samedi 20 août 2022

 

Homélie pour le dixième dimanche après la Pentecôte. Évangile sur l’impuissance de l’incroyance et la puissance de la foi

Saint Nicolas Vélimirovitch  (Mt 17,14-23)



Depuis que le monde a été créé, les peuples vivant sur la terre ont toujours cru qu’un monde spirituel existe et que des esprits invisibles existent. Mais de nombreux peuples ont fait l’erreur d’attribuer aux esprits maléfiques plus de pouvoir qu’aux bons esprits ; avec le temps, ils ont affirmé que les esprits mauvais ont été élevés au rang de divinités, des temples leur ont été construits, des sacrifices leur ont été offerts et on attendait tout deux. Avec le temps, de nombreux peuples ont complètement abandonné la foi dans les bons esprits, n’ayant foi que dans les esprits mauvais. On avait même l’impression que ce monde n’était qu’un champ de courses laissé aux hommes et aux esprits maléfiques. Les esprits mauvais faisaient de plus en plus souffrir les hommes et les aveuglaient, dans le seul but que les hommes effacent de leur conscience toute trace d’un Dieu bon et toute idée d’une puissance trop grande des esprits de bonté, donnée par Dieu.

De nos jours aussi, tous les peuples sur la terre croient dans les esprits. Et cette foi populaire est fondamentalement juste. Ceux qui nient le monde spirituel, le font parce qu’ils ne regardent qu’avec leurs yeux charnels, sans le voir. Mais le monde spirituel ne serait pas ce qu’il est si on pouvait le voir avec des yeux charnels. Tout homme dont l’esprit n’a pas été aveuglé ni le cœur endurci, est en mesure de sentir de tout son être, tous les jours et à toute heure, que les hommes ne se trouvent pas seulement dans ce monde entourés de pierres, de plantes, d’animaux et de forces naturelles, mais que notre âme ne cesse d’être en contact avec un monde invisible et des êtres invisibles. Sont dans l’erreur les peuples et les gens qui s’opposent aux esprits bienveillants, tout en considérant que les esprits maléfiques sont des divinités devant lesquelles ils s’inclinent.

Quand le Seigneur Jésus est apparu sur terre, les peuples croyaient en général à la puissance du mal et à la faiblesse du bien. Les forces maléfiques dominaient en fait dans le monde, et le Christ Lui-même appelait le chef des forces maléfiques le prince de ce monde. Les responsables juifs attribuaient aux démons et à leur force toutes les actions divines du Christ.

