Sur la
tentation d'extérioriser la foi
L'un des grands défis de l'Église orthodoxe au XXIe siècle ne
réside pas seulement dans les divisions juridiques ecclésiastiques ou les
problèmes politiques, mais aussi dans le problème très subtil de
l'« extériorisation de la foi » chez certains nouveaux convertis. Il
s'agit d'une forme moderne de la vieille hérésie du « phylétisme »,
où l'Église est confondue avec l'identité ethnique ou politique. Il ne s'agit
plus seulement de nations, mais aussi d'idéologies mondaines, très éloignées de
l'esprit des Saints Pères.
En Occident, mais aussi en Asie, de nombreuses personnes qui
se tournent aujourd'hui vers l'Église orthodoxe le font souvent en raison d'une
crise de la culture post-chrétienne du catholicisme romain et des groupes
protestants. Dans ce monde, la liberté est confondue avec l'excès, la tradition
est remplacée par le consumérisme et Dieu est relégué à l'écart de la vie
publique. Dans cette crise, l'Église orthodoxe apparaît comme une forteresse de
pureté, « pas encore corrompue ». La beauté de la liturgie, des
icônes et la profondeur des saints Pères donnent aux nouveaux convertis le
sentiment d'avoir trouvé une civilisation qui résiste à la chute du
christianisme occidental.
C'est vrai à certains égards ; l'Église orthodoxe porte
véritablement le pouvoir guérisseur de Jésus-Christ et s'oppose aux distorsions
morales de l'époque moderne. Mais le danger apparaît lorsque cette foi est
réduite à un simple symbole politique par certains croyants.
Aujourd'hui, on voit souvent de nouveaux convertis penser que
devenir orthodoxe revient à rejoindre un mouvement contre-culturel extrême. Ils
portent l'« orthodoxie » comme une armure contre le « monde libre et corrompu
», faisant de la Croix une arme dans la guerre culturelle. Au lieu de
considérer l'Église comme le mystère de la communion, ils en font une identité
extérieure, un signe permettant de distinguer « nous » d'« eux ».
C'est précisément cette « extériorisation de la
foi », lorsque la religion n'est plus une transformation intérieure par
l'Esprit Saint, mais un déguisement pour masquer une identité politique. On
peut utiliser des paroles liturgiques et des symboles sacrés, mais en réalité,
l'âme n'entre pas dans la voie de la purification (κάθαρσις), de l'illumination
(φωτισμός) et de l'union avec Dieu (θέωσις).
Ce qui est triste ici, ce n'est pas que « l'Église ne soit pas
assez extrême à leur goût », mais que leur vision chrétienne se soit éloignée
du cœur de la foi, là où se trouve le Christ ressuscité. Lorsque la vérité de
l'Église orthodoxe ne sera plus qu'un outil d'identification, les gens
oublieront que le seul but de cette Église depuis plus de 2000 ans est le salut
et la vie éternelle en Christ.
Quelle en est donc la conséquence ? C'est évident : au lieu de
devenir « levain dans la pâte » (Mt 13,33), ils construisent l'Église
comme une forteresse, isolée et séparée du monde, non pour sanctifier le monde,
mais pour satisfaire leur propre sentiment de sécurité. C'est là le véritable
déclin, car le cœur du mystère eucharistique est remplacé par l'idéologie,
l'humilité par l'orgueil politique, et le mystère de la Croix est déformé en
slogan d'opposition.
La tradition orthodoxe affirme depuis longtemps que l'Église
n'est pas limitée par les frontières nationales et n'appartient à aucune
puissance. Le concile de Constantinople de 1872 a officiellement condamné le
phylétisme comme une hérésie, car il transformait l'Église en instrument
d'ethnicité. Aujourd'hui, la nouvelle forme de phylétisme n'est plus simplement
un « nationalisme ecclésial », mais une idéologie de l'Église, qui dissimule la
foi pure sous un voile politique.
Il faut comprendre que l'orthodoxie n'appartient ni à la
Russie, ni à la Grèce, ni à la Serbie, ni à aucune autre nation, ni au camp de
l'« anti-occidentalisme » ou du « conservatisme extrême ». L'orthodoxie
appartient au Royaume des cieux, le royaume parfait où toutes les nations sont
réunies dans l'unique Corps du Christ. L'apôtre saint Paul l'a clairement
indiqué : « En Christ, il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni
libre » (Gal 3, 28).
Le monde n'est pas l'ennemi absolu de la foi, mais le champ où
est semée la semence du Royaume des Cieux. Sanctifier le monde ne signifie pas
le transformer en un « royaume politique de Dieu » selon l'idéologie humaine,
mais laisser la lumière de la Résurrection pénétrer chaque aspect de la vie :
la famille, le travail, l'art, la culture. Lorsqu'une personne vit
l'Eucharistie, avec humilité et amour dans chaque petite action – des repas aux
paroles, en passant par le travail quotidien – alors le monde est transformé de
l'intérieur. L'Église orthodoxe ne construit pas une forteresse fermée pour
combattre, mais appelle chacun à devenir levain, sel et lumière, afin que le
monde soit purifié et ramené au Créateur.
Le phénomène d'« extériorisation de la foi » chez
les nouveaux convertis constitue un avertissement fort pour l'Église
d'aujourd'hui. Il nous rappelle que l'Église n'est pas un instrument au service
d'un quelconque agenda politique, qu'il soit conservateur ou progressiste. Elle
existe pour témoigner du Christ ressuscité, Celui qui donne la vie éternelle.
« À la fin, nous vaincrons ! » Mais pas par la
puissance militaire, ni par l'idéologie, ni par des forteresses politiques,
mais parce que le Christ a vaincu – il a vaincu la mort par la mort et ouvert
la porte de la Vie Éternelle. Tout royaume, tout empire, toute idéologie se
transformera en poussière ; seul le Corps ressuscité du Christ subsistera à
jamais. Lorsque l'Église demeure fidèle à la Croix et à l'Eucharistie, lorsque
chaque croyant vit une vie de déification (θέωσις), alors la victoire finale
est déjà scellée. Ce n'est pas la victoire d'une nation ou d'un pays, mais la
victoire de l'Amour sur la haine, de la Lumière sur les ténèbres et de la Vie Éternelle
sur la mort.
L'Orthodoxie n'est pas une forteresse culturelle, mais le
Royaume des cieux semé dans le monde. Ce n'est qu'en vivant la foi comme un
cheminement intérieur et non comme un « vêtement » que l'Église deviendra
véritablement la lumière du monde.
Ô Seigneur Jésus-Christ ressuscité, garde-nous dans la
lumière de ton Eucharistie, par les prières de la Très Sainte Théotokos et de
tous les Saints, afin qu'au milieu de tout chaos et de toute haine, nous
n'oubliions pas que seul ton Amour est la victoire finale, Amen !
24/09/2025