De
l’altération de la doctrine orthodoxe de l'Église dans les actes de la
hiérarchie du Patriarcat de Constantinople et les discours de ses représentants
(Merci à Claude pour la mise en ligne gratuitement de ce document).
https://mospat.ru/ru/news/90540/
Document approuvé lors de la conférence
des évêques de l’Église orthodoxe russe
Réunis pour la prière commune et la communion fraternelle dans
l'Esprit Saint auprès des précieuses reliques de saint Serge de Radonège en
l’ancienne Laure de la Sainte-Trinité qu’il a fondée, nous, hiérarques de
l'Église orthodoxe russe, ne pouvons rester silencieux face à la triste
division que connaît actuellement le monde orthodoxe, causée par les actions
arbitraires du Patriarcat de Constantinople et les nouveaux enseignements
propagés par son Primat et ses représentants officiels. Nous considérons qu'il
est de notre devoir d'élever notre voix pour défendre la doctrine orthodoxe sur
l'Église, en nous adressant à la fois à notre troupeau aimant Dieu et à nos
confrères archipasteurs du monde orthodoxe.
Derrière les actions schismatiques des hiérarques
constantinopolitains en Ukraine, lesquelles ont divisé la famille orthodoxe
mondiale, se trouvent des innovations dans la doctrine sur l'Église, qui visent
à détruire les fondements canoniques existants et qui sont intensivement
promues par ces mêmes hiérarques. La nouvelle conception de la primauté du
Patriarche de Constantinople, présenté comme le chef terrestre de l'Église
universelle, lui accorde des droits et des privilèges qui vont bien au-delà des
droits de tout autre primat d’une Église locale orthodoxe et violent les droits
canoniques des autres Églises.
En 2008 déjà, l’Assemblée des évêques de l'Église orthodoxe
russe, dans sa déclaration « Sur l'unité de l'Église », avait résumé les
principales thèses de la nouvelle conception ecclésiologique des représentants
de l'Église de Constantinople, mentionnant que cette conception découle d’une
compréhension de certains canons (principalement les 9è, 17è et 28è canon du
IVe Concile oecuménique), qui n’est pas partagée par le Plérôme de l'Église
orthodoxe, et devient un défi pour l'unité panorthodoxe.
Selon cette conception, a) seules les Églises locales en communion avec le Siège de Constantinople sont considérées comme appartenant à l'Orthodoxie universelle ; b) le Patriarcat de Constantinople a le droit exclusif de juridiction ecclésiastique sur tous les pays de la diaspora orthodoxe ; c) dans ces pays, le Patriarcat de Constantinople représente seul les opinions et les intérêts de toutes les Églises locales auprès des autorités de l'État ; d) tout hiérarque ou clerc exerçant son ministère en dehors des limites du territoire canonique de son Église locale se trouve sous la juridiction ecclésiastique de Constantinople, même s’il n’en est pas lui-même conscient, et peut donc, s'il le désire, être admis dans cette juridiction sans lettre de congé ; e) le Patriarcat de Constantinople détermine les limites géographiques des Églises et, si son opinion ne coïncide pas avec l'opinion de l'une ou l'autre Église sur cette question, il peut établir sa propre juridiction sur le territoire de cette Église ; f) le Patriarcat de Constantinople détermine unilatéralement quelle Église locale autocéphale peut ou ne peut pas participer à des événements inter-orthodoxes.
L’Assemblée mentionnait qu'une telle vision de ses propres
droits et pouvoirs par le Patriarcat de Constantinople était en contradiction
insurmontable avec la tradition canonique séculaire sur laquelle repose
l'existence de l'Église orthodoxe russe et des autres Églises locales.
L’Assemblée a reconnu que toutes les questions susmentionnées ne pourront être
définitivement résolues que lors d’un Concile oecuménique de l'Église orthodoxe
et, d'ici là, a appelé l'Église de Constantinople, jusqu'à l'examen
panorthodoxe des innovations susmentionnées, à faire preuve de circonspection
et à s'abstenir de prendre des mesures pouvant détruire l'unité orthodoxe. Ceci
s'applique en particulier aux tentatives de révision des limites canoniques des
Églises orthodoxes locales.
