Commentaire du Symbole de la Liturgie
par Vladimir Lossky
et l'archimandrite Pierre L’Huillier
Andrei Roublev - École de Moscou, XVe siècle
L’Introduction et le commentaire de l’article 1 du Symbole de
Nicée-Constantinople furent rédigés par Vladimir Lossky peu avant sa mort en
1958. Les commentaires des autres articles furent écrits par l’archimandrite
Pierre L’Huillier (ordonné évêque en 1968). Le texte fut publié dans la
revue Contacts, nos. 38-39 en 1962.
Le Credo ou Symbole de la foi est une confession solennelle
des dogmes chrétiens, lue ou chantée pendant la Liturgie, avant le commencement
du mystère eucharistique. Le premier mot de ce texte sacré en latin
– Credo, « je crois » - se rapporte aux articles qui
suivent et donnent à cette expression de la foi commune du peuple chrétien la
valeur d’un engagement personnel de chaque membre de l’Église qui dit, avec
tous les autres : « je crois » et plus loin « je
confesse », « j’attends » (ou « j’espère »).
Mais est-il suffisant de confesser avec les lèvres, même quand
on le fait en toute piété de cœur, si la pensée n’adhère pas au sens de ces
parles qui ont été trouvées par les Pères de l’Église pour mettre la vérité
révélée à la portée de chaque intelligence illuminée par la foi en
Christ ?
Un grand théologien orthodoxe du siècle dernier, le
Métropolite Philarète de Moscou, distinguait entre la foi – Vérité révélée, et
la foi – adhésion consciente à la Révélation. Une fidélité aveugle à l’autorité
de la foi n’est pas suffisante pour « avoir la foi » :
« Tant que votre foi réside dans la Sainte Écriture et dans le Symbole,
elle appartient à Dieu, à ses Prophètes, à ses Apôtres, aux Pères de l’Église ;
elle n’est pas encore votre foi. Mais quand vous l’avez dans vos pensées, dans
votre mémoire, vous commencez à acquérir la foi… »
Il faut donc étudier les douze articles du Symbole de la foi,
afin que ces paroles que nous entendons à chaque Liturgie éveillent notre pensée
et nous rendent ainsi des membres conscients de 1’Église du Christ.
Avant de commencer l’examen des dogmes chrétiens que le Credo
exprime succinctement, disons quelques mots sur l’histoire de cette
« règle de la foi » qui a reçu une autorité universelle dans
l’Église.
Avant le début du IVe siècle, les « symboles » ou
formulations brèves de la foi chrétienne étaient liés surtout au baptême et à
la préparation catéchétique. Ils étaient donc assez nombreux et variaient selon
les pratiques locales des Églises. Ces formules de confession que les nouveaux
baptisés devaient prononcer le jour de leur baptême, s’appelaient au
IIe siècle la « règle » ou le « canon » de la foi.
Un nouveau type de Credo, répondant à la nécessité de définir
l’enseignement orthodoxe en l’opposant aux doctrines hérétiques, apparaît au
IVe siècle : ce sont les symboles conciliaires, qui ne sont pas
rattachés uniquement à la pratique baptismale, mais reçoivent une place plus
large dans la vie de l’Église.
Le premier Credo promulgué par un concile général fut celui de
Nicée (325). C’était un Credo local (« baptismal »), probablement de
l’Église de Jérusalem, remanié par une commission de théologiens qui a dû
l’amplifier pour rendre plus explicite la confession de la divinité du Christ,
contre l’arianisme. Ce Credo avait encore l’autorité universelle d’une
confession dogmatique aux Conciles de Constantinople (381), d’Éphèse (431) et
de Calcédoine (451).
Le Credo que nous utilisons aujourd’hui sous le nom de « Symbole
de Nicée-Constantinople » n’a qu’une ressemblance générale avec le premier
Credo de Nicée. Notre Credo était, originairement, l’une des expressions de la
« foi de Nicée », avec une confession de la divinité du Christ très
développée, née dans la famille des symboles baptismaux d’Antioche-Jérusalem
après 370. Ce Credo de type liturgique a été probablement retouché à
Constantinople par les Pères du IIe Concile œcuménique pour usage
baptismal, sans intention de la substituer au symbole de Nicée. On le lit avec
celui-ci au IVe Concile (Chalcédoine) comme une formule dogmatique
officiellement reconnue et il se trouve introduit en cette qualité dans la
pratique liturgique de la capitale de l’Empire. Vers la fin du Ve siècle,
ce Credo liturgique de Constantinople sera considéré comme la formule complète
et définitive du Credo de Nicée, qu’il remplacera. Il sera reçu partout comme
la « règle de foi » parfaite et il supplantera les autres symboles,
baptismaux ou conciliaires, de la foi chrétienne. Le VIe Concile
œcuménique (680) confirmera d’autorité du Credo dit « de
Nicée-Constantinople ».
La chrétienté de l’Occident a conservé, à côté de ce Credo
universel, un symbole local, dit « le Credo des Apôtres ». Les
origines premières de ce Credo baptismal latin doivent remonter, sans doute, à
une antiquité très vénérable, mais sa formulation définitive ne date que du
VIe siècle.
Je crois en un seul Dieu, Père Tout-Puissant,
Créateur du ciel et de la terre, et de toutes les choses visibles et invisibles.
Le Dieu de la révélation chrétienne, Dieu de la Sainte
Écriture et de la foi traditionnelle de l’Église, n’est pas un Être
impersonnel, un Absolu sans visage, indifférent aux destinées des personnes
humaines. Le monothéisme des chrétiens n’est pas celui des philosophes. Mais il
se distingue aussi du monothéisme restrictif des traditions religieuses telles
que le judaïsme et l’islam qui reconnaissent le Dieu vivant et personnel de
l’Ancien Testament, sans admettre toutefois que ce Dieu-Personne puisse se
distinguer de son Essence absolue et sortir, pour ainsi dire, de sa solitude
pour être plus qu’une Personne, réduite à son unicité. La plénitude de la
révélation appartient au Nouveau Testament : le Fils de Dieu s’est fait
homme et nous a rendus aptes à recevoir l’Esprit Saint qui procède du Père. Le
Dieu unique et personnel du christianisme est une Tri-Unité de Personnes. C’est
pourquoi le Christ ressuscité envoya ses disciples « de toutes les nations
faire des disciples, les baptisant au Nom du Père, du Fils et du Saint
Esprit » (Matthieu 28, 19). Le Credo de l’Église est une explication de
cette formule baptismale.
L’article initial, où l’on professe la foi « en un seul
Dieu », se rapporte à la Première Personne de la Trinité, au Père qui est
le Principe personnel de la Divinité indivisible, commune aux Trois Personnes.
Les Trois – Père, Fils et Saint Esprit – sont également Dieu, sans être
cependant « trois Dieux », mais « un seul Dieux », une
seule essence, substance ou nature en trois Hypostases ou Personnes. En vertu
de cette unité absolue d’être, rien ne distingue les Personnes de la Trinité,
sauf les modes de subsister propres à chacune : innascibilité paternelle,
génération filiale, procession spirituelle. Il faut ajouter que ces propriétés personnelles
posent une triple relation qui, tout en permettant de distinguer le Père, le
Fils et le Saint Esprit, doit nous apprendre à référer positivement chaque
Personne aux deux autres, sans jamais les isoler dans notre pensée. Ainsi, en
parlant du Père Tout-Puissant et « Créateur », n’oublions pas qu’il
créa tout par son Verbe (Jean 1, 3) et que la même puissance créatrice n’est
pas étrangère à l’Esprit-Vivificateur.
Il faut remarquer que l’expression
« tout-puissant », bien qu’elle soit juste, ne rend pas fidèlement la
valeur du terme grec Pantocrator, qui veut dire : « Maître de
toutes choses » : Dieu qui maintient tout dans l’existence. Seul le
Dieu de la Bible, qui révéla son Nom à Moïse en disant : « Je suis Celui
qui suis » (Exode 3, 14), est « Créateur » dans le sens absolu
de ce mot, Producteur de l’être à partir du non-être. Il n’est pas un Artisan
divin, un « Démiurge » organisateur d’une matière éternelle informe,
d’un chaos préexistant au monde. Si Dieu a créé toutes choses « de
rien », il ne faut pas s’imaginer qu’un « néant » préexistait à
la création comme une possibilité d’être. Le « néant » n’est pas un
principe que l’on pourrait opposer à l’Être absolu de Dieu : cette
expression reçoit un sens uniquement par rapport à l’être créé qui commença d’exister,
sans qu’il y ait eu aucune condition préalable à ce « commencement »
(Genèse 1, 1) en dehors de la volonté tout-puissante de Dieu. Il ne faut pas
croire cependant que cette absence de conditions externes nous oblige à supposer
que Dieu créa tout « de lui-même », par une sorte d’émanation,
d’extériorisation : le monde n’est pas la Divinité dégradée et amoindrie,
mais une être absolument nouveau, produit à l’existence par un Créateur qui n’a
été déterminé à créer par aucune nécessité interne. La création est un acte
absolument libre, un acte gratuit de la volonté de Dieu, ce qui ne veut pas
dire un acte « arbitraire » : l’ordre de l’univers nous fait
connaître la Bonté, la Sagesse, 1’Amour du Créateur qui donna au monde un sens
et une destination suprêmes en le soumettant aux êtres personnels et libres,
créés « à l’image et à la ressemblance » de Dieu (Genèse 1, 26-27).
« Le ciel et la terre », expression scripturaire
(Genèse 1, 1), qui doit désigner l’ensemble du cosmos, tout ce qui existe étant
créé par Dieu, reçoit dans l’exégèse patristique un sens disjonctif, celui des
réalités spirituelles et corporelles, du monde invisible des esprits
« célestes » et du monde visible où nous vivons, auquel nous sommes
étroitement liés par la condition biologique de notre corporéité
« terrestre ». On voit que cette distinction entre le
« ciel » et la « terre » n’implique aucunement la nécessité
d’admettre une cosmologie géocentrique. Il faut dire, en général, que le
« conflit entre la science et la religion » est un faux problème qui
ne saurait préoccuper aujourd’hui que certains croyants mal informés ou
certains scientifiques bornés, érigeant en dogmes du « matérialisme »
leurs négations arbitraires de tout ce qui dépasse le champ visuel des sciences
expérimentales. En effet, ce n’est pas en explorant les espaces cosmiques que
l’on découvrira l’immensité spirituelle de l’univers créé. Ce n’est pas, non
plus, la physique nucléaire qui nous fera connaîtra, en analysant la structure
de la matière, cette énergie toute-puissante du Créateur qui confère
l’existence à « toutes choses visibles et invisibles ».
Et en un seul Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles,
Lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré, non créé, consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait.
Il y a une évidente disparité dans le Symbole entre l’unique
article se rapportant à la première Personne de la Sainte Trinité et les six
articles concernant la deuxième Personne. Cela est facilement
compréhensible : la croyance en un Dieu tout-puissant, créateur de
l’univers, était commune au judaïsme et au christianisme. Il en va tout
autrement en ce qui concerne la personne et l’œuvre de Notre Seigneur Jésus
Christ.
Initialement, la relation de Dieu le Père avec le Fils pose la
question du monothéisme : le Nouveau Testament affirme expressément la
divinité du Christ (Jean, 1, 1) sans renoncer le moins le moins au monothéisme
strict : le Père et le Fils sont Un ; le Seigneur lui-même le
proclame (Jean 17, passim), mais la manière de comprendre cette unité, ou
plutôt l’approche humaine de cette vérité a été l’objet d’âpres controverses.
Deux fausses solutions ont été apportées : celle des modalistes, qui
niaient toute distinction entre le Père et le Fils, et celle des Ariens, qui
refusaient au Fils la plénitude de la divinité. Par ailleurs, le caractère
absolument réel de l’humanité du Christ fait surgir la question de la relation
de l’humain et du divin dans son être. Les controverses sur ce second point
n’ont pris de l’ampleur qu’à une période postérieure à la rédaction de notre
Credo et l’Église a dû préciser par d’autres définitions – notamment celles du
Concile d’Éphèse (431) et de Calcédoine (451) – ce qui était déjà affirmé dans
le Symbole de Nicée-Constantinople.