Le Seigneur Jésus est venu dans le monde afin de déraciner la foi que les hommes éprouvaient par faiblesse à l’égard du mal et d’implanter dans leur âme la foi dans le bien, sa toute-puissance, son invincibilité et son éternité. La très ancienne et très répandue croyance dans les esprits ne fut pas combattue, mais confirmée par le Christ. Mais II a révélé tout le monde spirituel tel qu’il est, et non tel qu’il paraissait aux hommes du fait des chuchotements du démon. Le Dieu unique, bon, sage et tout-puissant, est le maître du monde spirituel et du monde physique, de l’invisible et du visible. Les bons esprits sont les anges, dont il est difficile de préciser la multitude. Ces bons esprits, les anges, sont incommensurablement plus puissants que les esprits mauvais. Les mauvais esprits n’ont d’ailleurs aucun pouvoir pour faire quoi que ce soit si le Dieu Tout-puissant ne le tolère pas. Mais le nombre des mauvais esprits est très important. Dans un seul homme possédé par le démon à Gadara, qui fut guéri par le Seigneur, vivait toute une légion, c’est-à- dire plusieurs milliers d’esprits mauvais (Mc 5, 9). Ces mauvais esprits ont abusé les hommes, des peuples entiers à cette époque, comme ils abusent aujourd’hui de nombreux pécheurs, en leur faisant croire qu’ils sont tout-puissants, qu’ils sont précisément les seuls dieux, qu’il n’y en a pas d’autres qu’eux et que d’ailleurs les bons esprits n’existent pas. Mais dès que le Seigneur Jésus apparaissait quelque part, ils s’enfuyaient loin de Lui avec frayeur. Ils reconnaissaient en Lui le souverain et le juge, qui est en mesure de les expulser de ce monde et de les précipiter dans le gouffre infernal. Ils s’étaient répandus dans ce monde par indulgence divine et s’étaient rués sur le genre humain comme des mouches sur un cadavre, croyant que ce monde leur était assuré pour toujours comme un nid et un festin. Mais soudain apparut devant eux le détenteur du bien, le Seigneur Jésus-Christ et c’est alors que saisis de frayeur, ils s’écrièrent: Es-tu venu ici pour nous tourmenter? (Mt 8, 29) Nul n’a plus peur des tourments que celui qui tourmente autrui. Les mauvais esprits ont tourmenté l’humanité pendant plusieurs milliers d’années, prenant plaisir dans les souffrances des hommes. Mais en voyant le Christ, ils furent effrayés comme devant leur plus grand persécuteur et furent même prêts à quitter les hommes et devenir des porcs ou n’importe quelle autre créature, dans le seul but de ne pas être chassés tout à fait de ce monde. Mais le Christ n’avait pas songé à les expulser complètement de ce monde. Ce monde en effet est composé de forces diverses. Ce monde est un terrain où les hommes doivent choisir consciemment et volontairement: soit suivre le Christ Vainqueur, soit suivre les démons impurs et vaincus. Le Christ est venu, en ami-des-hommes, montrer la puissance du bien sur le mal et consolider la foi des hommes dans le bien — uniquement dans le bien.

L’évangile de ce jour décrit un cas, parmi une infinité d’autres, où le Seigneur ami-des-hommes a montré une nouvelle fois la puissance du bien sur le mal et où 11 a pris soin de fortifier la foi des hommes dans le bien, la toute-puissance du bien et la victoire du bien.

Un homme s’approcha de Jésus et, s’agenouillant, lui dit: «Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal: souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l’eau» (Mt 17, 14-15). Cet épisode est également décrit par deux autres évangélistes: Marc (Mc 9, 14-29) et Luc (Lc 9, 37-43). Ils apportent quelques précisions sur l’état du jeune homme, qui était l’unique enfant de son père (Lc 9, 38) et son esprit était muet (Mc 9, 17). Quand l’esprit mauvais s’empare du jeune homme, il le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide (Mc 9, 18). Les flèches de l’esprit maléfique sont dirigées simultanément contre le jeune homme, toute la création divine et Dieu Lui-même. En quoi la lune serait-elle coupable de la maladie de ce garçon ? Si elle était à l’origine de la démence et de la disgrâce d’un homme, pourquoi n’agit-elle pas de même pour tous les hommes ? Mais le mal ne réside pas dans la lune, mais dans l’esprit maléfique et rusé qui trompe l’homme tout en se cachant lui-même : il accuse la lune afin que l’homme ne l’accuse pas, lui. Il voudrait ainsi parvenir à faire croire à l’homme que toute la création divine est mauvaise et que le mal pour l’homme provient de la nature et non des esprits mauvais qui se sont détachés de Dieu. C’est pourquoi il agresse ses victimes en essayant de leur faire croire que le mal vient de la lune ; et comme la lune vient de Dieu, le mal viendrait donc de Dieu ! C’est ainsi que les hommes sont trompés par ces fauves très rusés et très féroces.

En fait, tout ce qui a été créé par Dieu est bon ; toute création divine est destinée à être utile à l’homme, non à lui faire mal. Si quelque chose gêne le confort physique de l’homme, cela contribue à encourager et à enrichir son activité spirituelle. A toi les deux! A toi aussi la terre! Le monde et ses richesses, c’est toi qui les fondas (Ps 88,12). Tout cela, c’est ma main qui l’a fait (Is 66,2). Si tout vient de Dieu, tout doit être bon. D’une source ne peut s’écouler que ce qui se trouve dans cette source, non ce qui n’y est pas. En Dieu, il n’y a pas de mal ; dès lors, comment le mal pourrait-il venir de Dieu, source de ce qui n’est que bon et pur? Beaucoup d’hommes inexpérimentés appellent toute souffrance, mal. En réalité, toute souffrance n’est pas un mal ; il y a des souffrances provoquées par le mal et d’autres qui sont un remède contre le mal. La folie et la fureur représentent des manifestations du mal ; mais le mal, c’est l’esprit mauvais qui est à l’œuvre dans l’homme possédé ou furieux.

