous aidera à accomplir ce qui nous a
été commandé. De là notre cri :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié de nous.
L’invocation du
Nom du Seigneur nous unit progressivement à lui. Cela se réalise déjà
partiellement même lorsque celui qui prie ne comprend pas encore qui est
celui-ci (Mt 21, 10), et ne perçoit pas encore clairement la puissance de
sanctification qui émane du Nom. Tout progrès ultérieur, toutefois, est
étroitement lié à la reconnaissance toujours plus lucide de notre état de
péché, allant jusqu’au désespoir. Alors, avec une énergie redoublée nous
invoquerons le Nom merveilleux,
Jésus, mon
Sauveur, aie pitié de moi.
Dans quelles
affres vivent les gens qui se savent mortellement atteints d’une maladie
incurable, du cancer par exemple ! C’est avec la même horreur, et parfois
plus grande encore, que certains vivent la présence en eux des passions
pécheresses qui les coupent de Dieu. Ceux-ci se reconnaissent vraiment "
pires que tous " ; ils se voient réellement dans les ténèbres de
l’enfer. Alors se concentre en eux une très grande énergie de prière et de
repentir. Ce dernier peut atteindre un tel degré que leur intellect se fige et
ne trouve d’autres mots que :
Jésus, sauve-moi
qui suis un pécheur.
Il est salutaire
que se développe en nous une aversion du péché et qu’elle se transforme en
haine de soi-même. Autrement nous risquons de nous accommoder et de nous
habituer au péché ; celui-ci a de si nombreuses facettes et, en même
temps, est si subtil que dans la plupart des cas nous ne remarquons pas sa
présence dans tout ce que nous faisons, même dans celles de nos actions qui
sont bonnes en apparence. Ascèse difficile mais combien belle aussi que de
plonger notre intellect souverain dans le centre invisible de notre
personnalité avec l’invocation du Nom de Jésus-Christ. Sans foi en lui,
personne ne peut discerner le poison mortel du péché oeuvrant en nous. Grâce à
cette lutte contre le péché qui vit en nous, nous découvrons non seulement les
profondeurs de notre propre être, mais encore les mystérieux abîmes de la vie
cosmique. Alors notre esprit se détournera des événements superficiels et sans
importance de la vie de tous les jours et, horrifié de lui-même, reconnaîtra la
sainte force d’une autre prière, d’un autre plan, en criant :
Seigneur Jésus,
mon Sauveur, aie pitié, aie pitié de moi le maudit.
On peut parler de
la prière au Nom de Jésus-Christ dans les termes mêmes de la sainte Écriture et
des oeuvres des saints Pères. Plus précisément : elle est un feu dévorant
les passions (cf. He 12, 29) ; elle est une lumière qui illumine notre
intellect, le rendant perspicace et capable de discerner ce qui arrive au loin
et tout ce qui se passe au-dedans de nous. On peut à juste titre lui appliquer
les paroles de l’épître aux Hébreux : Elle est efficace et plus
incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de
division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger
les sentiments et les pensées du coeur. Aussi n’y a-t-il rien dans les
profondeurs de notre esprit qui reste invisible devant elle, mais à sa lumière
tout est nu et découvert (cf. He 4, 12-13). La pratique de cette prière
nous fait rencontrer de nombreuses puissances cachées dans le cosmos ;
elle provoque contre nous une lutte acharnée de la part de ces "
puissances cosmiques ", ou mieux dit des régisseurs de ce monde de
ténèbres, des esprits du mal qui habitent les espaces célestes (Ép 6, 12).
La victoire, cependant, s’obtient par un repentir allant " jusqu’à la
haine de soi-même " (cf. Lc 14, 26). Le type de cette bataille est décrit
dans l’Apocalypse de saint Jean : Ils l’ont vaincu [le Diable ou
Satan, le séducteur du monde entier] par le sang de l’Agneau et par la
parole dont ils ont témoigné, car ils ont méprisé leur vie jusqu’à mourir (Ap
12, 11 et 9).
Accompagnée d’un
ardent repentir, cette prière élève l’esprit de l’homme dans des sphères
situées hors de portée de la sagesse des sages [...] de ce siècle (1
Co 1, 19-20). Il est redoutable de parler à son sujet : nous faisant
d’abord passer par des abîmes de ténèbres cachées en nous, elle unit ensuite
notre esprit à l’Esprit divin et nous donne dès ici-bas de vivre la sainte
éternité. Dans tous les siècles, les Pères ont été stupéfaits par la grandeur
de ce don accordé au monde déchu.