Il faut ici ouvrir une parenthèse pour souligner que les
articles du Credo se rapportant à la Personne et à l’œuvre du Christ, de même
que les définitions des Conciles œcuméniques ultérieurs, ne peuvent en aucune
manière être considérés comme de vaines spéculations qui auraient, soi-disant,
altéré la pureté du message évangélique, car ce que l’Église défend dans ces
dogmes c’est justement ce qu’il y a de plus fondamental dans la révélation
néo-testamentaire : l’annonce du salut offert à l’humanité en Jésus
Christ. Or, si le Christ n’est pas réellement et pleinement Dieu et Homme,
l’abîme entre le divin et l’humain demeure infranchissable. Nous reviendrons
sur ce point en abordant les articles du Symbole concernant l’incarnation et la
Rédemption.
L’Église confesse, dans le deuxième article du Symbole de la
Foi, d’abord l’unicité du Fils de Dieu ; par là même est écartée
l’interprétation hérétique de l’adoptianisme, selon laquelle Jésus n’aurait été
qu’un homme adopté par Dieu. Seul Jésus Christ est pas nature Fils de
Dieu ; l’adoption des chrétiens qui, par le baptême, deviennent en Christ
fils de Dieu, n’abolit en rien la distinction radicale entre l’incréé et la
créature. Nous devenons fils de Dieu par grâce, le Christ l’est par nature et
c’est seulement parce que le Christ l’est par nature que nous pouvons
le devenir par grâce.
En confessant que le Fils est « né du Père avant tous les
siècles », nous n’affirmons pas que la naissance est simplement antérieure
à la création, mais qu’elle est hors du temps, puisque la notion du temps est
liée à celle de la création. C’est pourquoi dans l’Évangile nous lisons cette
parole du Seigneur : Avant qu’Abraham fût, je suis (Jean 8, 58),
et non pas « j’étais », ce qui n’aurait marqué que l’antériorité dans
le temps. Il faut noter que cette affirmation de la naissance « avant tous
les siècles » était discrètement dirigée contre la formule blasphématoire
des Ariens à propos du Fils : « Il était un temps où il n’était
pas ».
Le Fils est « Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né de
vrai Dieu », car sauf les notions personnelles (c’est-à-dire les
propriétés par lesquelles nous discernons une Personne de l’autre dans la
Sainte Trinité), les trois Personnes divines sont absolument identiques ;
c’est ce que remarque saint Grégoire de Nysse : « Si nous confessons,
écrit-il, la nature de Dieu sans variation, nous ne nions pas la différence de
la Cause et du causé, et c’est en cela seul que l’un se distingue de
l’autre » (Quod non sint tres dii, PG 45, 133).
Pour exprimer cette parfaite similitude du Père et du Fils,
l’apôtre Paul nous dit que le Christ est image de Dieu (2 Corinthiens
4, 4) ; dans l’Épître aux Hébreux, la relation du Fils vis-à-vis du Père
est exprimée en ces termes : Resplendissant de sa gloire, empreinte
de sa substance (1, 3).
Un Père du IIIe siècle, saint Grégoire le Thaumaturge,
évêque de Néo-Césarée, a résumé admirablement cette théologie de l’Image dans
sa profession de foi où nous lisons : « Un seul Dieu, Père du Verbe
vivant, de la Sagesse subsistante, de la Puissance, de l’Empreinte
éternelle ; Parfait engendrant le Parfait, Père du Fils unique-engendré.
Un seul Seigneur, Unique de l’Unique, Dieu de Dieu, Empreinte et Image de la
divinité, Verbe actif, Sagesse qui maintient l’ensemble de toutes choses, Cause
efficiente de toute création, Fils véritable du Père véritable, Invisible de
l’Invisible, Incorruptible de l’Incorruptible, Immortel de l’Immortel et
Éternel de l’Éternel » (Apud saint Grégoire de Nysse¸PG 46, 912).
Précisant ce qui est affirmé au début de l’article, l’Église
confesse toujours, contre Arius et ses partisans, que le Fils est
« engendré, non créé », car la génération éternelle du Fils par le
Père, comme d’ailleurs la procession du saint Esprit, est un acte de la vie
intra-trinitaire divine qui n’a rien de commun avec la création. On ne peut
donc même pas établir une analogie entre la génération du Fils par le Père et
la création, qui est une œuvre ad extra de la Sainte Trinité, car
selon les admirables paroles de saint Grégoire de Néo-Césarée :
« Rien donc de créé ou de servile dans la Trinité ; rien
d’adventice ; rien qui, n’existant pas d’abord, advienne ensuite »
(ibid.).
Pour couper court à toute équivoque, les Pères du Concile
œcuménique de Nicée ont proclamé que le Fils était « consubstantiel »
(en grec homoousios) au Père : c’est la conséquence logique des
affirmations précédentes : la co-éternité et l’équi-divinité des Personnes
divines, leur parfaite unité d’essence. Ce terme avait l’avantage d’éviter
toute ambiguïté, car les hérétiques ariens employaient volontiers soit des
expressions scripturaires, en les interprétant, grâce à des exégèses
spécieuses, en faveur des leurs théories, soit des formules vagues susceptibles
d’acceptions diverses. C’est pourquoi tous les docteurs orthodoxes, après les
clarifications nécessaires, finirent par se rallier à ce terme. La
consubstantialité des Personnes divines est un dogme fondamental du
christianisme authentique.
Le deuxième article de Symbole se termine par l’affirmation
que tout a été par le Fils : c’est l’écho de la doctrine clairement
exprimée dans le Nouveau Testament (Jean 1, 3 ; Colossiens 1, 16). La
création toute entière est l’œuvre commune des trois Personnes divines.
Néanmoins, elles sont la cause de l’être d’une manière propre à chacune
d’elles « : si le Père est la cause primordiale et l’Esprit saint la
cause perfectionnante, le Verbe peut être appelé la cause opératrice.
Le Credo s’étend peu sur ce point ; il affirme seulement
la croyance traditionnelle en ces simples mots : « par qui tout a été
fait ». Cette brièveté s’explique aisément : d’abord, ce dogme
explicité dans l’Évangile n’a pas fait l’objet de controverses parmi les
chrétiens ; par ailleurs, le Credo est la confession de la foi et l’on ne
saurait y insérer des théories purement spéculatives qui, aussi légitimes
qu’elles soient, ne peuvent prétendre relever du domaine de la règle de la foi.
Qui, pour nous, hommes, et pour notre salut,
est descendu des cieux,
s’est incarné du Saint Esprit et de la Vierge Marie,
et s’est fait homme.
Alors que le deuxième article du Credo traitait du Fils dans
sa relation ontologique et éternelle avec le Père, l’article suivant se
rapporte à l’incarnation du Fils.
La révélation néo-testamentaire, en proclamant hautement que
le Messie attendu par Israël est le Verbe de Dieu incarné, représente à la fois
l’accomplissement et le dépassement de l’Ancien Testament : les prophètes
avaient clairement annoncé l’avènement d’une ère nouvelle inaugurée par un
Messie, c’est-à-dire un envoyé du Très-Haut ; les traits de ce Messie sont
mêmes précisés ; c’est ainsi que le livre d’Isaïe dépeint la figure du
Serviteur humilié et outragé (Is 53). Par ailleurs, la pensée juive, tout en
restant fidèle au monothéisme strict. avait entrevu une certaine
personnalisation de la Sagesse divine (par exemple, Pr 8-9, Ecc 1 et 24) mais
jamais le rapprochement de personnalité n’avait été clairement fait entre le
Messie libérateur et la Sagesse divine hypostasiée. En outre, les derniers
siècles qui précédèrent notre ère avaient vu l’éclosion chez les Juifs d’un
nationalisme exalté et teinté de xénophobie qui estompait quelque peu la vision
messianique universaliste des anciens prophètes. Le Messie attendu l’était,
chez beaucoup, sous les traits d’un restaurateur de l’État juif ; même les
Apôtres, avant la Pentecôte, n’arrivaient pas à se libérer de cette conception
(Ac 1, 6).
Le troisième article du Symbole est l’écho de l’affirmation
évangélique : Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi
nous (Jn 1,14). L’Église a toujours défendu avec une extrême vigueur la
doctrine de l’Incarnation contre ceux qui niaient ou déformaient cette vérité
qui fonde la certitude du salut. Dans le commentaire de l’article précédent,
nous avons souligné l’attachement de l’Église à la proclamation de Jésus Christ
comme vrai Dieu et vrai Homme. Le christianisme orthodoxe a lutté avec
acharnement contre les docètes qui, par dualisme gnostique, niaient la réalité
de l’Incarnation ; c’est contre ces hérétiques que saint Jean polémise
dans sa première épître, lorsqu’il écrit : À ceci reconnaissez
l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la
chair est de Dieu : tout esprit qui ne confesse pas .Jésus Christ
n’est pas de Dieu ; c’est là l’esprit de l’Antichrist (1 Jn 4,2-3).
Dans sa deuxième épître, il écrit encore : C’est que beaucoup de
séducteurs se sont répandus dans le monde qui ne confessent pas Jésus
Christ venu dans la chair. Voilà bien le Séducteur, I’Antichrist (2
Jn 7-8). Par là même, la Sainte Écriture nous met en garde, non seulement
contre cette hérésie des docètes, mais également et plus généralement contre
tout pseudo-spiritualisme qui ne place pas au centre de son enseignement Jésus
Christ, Verbe de Dieu incarné.
L’Incarnation est l’ «événement » par excellence
dans l’histoire du Salut : elle n’est pas un fait que l’on puisse
co-numérer avec d’autres. C’est l’événement qui a modifié radicalement
l’histoire car, par l’Incarnation du Verbe, les rapports entre Dieu et l’homme
ont été totalement transformés. Le christianisme a une conception linéaire et
non pas cyclique du temps : c’est-à-dire que le temps a un commencement
marqué par la création et une fin qui sera marquée par le Jugement dernier. Et
cette ligne est justement coupée en un point par l’Incarnation. Les Apôtres et
les chrétiens des premiers siècles n’ont point méconnu ce caractère décisif de
l’Incarnation dans laquelle ils ont justement vu l’inauguration de l’ère
eschatologique annoncée par les prophètes (voir par exemple Ac 11,14-36 ;
à noter la référence à Joël 3,1-5). Quant à saint Irénée de Lyon, le grand
docteur et témoin de la Tradition à la fin du IIe siècle, il appelle l’ère
inaugurée par l’Incarnation les novissima tempora, les temps derniers
(Adv. Haer. 3,24,1), indépendamment de toute considération de durée.
On remarquera combien la terminologie du Credo est simple et
les explications dogmatiques concises : là encore, il faut avoir présent à
l’esprit ce qui a été dit dans le commentaire de l’article précédent sur
l’absence voulue de toute théologie spéculative.
La cause de l’Incarnation est donc résumée en ces
termes : « pour nous, hommes, et pour notre salut ». Les
spéculations vaines et oiseuses pour savoir si l’Incarnation aurait eu lieu
même sans le péché originel et donc sans nécessité d’une rédemption proprement
dite n’ont pas de place dans un énoncé de la Règle de Foi. Par ailleurs, on
notera que l’universalité du salut offert à l’humanité est implicitement
affirmée dans la formulation de l’article, conformément aux paroles très
claires de la Sainte Écriture : Voilà ce qui plait à Dieu notre
Sauveur, lui qui veut que lors les hommes soient sauvés et parviennent à
la connaissance de la vérité (1 Tm 11,3-4 ). Il est à peine besoin
d’ajouter que l’expression du Credo « ...pour nous, hommes,... » ne
porte pas seulement sur cet article mais aussi sur les suivants qui traitent de
l’économie du Verbe incarné.