Les souffrances et les malheurs qui ont frappé de nombreux souverains d’Israël qui faisaient ce qui est mal devant le Seigneur, ces souffrances et ces malheurs étaient les conséquences des péchés de ces souverains. Mais les souffrances et les malheurs que le Seigneur tolère en ce qui concerne les justes, ne sont pas la manifestation du mal mais un remède, non seulement pour ces justes mais aussi pour tous ceux qui les entourent et qui comprennent que leurs souffrances ont été envoyées par Dieu pour leur bien.

Les souffrances issues des attaques des mauvais esprits contre l’homme ou consécutives aux péchés commis par les hommes, sont des manifestations du mal.

Mais les souffrances que Dieu laisse se produire sur les hommes afin de les purifier complètement du péché, de les arracher au pouvoir du démon et les rapprocher de Lui, ces souffrances purificatrices ne correspondent pas au mal, mais viennent de Dieu pour le bien des hommes. Il me fut bon d’être humilié, pour étudier tes décrets, dit le roi David plein de discernement (Ps 118, 71). Le diable, c’est le mal, et le chemin vers le diable, c’est le péché. En dehors du diable et du péché, il n’existe absolument aucun mal.

Ainsi, c’est l’esprit mauvais seul qui est responsable des tourments et des souffrances du jeune homme cité ci-dessus, non la lune. Si Dieu, dans Son amour des hommes, ne retenait pas les mauvais esprits et ne gardait pas les hommes sous Sa protection, les mauvais esprits étoufferaient tout le genre humain spirituellement et physiquement, comme des criquets détruisant la moisson dans les champs.

Je l’ai présenté à tes disciples et ils n’ont pas pu le guérir (Mt 17,16). Ainsi parle au Seigneur le père du malade. Parmi ces disciples, trois étaient absents : Pierre, Jacques et Jean. Ces trois-là se trouvaient au Mont Thabor, où avait eu lieu la Transfiguration du Seigneur, puis étaient descendus avec Lui au pied de la montagne, où une foule nombreuse (Lc 9, 37) était rassemblée autour des autres apôtres et du jeune malade. Ne voyant pas le Christ, le père désespéré avait conduit son fils près des disciples du Christ, mais ceux-ci ne purent pas l’aider. Ils ne purent pas l’aider, d’abord à cause de leur foi trop faible, puis de la foi trop faible de leur père, enfin à cause de l’incroyance complète des scribes présents. Il est dit en effet que des scribes étaient présents et discutaient avec les disciples (Mc 9,14). Quant à la faiblesse de la foi du père, elle se reflète dans les mots par lesquels il s’adresse au Christ. Il ne Lui dit pas comme le lépreux : « Seigneur; si tu le veux, tu peux me purifier» (Mt 8,2), car c’est ainsi que s’exprime la foi forte d’un homme. Il ne dit pas non plus comme le notable Jaïre, qui suppliait le Christ que sa fille revive : « Viens lui imposer ta main et elle vivra» (Mt 9, 18), ce qui est également le signe de la foi forte de cet homme. Et il parle encore moins comme le centurion de Capharnaüm dont le serviteur était malade: «Dis seulement un mot, et mon serviteur sera guéri» (Mt 8, 8), ce qui est la marque d’une foi très grande. Mais la personne animée par la foi la plus grande ne dit pas un mot, se contentant de s’approcher du Christ et touchant seulement la frange de son manteau, comme l’ont fait la femme hémorroïsse (Mt 9, 20) et tant d’autres. Le père du jeune homme malade ne se comporte pas ainsi, disant seulement au Christ: «Si tu peux quelque chose, viens à notre aide» (Mc 9, 22). Si tu peux quelque chose ! Le malheureux! Il a dû entendre dire peu de chose au sujet de la puissance du Christ en parlant ainsi à Celui qui peut tout. La faiblesse de sa foi a été accrue par l’impuissance des apôtres à lui venir en aide, et sûrement aussi par les malveillances proférées par les scribes à l’égard du Christ et de Ses disciples. Si tu peux quelque chose! Cela reflète seulement la pâleur de sa foi, qui était sur le point de disparaître tout à fait.

