Homélie pour le dixième dimanche après la Pentecôte. Évangile
sur l’impuissance de l’incroyance et la puissance de la foi
Saint Nicolas Vélimirovitch (Mt 17,14-23)
Depuis que le monde a été créé, les peuples vivant sur la terre ont toujours cru qu’un monde spirituel existe et que des esprits invisibles existent. Mais de nombreux peuples ont fait l’erreur d’attribuer aux esprits maléfiques plus de pouvoir qu’aux bons esprits ; avec le temps, ils ont affirmé que les esprits mauvais ont été élevés au rang de divinités, des temples leur ont été construits, des sacrifices leur ont été offerts et on attendait tout deux. Avec le temps, de nombreux peuples ont complètement abandonné la foi dans les bons esprits, n’ayant foi que dans les esprits mauvais. On avait même l’impression que ce monde n’était qu’un champ de courses laissé aux hommes et aux esprits maléfiques. Les esprits mauvais faisaient de plus en plus souffrir les hommes et les aveuglaient, dans le seul but que les hommes effacent de leur conscience toute trace d’un Dieu bon et toute idée d’une puissance trop grande des esprits de bonté, donnée par Dieu.
De nos jours aussi, tous les peuples sur la terre croient dans
les esprits. Et cette foi populaire est fondamentalement juste. Ceux qui nient
le monde spirituel, le font parce qu’ils ne regardent qu’avec leurs yeux
charnels, sans le voir. Mais le monde spirituel ne serait pas ce qu’il est si
on pouvait le voir avec des yeux charnels. Tout homme dont l’esprit n’a pas été
aveuglé ni le cœur endurci, est en mesure de sentir de tout son être, tous les
jours et à toute heure, que les hommes ne se trouvent pas seulement dans ce
monde entourés de pierres, de plantes, d’animaux et de forces naturelles, mais
que notre âme ne cesse d’être en contact avec un monde invisible et des êtres
invisibles. Sont dans l’erreur les peuples et les gens qui s’opposent aux
esprits bienveillants, tout en considérant que les esprits maléfiques sont des
divinités devant lesquelles ils s’inclinent.
Quand le Seigneur Jésus est apparu sur terre, les peuples
croyaient en général à la puissance du mal et à la faiblesse du bien. Les
forces maléfiques dominaient en fait dans le monde, et le Christ Lui-même
appelait le chef des forces maléfiques le prince de ce monde. Les
responsables juifs attribuaient aux démons et à leur force toutes les actions
divines du Christ.
Le Seigneur Jésus est venu dans le monde afin de déraciner la
foi que les hommes éprouvaient par faiblesse à l’égard du mal et d’implanter
dans leur âme la foi dans le bien, sa toute-puissance, son invincibilité et son
éternité. La très ancienne et très répandue croyance dans les esprits ne fut
pas combattue, mais confirmée par le Christ. Mais II a révélé tout le monde
spirituel tel qu’il est, et non tel qu’il paraissait aux hommes du fait des
chuchotements du démon. Le Dieu unique, bon, sage et tout-puissant, est le
maître du monde spirituel et du monde physique, de l’invisible et du visible.
Les bons esprits sont les anges, dont il est difficile de préciser la
multitude. Ces bons esprits, les anges, sont incommensurablement plus puissants
que les esprits mauvais. Les mauvais esprits n’ont d’ailleurs aucun pouvoir
pour faire quoi que ce soit si le Dieu Tout-puissant ne le tolère pas. Mais le
nombre des mauvais esprits est très important. Dans un seul homme possédé par
le démon à Gadara, qui fut guéri par le Seigneur, vivait toute
une légion, c’est-à- dire plusieurs milliers d’esprits mauvais (Mc 5,
9). Ces mauvais esprits ont abusé les hommes, des peuples entiers à cette
époque, comme ils abusent aujourd’hui de nombreux pécheurs, en leur faisant
croire qu’ils sont tout-puissants, qu’ils sont précisément les seuls dieux,
qu’il n’y en a pas d’autres qu’eux et que d’ailleurs les bons esprits
n’existent pas. Mais dès que le Seigneur Jésus apparaissait quelque part, ils
s’enfuyaient loin de Lui avec frayeur. Ils reconnaissaient en Lui le souverain
et le juge, qui est en mesure de les expulser de ce monde et de les précipiter
dans le gouffre infernal. Ils s’étaient répandus dans ce monde par indulgence
divine et s’étaient rués sur le genre humain comme des mouches sur un cadavre,
croyant que ce monde leur était assuré pour toujours comme un nid et un festin.