Entre-temps, de nouvelles revendications de Constantinople
sont venues s'ajouter à celles que l’Assemblée des évêques de 2008 avait
désignées. En particulier, a) le Patriarche de Constantinople insiste sur le
fait qu'il a le droit d'examiner les appels contre les décisions de justice
[ecclésiastique, ndt] prises dans toute autre Église orthodoxe locale et de
rendre un jugement final à leur sujet ; b) le Patriarche de Constantinople se
considère autorisé à intervenir dans les affaires internes de toute Église
orthodoxe locale s'il le juge nécessaire ; c) le Patriarche de Constantinople
déclare qu’il est doté de la compétence d'annuler les sanctions canoniques
prononcées dans d'autres Églises locales, de « rétablir dans leur rang
sacerdotal » les personnes qui ont perdu leur dignité épiscopale du fait de
leur déviation dans le schisme; d) qui plus est, les personnes qui n'ont jamais
eu ne serait-ce que l'apparence d'une ordination épiscopale canonique (par
exemple, celles ordonnées par un évêque défroqué et un ancien diacre se faisant
passer pour un évêque) sont « rétablis » dans la dignité épiscopale par
décision du
Patriarche de Constantinople ; e) le Patriarche de
Constantinople considère être en droit de recevoir dans sa juridiction
canonique des clercs de tout diocèse de n'importe quelle Église locale sans
lettre de congé canonique ; f) le Patriarche de Constantinople s'arroge le
droit exclusif d'initiative dans la convocation de conciles panorthodoxes et
autres événements panorthodoxes importants ; g) enfin, contrairement aux
accords inter-orthodoxes conclus lors de la préparation du Saint et Grand
Concile de l'Église orthodoxe, qui présumaient que l'octroi de l'autocéphalie à
l’une ou l’autre Église n'est possible qu'avec l’accord de toutes les Églises
locales universellement reconnues, le Patriarche de Constantinople déclare son
droit individuel de proclamer l'autocéphalie de nouvelles Églises locales, dont
celles qui se trouvent hors de la juridiction de l'Église de Constantinople, et
ce sans l’accord des Primats et des Assemblées des évêques des autres Églises
locales orthodoxes. En même temps, le concept même d'autocéphalie est traité de
telle manière qu'il signifie en fait la subordination de l'Église autocéphale
au Patriarcat de Constantinople.
Les déviations de l'ecclésiologie orthodoxe énumérées
ci-dessus, l transposées du plan théorique au plan pratique, ont conduit à une
crise profonde de l'Orthodoxie mondiale. La cause immédiate de cette crise a
été l’intrusion du Patriarcat de Constantinople en Ukraine. Cet acte
anti-canonique et délictuel, dont le patriarche Bartholomée de Constantinople
est personnellement responsable, a été dûment évalué dans les déclarations du
Saint-Synode de l'Église orthodoxe russe des 14 septembre et 15 octobre 2018,
du 26 février 2019, ainsi que dans les résolutions du Saint-Synode du 28 décembre
2018 (Protocole n° 98) et du 4 avril 2019 (Protocole n° 21).
La visite du patriarche Bartholomée à Kiev, qui s’en est
suivie les 20 et 24 août 2021 a fait l'objet d'une évaluation canonique lors
d'une réunion du Saint-Synode de l'Église orthodoxe russe les 23 et 24
septembre 2021, qui a décidé : « Reconnaître la venue à Kiev du Patriarche
Bartholomée de Constantinople et de sa suite, sans invitation du Patriarche de
Moscou et de toute la Russie, ni du métropolite Onuphre de Kiev et de toute
l'Ukraine et des hiérarques légitimes de l'Église orthodoxe ukrainienne, comme
une violation flagrante des canons, en particulier du 3è canon du Concile de
Sardique et du 13è canon du Concile d'Antioche » (Protocole n° 60). Parmi les
récentes visites anti-canoniques du patriarche Bartholomée, il convient
également de mentionner celles du 20 au 23 mars 2023 en Lituanie et du 16 au 20
juin 2023 en Estonie.