Jésus lui répondit et dit: «Engeance incrédule et pervertie, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter?» (Mt 17, 17). Cette réprimande, le Seigneur l’adresse à tous, à tous les incroyants ou faiblement croyants en Israël, ainsi qu’à tous ceux qui se tenaient devant Lui : au père du malade, aux disciples, et surtout aux scribes. Engeance incrédule! c’est-à-dire soumise au mal (au diable), qui croit beaucoup en la puissance du mal, qui est l’esclave servile du mal, qui s’oppose au bien (c’est-à-dire à Dieu), qui croit faiblement ou pas du tout au bien et qui s’enfuit du bien telle une rebelle! Pourquoi le Seigneur ajoute-t-Il les mots; et pervertie? Afin de montrer d’où est issue l’incroyance: de la perversité ou plus précisément du péché. L’incroyance est la conséquence, la perversité la cause. L’incroyance, c’est la compagnie du diable, le péché — la perversité — c’est le chemin qui a conduit à cette compagnie. La perversité, c’est le fait de se détacher de Dieu, l’incroyance c’est l’obscurité, la faiblesse et l’horreur où l’homme est tombé après s’être détaché de Dieu. Mais voyez seulement comme le Seigneur est attentif et précautionneux dans les expressions utilisées. Il ne s’attaque à personne spécifiquement et nominalement, mais parle en termes généraux. Il ne souhaite pas juger les hommes, mais les réveiller. Il ne cherche pas à insulter ou humilier des individus, mais leur faire reprendre conscience et les aider à se redresser. Comme cet enseignement est utile pour notre époque, pour notre génération, si prompte au verbiage et à l’insulte ! Si les hommes d’aujourd’hui se contrôlaient et mesuraient leur langage, s’ils cessaient de s’invectiver mutuellement, la moitié du mal ambiant dans le monde disparaîtrait et la moitié des mauvais esprits serait chassée de l’environnement humain. Ecoutez seulement comme le grand apôtre Jacques, ayant bien assimilé l’enseignement de son Maître, s’exprimait avec sagesse : A maintes reprises nous commettons des écarts, tous sans exception. Si quelqu’un ne commet pas d’écart de paroles, c’est un homme parfait, il est capable de réfréner son corps. Quand nous mettons aux chevaux un mors dans la bouche, pour nous en faire obéir, nous dirigeons tout leur corps (Je 3,2-4).

Que signifient les paroles du Christ : Jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter ? Imaginez un homme généreux et cultivé précipité au milieu de sauvages, afin de vivre avec eux. Ou imaginez un grand monarque descendu de son trône et se retrouvant dans un quartier de bohémiens, non seulement pour vivre et étudier leur mode de vie, mais aussi pour leur apprendre à penser, à se comporter et à travailler sérieusement. Ne serait-il pas tenté, au bout de trois jours, de s’écrier: jusques à quand serai-je avec vous ? N’en aurait-il pas assez, au bout de trois jours, de voir la brutalité et la saleté? Notre Seigneur Jésus-Christ, le Roi des rois, a prononcé de telles paroles au bout de trente-trois ans de vie au milieu des hommes, qui se tenaient plus éloignés de Lui que les hommes les plus sauvages de l’homme le plus doux et le plus bienveillant, et beaucoup plus loin que les bohémiens les plus sales des plus grands rois du monde. Et cela en dépit du fait que Lui-même n’avait pas marqué Son temps en jours et en années, mais par des œuvres et des miracles accomplis sous le regard de milliers de témoins, et par Son enseignement dispensé et semé dans les âmes d’innombrables milliers d’hommes. Et à la suite de tous ces actes et miracles, enseignements et événements, qui pourraient remplir un millier d’années et laisser leur empreinte sur des milliers de générations, Il voit soudain que Ses disciples ne peuvent pas guérir un épileptique et expulser un esprit mauvais de cet homme, bien qu’il leur ait enseigné, en actes et en paroles, comment expulser des légions [de démons]. Et il entendit un pécheur ayant peu de foi Lui dire : Si tu peux quelque chose, viens à notre aide !