Les mots « est descendu des cieux » ne se rapportent
évidemment pas à une conception grossièrement matérielle ; ils marquent
l’infinie condescendance divine dans l’Incarnation et soulignent la réalité de
l’événement dont la mystérieuse grandeur est exprimée avec tant de justesse et
de beauté dans la lettre dogmatique de saint Sophrone (VIIe siècle) qui
écrit : « ...Il s’est incarné, lui, l’incorporel ; il prend
notre forme, lui qui, selon l’essence divine, était exempt de forme, quant à
l’extérieur et à l’apparence ; il prend un corps comme le nôtre, lui,
l’immatériel, il devient véritablement homme, sans cesser d’être reconnu comme
Dieu. On le voit porté dans le sein de sa mère, lui qui est dans le sein du
Père éternel ; lui, l’intemporel, reçoit un commencement dans le
temps ; tout cela, non par caprice, mais s’anéantissant vraiment et réellement
tout entier, par la volonté de son Père et la sienne, assumant toute notre pâte
humaine, en prenant une chair consubstantielle à nous, une âme raisonnable,
semblable à nos âmes, un esprit identique ait nôtre ; puisque c’est en
cela que consiste l’homme » {Lettre dogmatique PG 87, col. 3160-61).
Il faut noter que le terme « s’anéantissant », qui est tiré de saint
Paul (Ph 11,7) ne doit pas être misinterprété, car ce dont le Christ s’est
dépouillé dans l’Incarnation, ce n’est pas de la nature divine mais de la gloire
qu’il possède de toute éternité et qui aurait dû rejaillir sur son humanité,
gloire qu’il manifeste d’ailleurs dans la Transfiguration. L’Incarnation du
Verbe n’implique nulle modification de la nature divine Une : celte vérité
de la loi trouve des échos dans la Lex orandi de l’Église ;
c’est ainsi que dans une prière de la Liturgie de saint Jean Chrysostome nous
lisons : « Mais dans ton ineffable et incommensurable amour pour
l’homme, tu t’es fait homme sans changement, ni altération et tu es
devenu notre grand Prêtre... ».
L’Église confesse que Notre Seigneur « s’est incarné du
Saint Esprit et de Marie la Vierge », conformément à ce qui est exprimé
explicitement dans l’Évangile (Mt 1,18-2) ; Lc 1,26-38). La mention de la
Très-sainte Vierge Marie souligne la réalité de l’humanité de Notre Sauveur,
qui est le Messie de la race de David, annoncé par l’Ancien Testament.
L’Incarnation s’est faite non seulement par la volonté pré-éternelle de la
Sainte Trinité (1 P 1,17-21), mais aussi avec le consentement de la Très-sainte
Vierge (Lc 1,38). Dans cette obéissance confiante en la parole de Dieu, la
Tradition ecclésiale voit la réplique à la désobéissance d’Ève. Saint .Justin
écrit dans la première moitié du IIe siècle : « Nous comprenons
que le Christ s’est fait homme par le moyen de la Vierge, afin que la
désobéissance provoquée par le serpent prit fin par la voie même où elle avait
commencé. En effet, Ève, vierge et intacte, avant conçu la parole du serpent,
enfanta la désobéissance et la mort, la Vierge Marie, ayant conçu foi et joie,
quand l’ange Gabriel lui annonça que l’Esprit du Seigneur viendrait sur elle et
la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre, en sorte que l’Être saint né
d’elle serait Fils de Dieu, répondit : "Qu’il me soit fait selon
ta parole". Il est donc né d’elle, celui dont parlent tant d’Écritures...
Par lui, Dieu ruine l’empire du serpent et de ceux, anges ou hommes, qui lui
sont devenus semblables. et affranchit de la mort ceux qui se repentent de
leurs fautes et croient en lui » (PG 6, col. 712). Avec beaucoup de
sobriété et d’exactitude dogmatique, ce Père de l’Église, si proche de la
génération apostolique, nous donne toutes les raisons sur lesquelles se fonde
la vénération des chrétiens envers la Très-sainte Vierge Marie.
L’article se termine par l’expression « s’est fait
homme ». Pour rendre la concision de l’original grec, il
faudrait forger un mot unique « s’est en-humanisé ». Par
l’Incarnation, le Christ devient, selon la nature humaine. en tout semblable à
nous sauf le péché (cf. Hé 11,17 ; Rm 7, 3 ; Ph 11, 7).
Il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
a souffert et a été enseveli.
L’œuvre salvatrice de Notre Seigneur Jésus Christ est un tout
indissociable ; l’Incarnation, la Mort sur la Croix, la Résurrection ne
sont que des moments successifs de cette même oeuvre.
L’article du Credo sur la Passion mentionne due cet événement
a eu lieu « sous Ponce Pilate », Par la est souligné le caractère
historique de la Passion. Alors que les exploits supposés des dieux et des
héros païens se situaient dans un passé reculé et fabuleux, l’ouvre salvatrice
du Christ appartient à un moment historique précis et se place clans un milieu
nettement déterminé.
On notera la répétition de l’expression « pour
nous », déjà rencontrée dans l’article sur l’incarnation : la mort
rédemptrice de Jésus Christ est source de pardon et de réconciliation non
seulement pour l’humanité en général, mais pour chaque croyant en particulier :
entre le Christ et chaque chrétien il y a une relation personnelle et c’est à
chacun d’entre nous qu’est adressé cet appel : Si quelqu’un veut
venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et qu’il me suive (Mt 16,24).
La mort sur la Croix ne peut être séparée de la Résurrection,
mais il faudrait bien se garder d’une interprétation erronée qui masquerait
l’aspect glorieux, propre à la Passion elle-même. Si la Résurrection du
Seigneur a manifesté sa victoire, la mort sur la Croix a inexorablement déjà
signifié la défaite des forces du mal. Les paroles de Jésus
crucifié : Eli, Eli, lema sabachtani (Mt 27,46) sont tirées d’un
psaume messianique qui exprime non seulement la souffrance dit juste, mais
aussi sa confiance en Dieu (Ps 22) et doivent être mises en parallèle avec le
chant du Serviteur de Yahvé (Isaïe 52,13-53,12), et le dernier mot de Jésus
expirant est : Tout est accompli (Jn 19,30). Ce caractère
glorieux de la Passion est universellement souligné dans la Tradition :
‘en Orient, la Croix reçoit régulièrement l’épithète de
« vivifiante », tandis que dans les Liturgies occidentales, la
Passion est généralement qualifiée
de « glorieuse » ou de « bienheureuse ».
Cela est fidèlement reflété dans l’iconographie orthodoxe qui est étrangère à
toute contemplation morbide de la crucifixion ; même en ce moment de
« kénose » extrême, l’Église n’oublie pas que celui qui est suspendu
sur le bois est « celui qui a suspendu le monde » (Office byzantin
des Saintes Souffrances, 15e antienne). Pourtant, il ne faudrait pas en
déduire que l’Église arrête sa pensée sur l’immense et réelle souffrance de
Jésus crucifié. Elle l’exprime, au contraire, avec un réalisme vibrant de
douleur et d’autour : « Chacune des parties de ta Chair sainte a
souffert quelque déshonneur à cause de nous : ta tète, les épines ;
ta face, les crachats ; ta bouche, le goût du vinaigre et du fiel ;
tes oreilles, les blasphèmes injurieux ; tes épaules, la pourpre de
dérision ; ton dos, la flagellation ; ta main, le roseau ; les
tiraillements de tout ton Corps sur la croix ; tes membres, les clous, et
ton côté, la lance. Toi qui as souffert pour nous et qui, en souffrant, nous a
libérés, toi qui par amour envers les hommes t’es abaissé avec nous et qui nous
as relevés, Sauveur, aie pitié de nous » (ibid.).
C’est un dogme fondamental pour le christianisme que la mort
sur la Croix a apporté à l’humanité déchue la rédemption et la réconciliation
avec Dieu. Une interprétation erronée, ou tout au moins gravement déficiente,
de ce dogme consisterait à placer la Rédemption dans une catégorie
juridico-éthique, tendance qui a marqué de son empreinte la théologie
occidentale depuis le Moyen-Âge, au détriment du vigoureux réalisme de la
pensée chrétienne antique. Dans la perspective juridico-éthique, l’accent est
mis sur l’offense faite à Dieu par le péché originel, offense qui nécessite une
réparation pour apaiser le courroux divin, et c’est la mort du Fils de Dieu
incarné qui constitue le sacrifice de réparation.
La perspective orthodoxe, fondée sur la Sainte Écriture ainsi
que sur la tradition liturgique et patristique antique apparaît d’une autre
dimension : le péché originel fut le fruit amer de la liberté concédée à
l’homme par son Créateur : Dieu a voulu être adoré et aimé par des
créatures libres, car seule cette liberté donne un sens à l’amour ; sans
possibilité d’autodétermination. - et donc de refus -, l’amour de l’homme pour
Dieu n’aurait été que la réflexion de l’amour de Dieu pour lui-même, comme
l’est l’éclat d’une lumière projetée sur un miroir. En optant pour le mal, l’homme
a trahi sa vocation et s’est trouvé asservi au pouvoir de l’Ennemi, Dieu
pourtant n’a pas laissé l’humanité aller à la dérive. Certains Pères de
l’Église, tels saint Irénée et saint Théophile d’Antioche, expliquent la
condescendance divine par le caractère non-adulte de l’humanité primitive. Bien
qu’ayant péché librement, l’homme n’avait pas une responsabilité absolue.
L’œuvre de réconciliation s’est faite en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme.
En se livrant volontairement à la mort, il en a brisé irrémédiablement la
puissance, puisque la mort n’a pu vaincre l’Homme-Dieu. Comme dit l’hymne
latin Victimae paschali : « La mort et la vie ont engagé un
stupéfiant combat ; l’Auteur de la vie, après être mort, vit et
règne ».
Homme sans péché, prémices d’une humanité nouvelle libérée de
l’esclavage diabolique, le Christ se présente au Père comme la victime pure,
l’agneau sans tache. L’aspect sacrificiel de la mort de Jésus Christ est
étroitement lié à l’Ancienne Alliance qui est accomplie et dépassée. Les
oblations de l’ancienne Loi étaient appelées à attirer la faveur divine, afin
que Dieu agrée l’expiation des fautes ; elles étaient l’annonce et la
figure du sacrifice parfait du Christ, grand prêtre et victime, qui est, comme
dit la Liturgie de saint Jean Chrysostome, « celui qui offre et qui est
offert ». Le sacrifice du Christ n’est pas seulement le dernier des
sacrifices, il est l’unique vrai sacrifice, ce qu’exprime si bien l’Épître aux
Hébreux : Tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait,
saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que
les cieux, qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands
prêtres, d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour
ceux du peuple, car ceci, il l’a fait une fois pour coules en s’offrant
lui-même. La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la
faiblesse ; mais la parole du seraient - postérieur a la Loi - établit le
Fils rendu parfait pour l’éternité (Hé 7,26-28).
Après sa mort, le Seigneur a été enseveli et son corps est
resté jusqu’au troisième jour dans le tombeau. Ce moment est décrit avec une
grande précision théologique dans un tropaire du rite byzantin :
« Dans le tombeau corporellement, dans les enfers en âme comme Dieu, au
paradis avec le larron, tu étais sur le trône avec le Père et l’Esprit, ô
Christ, qui emplis tout et qu’aucun lieu ne peut contenir ».
Durant son ministère terrestre, Notre Seigneur avait fait
allusion à son ensevelissement. Aux Juifs qui demandaient un signe, Jésus
répond : Génération mauvaise et adultère. Elle réclame un vigne, et
de signe, il ne lui sera donné que celui du prophète Jonas (Mt 12,39), et
encore : Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai (Jn
2,19).
Pénétrant dans l’Enfer en libérateur, brisant par sa propre
mort le pouvoir de la mort que le péché avait introduit, le Christ est le
nouvel Adam, prémices d’une race nouvelle qui peut, par son adhésion au Christ
vainqueur, retrouver sa vraie vocation, celle de l’union avec Dieu.
Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures.