Mais soudain apparut devant eux le détenteur du bien, le Seigneur Jésus-Christ
et c’est alors que saisis de frayeur, ils s’écrièrent: Es-tu venu ici pour
nous tourmenter? (Mt 8, 29) Nul n’a plus peur des tourments que celui qui
tourmente autrui. Les mauvais esprits ont tourmenté l’humanité pendant
plusieurs milliers d’années, prenant plaisir dans les souffrances des hommes.
Mais en voyant le Christ, ils furent effrayés comme devant leur plus grand
persécuteur et furent même prêts à quitter les hommes et devenir des porcs ou
n’importe quelle autre créature, dans le seul but de ne pas être chassés tout à
fait de ce monde. Mais le Christ n’avait pas songé à les expulser complètement
de ce monde. Ce monde en effet est composé de forces diverses. Ce monde est un
terrain où les hommes doivent choisir consciemment et volontairement: soit
suivre le Christ Vainqueur, soit suivre les démons impurs et vaincus. Le Christ
est venu, en ami-des-hommes, montrer la puissance du bien sur le mal et
consolider la foi des hommes dans le bien — uniquement dans le bien.
L’évangile de ce jour décrit un cas, parmi une infinité
d’autres, où le Seigneur ami-des-hommes a montré une nouvelle fois la puissance
du bien sur le mal et où 11 a pris soin de fortifier la foi des hommes dans le
bien, la toute-puissance du bien et la victoire du bien.
Un homme s’approcha de Jésus et, s’agenouillant, lui dit:
«Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal: souvent il
tombe dans le feu, et souvent dans l’eau» (Mt 17, 14-15). Cet épisode est
également décrit par deux autres évangélistes: Marc (Mc 9, 14-29) et Luc (Lc 9,
37-43). Ils apportent quelques précisions sur l’état du jeune homme, qui
était l’unique enfant de son père (Lc 9, 38) et son esprit était
muet (Mc 9, 17). Quand l’esprit mauvais s’empare du jeune homme, il
le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide (Mc 9,
18). Les flèches de l’esprit maléfique sont dirigées simultanément contre le
jeune homme, toute la création divine et Dieu Lui-même. En quoi la lune
serait-elle coupable de la maladie de ce garçon ? Si elle était à l’origine de
la démence et de la disgrâce d’un homme, pourquoi n’agit-elle pas de même pour
tous les hommes ? Mais le mal ne réside pas dans la lune, mais dans l’esprit
maléfique et rusé qui trompe l’homme tout en se cachant lui-même : il accuse la
lune afin que l’homme ne l’accuse pas, lui. Il voudrait ainsi parvenir à faire
croire à l’homme que toute la création divine est mauvaise et que le mal pour
l’homme provient de la nature et non des esprits mauvais qui se sont détachés
de Dieu. C’est pourquoi il agresse ses victimes en essayant de leur faire
croire que le mal vient de la lune ; et comme la lune vient de Dieu, le mal
viendrait donc de Dieu ! C’est ainsi que les hommes sont trompés par ces fauves
très rusés et très féroces.
En fait, tout ce qui a été créé par Dieu est bon ; toute
création divine est destinée à être utile à l’homme, non à lui faire mal. Si
quelque chose gêne le confort physique de l’homme, cela contribue à encourager
et à enrichir son activité spirituelle. A toi les deux! A toi aussi la terre!