Toutefois, les tentatives de Constantinople pour convaincre
toutes les Églises orthodoxes locales du bien-fondé de ses actions n'ont pas
apporté les résultats escomptés.
Entre-temps, le Patriarche Bartholomée de Constantinople a
déjà annoncé de nouveaux actes anti-canoniques. En particulier, le 21 mars
2023, lors d'une rencontre avec le Premier ministre de la République de
Lituanie à Vilnius, il a déclaré : « Aujourd'hui, une nouvelle perspective
s'ouvre à nous, ainsi que la possibilité de travailler ensemble pour établir un
exarchat du Patriarcat oecuménique en Lituanie »1. Ainsi, une nouvelle
intrusion dans le territoire canonique de l'Église orthodoxe russe se
prépare.
1 Voir la publication "Το Οικουμενικό Πατριαρχείο
στην Λιθουανία" sur le site web de Phos Fanariou
(https://fosfanariou.gr/index.php/2023/03/21/to-ecun-patriarxeio-stin-lithouania/
).
Puisque les actions illégales de Constantinople se poursuivent
et que les idées qui altèrent la doctrine orthodoxe sur l'Église continuent à
se développer, nous considérons qu'il est de notre devoir de rappeler à nos
fidèles les principes fondamentaux sur lesquels l'ecclésiologie orthodoxe a été
construite pendant des siècles et de témoigner à tout le Plérôme orthodoxe de
notre fidélité à ces principes immuables. C'est précisément la violation de ces
principes par le patriarche Bartholomée de Constantinople qui est devenue la
cause du schisme dans l'Orthodoxie mondiale.
1. Les revendications du patriarche de Constantinople à la
primauté de pouvoir sur l'Église universelle
L'Église a été établie sur terre par le Seigneur Jésus-Christ
Lui-même. C'est l'assemblée des croyants en Christ, dans laquelle Il appelle
Lui-même chacun à entrer. L'Église n'est pas une communauté humaine ordinaire,
le Saint-Esprit y est présent et agit.
L'Église est un organisme divino-humain, le Corps mystique du
Christ, comme le dit l'apôtre Paul : « Béni soit le Dieu et Père de notre
Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis dans le Christ par toute bénédiction
spirituelle dans les lieux célestes..., qui a mis toutes choses sous ses pieds,
et qui l'a placé au-dessus de toutes choses, comme chef de l'Église, qui est
son Corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Eph. I,3, 22-23).
L'image du corps renvoie à l'unité de tous les membres de l'Église sous une
seule Tête, le Seigneur Jésus-Christ (cf. Col. 1,18).
Le but de l'Église est le salut des hommes et du monde entier.
Le salut ne peut être trouvé que dans l'Église du Christ. Selon les mots du
saint hiéromartyr Cyprien de Carthage, « on ne peut plus avoir Dieu pour Père
si l'on n'a pas l'Église pour mère »2 .
2 Cyprien de Carthage, saint hiéromartyr, Sur
l'unité de l'Église.
3 Ignace d'Antioche, saint martyr, Épître aux
Smyrniotes, VIII, 2.
4 Irénée de Lyon, saint hiéromartyr, Contre les hérésies
II, XXIV, 1.
5 Selon une autre numérotation, 39ème canon
(ndt)
Le Credo indique quatre propriétés essentielles de l'Église :
l’unicité, la sainteté, la catholicité et l'apostolicité.
L'Église est une parce que Dieu est un. L'Église est une et
unique parce qu'elle unit les croyants par l'unité de la foi, le Baptême, le
don de l'Esprit Saint et la communion eucharistique avec le Seigneur Jésus-Christ.
L'Église est indivisible : « Là où est le Christ, là est l'Église »3 , «
Là où est l'Esprit Saint, là est l'Église »4 .
L'Église est sainte parce que son Chef, Jésus-Christ, est
saint. Les membres de l'Église participent à Sa sainteté.