La croyance en la Résurrection de Jésus Christ est au cœur du
christianisme authentique ; c’est pourquoi saint Paul écrit aux
Corinthiens : Si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre
prédication est vide, vide aussi notre foi (1 Co 15, 14). Les apôtres sont
par excellence les témoins du Christ ressuscité (voir surtout Ac 1, 21-22).
C’est que la Résurrection a été l’éclatante manifestation de la messianité de
Jésus et de sa divinité. L’attitude prise devant l’événement est la ligne de
clivage entre la foi et l’incrédulité et cela demeure évidemment valable pour
toutes les générations jusqu’à la fin des temps.
Si les Juifs, dans leur majorité, refusaient de reconnaître en
Jésus ressuscité le Messie - soit qu’ils aient nié la réalité de la
Résurrection, soit qu’ils n’en aient tiré aucune conséquence - du moins l’idée
même d’une résurrection ne leur était pas étrangère, à l’exception pourtant dés
sadducéens. Il n’en était pas de même des païens ; la prédication
chrétienne de la résurrection générale et de celle déjà accomplie du Christ se
heurtait à une grande difficulté de compréhension. On oublie parfois trop
facilement de nos jours qu’il y a bien peu de points communs entre la
conception philosophique d’une survie de l’âme et l’idée biblique de
résurrection ; c’est pourquoi la prédication de saint Paul à l’Aréopage
d’Athènes se heurta à un scepticisme sarcastique (Ac 17, 16-34). C’est ainsi
que, pour des raisons différentes, la plupart des Juifs et des païens restèrent
insensibles au signe de Dieu.
Pour les croyants auxquels il est donné par la foi de
reconnaître la grandeur de l’événement, la Résurrection du Seigneur signifie le
triomphe éclatant de la vie sur la mort, la levée de la malédiction qui pesait
sur la descendance d’Adam. C’est pourquoi Pâques est la fête de la joie
débordante ; la Liturgie orthodoxe l’exprime en ce jour avec une
particulière emphase : « Une Pâque sacrée nous est apparue
aujourd’hui ; Pâque nouvelle et sainte, Pâque mystique, Pâque très pure,
Pâque du Christ notre libérateur ; Pâque immaculée, Pâque grandiose, Pâque
des croyants ; Pâque qui nous ouvre les portes du paradis ; Pâque qui
sanctifie tous les fidèles » (stichère des laudes pascales). Pour l’ancien
Israël, Pâques était la commémoration de la libération du joug égyptien ;
pour l’Église, nouvel Israël, la Pâque chrétienne est le rappel de la
libération du joug de la mort ; elle est aussi l’annonce de la
résurrection générale, dont celle du Christ est le principe efficace.
Ce n’est pas seulement dans l’office pascal que l’Église nous
rappelle le grand mystère de la Résurrection, c’est dans chaque office
dominical. Le thème pascal imprègne aussi tout le rite baptismal, puisque le
néophyte est passé spirituellement de l’esclavage satanique à la vie en
Christ : Nous tous qui avons été baptisés en Jésus Christ, déclare
saint Paul, c’est en sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc
été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est
ressuscité des morts pour la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions
dans la vie nouvelle (Rm 6, 3-4).
L’acte même de la Résurrection du Sauveur a échappé à toute
investigation humaine ; il n’y a d’ailleurs dans les Évangiles aucune
description de l’événement, c’est pourquoi l’iconographie orthodoxe
traditionnelle ne représente pas la Résurrection elle-même, mais l’apparition
qui a suivi (voir Léonide Ouspensky : « Peut-on représenter la
Résurrection du Christ ? » Messager de l’Exarchat, N° 21, 1955,
pp. 7-8).
Le Christ ressuscité a été vu par de nombreux témoins. Saint
Paul mentionne même que notre Seigneur est apparu « à plus de cinq cents
frères à la fois » (1 Co 4, 6). En ajoutant que « la plupart vivent
encore » (ibid.), l’apôtre laisse entendre aux Corinthiens qui auraient eu
des doutes, qu’il leur est possible de les interroger. Toutefois, il n’y a pas
eu de « Christophanie » [manifestation du Christ] qui aurait revêtu
un aspect grandiose propre à imposer à tous les hommes, ou même à tous les jérusalémites,
la foi en la Résurrection du Seigneur. Cette apparition sera celle de la
seconde parousie, lorsque Jésus Christ reviendra en gloire juger les vivants et
les morts. Jusque-là, il y a pour chaque personne la liberté du choix, et pour
ceux qui acceptent d’être réceptifs à la grâce divine retentissent les
consolantes paroles du Christ ressuscité : Bienheureux ceux qui
croiront sans avoir vu (Jn 20, 29). C’est pourquoi les générations
chrétiennes, même celles qui sont éloignées de près de vingt siècles de l’âge
des témoins apostoliques, proclament avec ferveur : « Ayant contemplé
la Résurrection du Christ, nous adorons le Seigneur Jésus, le seul sans péché.
Nous adorons, ô Christ, ta croix et nous chantons et glorifions la sainte
Résurrection ». Ainsi donc, en esprit les chrétiens accourent vers le
sépulcre comme les saintes femmes myrhophores afin d’entendre les paroles de
l’ange qui annoncent la bonne nouvelle.
Pour le chrétien, la reconnaissance du fait de la Résurrection
ne saurait être un acte purement intellectuel ; chaque baptisé doit
pouvoir dire avec l’apôtre Paul : « Je suis crucifié avec le
Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en
moi » (Ga 2, 19-20). La condition du chrétien est paradoxale : il vit
dans le monde, mais par son adhésion au Christ, il rompt avec ce monde pour
autant que celui-ci se refuse à reconnaître la souveraineté du Christ.
Le Credo affirme que notre Seigneur « est ressuscité le
troisième jour selon les Écritures ». Cette dernière expression
comporte une bien plus grande richesse que cela peut sembler au premier abord.
Cette référence à l’Ancien Testament - car le terme d’Écritures se rapporte ici
à l’Ancien Testament - est double : sur un plan immédiat, il y a le
témoignage prophétique direct du livre de Jonas ; notre Seigneur présente
le « signe de Jonas » comme la préfiguration de son ensevelissement
et de sa résurrection (Mt 12, 38-40 et 16, 1-4 ; Lc 11, 29-32). Mais il y
a aussi un autre plan qui englobe l’Ancien Testament dans son ensemble, en tant
que tourné vers la personne et l’œuvre du Messie. C’est ainsi que le Christ
ressuscité explique les Écritures aux pèlerins d’Emmaüs : Esprits
sans intelligence, lents à croire tout ce qu’on annoncé les prophètes ! Ne
fallait-il pas due le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa
gloire ? Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur
interpréta dans les Écritures ce qui le concernait (Lc 24, 25-27). Aux
apôtres notre Seigneur déclare : Telles sont bien les paroles que je
vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse
tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les
Psaumes. Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures et il
leur dit : Ainsi était-il écrit que le Christ souffrirait et
ressusciterait d’entre les morts le troisième jour... (Lc 24, 44-46). Il
faut remarquer que selon la façon juive de s’exprimer, la Loi, les Prophètes et
les Psaumes signalaient l’ensemble des Écritures, conformément aux trois
grandes divisions de la bible hébraïque.
L’utilisation des témoignages vétérotestamentaires en faveur
de la Résurrection de Jésus Christ dans la catéchèse chrétienne primitive
jouait un rôle très important. Nous pouvons d’ailleurs aisément nous en rendre
compte eu lisant le discours de saint Pierre à la foule le jour de la Pentecôte
(Ac 2, 14-36, en particulier 25-35).
Il est monté au ciel, et siège à la droite du Père.
Proclamant la foi en l’œuvre salutaire de notre Seigneur, le
Credo, après avoir affirmé la Résurrection au troisième jour, mentionne
l’Ascension et la Session « à la droite du Père ». Ainsi s’achève la
série des articles du Credo relative au ministère terrestre du Christ. Pourtant
si le temps de l’Incarnation, ou plus exactement de la présence corporelle du
Christ sur la terre, est clos avec l’Ascension, il n’y a pas de rupture avec la
période suivante, le temps de l’Église qui s’achèvera avec la seconde et
glorieuse venue de notre Seigneur. Ce lien entre les deux périodes est
doublement souligné dans les saintes Écritures : d’abord d’une manière
externe, par la composition littéraire : saint Luc termine son Évangile
par la mention de l’Ascension et commence le livre des Actes en reprenant de
façon plus étoffée le récit de l’événement ; ensuite d’une manière
interne : le Nouveau Testament nous rapporte les paroles du Seigneur
soulignant que sa montée au ciel ne constitue nullement un abandon. Dans
l’Évangile selon saint Matthieu les dernières paroles du Christ qui sont
mentionnées fondent la sereine assurance de l’Église en la sollicitude
permanente du Sauveur (Mt 28, 20). Elles trouvent leur écho dans le kondakion
de la fête : « Ayant accompli en notre faveur ton œuvre de salut,
après avoir uni les cieux et la terre et les hommes avec Dieu, dans la gloire,
ô Christ notre Dieu, tu montas vers le ciel sans pour autant nous délaisser,
mais restant toujours parmi nous et disant à ceux qui conservent ton
amour : Je suis toujours avec vous et personne à jamais ne peut rien
contre vous ».
L’Ascension marque le couronnement du sacrifice du
Christ ; l’Agneau immolé se présente devant le Père, manifestant en sa
personne divino-humaine l’union rétablie entre Dieu et l’homme. On lit à ce
propos dans l’épître aux Hébreux : Ayant offert pour les péchés tin
unique sacrifice, il s’est assis pour toujours à la droite de Dieu (Hé
10,12). La mort rédemptrice sur la Croix, la Résurrection et l’Ascension sont
si étroitement liées que Notre Seigneur en parle comme d’un tout inséparable
lorsqu’il déclare : Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les
hommes à moi (Jn 12,32).
La descente des cieux mentionnée dans le troisième article du
Credo ne peut être rapprochée de l’Ascension que sur un plan limité, celui de
la kénose du Fils de Dieu qui commence avec l’Incarnation et s’achève à
l’Ascension. Encore ne faut-il pas oublier que la kénose n’a rien modifié dans
les relations intra-trinitaires, car le Dieu tri-hypostatique demeure immuable
et inaltérable et donc le Fils est ontologiquement uni au Père et à l’Esprit
Saint en dehors de toute contingence temporelle. D’autre part, il faut
souligner le caractère propre de l’Ascension qui réside dans l’exaltation du
Dieu-Homme : le Christ, nouvel Adam, est le chef d’une humanité rénovée
qui, justement en sa personne, se trouve désormais assise en gloire à la droite
du Père. Par là nous voyons que la Rédemption n’a pas été simplement la levée
de la malédiction due au péché, car la glorification de l’humanité acquise en
Jésus Christ est définitive. C’est pourquoi l’apôtre Paul peut s’écrier :
puisse Dieu illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle
espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage
parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour
nous les croyants, selon la vigueur de sa force qu’il a déployée en la personne
du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa droite
dans les cieux, bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu,
Seigneurie et de tout autre nom qui se pourra nommer non seulement dans ce
siècle-ci, mais encore dans le siècle à venir (Ép. 1,17-21).
L’Ascension n’est donc nullement une désincarnation du Verbe
divin, car dans l’histoire du salut telle qu’elle se déploie selon le dessein
prééternel de Dieu, il n’y a pas de mouvement régressif. La doctrine
néo-testamentaire de l’Église, Corps du Christ, n’est compréhensible qu’à
partir de la croyance en l’Ascension et en la Session à la droite du
Père : le Christ répand sur l’Église la vie divine d’une manière, si l’on
peut dire, organique en vertu du principe de solidarité entre la tête et les
membres : Il [Dieu le Père] a tout mis sous ses pieds et
l’a constitué au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son
Corps (Éph 1,22 ; cf. Col 1,18). Il ne faut pas éluder, dans une
saine théologie, la force de cette affirmation, sinon il faudrait aussi vider
de leur sens réel d’autres affirmations scripturaires, telle celle qui proclame
la possibilité pour les membres de l’Église de devenir participants de la
nature divine (2 P 1,4) ; c’est seulement aussi en se référant à la
doctrine du Corps ecclésial que nous pouvons comprendre cette parole
apparemment mystérieuse du Sauveur rapportée par le quatrième
Évangile : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoule ma parole
et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et n’est pas soumis au
jugement, mais il est passé de la mort à la vie (Jn 5,241).