Seigneur,
Jésus-Christ, seul Saint,
seul vrai Sauveur de tous,
aie pitié de nous et de ton monde.
La majesté du
monde créé nous enchante, mais en même temps, avec plus de force encore, notre
esprit est attiré vers l’incorruptible beauté de l’Être divin et sans origine.
Avec une clarté saisissante, le Seigneur Jésus nous a fait entrevoir la lumière
supracosmique du Royaume. La contemplation de cette splendeur nous libère des
conséquences de la chute, et la grâce du Saint-Esprit restaure en nous l’image
originelle et la ressemblance de Dieu, manifestées dans notre chair par le
Christ ; et maintenant l’invocation de son Nom devient notre prière
incessante :
Seigneur,
Jésus-Christ, notre Sauveur, aie pitié de nous et de ton monde.
Dans son ultime
aboutissement, cette prière nous unit entièrement au Christ. Néanmoins
l’hypostase humaine n’est pas anéantie, ne se dissout pas dans l’Être divin
comme une goutte d’eau dans l’océan. La personne humaine est indestructible
dans l’éternité. JE SUIS, Je suis [...] la vérité et la vie, Je suis la Lumière
du monde (Jn 8, 58 ; 14, 6 ; 9, 5). L’Être, la Vérité, la Lumière ne
sont pas des concepts abstraits, des essences impersonnelles, " QUOI
", mais " QUI ". Là où il n’y a pas de mode personnel de l’être,
il n’y a pas non plus de vivant ; pas plus qu’il ne saurait y avoir là, ni
bien ni mal, ni lumière ni ténèbres. Là, d’une manière générale, rien ne peut
exister : Sans lui rien ne fut de ce qui existe. En lui était la vie (Jn
1, 3-4).
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié de nous et de ton monde.
Tout m’a été remis
par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît
le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler (Mt
11, 27). Mais nous connaissons le Fils dans la mesure où nous demeurons dans
l’esprit de ses commandements. Sans lui nous sommes sans forces pour nous
élever jusqu’à la hauteur qui nous est commandée, car dans les commandements se
manifeste la vie de Dieu lui-même. De là, le cri que nous faisons monter vers
lui :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils coéternel du Père, aie pitié de moi ;
viens et demeure en moi avec le Père et le Saint-Esprit,
selon ta promesse (cf. Jn 14, 23)
... Seigneur
Jésus, aie pitié de moi, pécheur.
Le Nom de "
Père " était connu dans l’Ancien Testament, mais il était contemplé dans
la ténèbre de l’inconnaissance. C’est le Christ qui, d’une manière extrêmement
concrète, nous a fait connaître en lui le Père ; c’est lui qui nous a
révélé les vraies dimensions de tout ce qui avait été donné avant lui par Moïse
et les Prophètes. Je suis dans le Père, et le Père est en moi (Jn 14,
11) ; Moi et le Père nous sommes un (Jn 10, 30). Je leur ai
fait connaître ton Nom, et je le leur ferai connaître [jusqu’à la
plénitude], pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux (Jn
17, 26). La connaissance du Nom de " Père " est aussi la
connaissance de son amour paternel pour nous. Quand nous invoquons le Nom de
Jésus, nous sommes introduits dans le domaine de la Vie divine, et le Père, le
Fils et le Saint-Esprit nous sont donnés dans ce Nom :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous et de ton monde.
Invoquer le
Nom de Jésus avec si possible une pleine conscience de ce qu’il contient,
signifie que l’on est déjà réellement uni au Dieu-Trinité. Ce Dieu s’est révélé
à nous dans sa nouvelle relation à l’homme : non plus comme Créateur, mais
comme Sauveur du monde, comme Lumière de la Vérité et de la véritable éternité.
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils du Père éternel, aie pitié de nous.
La théologie du
Nom et celle de l’icône ont des points communs. En contemplant une icône du
Christ, en esprit nous entrons en un contact personnel avec lui. Nous
confessons son apparition dans la chair : Il est Dieu et homme ;
entièrement homme, et parfaite ressemblance de Dieu. Nous allons au-delà des
couleurs et des lignes et pénétrons jusque dans le monde de l’intellect, de
l’esprit. De même dans l’invocation du Nom, nous ne nous arrêtons pas aux sons
proférés, mais vivons le sens. Les sons peuvent varier en fonction de la
diversité des langues dans lesquelles nous prions, mais le contenu - la
connaissance renfermée dans le Nom - demeure immuable.
