Les
entraves invisibles : qu'est-ce que l'orgueil et comment le combattre
Fierté. Détail du tableau « Les Sept Péchés Capitaux et
les Quatre Dernières Choses » de Jérôme Bosch.
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Dans l'anthropologie et l'ascétisme chrétiens, le péché
d'orgueil occupe une place particulière ; ce n'est pas sans raison qu'il
est qualifié de « mère de tous les vices » ou de leur
« racine ». Dans la tradition orthodoxe, l'orgueil est compris comme
une vanité exacerbée, une exaltation de soi au-dessus des autres et, surtout,
au-dessus de Dieu. C'est un état d'esprit dans lequel une personne s'attribue
toutes ses réalisations et ses vertus, rejetant ou minimisant le rôle de la
grâce divine. Saint Théophane le Reclus définit l'orgueil comme « le
renoncement à Dieu et l'appropriation de sa vie et de ses actes » [1] .
Les textes bibliques présentent l'orgueil comme la cause
profonde de l'éloignement de Dieu. Sa première conséquence fut la rébellion de
Satan, Lucifer, qui, ange de lumière, devint arrogant, désirant « être
semblable au Très-Haut » (Isaïe 14:12-15). Cela conduisit à sa chute et au
commencement du mal dans le monde. De même, la chute de nos premiers parents,
Adam et Ève, fut provoquée par l'orgueil – le désir « de devenir comme
Dieu, connaissant le bien et le mal » (Genèse 3:5).
Ainsi, depuis les origines de l'histoire, l'orgueil a été un
acte de rébellion contre la volonté divine, une tentative de l'homme d'affirmer
son autonomie face au Créateur. Comme l'écrit saint Jean Climaque :
« L’orgueil est le rejet de Dieu, une invention démoniaque, le
mépris des hommes, la mère de la condamnation, le rejeton de la louange, le
signe de la stérilité de l’âme, l’éloignement du secours de Dieu, le précurseur
de la folie, le coupable des chutes, la cause de la folie, la source de la
colère, la porte de l’hypocrisie, le rempart des démons, le dépositaire des
péchés, la cause de l’impitoyable, l’ignorance de la compassion, un
tortionnaire cruel, un juge inhumain, un adversaire de Dieu, la racine du
blasphème » [2] .
Parmi les formes de fierté les plus courantes, on trouve :
-
Vanité : désir de gloire, de louanges et
d’attention. Une personne vaniteuse accomplit de bonnes actions non pas pour
l’amour de Dieu, mais pour se faire remarquer et recevoir les louanges des
autres.
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La vanité et la complaisance : surestimer
ses capacités, ses mérites et son état spirituel. Une telle personne ne
reconnaît pas ses péchés et se considère comme juste, tout comme le croyait le
pharisien de la parabole de l’Évangile (Luc 18,10-14).
-
Condamnation et mépris : Une personne
orgueilleuse a tendance à s’élever au-dessus des autres, à remarquer leurs
défauts et leurs péchés, et à les juger sans voir la poutre dans ses propres
yeux. C’est l’une des formes d’orgueil les plus courantes, qui détruit l’amour
et l’unité.
-
Insubordination et désobéissance : refus
de se soumettre à l’autorité légitime – ecclésiastique, familiale ou étatique.
Une personne orgueilleuse se croit plus intelligente que les autres, s’appuie
sur la raison et rejette les conseils et les instructions.
-
Ressentiment et esprit de vengeance : sensibilité
excessive à la critique, refus de pardonner et désir de venger les torts (réels
ou imaginaires). L’orgueil empêche de reconnaître ses torts et de faire la
paix.
-
Mensonge et hypocrisie : désir de
paraître meilleur qu'on ne l'est, dissimulant ses véritables motivations et ses
actions. L'orgueil peut conduire à prétendre maintenir une façade de piété.
-
Découragement et désespoir : Paradoxalement,
l’orgueil peut être à la fois la cause et la conséquence. Lorsqu’une personne
orgueilleuse fait face à l’échec, ne parvient pas à atteindre ses nobles
objectifs ou constate ses propres faiblesses, elle sombre dans le désespoir,
car son espoir ne reposait pas sur Dieu, mais sur sa propre force.