L'Église est catholique parce qu'elle est répandue dans le
monde entier, ouverte aux croyants indépendamment du temps, du lieu, de
l'origine et du statut social de ceux qui souhaitent la rejoindre. La
catholicité de l'Église se reflète également dans la communion entre les
Églises locales, qui forment l'Église universelle. Les évêques des Églises
locales, malgré leurs positions différentes, sont égaux entre eux, car ils sont
élevés au même degré de sacerdoce. Puisque chaque évêque a reçu de l'Esprit
Saint une grâce égale à celle des autres évêques, la dignité de tous les
évêques est égale : « Que l'évêque du premier Siège ne se fasse pas appeler
exarque des prêtres ou prêtre suprême » (48ème canon du Concile de
Carthage5). L'attribution d'une importance particulière dans le domaine
sacramentel ou théologique à un évêque constitue une altération de la
conciliarité.
La propriété de conciliarité n'exclut pas le ministère de la
primauté. Dans le document « La position du Patriarcat de Moscou sur la
question de la primauté dans l'Église universelle », adopté par le Saint-Synode
de l'Église orthodoxe russe en 2013, il est mentionné que « dans la Sainte
Église du Christ, la primauté en toutes choses appartient à son Chef - notre
Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le Fils de Dieu et le Fils de l'Homme ». Le
document indique que la substitution de la primauté d'honneur traditionnelle
et canoniquement justifiée du Patriarcat de Constantinople par la doctrine de
la prétendue primauté de pouvoir qui lui appartiendrait est fondée
sur le transfert illégitime de l'autorité depuis le niveau de l'évêché au
niveau de l'Église universelle, alors qu'aux différents niveaux de
l'existence ecclésiale, la primauté a une nature
différente et des sources différentes. Ces niveaux sont : a) l'évêché
(le diocèse), b) l'Église locale autocéphale, et c) l'Église universelle.
Au niveau du diocèse, la primauté revient à
l'évêque. La source de la primauté de l'évêque dans son diocèse est
la succession apostolique, communiquée par l’ordination épiscopale. L'évêque a
une pleine autorité sacramentelle, administrative et pédagogique dans son
entité ecclésiale.
Au niveau de l'Église locale autocéphale, la primauté
revient à l'évêque élu primat de l'Église locale par l’assemblée de ses
évêques. La source de la primauté au niveau de l'Église autocéphale
est l'élection de l’évêque-primat par l’assemblée des évêques (ou Synode), qui
a pleine autorité ecclésiale. Le primat de l'Église locale autocéphale est le
premier parmi des évêques égaux, comme l'indique le 34e canon apostolique : «
Les évêques de chaque nation doivent reconnaître leur primat et le considérer
comme chef, ne fassent rien qui outrepasse leur autorité sans son consentement,
mais que chacun ne fasse que ce qui concerne son diocèse et les lieux qui en
font partie. Mais que le premier ne fasse rien sans le jugement de tous. Car
c'est ainsi qu'il y aura unanimité et que Dieu sera glorifié dans le
Saint-Esprit, Père et Fils et Saint-Esprit ». Les pouvoirs du Primat sont
définis par l’assemblée des évêques (Synode) et sont fixés dans les statuts
adoptés par l’assemblée des évêques. Le primat d'une Église locale autocéphale
ne dispose pas d’un pouvoir individuel sur celle-ci, mais il la dirige en
coopération avec les autres évêques.
Au niveau de l'Église universelle en tant que communauté
des Églises locales autocéphales, la primauté est définie conformément à la
tradition des saints diptyques et revêt un caractère honorifique. La source
de la primauté d’honneur au niveau de l’Église universelle est la tradition
canonique de l’Église, fixée dans les saints diptyques et reconnue par toutes
les Églises locales autocéphales. Les règles canoniques, sur lesquelles
s’appuient les saints diptyques, n’attribuent pas à celui qui exerce la
préséance honorifique une quelconque autorité à l’échelle générale de l’Église6
.
6 Position du Patriarcat de Moscou sur la question de la
primauté dans l'Église universelle, paragraphe 2 (3).