C’est parce que l’Ascension n’est pas une rupture que la
Pentecôte en est la suite nécessaire, comme le Seigneur l’affirme
clairement : Je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que
je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ;
mais si je pars, je vous l’enverrai (Jn 16,7). Bien que nous appelions
Pentecôte un événement précis, l’effusion de l’Esprit Saint cinquante jours
après Pâques, tout le temps de l’Église qui débute, alors peut être considéré
comme une Pentecôte perpétuelle, car la vie de l’Église ne se comprend que dans
la perspective d’une action de l’Esprit Saint. À chaque Liturgie eucharistique,
en particulier, le célébrant demande à Dieu d’envoyer son Esprit Saint sur le
peuple assemblé et sur les oblats.
Le Christ, en s’offrant en sacrifice, a réconcilié l’humanité
avec Dieu ; par l’Ascension cette humanité, en la personne de son chef,
est unie à la divinité et siège en gloire à la droite du Père ; mais il
appartient à chaque homme de s’approprier ce salut offert en Jésus Christ, car
la liberté humaine saurait être violée ; Dieu offre le salut mais il ne
l’impose pas. Après l’Incarnation, comme avant, l’homme naît clans le péché,
esclave des forces mauvaises, mais depuis l’accomplissement de l’œuvre
rédemptrice du Christ, il lui est donné d’être intégré dans la nouvelle
création en devenant membre du Corps du Christ. Pour cela il faut que l’homme
soit réceptif à la grâce prévenante, car de ses propres forces il ne peut rien
commencer ; c’est ce que l’Église enseigne fermement face à toute
conception pélagienne du salut ; mais cette nécessaire intervention
initiale de Dieu n’implique aucune attitude passive de la part de l’homme et
chacun doit avoir présent à l’esprit les paroles que le maître adresse à ses
disciples de tous les temps : Que celui qui veut venir derrière moi
se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive (Mt
16,24 ; cf. Mc 8,34 et Lc 9,23). Quitter le vieil homme pour revêtir le
nouveau exige une ascèse continue, car si le baptême signifie un renoncement à
la domination satanique et une agrégation au Corps du Christ, il faut sans
cesse lutter pour conserver ce qui a été acquis et le faire fructifier ;
cependant cette ascension spirituelle, aussi rude qu’elle puisse être,
s’accomplit dans l’ambiance fondamentalement optimiste du christianisme, car le
croyant entend résonner ces paroles du Seigneur qui maintiennent sa vigilance
et affermissent son espérance : Dans le monde vous aurez à souffrir.
Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde ! (Jn 16,33).
Et il reviendra en gloire juger les vivants et les
morts ;
son règne n’aura point de fin.
La croyance en la seconde venue du Christ est absolument
fondamentale dans l’ensemble de la doctrine chrétienne, aussi toute tentative
pour « dés-eschalologiser » le christianisme, c’est-à-dire pour
supprimer ou minimiser cet article de foi ne petit être considéré que comme une
altération fondamentale du message chrétien. Pour bien comprendre la place que
ce dogme tient dans l’Église, il faut le situer dans sa vraie
perspective ; en effet, la conception chrétienne du temps et de l’histoire
se présente comme une ligne horizontale : il y a un commencement, la
création, un acte tragique de l’homme, la chute, un événement central,
l’Incarnation, une fin avec la seconde parousie (le retour du Christ). Par
conséquent, de même que le sacrifice du Christ a été un événement unique (Hé
7,27), de même aussi le jugement dernier sera un acte unique et définitif.
Telle est la croyance ferme de l'Élise, et c'est pour cela que le
Ve Concile œcuménique (553) a condamné toute une série d'opinions
origénistes qui avaient comme arrière-fond une conception cyclique du temps
incompatible avec la Révélation. L'attente eschatologique est un élément
fondamental de la théologie sacramentaire orthodoxe : c'est ainsi que le
rassemblement des chrétiens pour la Liturgie eucharistique n'est pas seulement
le mémorial d'un événement passé, actualisé dans le sacrement (3), mais il
marque aussi cette attente eschatologique de la communauté messianique qu'est
l'Église. C'est ce qui est bien souligné dans la recommandation de l'apôtre
Paul qui suit le récit des paroles de l'institution de la Sainte
Cène : Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez
cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1
Co 11,26). L'allusion eschatologique est d'ailleurs très claire dans cette
parole de notre Seigneur rapportée par saint Matthieu : Je vous le
dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu'au jour où je
boirai avec vous le vin nouveau dans le Royaume de mon Père (Mt 26,29). La
synaxe eucharistique préfigure le rassemblement de l'Église dans le Royaume
messianique. Dans un très antique document chrétien,
la Didachè (Ier-IIe s.), nous lisons ces mots qui exaltent cet
espoir : « De même que ce pain rompu, d'abord semé sur les collines, une
fois recueilli est devenu un, qu'ainsi ton Église soit rassemblée des
extrémités de la terre dans ton Royaume... » et plus loin : « Souviens
toi, Seigneur, de ton Église, pour la délivrer de tout mal et la parfaire dans
ton amour. Rassemble-la des quatre vents, cette Église sanctifiée, dans ton
Royaume que tu lui as préparé ».
Les premiers chrétiens vivaient dans l’attente impatiente du
retour du Christ et ils l’exprimaient par la formule araméenne concise que nous
rapporte saint Paul, Maranatha (1 Co 16,22 ; cf. Ap 22,17). Néanmoins
notre Seigneur avait mis en garde ses disciples contre le désir de savoir quand
aurait lieu la dernière parousie (Mt 24,36 ; Ac 1,7). Paul, d’autre part,
en incitant les Thessaloniciens à la vigilance, leur écrit : Vous
savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un voleur en
pleine nuit (1 Th 5,2). Les chrétiens doivent toujours être dans l’attente
de la Parousie, mais cette attente ne doit pas se muer en vaine curiosité pour
scruter le dessein divin à ce propos. L’Église évite les spéculations
hasardeuses à partir de certains passages du livre de Daniel ou de
l’Apocalypse, alors que les sectaires de toutes les époques en abusent, soit
pour déterminer mathématiquement le moment de la Parousie, soit encore pour
flétrir tel on tel personnage parmi leurs contemporains. Non seulement de
semblables spéculations sont contraires aux préceptes du Seigneur, mais encore
elles témoignent chez ceux qui se laissent séduire par ces pratiques d’une
méconnaissance totale des règles de l’apocalyptique juive telles qu’elles nous
sont maintenant bien connues par de nombreux documents s’échelonnant entre le
IIe siècle avant et le IIe siècle après notre ère.
Nous avons précédemment insisté sur les différences entre les
deux venues du Seigneur dans le monde : alors que la première s’est faite
dans l’état de kénose (abaissement), la seconde manifestera à tous la puissance
de Dieu ; c’est ce que souligne dans le Credo le terme « avec
gloire » : qu’elle sera évidente pour tous, mais aussi le fait de la
confesser ne pourra plus être alors imputé à justice. Avec la fin de ce monde
cessera la possibilité d’une modification de quoi que ce soit ; tout sera
immuablement fixé d’une manière absolue puisque extra-temporelle. C’est
pourquoi Notre Seigneur déclare : Et ils s’en iront, ceux-ci à une
peine éternelle et les justes à la vie éternelle (Mt 25,46). C’est aussi à
cet absolu extra-temporel que se réfère implicitement saint Jean dans
l’Apocalypse en parlant de la seconde mort (Ap 20,13-15). Le jugement dernier
marquera le triomphe total du Christ sur toutes les forces du mal qui, malgré
la Croix et la Résurrection, ne voulaient pas reconnaître leur inexorable
défaite.
Il faut remarquer que l’Écriture Sainte, de même que le Credo,
souligne l’aspect cosmique du jugement dernier ; le Christ apparaît ici
comme le Roi de l’Univers. C’est ainsi que nous lisons : Quand le
Fils de l’Homme viendra dans sa gloire escorté de tous les anges, alors il
prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les
nations... (Mt 25, 31-32 ; cf. Ap 20,11-15). Notons que
l’iconographie orthodoxe a majestueusement développé le thème du jugement, soit
d’abord sous la forme symbolique du berger séparant les brebis des boucs
(église de Saint Apollinaire-nuovo à Ravenne, ca. 520), soit ensuite sous une
forme réaliste, le Christ apparaissant sur les nuées, trônant parmi les apôtres
pour juger les vivants et les morts qu’éveille la trompette de l’archange
(exemple, le dôme de Torcello, XIe siècle).
L’article du Credo se termine par l’affirmation
suivante : « et dont le règne n’aura point de fin ». Ces mots
qui figurent dans notre symbole tel qu’il a été promulgué à l’époque du
IIe Concile oecuménique (381) ne se trouvaient pas dans la profession de foi
des Pères de Nicée (325). Ils ont été placés dans le Credo pour combattre
l’opinion étrange et erronée de Marcel d’Ancyre selon laquelle le règne du
Christ se terminerait avec la fin des temps. Cela semble s’insérer dans le
cadre de sa théologie modaliste, la Trinité n’étant qu’un mode d’être
provisoire de la divinité qui se résorberait finalement en une monade.
Déjà dans le Credo du concile de la Dédicace tenu à Antioche
en 341, nous trouvons la formule : « ... et venant de nouveau juger
les vivants et les morts et demeurant Roi et Dieu dans tous les siècles ».
Dans l’attente radieuse du retour en gloire du Seigneur le
chrétien s’écrie : « Que la grâce vienne et que ce monde passe !
Amen » (Didachè), mais connaissant aussi sa faiblesse de créature
pécheresse, il prie humblement en disant : « Ô Dieu, lorsque tu
viendras sur la terre, lorsque tout tremblera, qu’un fleuve de feu sortira du
tribunal, que les livres seront ouverts et que les choses cachées seront
manifestées, alors, ô très juste Juge, délivre-moi du feu inextinguible et
rends-moi digne de m’asseoir à ta droite » (Kondakion du dimanche du
carnaval).
(3) Le terme grec d'anamnêsis n'a pas d'équivalent exacte
en français ; « mémoire » est trop faible et ne rend absolument pas la
nuance du préfixe « ana ». La conception protestante de la Sainte
Cène est pourtant bâtie comme si « anamnêsis » signifiait purement et
simplement mémoire.
Et en l’Esprit Saint, Seigneur,
qui donne la vie,
qui procède du Père,
qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils,
qui a parlé par les prophètes.
Après avoir proclamé sa foi en la personne et l’œuvre de Notre
Seigneur Jésus-Christ, l’Église exprime sa croyance en la troisième Personne de
la Sainte Trinité. Les Pères du Ier Concile œcuménique avaient seulement
rappelé la foi de l’Église dans l’existence du Saint Esprit ; cela
s’explique par le fait qu’ils avaient surtout porté leur attention sur la
doctrine de la divinité du Verbe, point sur lequel se heurtaient l’orthodoxie
catholique et l’arianisme. Cependant les développements de la controverse au
cours du IVe siècle ne pouvaient manquer de toucher la pneumatologie,
parce que non seulement les ariens niaient la divinité du Saint Esprit, mais
aussi certains chrétiens, qui rejetaient la doctrine arienne concernant le Verbe,
n’admettaient point la divinité et la consubstantialité de l’Esprit. Aussi les
Pères de cette époque durent défendre la doctrine orthodoxe concernant la
troisième personne de la Sainte Trinité et par voie de conséquence les
relations intra-trinitaires. Le deuxième Concile œcuménique, réuni à
Constantinople en 381, réitéra la condamnation de l’arianisme sous toutes ses
formes et il flétrit en particulier l’hérésie de Macédonius, qui niait la
divinité du Saint Esprit. Si les Pères de l’Église ont alors affirmé clairement
la pleine divinité de la troisième Personne de la Sainte Trinité, néanmoins,
pour ne pas effaroucher certains conservateurs qui étaient hostiles à toute
expression nouvelle, même si elle exprimait d’une manière adéquate la croyance
constante de l’Église, les termes de « Dieu » et de
« consubstantiel » ne furent pas insérés dans l’article du Credo
concernant le Saint Esprit. Celle prudence porta ses fruits et en fait
l’hérésie des « pneumatomaques » (c’est-à-dire ceux qui
« combattent l’Esprit ») fut écrasée et la terminologie trinitaire
exprimant la croyance de l’Église fut définitivement fixée.