Le monde et ses richesses, c’est toi qui les fondas (Ps 88,12). Tout
cela, c’est ma main qui l’a fait (Is 66,2). Si tout vient de Dieu, tout
doit être bon. D’une source ne peut s’écouler que ce qui se trouve dans cette
source, non ce qui n’y est pas. En Dieu, il n’y a pas de mal ; dès lors,
comment le mal pourrait-il venir de Dieu, source de ce qui n’est que bon et
pur? Beaucoup d’hommes inexpérimentés appellent toute souffrance, mal. En
réalité, toute souffrance n’est pas un mal ; il y a des souffrances provoquées
par le mal et d’autres qui sont un remède contre le mal. La folie et la fureur
représentent des manifestations du mal ; mais le mal, c’est l’esprit mauvais
qui est à l’œuvre dans l’homme possédé ou furieux.
Les souffrances et les malheurs qui ont frappé de nombreux
souverains d’Israël qui faisaient ce qui est mal devant le
Seigneur, ces souffrances et ces malheurs étaient les conséquences des
péchés de ces souverains. Mais les souffrances et les malheurs que le Seigneur
tolère en ce qui concerne les justes, ne sont pas la manifestation du mal mais
un remède, non seulement pour ces justes mais aussi pour tous ceux qui les
entourent et qui comprennent que leurs souffrances ont été envoyées par Dieu
pour leur bien.
Les souffrances issues des attaques des mauvais esprits contre
l’homme ou consécutives aux péchés commis par les hommes, sont des
manifestations du mal.
Mais les souffrances que Dieu laisse se produire sur les
hommes afin de les purifier complètement du péché, de les arracher au pouvoir
du démon et les rapprocher de Lui, ces souffrances purificatrices ne
correspondent pas au mal, mais viennent de Dieu pour le bien des
hommes. Il me fut bon d’être humilié, pour étudier tes décrets, dit
le roi David plein de discernement (Ps 118, 71). Le diable, c’est le mal, et le
chemin vers le diable, c’est le péché. En dehors du diable et du péché, il
n’existe absolument aucun mal.
Ainsi, c’est l’esprit mauvais seul qui est responsable des
tourments et des souffrances du jeune homme cité ci-dessus, non la lune. Si
Dieu, dans Son amour des hommes, ne retenait pas les mauvais esprits et ne
gardait pas les hommes sous Sa protection, les mauvais esprits étoufferaient
tout le genre humain spirituellement et physiquement, comme des criquets
détruisant la moisson dans les champs.
Je l’ai présenté à tes disciples et ils n’ont pas pu le
guérir (Mt 17,16). Ainsi parle au Seigneur le père du malade. Parmi ces
disciples, trois étaient absents : Pierre, Jacques et Jean. Ces trois-là se
trouvaient au Mont Thabor, où avait eu lieu la Transfiguration du Seigneur,
puis étaient descendus avec Lui au pied de la montagne, où une foule
nombreuse (Lc 9, 37) était rassemblée autour des autres apôtres et du
jeune malade. Ne voyant pas le Christ, le père désespéré avait conduit son fils
près des disciples du Christ, mais ceux-ci ne purent pas l’aider. Ils ne purent
pas l’aider, d’abord à cause de leur foi trop faible, puis de la foi trop
faible de leur père, enfin à cause de l’incroyance complète des scribes
présents. Il est dit en effet que des scribes étaient présents et discutaient
avec les disciples (Mc 9,14). Quant à la faiblesse de la foi du père, elle se
reflète dans les mots par lesquels il s’adresse au Christ. Il ne Lui dit pas
comme le lépreux : « Seigneur; si tu le veux, tu peux me
purifier» (Mt 8,2), car c’est ainsi que s’exprime la foi forte d’un homme.
Il ne dit pas non plus comme le notable Jaïre, qui suppliait le Christ que sa
fille revive : « Viens lui imposer ta main et elle vivra» (Mt 9, 18),
ce qui est également le signe de la foi forte de cet homme. Et il parle encore
moins comme le centurion de Capharnaüm dont le serviteur était
malade: «Dis seulement un mot, et mon serviteur sera guéri» (Mt 8,
8), ce qui est la marque d’une foi très grande. Mais la personne animée par la
foi la plus grande ne dit pas un mot, se contentant de s’approcher du Christ et
touchant seulement la frange de son manteau, comme l’ont fait la femme
hémorroïsse (Mt 9, 20) et tant d’autres. Le père du jeune homme malade ne se
comporte pas ainsi, disant seulement au Christ: «Si tu peux quelque chose,
viens à notre aide» (Mc 9, 22). Si tu peux quelque chose ! Le malheureux! Il a
dû entendre dire peu de chose au sujet de la puissance du Christ en parlant
ainsi à Celui qui peut tout. La faiblesse de sa foi a été accrue par
l’impuissance des apôtres à lui venir en aide, et sûrement aussi par les
malveillances proférées par les scribes à l’égard du Christ et de Ses
disciples. Si tu peux quelque chose! Cela reflète seulement la pâleur
de sa foi, qui était sur le point de disparaître tout à fait.