Pendant des siècles, cette conception a été défendue par les
patriarches de Constantinople eux-mêmes, en particulier lorsqu'ils contestaient
les revendications du pape de Rome à la juridiction universelle. Cependant,
l'un des principaux théologiens du Patriarcat de Constantinople déclare
aujourd'hui : « Le phénomène de l'antipapisme, compris comme la négation de
la première place dans l'Église universelle... est, en fait,
hérétique... Le fait que les Églises
orthodoxes refusent aujourd'hui de reconnaître entre elles une
primauté à l’instar de la primauté romaine constitue le principal problème dans
leur dialogue avec Rome »7 .
7 Archimandrite Pantéléimon (Manoussakis), professeur au
Collège de la Sainte-Croix (États-Unis) : Manoussakis, John Panteleimon. Primacy
and ecclesiology: the state of the question// Orthodox Constructions of the
West. byG.E. Demacopoulos andA. Papanikolaou. New York : Fordham University
Press, 2013, pp. 229, 232.
8 Elpidophore (Lambriniadis), Métropolite,Primus sine
paribus. Réponse à la position du Patriarcat de Moscou sur la question de la
primauté dans l'Église universelle.
9 Voir Métropolite Elpidophore (Lambriniadis),
Primus sine paribus : "L'Église a toujours et systématiquement compris la
personne du Père comme la primauté ("monarchie du Père") dans la
communion des Personnes de la Sainte Trinité. Si nous devions suivre la logique
du texte du Saint-Synode russe, nous devrions également affirmer que Dieu le
Père n'est pas la cause primordiale de la divinité et de la paternité... mais
qu'il devient le récipiendaire de sa primauté. Et de qui la tiendrait-il ? Des
autres personnes de la Sainte Trinité ?
10 Sermon de l'archevêque Elpidophore d'Amérique en
l'église épiscopalienne St Bartholomew. New York, 10 juin 2023
11 « Il est inconcevable qu'une Église locale, en
particulier une Église qui a obtenu ce qu'elle est grâce aux initiatives et aux
actions du Patriarcat oecuménique, rompe la communion avec lui, puisque la
canonicité de son être découle de lui » (Amphiloque, Métropolite d'Andrinople.
En reniant le Patriarcat oecuménique, vous reniez la source de votre
existence - site web orthodoxia.info).
12 « Le Patriarcat oecuménique... a la juridiction
canonique et tous les privilèges apostoliques, étant responsable de la
préservation de l'unité et de la communion des Églises locales » (Discours
d'ouverture du patriarche Bartholomée de Constantinople lors de
la réunion des hiérarques du Patriarcat de Constantinople le 1er septembre
2018).
13 Métropolite Elpidophore (Lambriniadis), Primus
sine paribus. Réponse à la position du Patriarcat de Moscou sur la question de
la primauté dans l'Église universelle.
Une nouvelle vision de la primauté au niveau de l'Église
universelle a été développée et mise en oeuvre dans le Patriarcat de
Constantinople. Celui-ci est présenté non pas comme « premier parmi ses égaux »
mais comme « premier sans égaux »8. Sa primauté dans l'Église universelle est
comparée à la primauté de Dieu le Père dans la Sainte Trinité9. Il est censé
être « le père spirituel de tous les hommes, qu'ils en soient conscients ou non
»10. Les autres Églises locales sont interprétées comme étant au sein de
l'Église unique par le biais de la communion avec Constantinople11. Les
pouvoirs spéciaux du Patriarche de Constantinople sont définis comme découlant
de certains privilèges jusqu'alors inconnus, reçus presque des apôtres
eux-mêmes12 . Le droit de parler au nom de tout le Plérôme orthodoxe est
présenté comme découlant automatiquement de la fonction occupée par le
Patriarche de Constantinople, et non comme lui ayant été conféré par les
Églises locales en vertu d'un consensus panorthodoxe13 .
Dans les discours officiels de l'actuel primat du Patriarcat
de Constantinople, cette Église locale est en fait identifiée à l'Orthodoxie
universelle. Prenant la parole à Vilnius le 22 mars 2023, le patriarche
Bartholomée a déclaré : « L'Orthodoxie continuera-t-elle à être spirituellement
dirigée par sa source et son défenseur, son centre traditionnel et historique,
le Patriarcat oecuménique de
Constantinople ? Cette question est essentielle pour le
caractère, l’identité et l’existence de l’Orthodoxie »14 .