Après avoir ainsi réprimandé tous ceux qui étaient là pour la faiblesse de leur foi, Il ordonna qu’on Lui amenât le malade : «Apportez-le moi ici!» (Mt 17, 17). Il menaça alors le démon, et le démon sortit aussitôt du jeune homme qui, dès ce moment, fut guéri. Ainsi s’exprime l’évangéliste Matthieu. Les deux autres évangélistes mentionnent encore quelques faits survenus juste avant la guérison du jeune homme. Il s’agit essentiellement des trois précisions suivantes : d’abord, le Christ demande au père depuis quand son fils est malade ; puis II souligne que la foi est la condition de la guérison ; enfin, au moment même où on apporte le jeune homme au Christ, le diable effrayé laisse le malade au milieu de grandes souffrances et s’enfuit. Combien de temps y a-t-il que cela lui arrive ? demande le Seigneur au père du malade (Mc 9,21). Il ne pose pas cette question pour Lui-même, mais pour ceux qui sont autour de Lui. Il a tout discerné et sait que c’est une maladie ancienne chez le jeune homme. Le père répond : depuis son enfance (Mc 9, 21). Que tous entendent et sachent l’horreur que les hommes endurent du fait des mauvais esprits ; qu’ils connaissent la puissance divine qui protège l’homme, sans laquelle l’esprit du mal aurait depuis fort longtemps détruit complètement le corps et l’esprit du jeune homme ; qu’ils voient enfin la puissance que possède le Fils de Dieu, même sur les esprits maléfiques les plus forcenés. Viens à notre aide, par pitié pour nous! dit le père du jeune homme au Christ (Mc 9, 22). Pour nous, dit-il, et non seulement pour l’enfant. Car la souffrance de son fils, c’est aussi la souffrance du père, de tout le foyer, de toute la famille. Si le jeune homme était guéri, un poids tomberait d’un grand nombre d’âmes humaines. «Si tu peux! reprit Jésus; tout est possible à celui qui croit» (Mc 9, 23). Conformément à une pratique familière, le Seigneur Jésus veut, ici aussi, accomplir simultanément plusieurs bonnes actions. D’une part, Il permet au jeune homme de retrouver sa santé. Mais pourquoi ne pas accomplir un autre bienfait? Pourquoi ne pas consolider la foi du père du jeune homme ? Et pourquoi ne pas accomplir un troisième bienfait, en montrant le plus fortement possible Son pouvoir, afin que les hommes aient foi en Lui ? Et pourquoi ne pas accomplir un quatrième bienfait, en dénonçant l’incroyance et la perversité de l’attitude des hommes envers le mal, les esprits mauvais et le péché ? Et pourquoi ne pas accomplir un cinquième, un sixième et un septième bienfait ainsi que bien d’autres qu’une bonne action entraîne avec elle ? Car une bonne œuvre entraîne toujours bien d’autres. Mais voyez encore une fois comment le Seigneur relie avec sagesse, sévérité et bienveillance. Quand II dénonce durement l’incroyance, Il en parle de façon générale, réveillant la foi chez tous sans humilier quiconque en particulier. Mais quand II s’adresse en particulier à celui qui le Lui demande, Il ne lui parle pas sévèrement, mais délicatement et avec bienveillance: Si tu peux! Une telle délicatesse et bienveillance a entraîné la réaction attendue. Le père se mit à pleurer et dit : «Je crois Seigneur! Viens en aide à mon peu de foi!» (Mc 9,24) Rien ne fait fondre la glace de l’incroyance comme les larmes. A l’instant même où cet homme se mit à pleurer devant le Seigneur, il se repentit pour son incroyance antérieure, et en lui, en présence de Dieu, survint aussitôt la foi comme le torrent d’une rivière en crue. Alors il prononça les mots qui sont restés comme un enseignement célèbre pour toutes les générations : «Je crois Seigneur! Viens en aide à mon peu de foi!» Ces mots montrent que l’homme ne peut accéder à la foi sans l’aide de Dieu. Mais l’homme peut se retrouver tout seul avec peu de foi, dans un état où il croit au bien et au mal, c’est-à-dire à douter du bien comme du mal. Or la route est longue, du peu de foi jusqu’à la foi véritable. Et l’homme ne peut parcourir ce chemin seul, sans la main de Dieu. Aide-moi, mon Dieu, à croire en Toi ! Aide-moi à ne pas croire au mal ! Aide-moi à m’affranchir complètement du mal et à m’unir à Toi ! C’est ce que signifient les mots : Viens en aide à mon peu de foi!