Jésus lui répondit et dit: «Engeance incrédule et
pervertie, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous
supporter?» (Mt 17, 17). Cette réprimande, le Seigneur l’adresse à tous, à tous
les incroyants ou faiblement croyants en Israël, ainsi qu’à tous ceux qui se
tenaient devant Lui : au père du malade, aux disciples, et surtout aux
scribes. Engeance incrédule! c’est-à-dire soumise au mal (au diable),
qui croit beaucoup en la puissance du mal, qui est l’esclave servile du mal,
qui s’oppose au bien (c’est-à-dire à Dieu), qui croit faiblement ou pas du tout
au bien et qui s’enfuit du bien telle une rebelle! Pourquoi le Seigneur
ajoute-t-Il les mots; et pervertie? Afin de montrer d’où est issue l’incroyance:
de la perversité ou plus précisément du péché. L’incroyance est la conséquence,
la perversité la cause. L’incroyance, c’est la compagnie du diable, le
péché — la perversité — c’est le chemin qui a conduit à cette
compagnie. La perversité, c’est le fait de se détacher de Dieu, l’incroyance
c’est l’obscurité, la faiblesse et l’horreur où l’homme est tombé après s’être
détaché de Dieu. Mais voyez seulement comme le Seigneur est attentif et
précautionneux dans les expressions utilisées. Il ne s’attaque à personne
spécifiquement et nominalement, mais parle en termes généraux. Il ne souhaite
pas juger les hommes, mais les réveiller. Il ne cherche pas à insulter ou
humilier des individus, mais leur faire reprendre conscience et les aider à se
redresser. Comme cet enseignement est utile pour notre époque, pour notre
génération, si prompte au verbiage et à l’insulte ! Si les hommes d’aujourd’hui
se contrôlaient et mesuraient leur langage, s’ils cessaient de s’invectiver
mutuellement, la moitié du mal ambiant dans le monde disparaîtrait et la moitié
des mauvais esprits serait chassée de l’environnement humain. Ecoutez seulement
comme le grand apôtre Jacques, ayant bien assimilé l’enseignement de son
Maître, s’exprimait avec sagesse : A maintes reprises nous commettons des
écarts, tous sans exception. Si quelqu’un ne commet pas d’écart de paroles,
c’est un homme parfait, il est capable de réfréner son corps. Quand nous
mettons aux chevaux un mors dans la bouche, pour nous en faire obéir, nous
dirigeons tout leur corps (Je 3,2-4).
Que signifient les paroles du Christ : Jusques à quand
serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter ? Imaginez un
homme généreux et cultivé précipité au milieu de sauvages, afin de vivre avec
eux. Ou imaginez un grand monarque descendu de son trône et se retrouvant dans
un quartier de bohémiens, non seulement pour vivre et étudier leur mode de vie,
mais aussi pour leur apprendre à penser, à se comporter et à travailler
sérieusement. Ne serait-il pas tenté, au bout de trois jours, de s’écrier:
jusques à quand serai-je avec vous ? N’en aurait-il pas assez, au bout de trois
jours, de voir la brutalité et la saleté? Notre Seigneur Jésus-Christ, le Roi
des rois, a prononcé de telles paroles au bout de trente-trois ans de vie au
milieu des hommes, qui se tenaient plus éloignés de Lui que les hommes les plus
sauvages de l’homme le plus doux et le plus bienveillant, et beaucoup plus loin
que les bohémiens les plus sales des plus grands rois du monde. Et cela en
dépit du fait que Lui-même n’avait pas marqué Son temps en jours et en années,
mais par des œuvres et des miracles accomplis sous le regard de milliers de
témoins, et par Son enseignement dispensé et semé dans les âmes d’innombrables
milliers d’hommes. Et à la suite de tous ces actes et miracles, enseignements
et événements, qui pourraient remplir un millier d’années et laisser leur
empreinte sur des milliers de générations, Il voit soudain que Ses disciples ne
peuvent pas guérir un épileptique et expulser un esprit mauvais de cet homme,
bien qu’il leur ait enseigné, en actes et en paroles, comment expulser des
légions [de démons]. Et il entendit un pécheur ayant peu de foi Lui dire
: Si tu peux quelque chose, viens à notre aide !