Seigneur,
Jésus-Christ, sauve-nous.
Conscients de
l’adoption filiale par le Christ qui nous a été promise, nous glorifions celui
qui nous a créés. Invoquant le Nom de Jésus-Christ, nous le laisserons résonner
en nous avec la puissance et la majesté qui lui sont propres ; puisse-t-il
détruire les racines du péché qui vit en nous ; qu’il fasse jaillir la
flamme de son amour dans nos coeurs de pierre ; qu’il nous donne lumière
et intelligence ; qu’il nous fasse communier à sa gloire ; que par ce
Nom sa paix qui surpasse toute intelligence demeure en nous (cf. Jn 14, 27 ;
Ph 4, 7). Quand nous aurons passé de nombreuses années à prier par ce Nom, que
Dieu nous donne de connaître la plénitude de la révélation contenue en
lui : Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel, Prince de la
paix, Seigneur Sabaot (Is 9, 5 ; 8, 18 ; cf. Ac 4, 12).
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils du Dieu Vivant,
aie pitié de nous et de ton monde.
Nous devons
invoquer le Nom divin avec humilité. Voici, le Christ, le Maître du monde,
s’est incarné, et comme homme il s’est abaissé jusqu’à la mort de la Croix.
C’est pourquoi son Nom a été exalté plus haut que tout nom qui se puisse nommer
non seulement dans ce monde-ci, mais encore dans le monde à venir. Le Père l’a
fait asseoir à sa droite dans les cieux, et l’a constitué tête pour l’Église,
laquelle est son Corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous (cf. Ép
1, 20-23).
Seigneur,
Jésus-Christ, notre Dieu, aie pitié de nous,
de ton Église et de ton monde, par les prières de la Mère de Dieu,
des saints Apôtres et de tous les Saints depuis l’origine des siècles.
La libération
véritable commence quand on accepte pleinement et sans douter la Révélation
" Je suis Celui qui est " (Ex 3, 14), Je suis l’Alpha
et l’Oméga, le Premier et le Dernier (Ap 1, 8). Dieu est Absolu personnel,
Trinité consubstantielle et indivisible. C’est sur cette Révélation que
s’édifie toute notre vie chrétienne. Ce Dieu nous a appelés du non-être à cette
vie. La connaissance du Dieu Vivant et la pénétration dans le mystère des voies
de sa création nous libèrent des ténèbres de nos propres idées (venant d’en
bas) concernant l’Absolu, et nous sauvent de l’attirance, non consciente certes
mais néanmoins fatale, à abandonner toute existence. Nous avons été créés dans
le but d’être associés à l’Être divin, à celui qui EST vraiment. Le Christ
nous a indiqué la voie : Étroite est la porte et resserré le chemin
qui mène à la Vie (Mt 7, 14). Saisissant les profondeurs de la sagesse du
Créateur, nous acceptons les souffrances par lesquelles s’acquiert l’éternité
divine. Et lorsque sa Lumière nous couvre de son ombre, nous unissons en nous
la contemplation des deux extrémités de l’abîme : d’un côté les ténèbres
de l’enfer, et de l’autre le triomphe de la victoire. Nous sommes
existentiellement introduits dans le domaine de la Vie incréée. L’enfer perd
son empire sur nous. Une grâce nous est donnée : vivre l’état du Logos
incarné, du Christ descendant en enfer comme Vainqueur. Alors, par la puissance
de son amour, nous embrassons la créature tout entière dans notre prière :
Jésus, Maître
Tout-Puissant et Bon, aie pitié de nous et de ton monde.
La révélation du
Dieu personnel donne à tout ce caractère admirable. La vie n’est pas quelque
processus cosmique soumis au déterminisme, mais Lumière de l’indescriptible
amour des Personnes divines et des personnes créées, libre mouvement des
esprits personnels remplis de la conscience lucide de tout ce qui est et
d’eux-mêmes. Hors de cela, rien n’a de sens -, tout est mort. Mais notre prière
devient la vivante rencontre de notre personne créée et de la Personne divine,
c’est-à-dire absolue, et elle s’exprime par notre invocation du Verbe du
Père :
Seigneur,
Jésus-Christ, Verbe coéternel de ton Père sans commencement,
aie pitié de nous, demeure en nous et sauve-nous ainsi que ton monde.