La foi chrétienne sur le Saint-Esprit comme personne distincte
de la Sainte Trinité a son fondement dans la révélation néo-testamentaire et en
premier lieu dans ces mots de Notre Seigneur : Allez enseigner tontes
les nations les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit (Mt
27, 19).
L’Ancien Testament connaissait certes l’Esprit de Dieu comme
force agissante et, dans la vision des prophètes, la fin des temps est
caractérisée par l’effusion de cet Esprit (cf. Is 44, 3 et Jl 2, 28), mais
c’est dans le Nouveau Testament que le Verbe et l’Esprit sont connus comme
personnes.
Sans renoncer en aucune façon au monothéisme strict de la
révélation du Sinaï et tout en affirmant le principe de l’unité numérique de
l’Être divin, le christianisme confesse que ce monothéisme n’est pas
unipersonnel mais trinitaire.
Cette progression dans l’approche du mystère divin est bien
mise en lumière dans un admirable passage de saint Grégoire de Naziance :
« L’Ancien Testament, écrit-il, a clairement manifesté le Père,
obscurément le Fils. Le Nouveau Testament a révélé le Fils et a insinué la
divinité de l’Esprit. Aujourd’hui l’Esprit vit parmi nous et il se fait plus
clairement connaître. Car il eut été périlleux, alors que la divinité du Père
n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils, et, tant que la
divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, comme
surcharge, le Saint Esprit... Il convenait bien plutôt que, par des additions
partielles, et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, la
splendeur de la Trinité rayonnât progressivement... Le Sauveur connaissait
certaines choses qu’il estimait que ses disciples ne pourraient encore porter,
bien qu’ils fussent pleins déjà d’une doctrine abondante... et il leur répétait
que l’Esprit, lors de sa venue leur enseignerait tout. Je pense donc qu’au
nombre de ces choses était la divinité elle-même du Saint Esprit » (Orat.
31-theol. V, 24-26).
Dans la Sainte Trinité, la source de la divinité est le Père
de qui le Fils tient son essence par génération et l’Esprit par procession.
C’est pourquoi, en conformité avec l’enseignement du Sauveur lui-même (Jn 15,
26), le Symbole affirme que le Saint Esprit procède du Père. La différence
entre le Fils et l’Esprit, quant au mode d’être (tropos tês hyparxeôs) implique
une distinction hypostatique ; l’Église insiste sur ce point, mais en même
temps les Saints Pères confessent l’impossibilité pour l’esprit humain de
comprendre en quoi consiste cette différence. Saint Grégoire de Naziance
écrit : « Tu demandes ce qu’est la procession du Saint Esprit ?
Dis-moi d’abord ce qu’est l’innascibilité du Père. Alors à mon tour
j’expliquerai la génération du Fils et la procession du Saint Esprit. Ainsi
serons-nous frappés tous les deux ensemble de folie pour avoir voulu scruter le
mystère de Dieu » (Orat. 31, 8).
Saint Jean Damascène note d’une manière concise :
« Aucun effort d’intelligence ne peut nous livrer le comment de la
génération et de la procession » (De fide orth. 1, 8). En Occident, par
contre, la théologie scolastique a essayé de donner une explication de la
génération et de la procession a partir des analogies psychologiques. Il est
vrai que saint Augustin avait déjà usé de cette méthode, seulement l’évêque
d’Hippone n’y avait jamais vu autre chose que des comparaisons pour permettre à
l’esprit humain une certaine approche du mystère trinitaire et non pas une
explication rationnelle des relations intra-divines ; il écrit
d’ailleurs : « Quant à la différence qu’il y a entre la génération et
la procession, je ne sais, ni ne puis ni ne suffis » (C. maxim. 11, 14).
L’Église orthodoxe considère comme l’expression adéquate et
suffisante de sa foi la formule « procédant du Père ». Face aux
hérétiques qui affirmaient que l’Esprit n’était qu’une créature, les défenseurs
de l’Orthodoxie mettent l’accent sur le fait que le Saint Esprit tient
directement son existence du Père ; c’est en ce sens due saint Grégoire de
Naziance déclare : « L’Esprit Saint qui procède du Père, du fait même
qu’il en procède, n’est pas une créature » (Orat. 31, 8).
En Occident, la théologie trinitaire a partir du
Ve siècle a pris une autre direction : pour corroborer la divinité du
Fils contre l’arianisme et pour souligner la relation entre le Saint Esprit et
le Fils, on a commencé a affirmer, sporadiquement d’abord, systématiquement
ensuite, que le Saint Esprit procède du Père et du Fils (filioque).
Parallèlement au développement de cette conception, en Espagne d’abord, puis en
Gaule et en Germanie on ne craignit point d’altérer le symbole universel de foi
en y ajoutant le terme Filioque. Rome désapprouvait cette addition. Mais au
début du XIe siècle, alors que la papauté était entièrement sous la coupe
des empereurs germaniques, l’interpolation fut introduite à Rome même. Cela
était doublement condamnable, premièrement parce que cette addition exprimait
une doctrine sans fondement dans la Révélation, deuxièmement parce que la
modification du texte du Credo avait été faite unilatéralement par l’Église
d’Occident en violation du principe catholique de conciliarité.
Si l’Esprit Saint procède du Père seul, il ne s’en suit pas
qu’il soit étranger au Fils ; c’est pourquoi saint Jean Damascène
écrit : « Nous disons aussi que le Saint-Esprit procède du Père et
nous l’appelons l’Esprit du Père, nous ne disons pas qu’il procède du Fils,
mais qu’il est l’Esprit du Fils » (De fide orth. 1, 8). Dans l’admirable
symbole de saint Grégoire de Néo-Césarée (IIIe s.), nous lisons :
« Et un seul Esprit-Saint, tenant de Dieu [c’est-à-dire du Père] son
existence et manifesté aux hommes par le Fils, Image parfaite du Fils parfait,
vie cause des vivants, source sainte, sainteté produisant la sanctification,
dans lequel est révélé Dieu le Père qui est sur tout et en tout, et le Fils par
qui tout (est) ». Ainsi si dans l’ordre ontologique et éternel l’Esprit
procède du Père, dans celui de la mission, il est manifesté par le Fils :
« Nous confessons, écrit saint Jean Damascène qu’il (i. e. le Saint
Esprit) nous est donné et manifesté par le Fils » (De fide
orth., ibid.).
L’Esprit Saint est la source de toute sanctification :
avant sa Passion, le Seigneur annonce la venue de l’Esprit et cette promesse
s’est réalisée lors de la Pentecôte. La vie de l’Église n’est rien d’autre que
cet événement perpétué en particulier par les sacrements. C’est la présence de
l’Esprit Saint qui distingue fondamentalement dans son comportement l’Église de
toute autre société et lui donne une sereine assurance au milieu des
difficultés.
L’Esprit Saint est la force agissante dans la sanctification
de chaque chrétien : c’est à cause de la réception de la grâce de l’Esprit
Saint que nous pouvons crier, en nous adressant à Dieu, Abba,
Père (Rm 7,15 et Ga 4,6). C’est pourquoi saint Paul appelle le
Saint-Esprit, l’Esprit d’adoption : L’Esprit lui-même porte
témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8, 16).
Nous confessons dans le Credo que l’Esprit est Vivificateur
parce que la grâce qu’il communique nous rend réellement participants de
la nature divine (2 P 1, 4). Cela ne doit pas être interprété dans un sens
panthéiste, mais il faut aussi se garder de vider l’Écriture de sa vraie
signification en entendant cette expression comme une métaphore : c’est
pourquoi l’Église orthodoxe, pour sauvegarder la doctrine de la transcendance
de Dieu et en même temps affirmer la possibilité de la déification de l’être
créé, enseigne fermement la distinction entre l’essence incommunicable de Dieu
et les énergies divines accessibles à l’homme. C’est cette grâce déifiante qui
illumine déjà en ce siècle ceux qui par l’ascèse s’arrachent aux vanités de ce
monde et c’est cette grâce qui après la seconde parousie transfigurera
l’ensemble du cosmos et manifestera la victoire du Christ, unissant dans la
lumière et l’amour la créature au Créateur.
En l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.
En présentant l’Église comme objet de foi, le Credo nous
rappelle qu’elle n’est pas simplement la réunion des croyants, mais a une place
éminente dans l’histoire du salut. Durant son ministère terrestre, notre
Seigneur Jésus Christ annonce que lui-même en sera le fondateur (Mt 15,18) et
de nombreux textes néo-testamentaires proclament que le Christ en est le chef
(ex. Éph 1,22). Le terme grec ekklèsia se trouve employé dans
l’Ancien Testament pour rendre l’hébreu qahal, qui désigne le rassemblement
d’Israël et l’appel de Dieu ; c’est ainsi qu’on lit dans le
Deutéronome : N’oublie pas tous les discours que tes yeux ont vus...
le jour où vous vous êtes présentés devant le Seigneur votre Dieu à l’Horeb, au
jour de l’Église, lorsque le Seigneur me dit : Assemble (ekklèsiason) -moi
le peuple et qu’ils entendent mes paroles... Et il vous annonça le testament
qu’il vous ordonna d’accomplir, les dix paroles, et il les écrivit sur deux
tables de pierre... (Dt 4,9-13). Le terme qahal-ekklésia se
retrouve pour désigner les assemblées solennelles du peuple à Jérusalem. Ce
qu’il faut donc retenir, c’est que le terme n’est jamais employé dans un
contexte profane ; ceci est conforme à son usage dans le Nouveau Testament
et dans l’ancienne littérature chrétienne, aussi bien lorsqu’il désigne telle
communauté locale que lorsqu’il désigne l’ensemble des croyants. D’ailleurs on
trouve souvent l’expression l’Église de Dieu (ex. 1 Co 1,2).
L’Église est désignée dans le Credo comme étant Une, Sainte,
Catholique et Apostolique. Ces caractéristiques de l’Église constituent un tout
inséparable, car elles s’appellent l’une l’autre ; tout en étant
distinctes, on ne saurait faire abstraction de l’une d’entre elles, autrement
dit la non-possession ou la mutilation de l’une d’entre elles affecte les
autres, par exemple la conception orthodoxe de l’unité est liée à une certaine
compréhension de catholicité. Ce n’est pas en vain que saint Cyprien de
Carthage intitule son ouvrage dirigé contre les dissidents De l’unité de
l’Église catholique.
Lorsque l’on aborde la doctrine de l’Église, il faut se garder
des imprécisions et des notions ambiguës. Deux extrêmes sont à écarter :
d’une part une conception trop spirituelle de l’Église qui évacuerait toute la
réalité sociale et institutionnelle sous prétexte d’éviter le formalisme,
d’autre part un institutionnalisme trop marqué qui prétendrait asservir le
domaine spirituel. En fait, d’ailleurs, ces deux excès peuvent se rejoindre,
comme c’est le cas dans des ecclésiologies où l’on admet une certaine dualité
entre l’Église spirituelle des élus d’un côté, et les communautés
institutionnelles de l’autre.