14 Discours du patriarche Bartholomée de Constantinople
lors du séminaire sur « Réaction des Églises et des communautés religieuses à
la guerre et aux conflits ». Vilnius, 22 mars 2023.
15 Discours d'ouverture du patriarche Bartholomée de
Constantinople lors de la réunion des hiérarques du Patriarcat de
Constantinople le 1er septembre 2018.
16 Ibid.
Le patriarche Bartholomée affirme que « pour l'Orthodoxie, le
Patriarcat oecuménique est le levain qui "fait lever toute la pâte"
(Galates 5 : 9) de l'Église et de l'histoire » ; le Patriarcat de
Constantinople « incarne l'ethos ecclésial authentique de l'Orthodoxie :
"Au commencement était le Verbe... En lui était la vie, et la vie était la
lumière des hommes" (Jean 1 : 1,4) ». Le commencement de l'Église orthodoxe
est le Patriarcat oecuménique, « en lui est la vie, et la vie est la lumière
des Églises »15 . Citant la déclaration de feu le métropolite Cyrille de
Gortyne et d'Arcadie selon laquelle « l'Orthodoxie ne peut exister sans le
Patriarcat oecuménique », le Patriarche Bartholomée déclare que « chacun
d'entre nous doit être toujours plus fermement uni au Premier d'entre nous,
afin de s'abreuver à la source abondante, dont l’origine est notre nation
pieuse et notre foi pure ». Il est affirmé que « Le Patriarcat oecuménique est
responsable de la mise en ordre ecclésiale et canonique, parce qu'il est le
seul à avoir le privilège canonique, la prière et la bénédiction de l'Église et
des Conciles oecuméniques pour remplir ce devoir suprême et exceptionnel en
tant que mère et parent attentionné des Églises. Si le Patriarcat oecuménique
renonce à son devoir et quitte la scène inter-orthodoxe, les Églises locales
deviendront "comme des brebis sans berger" (Matt. 9 : 36), dépensant
leurs énergies dans des initiatives ecclésiastiques confondant l'humilité de la
foi avec l'arrogance du pouvoir »16.
De l'avis du Patriarche Bartholomée, la doctrine de l'égalité
des primats orthodoxes est une altération de l'ecclésiologie orthodoxe, contre
laquelle il juge nécessaire de mettre en garde les évêques de l'Église de
Constantinople : « Sans reconnaître la responsabilité sacrificielle, kénotique
et irremplaçable du Patriarche de Constantinople parmi les orthodoxes,
l'ecclésiologie ne peut en aucun cas être saine et ne correspond nullement à la
façon de penser et à l'éthique des pères qui nous ont précédés, à la fois ceux
qui étaient ici et ceux qui étaient ailleurs. Vous, cependant, servez une
ecclésiologie authentique et immuable, loin de la triste altération selon
laquelle nous sommes tous égaux et que le premier, [l’évêque de]
Constantinople, n'existe que "pour l'honneur". Oui, nous sommes
égaux, nous avons le même rang hiérarchique, mais sur la base des canons et de
siècles de tradition, nous avons reçu d'autres privilèges d'une importance
capitale
et d'un caractère unique, auxquels nous n'avons nullement
l'intention de renoncer »17 .
17 Allocution du patriarche Bartholomée de Constantinople
lors des vêpres en l'église Saint-André de Kiev le 21 août 2021.
18 Lettre du patriarche Bartholomée de Constantinople à
Sa Béatitude l'archevêque Anastase d'Albanie, datée du 20 février 2019.
19 Discours du patriarche Bartholomée de Constantinople
lors de la cérémonie de remise du titre de docteur honoris causa de l'Académie
de Kiev, le 22 août 2021.