Et alors que le jeune homme ne faisait qu’approcher, le démon le jeta à terre et le secoua violemment (Mc 9,42). Cela fut la dernière chose que Dieu laissa faire au diable, afin que tout le peuple vît l’horreur et les atrocités que le démon peut infliger à l’homme et comprenne bien que le pouvoir des hommes est insuffisant, même le pouvoir des plus grands médecins du monde, pour qu’une seule vie humaine soit protégée de telles horreurs et atrocités ; afin qu’en voyant le pouvoir du diable, et à travers le sentiment de leur impuissance totale, les hommes reconnaissent la majesté et la puissance divine du Seigneur Jésus. L’évangéliste Marc cite également les mots menaçants que le Seigneur a lancés à l’esprit maléfique: «Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus» (Mc 9, 25). C’est le Seigneur qui est source de puissance et de pouvoir et II n’a pas à l’emprunter à quiconque. Tout ce qu’a le Père est à moi (Jn 16,15), a dit le

Seigneur Jésus en une autre circonstance. Et II témoigne de cela par Ses actes, afin que le peuple sache qu’il n’est pas l’un des prophètes qui ont accompli certaines œuvres avec l’aide de Dieu, mais bien le Fils de Dieu, prédit par les prophètes et attendu par les peuples.

Il faut également noter le second ordre que le Christ adresse au diable : et n’y rentre plus. Le Seigneur lui ordonne donc non seulement de sortir mais aussi de ne plus revenir dans le corps longtemps souffrant du jeune homme. Cela signifie que l’homme peut, même après s’être purifié, de nouveau tomber dans l’impureté. Le diable qui a été chassé peut de nouveau revenir dans l’homme. Cela se produit quand le pécheur repenti, qui a été absous par Dieu, retourne à son péché ancien. C’est alors que le diable revient dans son ancienne demeure. Aussi le Seigneur ordonne-t- II au diable, non seulement de sortir du jeune homme, mais de ne plus jamais y revenir. Le Seigneur agit ainsi afin que la grâce divine accordée au jeune homme soit totale et parfaite, et aussi afin que nous en retirions l’enseignement qu’après avoir reçu la grâce divine, il convient de ne plus revenir à son péché ancien, tel un chien retournant sur son vomi, et ne plus nous exposer de nouveau à un grand danger spirituel en ouvrant la porte au mauvais esprit et en lui permettant de prendre le contrôle sur nous.

Après un miracle aussi glorieux du Christ, tous étaient frappés de la grandeur de Dieu, écrit l’évangéliste Luc (Lc 9, 43). Ah, si cet émerveillement devant la grandeur de Dieu était resté ineffaçable dans l’âme humaine ! S’il n’avait pas éclaté rapidement telle une bulle sur la surface de l’eau ! Mais Dieu ne sème pas en vain. Si les graines tombées sur la route, les pierres et les broussailles sont perdues, celles qui tombent sur une bonne terre produiront au centuple.