L’Église est Une : Notre Seigneur Jésus Christ n’a
fondé qu’une Église, à laquelle il a promis assistance et qui est de plein
droit la gardienne du message évangélique. Cette affirmation était dans
l’antiquité, comme elle l’est encore de nos jours pour les chrétiens restés
fidèles à la tradition une vérité axiomatique. Il ne saurait avoir plusieurs
églises puisqu'il ne peut y avoir plusieurs vérités. Il est vrai que l’on parle
quelquefois au pluriel des « Églises » pour désigner les communautés
locales, conformément à ce qui était déjà l’usage à l’époque apostolique, mais
cette pluralité locale n’implique pas davantage la multiplicité que la célébration
en de nombreuses places de la Liturgie eucharistique n’implique une division
quelconque du Christ. Il en va tout autrement lorsqu’on emploie le terme
« Église » pour désigner des communautés chrétiennes
dissidentes ; dans ce cas il n’a pas une signification théologique
spéciale, mais le terme désigne seulement une société religieuse chrétienne (il
n’entre pas dans notre sujet de traiter des rapports entre l'Église orthodoxe
et les communautés chrétiennes hétérodoxes ; nous devons seulement préciser
que nous n’entendons nullement nier l’existence d’une
« ecclésialité » plus ou moins grande dans chacune des confessions
dissidentes ; toutefois un tel sujet ne saurait être abordé, même
superficiellement, en quelques lignes).
Lorsque nous disons que l’Église est une, nous l’entendons
dans toute la force du terme. Cette unité est d’abord dans le temps :
l’Église d’aujourd’hui est dans son essence la même que celle des Apôtres et
des saints Pères des premiers siècles. Elle est ensuite dans l’espace :
les Églises locales qui professent la pure foi orthodoxe et conservent
fidèlement la succession apostolique sont en communion entre elles et ont le
même chef, qui est le Christ.
L’Église est Sainte. Nous avons vu quel était dans les
Saintes Écritures le sens du terme qahal-ekklésia : l’Église est donc
sainte parce que, fondée par le Christ, elle est au service exclusif de Dieu.
Elle est la fiancée toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de
tel, mais sainte et immaculée (Éph 5,27). Clément d’Alexandrie (IIIe s.)
écrit ces lignes pleines de profondeur : « Si l’on appelle sacré soit
Dieu lui-même, soit l’édifice élevé à sa gloire, comment n’appellerait-on pas
sacrée par excellence l’Église devenue sainte pour la gloire de Dieu selon la
connaissance ? N’est-elle pas le sanctuaire tout à fait digne de Dieu, non
pas préparé par le travail des ouvriers, ni orné par la main des artistes, mais
édifiée en temple par la volonté de Dieu ? »
(Stromates VII,5,23). Sainte par sa vocation, l’Église est porteuse de la
grâce que l’Esprit ne cesse de verser sur elle depuis le jour de la Pentecôte.
Cette grâce est communiquée à chacun de ses membres par le baptême d’abord,
puis par les autres sacrements : la vie dans l’Église est une vie en
Christ et rien d’autre, et à cause de cela cette vie est toujours une ascèse
qui exclut toute passivité, car il appartient à chacun de réaliser la
potentialité qui lui est donnée par son appartenance à l’Église Corps du
Christ.
L’Église est Catholique : Si en grec, dans la
langue profane, ce terme ne signifie rien d’autre qu’universel, il a pris dans
celle de l’Église une coloration particulière : la catholicité est un
attribut que l’Église possédait alors qu’elle ne groupait qu’une poignée de
disciples palestiniens, autant que de nos jours alors qu’elle est répandue dans
les cinq continents. La Bonne Nouvelle du salut apportée en Jésus Christ l’est
pour toute l’humanité (Mt 27,19-20). En Christ, sont abolies les différences de
race et culture, comme l’écrit saint Paul : Aussi bien n’y a-t-il pas
de distinction entre Juif et Grec : tous ont le même Seigneur, riche
envers tous ceux qui l’invoquent (Rm 10,12). Cette universalité ecclésiale
est une plénitude où, conformément à la doctrine chrétienne orthodoxe, chaque
personne a la possibilité de s’épanouir car l’opposition de la partie et du
tout est surmontée dans l’Église, dont la vie reflète celle de la Divinité une
et trine à la fois. La catholicité est aussi la négation du particularisme
sectaire ; c’est même cet aspect qui est le plus mis en valeur dans les
plus anciens textes patristiques où l’on trouve employé l’adjectif
« catholique ». C’est ainsi que l’on trouve dans la suscription
du Martyre de saint Polycarpe (IIe s.) la formule :
« L’Église de Dieu qui séjourne à Smyrne, à l’Église de Dieu qui séjourne
à Philomène, et à toutes les communautés du monde appartenant à la sainte
Église catholique... ». Au milieu du IIe siècle, à la question du
juge, le martyr Pionius répond qu’il est chrétien ; mais cette réponse est
jugée incomplète et lorsqu’on lui demande à quelle église il appartient,
Pionius répond : « à l’Église catholique ». Le terme de
catholique caractérise ici la véritable Église fondée par le Christ. C’est le
sens que l’on retrouve invariablement dans les documents conciliaires en
particulier dans le décret dogmatique des Pères du premier Concile œcuménique
(325).
L'Église est Apostolique : Elle l’est parce qu’elle
est bâtie sur le fondement des apôtres et elle garde fidèlement le message du
Seigneur transmis par les apôtres ; en ce sens « apostolicité »
est synonyme d’« authenticité ». C’est pourquoi l’apostolicité dans
son sens plénier ne peut appartenir qu’à l’Unam Sanctam qu’est l’Église
orthodoxe. La continuité matérielle dans la succession apostolique est une
condition nécessaire mais nullement suffisante ; les successeurs légitimes
des apôtres sont les évêques qui gardent fidèlement la doctrine apostolique.
C’est à eux que revient le droit de proclamer la parole de vérité et
d’interpréter la Tradition ; ce sont eux qui, individuellement et
collectivement, détiennent le pouvoir d’enseigner (potestas docendi). Les
évêques successeurs des apôtres, et les prêtres, leurs délégués, offrent au nom
de l’Église la victime immaculée, car à eux s’adresse aussi la parole du
Sauveur : Faites ceci en mémoire de moi (Lc 22,19). Ils ont le
pouvoir de lier et de délier et la charge de paître le troupeau spirituel qui
leur est confié par Dieu. Il n’y a jamais eu de doute dans l’Église orthodoxe
sur le fait que l’épiscopat appartient non pas au bene
esse [« bien-être »] ou au plene
esse [« plénitude »] de l’Église mais à sa nature [esse] même.
C’est pourquoi saint Ignace d’Antioche va jusqu’à écrire qu’il faut
« regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même » (Lettre aux
Éphésiens V,1). Cela ne veut pas dire pourtant que l’évêque possède un
pouvoir arbitraire, car il doit lui-même être attaché à la Tradition de
l’Église et être en communion visible avec l’ensemble de l’épiscopat orthodoxe
auquel appartient la plénitude du pouvoir, conformément à la structure
conciliaire de l’Église héritée de la communauté apostolique. D’autre part si,
en vertu du charisme doctoral inclus clans la succession apostolique, les
évêques légitimes ont la prérogative exclusive d’expliciter officiellement la
croyance constamment professée par l’Église et comme corollaire le pouvoir
d’excommunier les hérétiques, c’est à tout le peuple chrétien qu’il appartient
de défendre la Foi contre toute déformation. C’est d’ailleurs dans l’union des
pasteurs et de tout le peuple chrétien fidèles au message du Seigneur et à la
Foi apostolique que se manifeste l’unité catholique de la Sainte Église de
Dieu.
Je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés.
Cet article du Credo nous rappelle l’origine baptismale de la
profession de foi. Proclamer qu’il n’y a qu’un seul baptême pour la rémission
des péchés, c’est reconnaître que l’adhésion au Christ dans l’Église est
l’unique voie assurée du salut. Dans l’antiquité, le sacrement du baptême était
généralement conféré à des adultes qui étaient auparavant initiés à la doctrine
chrétienne. En demandant à recevoir le baptême, les néophytes avaient
conscience que ceci constituait la rupture avec leur vie antérieure.
Aujourd’hui, sauf dans les pays de mission, il n’en est plus de même, les
enfants étant généralement baptisés dès leur plus jeune âge afin de pouvoir
participer il la vie chrétienne, conformément à la parole du
Sauveur : Laissez venir à moi les petits enfants (Lc 17,16).
Dans les deux cas, la récitation de cet article du Credo constitue un
renouvellement des promesses faites soit directement, soit par l’intermédiaire
du parrain ou de la marraine, lors du baptême. Dans la Liturgie, le Credo est
justement lu ou chanté avant le commencement de l’anaphore (Anaphora signifie
en grec « oblation » ; dans la langue liturgique, ce terme
désigne aussi la partie centrale de la Liturgie eucharistique ; cela
correspond dans la Messe romaine an canon, en y incluant la préface et le
dialogue qui la précède).
À ce montent là, il constitue pour les fidèles réunis un
rappel opportun des engagements baptismaux qui fait écho aux recommandations de
saint Paul relatives à la Cène : Que chacun donc s’éprouve soi-même,
et qu’il mange alors de ce pain et boive de celle coupe (1 Co 9,28).
Dans le Credo, l’article sur le baptême vient immédiatement
après celui concernant l’Église et cette disposition est logique puisqu’il n’y
a pas d’autre moyen d’entrer dans la communauté ecclésiale fondée par le Christ
que la réception du baptême. Ainsi ce sacrement est a l’origine de toute vie
chrétienne ; il marque la naissance spirituelle et comme nous l’avons dit
au début, cela implique initialement une rupture avec tout ce qui n’appartient
pas au Royaume de Dieu ; il ne peut y avoir de compromis. Nul ne
petit servir deux maîtres ; ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il
s’attachera à l’un et méprisera l’autre (Mt 6,24 ; cf. Lc 16,13).
L’apôtre Paul écrit aux Romains : Ignorez-vous que baptisés dans le
Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous
avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, connue
le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous
aussi dois une vie nouvelle… Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons
que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des
morts ne meurt plus, que la mort n’exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut
une mort au péché une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie à Dieu.
Et vous de même. regardez vous comme morts au péché et vivants pour Dieu dans
le Christ Jésus (Rm 6,3-4 et 8-11).
Dans le rite baptismal, l’accent est bien mis sur les deux
phases, celle de la rupture et celle de l’adhésion : « Renonces-tu à
Satan, et à toutes ses oeuvres, et à tous ses anges, et à tout son culte et a
tout te sa pompe ? » et plus loin : « Te joins-tu au
Christ ? » Dans l’antiquité chrétienne, chaque portion du rite
baptismal était chargée de symbolisme : on peut même dire que cela était
poussé jusqu’au raffinement. Mais certains aspects de ce symbolisme dépassaient
largement ceux d’un simple allégorisme : l’Église les a soigneusement
gardés, quand bien même ils ne sont plus parfaitement compris par beaucoup
aujourd’hui : les Pères, dans leurs catéchèses baptismales, insistaient
sur le dépouillement du vieil homme de même que le revêtement d’une tunique
blanche rappelle la pureté acquise par la réception du sacrement.
On sait que l’Église orthodoxe, sauf exceptions dûment
motivées, confère toujours le baptême par immersion : c’est par là, en
effet, que se manifeste la signification de ce sacrement. Nous lisons dans
les Constitutions apostoliques cette prière pour sanctifier l’eau des
fonts baptismaux : « Sanctifie cette eau afin que ceux qui sont
baptisés soient crucifiés avec le Christ, meurent avec lui, soient ensevelis
avec lui, et ressuscitent avec lui pour l’adoption ». Commentant les trois
immersions qui figurent le triduum pascal, saint Cyrille de Jérusalem
(IVe siècle) écrit ces lignes admirables : « Ô chose étonnante
et paradoxale ! Nous ne sommes pas morts en réalité, et nous n’avons pas
été enterrés en réalité, et nous ne sommes pas, après avoir été crucifiés, ressuscités
en réalité. Mais l’imitation se fait en image, le salut, lui, en réalité. Le
Christ a été réellement crucifié, et réellement mis au tombeau, et il est
réellement ressuscité. Et toutes ces choses ont été accomplies par amour pour
nous, afin que, ayant part par l’imitation à ses souffrances, nous obtenions en
réalité le salut ». On comprend dès lors que ce n’est pas par un pur
attachement au passé que l’Église orthodoxe est restée fidèle à l’antique
manière d’administrer le sacrement du baptême : c’est à cause de toute la
signification sacramentelle du rite. Il est certain que l’abandon du baptême
par immersion entraîne un affaiblissement du symbolisme propre au sacrement.