Lorsque nous
commençons à comprendre le sage dessein conçu pour nous par notre Dieu et
Créateur, notre amour pour lui est stimulé, et quand nous prions, nous
ressentons une nouvelle inspiration. La contemplation de la Sagesse divine se
reflétant dans la beauté du monde donne à notre esprit un nouvel essor qui nous
arrache déjà à tout ce qui est créé. Ce rapt n’est pas une envolée
philosophique dans le domaine des idées pures, aussi captivantes qu’elles
puissent nous paraître, ni une création artistique dans le domaine de la
poésie, mais il est l’envahissement de tout notre être par l’énergie d’une vie
jusqu’alors inconnue. La lecture de l’Évangile, dans lequel nous commençons à
discerner l’Acte de l’autorévélation de Dieu, élève notre esprit au-dessus de
tout ce qui est créé. Cela constitue l’entrée dans la grâce de la théologie,
conçue non comme une science humaine mais comme un état de communion à Dieu.
Nous ne soumettons pas la parole du Seigneur au jugement de notre entendement
limité, mais nous nous jugeons nous-mêmes à la lumière de la connaissance
qu’elle nous donne. Il est naturel après cela que nous aspirions à faire de la
parole évangélique le contenu de toute notre existence ; cela nous aide à
nous libérer de l’emprise des passions, et, avec la force de Dieu-Jésus, nous
remportons la victoire sur le mal cosmique tapi dans les profondeurs de notre
être. Nous reconnaissons réellement que lui, Jésus, est, au sens propre,
l’unique Dieu-Sauveur, et que la prière chrétienne s’accomplit par l’incessante
invocation de son Nom :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils de Dieu et Dieu,
aie pitié de nous et de ton monde.
Dans notre état de
mort spirituelle, nous avons perdu le sens du péché, et maintenant, sans le
Christ et la grâce du Saint-Esprit, nous ne pouvons pas le voir en nous. Or,
dans son essence, le péché est toujours une transgression contre l’amour divin.
Une pareille transgression n’est possible que si " JE SUIS ",
c’est-à-dire que si le Dieu absolu est personnel et que nos relations avec lui
sont, elles aussi, profondément personnelles. Il n’y a pas d’autre foi ou
d’autre religion où le mystère du péché soit révélé de cette manière. Voici
comment, rempli du Saint-Esprit, priait saint Ephrem le Syrien : "
Donne-moi de voir mes propres péchés. " Tous les Pères ont dit que voir
son péché est plus grand que d’avoir des apparitions d’Anges. Nous donc,
connaissant ce qui était caché depuis l’origine des siècles, nous crions avec
un humble attendrissement du coeur :
Seigneur,
Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur, et sauve-moi, car je suis tombé.
Grand est le
mystère de la piété : [Dieu] a été manifesté dans la chair, justifié dans
l’Esprit, vu des Anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, enlevé
dans la gloire (1 Tm 3, 16). Nous sommes tous héritiers d’Adam qui se
laissa entraîner dans la chute par Lucifer. L’idée de la déification est propre
à l’être créé à l’image de Dieu, mais toute la question est de savoir par quels
moyens nous pouvons atteindre ce but, réaliser cette tâche. Si nous sommes des
êtres créés et non l’Être-en-Soi et sans origine, il est absurde de supposer
que nous pouvons devenir " égaux à Dieu " en l’éludant.
" La
manifestation de Dieu dans la chair " : tel est le fondement de notre
vie. Si l’espérance de la déification est enracinée au plus profond de nous, la
voie qui y conduit consiste à faire nôtre la vie du Dieu qui s’est montré à
nous dans notre forme d’existence ; oui, nous devons assimiler sa parole,
son Esprit, nous rendre semblables à lui dans tout notre comportement. Plus
nous lui serons semblables dans ce monde, plus complète et plus parfaite sera
notre déification. De nouveau l’apôtre Paul dit : " Celui qui
s’unit [par la prière et la communion] au Seigneur, n’est avec lui
qu’un seul esprit " (1 Co 6, 17) ; et ainsi nous prions :
Seigneur,
Jésus-Christ, Fils unique du Père,
tu es notre seule espérance,
conduis-nous avec toi et par toi au Père...
aie pitié de moi, pécheur.
Vivre
éternellement au sein de la Trinité, tel est le sens de l’appel évangélique.