Quand ils se retrouvèrent seuls avec le Christ, Ses disciples Lui demandèrent: Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser? Parce que vous avez peu de foi, leur dit-il. Car je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. (Mt 17, 20). La cause de leur impuissance, c’est donc leur peu de foi. Plus la foi est grande, plus la puissance est forte ; moins il y a de foi, moins il y a de pouvoir. Auparavant, le Seigneur avait donné à Ses disciples le pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à guérir toute maladie et toute langueur (Mt 10, 1). Et ce pouvoir, ils l’avaient utilisé quelque temps de façon utile. Mais au fur et à mesure que leur foi faiblissait, soit par peur du monde, soit par orgueil, le pouvoir qui leur avait été donné faiblissait aussi. Adam lui aussi avait eu le pouvoir sur toutes choses, mais sa désobéissance, son avidité et son orgueil le lui avaient fait perdre. Les Apôtres eux aussi, par leurs erreurs, avaient aussi perdu le pouvoir qui leur avait été donné. Cette puissance perdue ne peut être retrouvée que par la foi, la foi et la foi. C’est pourquoi le Seigneur insiste tout particulièrement dans cette circonstance sur la puissance de la foi. La foi peut déplacer les montagnes ; rien n’est impossible à la foi. Le grain de sénevé est petit, mais il peut donner du goût à tout un plat. Si on a autant de foi qu’un grain de sénevé, les montagnes pourront être déplacées d’un lieu à un autre. Pourquoi le Seigneur n’a-t-Il pas déplacé des montagnes Lui-même? Parce que ce n’était pas nécessaire. Il n’a accompli de miracles que dans la mesure où ils étaient nécessaires et utiles aux hommes pour leur salut. Déplacer des montagnes est-il un miracle plus important que changer l’eau en vin, faire qu’une petite quantité de pain se transforme en une quantité énorme, expulser des démons des hommes, guérir toute maladie, marcher sur l’eau ou apaiser d’un mot ou d’une pensée les tempêtes et les vents sur la mer ? Il n’est pas du tout exclu que les disciples du Christ, en cas de nécessité et grâce à une grande foi, aient accompli le miracle de déplacer des montagnes. Mais y a-t-il des montagnes plus grandes et plus lourdes à porter pour l’âme humaine que les angoisses et les craintes liées à ce monde et que les liens et les chaînes qui nous y enferment? Celui qui a pu déplacer un tel poids de l’âme humaine et le précipiter à la mer, Celui-là a été en vérité capable de déplacer la montagne la plus imposante au monde.

Le jeûne et la prière sont les deux piliers de la foi, deux feux ardents qui consument les mauvais esprits. Le jeûne permet d’apaiser et anéantir toutes les passions charnelles, notamment la débauche ; la prière permet d’apaiser et d’anéantir les passions de l’esprit, du cœur et de l’âme : les mauvaises intentions et les mauvaises actions, la vengeance, l’envie, la haine, la méchanceté, l’orgueil, l’amour de l’argent et les autres. Le jeûne permet de nettoyer le réservoir physique et spirituel des souillures liées aux passions séculières et à la luxure ; la prière permet d’installer la grâce du Saint-Esprit dans un espace vide et purifié, alors que l’accomplissement de la foi consiste à faire entrer l’Esprit de Dieu dans l’homme. L’Eglise orthodoxe proclame depuis toujours que le jeûne est un remède éprouvé contre toutes les passions charnelles et constitue aussi une arme contre les mauvais esprits. Tous ceux qui ne tiennent pas compte ou renoncent au jeûne, annulent ou renient en fait un commandement clair et catégorique du Seigneur Jésus dans le système du salut des hommes. La prière se fortifie et se prolonge par le jeûne, la foi se consolide par l’une et l’autre ; la foi déplace les montagnes, expulse les démons et rend tout ce qui est impossible, possible.