Après avoir ainsi réprimandé tous ceux qui étaient là pour la
faiblesse de leur foi, Il ordonna qu’on Lui amenât le malade
: «Apportez-le moi ici!» (Mt 17, 17). Il menaça alors le démon, et le
démon sortit aussitôt du jeune homme qui, dès ce moment, fut guéri. Ainsi
s’exprime l’évangéliste Matthieu. Les deux autres évangélistes mentionnent
encore quelques faits survenus juste avant la guérison du jeune homme. Il
s’agit essentiellement des trois précisions suivantes : d’abord, le Christ
demande au père depuis quand son fils est malade ; puis II souligne que la foi
est la condition de la guérison ; enfin, au moment même où on apporte le jeune
homme au Christ, le diable effrayé laisse le malade au milieu de grandes
souffrances et s’enfuit. Combien de temps y a-t-il que cela lui arrive
? demande le Seigneur au père du malade (Mc 9,21). Il ne pose pas cette
question pour Lui-même, mais pour ceux qui sont autour de Lui. Il a tout
discerné et sait que c’est une maladie ancienne chez le jeune homme. Le père
répond : depuis son enfance (Mc 9, 21). Que tous entendent et sachent
l’horreur que les hommes endurent du fait des mauvais esprits ; qu’ils
connaissent la puissance divine qui protège l’homme, sans laquelle l’esprit du
mal aurait depuis fort longtemps détruit complètement le corps et l’esprit du
jeune homme ; qu’ils voient enfin la puissance que possède le Fils de Dieu,
même sur les esprits maléfiques les plus forcenés. Viens à notre aide, par
pitié pour nous! dit le père du jeune homme au Christ (Mc 9,
22). Pour nous, dit-il, et non seulement pour l’enfant. Car la souffrance
de son fils, c’est aussi la souffrance du père, de tout le foyer, de toute la
famille. Si le jeune homme était guéri, un poids tomberait d’un grand nombre
d’âmes humaines. «Si tu peux! reprit Jésus; tout est possible à celui qui
croit» (Mc 9, 23). Conformément à une pratique familière, le Seigneur
Jésus veut, ici aussi, accomplir simultanément plusieurs bonnes actions. D’une
part, Il permet au jeune homme de retrouver sa santé. Mais pourquoi ne pas
accomplir un autre bienfait? Pourquoi ne pas consolider la foi du père du jeune
homme ? Et pourquoi ne pas accomplir un troisième bienfait, en montrant le plus
fortement possible Son pouvoir, afin que les hommes aient foi en Lui ? Et
pourquoi ne pas accomplir un quatrième bienfait, en dénonçant l’incroyance et
la perversité de l’attitude des hommes envers le mal, les esprits mauvais et le
péché ? Et pourquoi ne pas accomplir un cinquième, un sixième et un septième
bienfait ainsi que bien d’autres qu’une bonne action entraîne avec elle ? Car
une bonne œuvre entraîne toujours bien d’autres. Mais voyez encore une fois
comment le Seigneur relie avec sagesse, sévérité et bienveillance. Quand II
dénonce durement l’incroyance, Il en parle de façon générale, réveillant la foi
chez tous sans humilier quiconque en particulier. Mais quand II s’adresse en
particulier à celui qui le Lui demande, Il ne lui parle pas sévèrement, mais
délicatement et avec bienveillance: Si tu peux! Une telle délicatesse
et bienveillance a entraîné la réaction attendue. Le père se mit à pleurer et
dit : «Je crois Seigneur! Viens en aide à mon peu de foi!» (Mc 9,24) Rien
ne fait fondre la glace de l’incroyance comme les larmes. A l’instant même où
cet homme se mit à pleurer devant le Seigneur, il se repentit pour son
incroyance antérieure, et en lui, en présence de Dieu, survint aussitôt la foi
comme le torrent d’une rivière en crue. Alors il prononça les mots qui sont
restés comme un enseignement célèbre pour toutes les générations : «Je
crois Seigneur! Viens en aide à mon peu de foi!» Ces mots montrent que
l’homme ne peut accéder à la foi sans l’aide de Dieu. Mais l’homme peut se
retrouver tout seul avec peu de foi, dans un état où il croit au bien et au
mal, c’est-à-dire à douter du bien comme du mal. Or la route est longue, du peu
de foi jusqu’à la foi véritable. Et l’homme ne peut parcourir ce chemin seul,
sans la main de Dieu. Aide-moi, mon Dieu, à croire en Toi ! Aide-moi à ne pas
croire au mal ! Aide-moi à m’affranchir complètement du mal et à m’unir à Toi !