Comme le note saint Ignace (Brianchaninov), l'orgueil
« …il y a la mort de l’âme au sens spirituel : l’âme,
embrassée par l’orgueil, est incapable d’humilité, de repentir, de miséricorde,
ou de toute pensée ou sentiment spirituel qui apporterait une connaissance
vivante du Rédempteur et une assimilation à Lui » [3] .
La lutte contre l'orgueil est une tâche fondamentale dans la
vie spirituelle d'un chrétien orthodoxe. Elle est impossible sans un effort
constant et conscient et l'aide divine. L'apôtre Jacques écrit : « Dieu résiste
aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles » (Jacques 4:6). Cette phrase
est la clé pour comprendre tout le cheminement spirituel.
Le principal moyen de combattre l'orgueil est la vertu
d'humilité. L'humilité n'est ni l'abaissement ni l'autodestruction, mais une
compréhension sincère et sincère de soi-même devant Dieu. C'est la
compréhension de ses limites, de son état de péché et de sa dépendance totale à
la grâce divine en toutes choses.
L’humilité n’est pas l’abaissement de soi, ni
l’autodestruction de l’individu, mais une connaissance sobre et vraie de
soi-même devant Dieu.
Le modèle d'humilité est le Seigneur Jésus-Christ lui-même,
qui « s'est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en
devenant semblable aux hommes » (Phil. 2:7-8). C'est dans l'humilité du
Christ que les chrétiens trouvent un modèle à imiter.
Saint Isaac le Syrien enseigne que l'humilité est « …une
mortification profonde et volontaire de toute chose » [4] . Il ne s'agit pas de pessimisme,
mais de réalisme, ouvrant la voie au repentir et à l'acceptation de la grâce
salvifique.
Combattre l’orgueil est un exploit quotidien qui nécessite
l’utilisation de tout l’arsenal des outils spirituels :
-
Repentir et confession : Se repentir
régulièrement et sincèrement de ses péchés, en particulier de ses
manifestations d’orgueil, est un puissant moyen de les surmonter. Se confesser
à un père spirituel est un acte d’humilité, une prise de conscience de sa
propre faiblesse et un désir de purification. Par le repentir, on reconnaît ses
fautes devant Dieu et l’Église.
-
Prière : La prière constante, en particulier
la prière de Jésus (« Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi,
pécheur »), nous aide à concentrer notre esprit sur Dieu, à nous humilier
devant sa grandeur et à demander de l’aide dans la lutte contre l’orgueil.
-
Obéissance : Tout au long de la vie,
l’obéissance à un père spirituel ou à une autorité ecclésiastique est un outil
essentiel pour humilier sa propre volonté et son orgueil. Elle apprend à
abandonner ses propres opinions et à s’appuyer sur l’expérience et la sagesse
d’autrui.
-
Connaissance de soi et auto-condamnation : observation
attentive de ses paroles et de ses actes afin d'identifier toute trace
d'orgueil. Reconnaissance de ses défauts et de ses faiblesses devant soi-même
et devant Dieu.
-
Amour et service : la pratique de l’amour chrétien
s’exprime en servant les autres, en aidant ceux qui sont dans le besoin, en
surmontant l’égoïsme et la vanité.
-
Patience et tolérance aux insultes : L’humilité
se cultive en supportant patiemment les souffrances, l’injustice, la critique
et l’humiliation. Pardonner les insultes est une victoire sur l’orgueil.
-
Lecture des Saintes Écritures et des œuvres des
Saints Pères : l’immersion dans les Saintes Écritures aide à acquérir une
vision correcte de soi-même et du monde, enseigne l’humilité et la lutte contre
le péché.
-
Mémoire de la mort et du Jugement dernier : La
réflexion sur l’inévitabilité de la mort et le Jugement à venir de Dieu humilie
l’homme, lui rappelant la fragilité de la vie terrestre et la nécessité de se
préparer à l’éternité.