Mais ce Royaume souffre violence, et ce sont les violents qui s’en
emparent (Mt 11, 12). Il faut se contraindre soi-même, car étroite
est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie (Mt 7, 14). Lorsque
nous, chrétiens, ne sommes pas d’accord pour suivre ceux qui " ne trouvent
pas " parce qu’ils ne cherchent pas (cf. Mt 7, 8), il se produit
inévitablement des conflits : nous devenons indésirables pour les fils de
ce monde - tel est le sort de ceux qui aiment le Christ. Lorsque le Seigneur
est avec nous, toutes les souffrances de la terre ne nous semblent pas
terribles, parce qu’avec lui nous sommes passés de la mort à la vie. Mais nous
ne pouvons éviter de passer par des heures ou même par des périodes où nous
sommes abandonnés par Dieu : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné ? (Mt 27, 46). Et si, en plus de cela, nous nous sentons
encore repoussés par les hommes, notre désespoir peut prendre une forme très
aiguë ; alors nous invoquons Celui qui est lui-même passé par l’épreuve et
qui peut, par conséquent, venir au secours de ceux qui sont éprouvés (cf. He 2,
18) :
Seigneur Jésus,
comme tu as sauvé Pierre,
sauve-moi aussi, car je sombre. (cf. Mt 14, 30)
Dans l’ascèse de
la prière, chacun va aussi loin que ses capacités le lui permettent. Il n’est
pas facile de trouver soi-même la limite de ses forces. Ceux qui sont guidés
par le Saint-Esprit ne cessent jamais de se condamner, se considérant comme
indignes de Dieu. Mais à l’heure où le désespoir se fait écrasant, ils
s’écartent pour un temps du bord du précipice où ils se tiennent
spirituellement, pour accorder quelque répit à leur psychisme et à leur corps.
Ensuite ils vont de nouveau se tenir au-dessus de l’abîme. Cependant même
lorsqu’il se repose ou durant les périodes de calme, l’ascète ressent toujours
dans les profondeurs de son coeur une plaie qui l’empêche de se laisser aller à
des pensées d’orgueil. L’humilité ascétique s’enracine toujours davantage dans
son âme et en devient pour ainsi dire la substance même. Les afflictions et les
maladies sont le propre de notre pèlerinage terrestre. Sans elles, aucun des
fils d’Adam ne pourrait se maintenir dans l’humilité. Mais ceux qui auront
persévéré jusqu’à la fin seront jugés dignes de recevoir le don de " l’humilité
du Christ " (cf. Mt 11, 29), au sujet de laquelle le starets Silouane dit
qu’" elle est indescriptible ", car elle appartient à un autre plan,
plus élevé, de l’être. L’acquisition de ce don est possible par le constant
souvenir du Christ et par la prière adressée à lui :
Seigneur,
Jésus-Christ, Dieu Saint et Grand,
apprends-moi toi-même ton humilité ...
Écoute ma prière et aie pitié de moi, pécheur.
Ainsi c’est
seulement à travers le feu du repentir que notre nature est refondue, par la
prière accompagnée de larmes que sont exterminées les racines du péché, par
l’invocation du Nom de Jésus que notre être est purifié, régénéré et
sanctifié : Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai
annoncée. Demeurez en moi... (Jn 15, 34 ; cf. Jn 17, 17). Mais
comment demeurer ? Mon Nom vous a été donné et en mon Nom le Père vous
donnera tout ce que vous lui demanderez : Ce que vous demanderez au
Père en mon Nom, il vous le donne (Jn 15, 16) :
Seigneur,
Jésus-Christ, seul en vérité sans péché,
aie pitié de moi, pécheur.
Nos Pères nous
enseignent à prier par le Nom de Jésus sans modifier fréquemment la formule de
la prière. Mais, d’autre part, cela nous est de temps en temps indispensable
pour renouveler notre attention et aussi pour intensifier notre prière lorsque
notre intellect s’élève à des contemplations théologiques ou que notre coeur se
dilate, afin de pouvoir embrasser le monde entier. Cela nous permet de couvrir
du Nom du Christ Jésus tout événement intérieur ou extérieur. Et ainsi cette
prière merveilleuse englobe tout et devient universelle.
Extraits du livre de l’Archmandrite Sophrony,
Sa vie est la mienne, Éditions du Cerf, 1981.
Reproduit avec l’autorisation des Éditions
du Cerf.