C’est ce que signifient les mots : Viens en aide à mon peu de foi!
Et alors que le jeune homme ne faisait qu’approcher, le
démon le jeta à terre et le secoua violemment (Mc 9,42). Cela fut la
dernière chose que Dieu laissa faire au diable, afin que tout le peuple vît
l’horreur et les atrocités que le démon peut infliger à l’homme et comprenne
bien que le pouvoir des hommes est insuffisant, même le pouvoir des plus grands
médecins du monde, pour qu’une seule vie humaine soit protégée de telles
horreurs et atrocités ; afin qu’en voyant le pouvoir du diable, et à travers le
sentiment de leur impuissance totale, les hommes reconnaissent la majesté et la
puissance divine du Seigneur Jésus. L’évangéliste Marc cite également les mots
menaçants que le Seigneur a lancés à l’esprit maléfique: «Esprit muet et
sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus» (Mc 9, 25). C’est
le Seigneur qui est source de puissance et de pouvoir et II n’a pas à
l’emprunter à quiconque. Tout ce qu’a le Père est à moi (Jn 16,15), a
dit le
Seigneur Jésus en une autre circonstance. Et II témoigne de
cela par Ses actes, afin que le peuple sache qu’il n’est pas l’un des prophètes
qui ont accompli certaines œuvres avec l’aide de Dieu, mais bien le Fils de
Dieu, prédit par les prophètes et attendu par les peuples.
Il faut également noter le second ordre que le Christ adresse
au diable : et n’y rentre plus. Le Seigneur lui ordonne donc non
seulement de sortir mais aussi de ne plus revenir dans le corps longtemps
souffrant du jeune homme. Cela signifie que l’homme peut, même après s’être
purifié, de nouveau tomber dans l’impureté. Le diable qui a été chassé peut de
nouveau revenir dans l’homme. Cela se produit quand le pécheur repenti, qui a
été absous par Dieu, retourne à son péché ancien. C’est alors que le diable
revient dans son ancienne demeure. Aussi le Seigneur ordonne-t- II au diable,
non seulement de sortir du jeune homme, mais de ne plus jamais y revenir. Le
Seigneur agit ainsi afin que la grâce divine accordée au jeune homme soit
totale et parfaite, et aussi afin que nous en retirions l’enseignement qu’après
avoir reçu la grâce divine, il convient de ne plus revenir à son péché ancien,
tel un chien retournant sur son vomi, et ne plus nous exposer de nouveau à un
grand danger spirituel en ouvrant la porte au mauvais esprit et en lui
permettant de prendre le contrôle sur nous.
Après un miracle aussi glorieux du Christ, tous étaient
frappés de la grandeur de Dieu, écrit l’évangéliste Luc (Lc 9, 43). Ah, si
cet émerveillement devant la grandeur de Dieu était resté ineffaçable dans
l’âme humaine ! S’il n’avait pas éclaté rapidement telle une bulle sur la
surface de l’eau ! Mais Dieu ne sème pas en vain. Si les graines tombées sur la
route, les pierres et les broussailles sont perdues, celles qui tombent sur une
bonne terre produiront au centuple.