Dans l’Église orthodoxe, la réception du baptême est
régulièrement suivie de l’administration du sacrement de la chrismation, ce
qu’en Occident on appelle la confirmation ; si, en effet, le baptême
marque la naissance à la vie spirituelle, la chrismation affirme plus
spécialement l’intégration à la communauté chrétienne par le charisme de
l’Esprit Saint. Normalement l’initiation chrétienne s’achève par la
participation à la Sainte Cène ; c’est pour le néophyte la pleine
communion avec le Seigneur et la promesse de la participation au festin
messianique dans le Royaume. C’est alors que s’achèvera le processus de
transfiguration amorcé par le baptême et l’onction du chrême. Ainsi,
l’initiation chrétienne unit les trois sacrements, baptême, chrismation,
eucharistie, et, comme nous l’avons vu, cette connexion n’est nullement
fortuite ; elle n’est pas, non plus, un rapprochement pratique de
cérémonies ; elle répond, au contraire, à une signification profonde.
Dans le Credo. nous confessons unum baptisma. Il y a là
une affirmation solennelle de l’unicité du baptême : saint Paul le déclare
expressément aux Éphésiens : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul
baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par
tous et en tous (Éph 4,5-6). De même que nous professons que notre
Seigneur n’a fondé qu’une Église, de même nous confessons qu’il n’y a qu’un
baptême, parce qu’unique et indivisible est la Sainte Trinité au nom de
laquelle nous sommes baptisés selon l’injonction du Seigneur (Mt 28,19). C’est
pour cela que l’Église ne renouvelle pas le baptême conféré dans son sein et qu’elle
admet sans rebaptisation les hérétiques qui ont été validement baptisés au nom
du Père et du Fils et du Saint Esprit, conformément au VIIe canon du
IIe Concile œcuménique (381). La notion de validité est ici conditionné
par une administration correcte du sacrement du point de vue de la matière et
de la forme d’une part, et par l’appartenance chez celui qui a accompli le rite
à une communauté chrétienne confessant le dogme de la Sainte Trinité.
Le baptême ne se réitère pas au cas où un chrétien renie sa
foi et par la suite demande sa réintégration dans l’Église, car le signe de
Dieu sur chaque baptisé demeure indélébile : l’inconduite d’un fils ne
saurait dissoudre le lien qui l’unit à son père, de même le grand nombre et la
gravité des péchés ne supprime pas la potentialité qui a été donnée au baptême.
La voie de la pénitence reste toujours ouverte, comme notre Seigneur le
rappelle dans la parabole de l’enfant prodigue.
Le baptême constitue un moment unique de la vie de l’homme,
puisque par ce sacrement le baptisé est justifié devant Dieu, non par ses
propres mérites, mais par l’appropriation de la réconciliation et du salut
apportés en Jésus Christ. La malédiction qui pesait sur l’humanité depuis la
faille originelle a été levée par le sacrifice du Verbe incarné : être
baptisé, c’est être intégré à cette humanité rénovée dont le Christ, nouvel
Adam, est le chef. Mais, en Christ, ce que nous acquérons c’est la liberté,
avec tout ce qu’elle comporte, c’est-à-dire la possibilité pour nous d’une option.
Lors de l’initiation chrétienne, la grâce divine vient en nous, mais c’est à
nous qu’il revient de faire fructifier les talents qui nous ont été confiés. Si
nous ne le faisons pas, le courroux divin s’abattra sur nous, comme nous
l’enseigne la parabole évangélique (cf. Mt 25,26-30), mais celui qui accomplit
les commandements divins est promis à l’ineffable mystère de l’union déifiante
(2 P 1,4) : c’est la fin ultime dans laquelle se réalise pleinement la
vocation de ceux qui ont été baptisés en Christ.
J’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à
venir.
Nous avons déjà dit précédemment combien l’élément
eschatologique était fondamental dans le christianisme. C’est cette orientation
vers une « fin » qui lui donne son caractère propre. Perdre cela de
vue, c’est risquer de fausser intégralement le message évangélique, c’est
réduire la Révélation à une éthique conformiste. Tandis que pour la philosophie
hellénique, à cause de sa conception cyclique du temps, la résurrection des morts
n’avait aucun sens, le christianisme, concevant d’après la Bible le temps comme
linéaire, donne à cette croyance toute sa signification. On remarquera aussi,
si l’on examine bien le cadre dans lequel elle est située, que l’idée
platonicienne de l’immortalité de l’âme est très éloignée du dogme chrétien de
la survie de l’homme.
Le symbole de foi emploie une expression extrêmement
caractéristique : « J’attends la résurrection des morts ». En
grec, le verbe employé est prosdokô ; il a un double sens qu’il est
difficile de rendre en traduction : d’une part il évoque l’idée d’une
attente subjective ; en l’occurrence cela se rapporte à l’attente
impatiente des croyants dont nous trouvons l’écho à la fin de l’Apocalypse
(Viens, Seigneur Jésus ! Ap 22, 20), d’autre part le
verbe prosdokô a un sens objectif : savoir qu’un événement
inéluctable, bon ou mauvais, va survenir. La résurrection n’est pas simplement
tin pieux espoir, elle est une certitude qui conditionne la foi chrétienne.
D’ailleurs, si elle étonnait les païens (Ac 17,32), celle croyance paraissait
normale à la plupart des Juifs (Jean 11,24), encore que les Sadducéens
l’eussent rejetée. Elle trouvait ses fondements dans l’Ancien Testament (voir,
par exemple, Éz 37,1-14). Ce qui est nouveau, dans la foi chrétienne. c’est que
l’espoir de la résurrection bienheureuse est lié à l’œuvre rédemptrice de Jésus
Christ : Je suis, dit Notre Seigneur à Marthe, la
résurrection. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et
croit en moi ne mourra jamais (Jn 11,.25-26). C’est pourquoi
l’apôtre Paul écrit aux Thessaloniciens : Nous ne voulons pas,
frères, que vous soyez ignorants au sujet des morts ; il ne faut pas que
vous vous désoliez comme les autres qui n’ont pas d’espérance (1 Th 4,13).
Vraiment le christianisme est au sens fort une religion de l’espérance ;
aussi l’héroïsme des martyrs de la foi n’a rien à voir avec, le calme des sages
antiques devant le déclin inéluctable ; quoi de plus émouvant dans sa
paisible assurance que la prière de saint Polycarpe sur son bûcher :
« Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de Jésus Christ, ton enfant bien-aimé
et béni, par qui nous t’avons connu ; Dieu des anges et des puissances,
Dieu de toute la création et de toute la famille des justes qui vivent en la
présence ; je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette
heure, digne d’être compté au nombre de tes martyrs et de participer au calice
de ton Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du corps,
dans l’incorruptibilité de l’Esprit Saint ».
Alors que dans le symbole de Nicée-Constantinople il est
question de la « résurrection des morts », le vieux Credo romain
(voir Introduction) parle de la « résurrection de la chair » afin de
souligner le caractère très concret de cet événement ; toutefois le terme
« chair » doit ici être entendu dans le sens de
« personne », car nous savons par ailleurs que la chair et le
sang ne peuvent hériter le Royaume de Dieu (1 Co 15,50). La résurrection
pour la vie éternelle suppose une transformation, un passage de la
corruptibilité à l’incorruptibilité (1 Co 15,51-54). Saint Paul affirme
clairement à l’issue d’une série de raisonnements sur le continent de la
résurrection : On sème un corps psychique, il ressuscite un corps
spirituel (1 Co 15,11) ; certes le corps ressuscité et le corps
enseveli sont le même sujet, mais leur mode d’être est différent. Pour bien
comprendre cela, il ne faut pas perdre de vue ce que signifie pour saint Paul
la catégorie du spirituel, qui est liée à celle du divin. Le corps spirituel c’est
le corps transfiguré par la grâce. De même, en effet, que c’est en Adam
que tous meurent, ainsi aussi c’est dans le Christ que tous seront
vivifiés (1 Co 15,22). La Résurrection du Christ est la prémice de la
résurrection des morts (ibid., 20). La vie du chrétien doit être pénétrée de
cette certitude ; c’est pourquoi les croyants doivent dans ce siècle se
conduire en enfants de lumière (Éph 5,8) ; la participation à la
Sainte Eucharistie constitue les arrhes de la vie éternelle, comme cela est si
souvent rappelé dans la Liturgie. C’est en effet dans le sacrement de
l’Eucharistie que l’accent eschatologique est, peut-être, le plus fortement
marqué ; la Sainte Cène est l’anticipation du festin messianique, dans le
Royaume, auquel nous sommes tous conviés. La descente du Saint Esprit sur les
Dons, lors de l’épiclèse, actualise l’événement de la Pentecôte et préfigure le
triomphe de la seconde parousie. Le lien entre la Pentecôte d’une part, la
seconde parousie et la résurrection générale d’autre part, est particulièrement
souligné en Orient dans la Liturgie ; le samedi qui précède le dimanche de
la Pentecôte est plus spécialement consacré aux défunts ; de même l’office
de la génuflexion (le soir de la Pentecôte) comprend plusieurs allusions à la résurrection
future, telle celle-ci : « Nous te rendons grâces en toutes choses,
pour notre venue en ce monde et pour notre départ, qui, en vertu de ton
infaillible promesse, fait naître en nous l’espérance de la résurrection et de
la vie sans mélange, dont nous souhaitons jouir lors de ton futur
avènement ».
Dans la résurrection générale qui marquera la fin de ce
siècle, les chrétiens voient essentiellement la manifestation de la victoire du
Christ, annoncée d’une manière certaine par la Résurrection du Seigneur à l’aube
du troisième jour. Mais le « Jour du Seigneur » sera aussi celui du
jugement ; nous savons que ceux qui auront fait le bien
ressusciteront pour la vie, ceux gui auront fait le mal, pour la
damnation (Jn 5,29). C’est la séparation définitive du bon grain et de
l’ivraie. Il n’appartient à nul autre qu’au Seigneur lui-même de faire cette
séparation et ce n’est qu’au jugement dernier qu’elle deviendra
manifeste : alors, il n’y aura plus de mélange, car rien d’impur n’entrera
dans le Royaume ; il n’y aura plus de possibilité de mutation : pour
bien comprendre cela, il ne faut pas l’envisager dans une perspective
affective. Au-delà du temps, il n’y aura que l’immuable ; la réprobation
c’est l’éloignement de Dieu devenant éternel puisque extratemporel. La vocation
de la créature, dans le dessein de Dieu, c’est la transfiguration, l’union
déifiante. Dans la vie du « siècle à venir », tout ce qui sera
éloigné de Dieu pourra être considéré comme mort : ce sera là la seconde
mort, celle dont parle saint Jean dans l’Apocalypse (20,14) : cette mort,
ce sera d’être oublié par Dieu : ceux qui n’auront pas voulu connaître
Dieu, ne seront plus connus de lui. Ceux qui l’auront connu et servi
resplendiront d’une gloire ineffable et sans déclin.
Le Credo commence par l’affirmation solennelle de la foi en
Dieu. Mais cet acte de foi n’est pas simplement intellectuel, il suppose un
engagement total : dans le Christ et par l’Esprit Saint, la vie du croyant
est transformée, car le chrétien, bien que vivant en ce monde, n’est pas de ce
monde, son regard est tourné vers le Royaume de la lumière, aussi le Credo
s’achève par la confession radieuse de l’attente de la résurrection et de la
vie du siècle à venir, où il n’y aura « ni douleur, ni tristesse, ni
larmes ».