Les derniers mots prononcés par le Christ dans l’évangile de ce jour paraissent ne pas avoir de rapport avec l’événement qui a été décrit. Après le grand miracle de la guérison du jeune épileptique et alors que le peuple en était émerveillé, soudain le Seigneur se mit à parler aux disciples de Sa Passion: Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes, et ils Le tueront, et le troisième jour, Il ressuscitera (Mt 17, 22-23). Pourquoi le Seigneur, après avoir accompli ce miracle ainsi que plusieurs autres, parle-t-Il aux disciples de Sa Passion? Il le fait pour qu’à la suite de ce qui doit se produire, leur cœur ne soit pas effrayé. Il en parle après avoir accompli de grandes œuvres, afin que cette prédiction, en opposition absolue à Ses grandes actions, à la gloire et à l’enthousiasme avec lesquels II était accueilli et accompagné, s’imprime le mieux possible dans la mémoire des disciples. Mais II le fait aussi pour enseigner aux apôtres comme à nous qu’après avoir réalisé de grandes actions on ne doit pas s’attendre à des récompenses de la part des hommes, mais être prêts aux pires attaques et humiliations, même de ceux à qui on a rendu le plus de services. Cependant le Seigneur n’annonce pas seulement Sa Passion et Sa mort, mais aussi Sa résurrection. À la fin de tout, il y aura quand même la résurrection, la victoire et la gloire éternelle. Le Seigneur annonce à Ses disciples quelque chose qui parait très invraisemblable, afin de les amener à avoir foi en ce qui va venir, de leur apprendre à croire en ce qui leur est dit. Il faut avoir la foi aussi grosse qu’un grain de sénevé, voire même moins, pour que tout homme soit prêt à accueillir toute souffrance en ce monde en sachant, de façon certaine, que l’issue ultime pour tout sera la résurrection. Toute la gloire humaine et toutes les louanges des hommes ne doivent pas être prises en considération. Après tout triomphe dans ce monde, on doit être prêt pour la souffrance. Avec modestie et obéissance, nous devons accueillir tout ce que le Père céleste nous envoie. Nous ne devons jamais mettre en avant des services que nous avons rendus aux autres, à notre ville ou notre village, à notre peuple ou notre patrie; il ne faut pas nous révolter quand les souffrances nous assaillent. Car si nous avons pu rendre quelque service à d’autres autour de nous, cela a pu être réalisé avec l’aide de Dieu. En fait, toute bonne action accomplie par notre intermédiaire l’a été par Dieu. C’est pourquoi Dieu est tout à fait dans son droit de nous envoyer des souffrances à la suite de la gloire terrestre; l’humiliation après les louanges, la misère après la richesse, le mépris après la reconnaissance, la maladie après la santé, la solitude et l’abandon après de nombreuses amitiés. Dieu sait pourquoi Il nous adresse cela. Il sait que tout cela se fait pour notre bien. D’abord, pour que nous apprenions à rechercher les valeurs éternelles et immuables, et non à nous étourdir jusqu’à la mort avec l’éclat mensonger et éphémère de ce temps ; ensuite, pour que nous ne recevions pas dans ce monde-ci toutes les récompenses relatives aux bonnes œuvres et aux efforts que nous avons réalisés ici-bas et qu’ainsi nous n’ayons rien à réclamer ni à recevoir dans l’autre monde. En un mot, qu’on ne nous dise pas à la porte du Royaume céleste: partez d’ici, vous avez déjà reçu votre salaire! Afin que cela ne nous arrive pas et que nous ne tombions pas dans la déchéance inévitable de ce monde dans lequel nous aurions reçu gloire, louanges et honneurs, notre seul ami, le Seigneur Jésus-Christ nous enseigne qu’après la plus grande gloire, louanges et honneurs terrestres, nous devons être prêts à recevoir la croix. Gloire et louange donc au Seigneur Jésus-Christ, avec Son Père prééternel et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, maintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.