Quand ils se retrouvèrent seuls avec le Christ, Ses disciples
Lui demandèrent: Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser? Parce
que vous avez peu de foi, leur dit-il. Car je vous le dis en vérité, si vous
avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne:
Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera
impossible. (Mt 17, 20). La cause de leur impuissance, c’est donc leur peu
de foi. Plus la foi est grande, plus la puissance est forte ; moins il y a de
foi, moins il y a de pouvoir. Auparavant, le Seigneur avait donné à Ses
disciples le pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à
guérir toute maladie et toute langueur (Mt 10, 1). Et ce pouvoir, ils
l’avaient utilisé quelque temps de façon utile. Mais au fur et à mesure que
leur foi faiblissait, soit par peur du monde, soit par orgueil, le pouvoir qui
leur avait été donné faiblissait aussi. Adam lui aussi avait eu le pouvoir sur
toutes choses, mais sa désobéissance, son avidité et son orgueil le lui avaient
fait perdre. Les Apôtres eux aussi, par leurs erreurs, avaient aussi perdu le
pouvoir qui leur avait été donné. Cette puissance perdue ne peut être retrouvée
que par la foi, la foi et la foi. C’est pourquoi le Seigneur insiste tout
particulièrement dans cette circonstance sur la puissance de la foi. La foi
peut déplacer les montagnes ; rien n’est impossible à la foi. Le grain de
sénevé est petit, mais il peut donner du goût à tout un plat. Si on a autant de
foi qu’un grain de sénevé, les montagnes pourront être déplacées d’un lieu à un
autre. Pourquoi le Seigneur n’a-t-Il pas déplacé des montagnes Lui-même? Parce
que ce n’était pas nécessaire. Il n’a accompli de miracles que dans la mesure
où ils étaient nécessaires et utiles aux hommes pour leur salut. Déplacer des
montagnes est-il un miracle plus important que changer l’eau en vin, faire
qu’une petite quantité de pain se transforme en une quantité énorme, expulser
des démons des hommes, guérir toute maladie, marcher sur l’eau ou apaiser d’un
mot ou d’une pensée les tempêtes et les vents sur la mer ? Il n’est pas du tout
exclu que les disciples du Christ, en cas de nécessité et grâce à une grande
foi, aient accompli le miracle de déplacer des montagnes. Mais y a-t-il des montagnes
plus grandes et plus lourdes à porter pour l’âme humaine que les angoisses et
les craintes liées à ce monde et que les liens et les chaînes qui nous y
enferment? Celui qui a pu déplacer un tel poids de l’âme humaine et le
précipiter à la mer, Celui-là a été en vérité capable de déplacer la montagne
la plus imposante au monde.
Le jeûne et la prière sont les deux piliers de la foi, deux
feux ardents qui consument les mauvais esprits. Le jeûne permet d’apaiser et
anéantir toutes les passions charnelles, notamment la débauche ; la prière
permet d’apaiser et d’anéantir les passions de l’esprit, du cœur et de l’âme :
les mauvaises intentions et les mauvaises actions, la vengeance, l’envie, la
haine, la méchanceté, l’orgueil, l’amour de l’argent et les autres. Le jeûne
permet de nettoyer le réservoir physique et spirituel des souillures liées aux
passions séculières et à la luxure ; la prière permet d’installer la grâce du
Saint-Esprit dans un espace vide et purifié, alors que l’accomplissement de la
foi consiste à faire entrer l’Esprit de Dieu dans l’homme. L’Eglise orthodoxe
proclame depuis toujours que le jeûne est un remède éprouvé contre toutes les
passions charnelles et constitue aussi une arme contre les mauvais esprits.
Tous ceux qui ne tiennent pas compte ou renoncent au jeûne, annulent ou renient
en fait un commandement clair et catégorique du Seigneur Jésus dans le système
du salut des hommes. La prière se fortifie et se prolonge par le jeûne, la foi
se consolide par l’une et l’autre ; la foi déplace les montagnes, expulse les
démons et rend tout ce qui est impossible, possible.
