vendredi 3 octobre 2025

 

Sur la tentation d'extérioriser la foi

Savva Tng (Du Uyên)

    


L'un des grands défis de l'Église orthodoxe au XXIe siècle ne réside pas seulement dans les divisions juridiques ecclésiastiques ou les problèmes politiques, mais aussi dans le problème très subtil de l'« extériorisation de la foi » chez certains nouveaux convertis. Il s'agit d'une forme moderne de la vieille hérésie du « phylétisme », où l'Église est confondue avec l'identité ethnique ou politique. Il ne s'agit plus seulement de nations, mais aussi d'idéologies mondaines, très éloignées de l'esprit des Saints Pères.


En Occident, mais aussi en Asie, de nombreuses personnes qui se tournent aujourd'hui vers l'Église orthodoxe le font souvent en raison d'une crise de la culture post-chrétienne du catholicisme romain et des groupes protestants. Dans ce monde, la liberté est confondue avec l'excès, la tradition est remplacée par le consumérisme et Dieu est relégué à l'écart de la vie publique. Dans cette crise, l'Église orthodoxe apparaît comme une forteresse de pureté, « pas encore corrompue ». La beauté de la liturgie, des icônes et la profondeur des saints Pères donnent aux nouveaux convertis le sentiment d'avoir trouvé une civilisation qui résiste à la chute du christianisme occidental.

C'est vrai à certains égards ; l'Église orthodoxe porte véritablement le pouvoir guérisseur de Jésus-Christ et s'oppose aux distorsions morales de l'époque moderne. Mais le danger apparaît lorsque cette foi est réduite à un simple symbole politique par certains croyants.

Aujourd'hui, on voit souvent de nouveaux convertis penser que devenir orthodoxe revient à rejoindre un mouvement contre-culturel extrême. Ils portent l'« orthodoxie » comme une armure contre le « monde libre et corrompu », faisant de la Croix une arme dans la guerre culturelle. Au lieu de considérer l'Église comme le mystère de la communion, ils en font une identité extérieure, un signe permettant de distinguer « nous » d'« eux ».

C'est précisément cette « extériorisation de la foi », lorsque la religion n'est plus une transformation intérieure par l'Esprit Saint, mais un déguisement pour masquer une identité politique. On peut utiliser des paroles liturgiques et des symboles sacrés, mais en réalité, l'âme n'entre pas dans la voie de la purification (κάθαρσις), de l'illumination (φωτισμός) et de l'union avec Dieu (θέωσις).

Ce qui est triste ici, ce n'est pas que « l'Église ne soit pas assez extrême à leur goût », mais que leur vision chrétienne se soit éloignée du cœur de la foi, là où se trouve le Christ ressuscité. Lorsque la vérité de l'Église orthodoxe ne sera plus qu'un outil d'identification, les gens oublieront que le seul but de cette Église depuis plus de 2000 ans est le salut et la vie éternelle en Christ.

Quelle en est donc la conséquence ? C'est évident : au lieu de devenir « levain dans la pâte » (Mt 13,33), ils construisent l'Église comme une forteresse, isolée et séparée du monde, non pour sanctifier le monde, mais pour satisfaire leur propre sentiment de sécurité. C'est là le véritable déclin, car le cœur du mystère eucharistique est remplacé par l'idéologie, l'humilité par l'orgueil politique, et le mystère de la Croix est déformé en slogan d'opposition.

La tradition orthodoxe affirme depuis longtemps que l'Église n'est pas limitée par les frontières nationales et n'appartient à aucune puissance. Le concile de Constantinople de 1872 a officiellement condamné le phylétisme comme une hérésie, car il transformait l'Église en instrument d'ethnicité. Aujourd'hui, la nouvelle forme de phylétisme n'est plus simplement un « nationalisme ecclésial », mais une idéologie de l'Église, qui dissimule la foi pure sous un voile politique.

Il faut comprendre que l'orthodoxie n'appartient ni à la Russie, ni à la Grèce, ni à la Serbie, ni à aucune autre nation, ni au camp de l'« anti-occidentalisme » ou du « conservatisme extrême ». L'orthodoxie appartient au Royaume des cieux, le royaume parfait où toutes les nations sont réunies dans l'unique Corps du Christ. L'apôtre saint Paul l'a clairement indiqué : « En Christ, il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre » (Gal 3, 28).

Le monde n'est pas l'ennemi absolu de la foi, mais le champ où est semée la semence du Royaume des Cieux. Sanctifier le monde ne signifie pas le transformer en un « royaume politique de Dieu » selon l'idéologie humaine, mais laisser la lumière de la Résurrection pénétrer chaque aspect de la vie : la famille, le travail, l'art, la culture. Lorsqu'une personne vit l'Eucharistie, avec humilité et amour dans chaque petite action – des repas aux paroles, en passant par le travail quotidien – alors le monde est transformé de l'intérieur. L'Église orthodoxe ne construit pas une forteresse fermée pour combattre, mais appelle chacun à devenir levain, sel et lumière, afin que le monde soit purifié et ramené au Créateur.

Le phénomène d'« extériorisation de la foi » chez les nouveaux convertis constitue un avertissement fort pour l'Église d'aujourd'hui. Il nous rappelle que l'Église n'est pas un instrument au service d'un quelconque agenda politique, qu'il soit conservateur ou progressiste. Elle existe pour témoigner du Christ ressuscité, Celui qui donne la vie éternelle.

« À la fin, nous vaincrons ! » Mais pas par la puissance militaire, ni par l'idéologie, ni par des forteresses politiques, mais parce que le Christ a vaincu – il a vaincu la mort par la mort et ouvert la porte de la Vie Éternelle. Tout royaume, tout empire, toute idéologie se transformera en poussière ; seul le Corps ressuscité du Christ subsistera à jamais. Lorsque l'Église demeure fidèle à la Croix et à l'Eucharistie, lorsque chaque croyant vit une vie de déification (θέωσις), alors la victoire finale est déjà scellée. Ce n'est pas la victoire d'une nation ou d'un pays, mais la victoire de l'Amour sur la haine, de la Lumière sur les ténèbres et de la Vie Éternelle sur la mort.

L'Orthodoxie n'est pas une forteresse culturelle, mais le Royaume des cieux semé dans le monde. Ce n'est qu'en vivant la foi comme un cheminement intérieur et non comme un « vêtement » que l'Église deviendra véritablement la lumière du monde.

Ô Seigneur Jésus-Christ ressuscité, garde-nous dans la lumière de ton Eucharistie, par les prières de la Très Sainte Théotokos et de tous les Saints, afin qu'au milieu de tout chaos et de toute haine, nous n'oubliions pas que seul ton Amour est la victoire finale, Amen !

Savva Tng (Du Uyên)

24/09/2025