Il est important de se rappeler que combattre l'orgueil est un
processus qui dure toute la vie. Comme le dit saint Séraphin de Sarov :
« Sauve-toi, et des milliers de personnes autour de toi seront
sauvées. » [5] Surmonter
l'orgueil dans son cœur est un investissement dans le salut.
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Surmonter l'orgueil et acquérir l'humilité apporte
à l'âme humaine d'immenses fruits de la grâce divine. Une personne humble
obtient :
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Paix intérieure : libérée des attirances
égoïstes et de la lutte constante pour soi-même, une personne trouve une paix
intérieure sereine. Elle cesse de dépendre de l'opinion d'autrui et de
l'environnement extérieur.
-
La vraie joie : la joie des humbles n’est pas
une joie extérieure, mais une conscience profonde de la Providence de Dieu dans
sa vie.
-
Proximité avec Dieu : L’humilité ouvre le
cœur à l’amour et à la grâce divine. « Là où il y a de l’humilité, il y a de la
grâce ; là où il y a de la grâce, il y a Dieu » [6] .
-
Illumination spirituelle : l’esprit humble
devient réceptif aux vérités spirituelles, les secrets de la Divine Providence
lui sont révélés.
-
La capacité d’aimer véritablement : Une
personne libérée de l’orgueil apprend à aimer véritablement son prochain, à
sympathiser avec lui, à pardonner et à servir sans motivations égoïstes.
Acquérir d'autres vertus : de même que l'orgueil est
l'incarnation du vice, l'humilité est le fondement de toutes les autres vertus.
Du terreau de l'humilité naissent l'amour, la douceur, la patience, la pureté
et tout ce qui plaît à Dieu.
L'orgueil est un péché mortel profondément enraciné dans la
nature déchue. Il éloigne l'homme de Dieu et de son prochain, entrave son
développement spirituel et le prive de la possibilité d'atteindre la plénitude
de son être. Cependant, l'Église orthodoxe propose une voie claire et éprouvée
pour combattre ce fléau : la voie de l'humilité, fondée non sur
l'humiliation, mais sur la véritable connaissance de soi devant le Dieu
Tout-Puissant et Tout-Amour.
La lutte contre l'orgueil n'est pas seulement un renoncement
au mal, mais aussi une affirmation du bien, un chemin vers la véritable dignité
de l'homme, image et ressemblance de Dieu. Que chaque chrétien s'efforce
d'accomplir cet exploit, sachant que « les humbles ne tombent
jamais » [7] et
qu'avec Dieu tout est possible.
3 octobre 2025
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Bibliographie:
La Bible. Les livres des Saintes Écritures de l'Ancien et du
Nouveau Testament. Traduction synodale.
Philocalie. En 5 volumes. – Moscou : Palomnik, 2004.
Saint Ignace (Brianchaninov) . Expériences ascétiques. En
deux volumes. – Moscou : Règles de la foi, 2005.
Jean Climaque, L'Échelle Vénérable. – Serguiev
Possad : STSL, 2007.
Saint Éphraïm le Syrien . Œuvres. En 8 volumes. – Moscou
: Otchiy Dom, 1999.
Vénérable Séraphin de Sarov. Vie et enseignements.
Moscou : Otchiy Dom, 2000.
Théophane le Reclus, saint . Le chemin du salut. –
Moscou : Maison du Père, 1999.
[1] Théophane
le Reclus, Saint . Le chemin du salut. – Moscou : Maison du Père, 1999. P.
98.
[2] Jean
Climaque, St. Ladder, mot 23.
[3] Ignace
(Brianchaninov), Saint . Expériences ascétiques. Vol. 2. – Moscou : Règle de
foi, 2005. P. 135.
[4] Saint
Isaac le Syrien . Paroles ascétiques. – Moscou : Monastère Sretensky,
2000. Parole 46.
[5] Extrait
de : Vénérable Séraphin de Sarov. Vie et enseignements. – Moscou : Maison du
Père, 2000. P. 138.
[6] Saint
Éphraïm le Syrien . Œuvres. 2e partie. – M. : Maison du Père, 1999. P. 215.
[7] Éphraïm
le Syrien, St. Citation éd., p. 215.