Les derniers mots prononcés par le Christ dans l’évangile de
ce jour paraissent ne pas avoir de rapport avec l’événement qui a été décrit.
Après le grand miracle de la guérison du jeune épileptique et alors que le
peuple en était émerveillé, soudain le Seigneur se mit à parler aux disciples
de Sa Passion: Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes, et
ils Le tueront, et le troisième jour, Il ressuscitera (Mt 17, 22-23).
Pourquoi le Seigneur, après avoir accompli ce miracle ainsi que plusieurs
autres, parle-t-Il aux disciples de Sa Passion? Il le fait pour qu’à la suite
de ce qui doit se produire, leur cœur ne soit pas effrayé. Il en parle après
avoir accompli de grandes œuvres, afin que cette prédiction, en opposition
absolue à Ses grandes actions, à la gloire et à l’enthousiasme avec lesquels II
était accueilli et accompagné, s’imprime le mieux possible dans la mémoire des
disciples. Mais II le fait aussi pour enseigner aux apôtres comme à nous
qu’après avoir réalisé de grandes actions on ne doit pas s’attendre à des
récompenses de la part des hommes, mais être prêts aux pires attaques et
humiliations, même de ceux à qui on a rendu le plus de services. Cependant le Seigneur
n’annonce pas seulement Sa Passion et Sa mort, mais aussi Sa résurrection. À la
fin de tout, il y aura quand même la résurrection, la victoire et la gloire
éternelle. Le Seigneur annonce à Ses disciples quelque chose qui parait très
invraisemblable, afin de les amener à avoir foi en ce qui va venir, de leur
apprendre à croire en ce qui leur est dit. Il faut avoir la foi aussi grosse
qu’un grain de sénevé, voire même moins, pour que tout homme soit prêt à
accueillir toute souffrance en ce monde en sachant, de façon certaine, que
l’issue ultime pour tout sera la résurrection. Toute la gloire humaine et
toutes les louanges des hommes ne doivent pas être prises en considération.
Après tout triomphe dans ce monde, on doit être prêt pour la souffrance. Avec
modestie et obéissance, nous devons accueillir tout ce que le Père céleste nous
envoie. Nous ne devons jamais mettre en avant des services que nous avons
rendus aux autres, à notre ville ou notre village, à notre peuple ou notre
patrie; il ne faut pas nous révolter quand les souffrances nous assaillent. Car
si nous avons pu rendre quelque service à d’autres autour de nous, cela a pu
être réalisé avec l’aide de Dieu. En fait, toute bonne action accomplie par
notre intermédiaire l’a été par Dieu. C’est pourquoi Dieu est tout à fait dans
son droit de nous envoyer des souffrances à la suite de la gloire terrestre;
l’humiliation après les louanges, la misère après la richesse, le mépris après
la reconnaissance, la maladie après la santé, la solitude et l’abandon après de
nombreuses amitiés. Dieu sait pourquoi Il nous adresse cela. Il sait que tout
cela se fait pour notre bien. D’abord, pour que nous apprenions à rechercher
les valeurs éternelles et immuables, et non à nous étourdir jusqu’à la mort
avec l’éclat mensonger et éphémère de ce temps ; ensuite, pour que nous ne
recevions pas dans ce monde-ci toutes les récompenses relatives aux bonnes
œuvres et aux efforts que nous avons réalisés ici-bas et qu’ainsi nous n’ayons
rien à réclamer ni à recevoir dans l’autre monde. En un mot, qu’on ne nous dise
pas à la porte du Royaume céleste: partez d’ici, vous avez déjà reçu votre
salaire! Afin que cela ne nous arrive pas et que nous ne tombions pas dans la
déchéance inévitable de ce monde dans lequel nous aurions reçu gloire, louanges
et honneurs, notre seul ami, le Seigneur Jésus-Christ nous enseigne qu’après la
plus grande gloire, louanges et honneurs terrestres, nous devons être prêts à
recevoir la croix. Gloire et louange donc au Seigneur Jésus-Christ, avec Son
Père prééternel et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable,
maintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.