Le Patriarche Bartholomée déclare ouvertement que les Primats
de Constantinople ont le droit exclusif, de leur propre initiative,
d'intervenir dans les affaires internes de toute Église locale sur n'importe
quelle question, d'évaluer, d'abroger ou de réviser de façon indépendante les
actes des Primats des Églises autocéphales, si ceux-ci sont jugés
"défectueux" à Constantinople : « La Grande Église du Christ,
lorsqu'il s'agit non seulement de dogmes, de traditions sacrées, de
dispositions ecclésiales canoniques ou de questions générales concernant
l'ensemble du corps de l'Église, mais aussi de toutes les questions
individuelles relativement importantes qui intéressent l'une ou l'autre Église
locale, n'a jamais et nulle part retardé ou refusé, selon les droits d'un
tuteur, de fournir sollicitude et soutien, parfois de son propre chef et par
sens du devoir, et parfois sur la demande des parties concernées, apportant sa
contribution efficace en tant qu'arbitre, pour le règlement des litiges
survenant entre les saintes Églises de Dieu, pour le règlement des différends
entre pasteurs et troupeau, pour l'élimination des difficultés supplémentaires
et le retour des affaires ecclésiastiques dans leur voie canonique, pour le
renforcement des actions parfois insuffisantes des chefs spirituels des
différentes Églises, pour le soutien des faibles, des hésitants et des victimes
d'intrigues dans l'Orthodoxie, pour la prévention, en bref, de tout danger
moral et matériel menaçant le bien-être de ces très saintes Églises »18 .
Toute rupture de communion avec le Patriarcat de
Constantinople d'une Église locale est considérée comme une rupture de cette
dernière avec l'Orthodoxie : « Quiconque menace de rompre la communion
eucharistique avec le Patriarcat oecuménique se prive lui-même, en se coupant
du tronc de l'arbre de l'Église orthodoxe »19 .
S'arrogeant l'autorité exclusive dans l'Église orthodoxe, le
Patriarcat de Constantinople ne se considère pas lié par les décisions même des
Conciles qu'il convoque. Ainsi, en 2018, le Saint-Synode du Patriarcat de
Constantinople a décidé d'autoriser la possibilité de second mariage pour le
clergé sous certaines conditions. Cette décision est en contradiction directe
avec le document « Le sacrement du mariage et les obstacles qui s'y opposent »
adopté au Concile de
Crète, dont le Patriarcat de Constantinople a déclaré les
décisions contraignantes, même pour les Églises locales qui ont refusé d'y
participer.
Une telle conception de la primauté dans l'Église universelle
et de la place du Patriarche de Constantinople dans la famille des Églises
orthodoxes locales est en contradiction radicale avec la Tradition de l'Église
orthodoxe et est catégoriquement rejetée par l'Église orthodoxe russe, qui
reste attachée à la lettre et à l'esprit des canons de l'Église.
La tradition des saints Pères et la doctrine orthodoxe de
l'Église affirment l'égalité des Primats des saintes Églises de Dieu et ne
confèrent aucun pouvoir quelconque au premier d'entre eux. Leurs Saintetés les
Patriarches d'Orient, dont les Patriarches de Constantinople, en ont témoigné
tout au long de l'histoire.
Le Patriarche Jean X Kamatéros de Constantinople (1198-1206),
dans une lettre au Pape Innocent, a insisté sur le fait que Église romaine ne
pouvait être la mère des autres Églises car « il y a cinq grandes Églises qui
sont également honorées par la dignité patriarcale, et elle [l'Église romaine]
est la première parmi des soeurs égales en honneur ». En ce qui concerne ces
grands trônes, nous pensons que l'Église romaine est la première dans l'ordre
et n'est honorée qu'en vertu de cette seule dignité, étant la première à
l'égard des autres Églises en tant que soeurs d'égale dignité et de même père,
engendrées par le seul Père céleste »duquel tire son nom sa lignée dans les
cieux et sur la terre" (Eph. 3:15), mais qu'elle soit l’enseignante et la
mère des autres [Églises], on ne nous l’a nullement enseigné, même aujourd'hui.
»20 .
20 Cité dans : Iannis Spiteris,La Critica Bizantina del
Primato Romano nel secolo XII, Roma, 1979 (Orientalia Christiana analecta
; 208. 208), pp.325-326.
La Confession de foi de 1623 du patriarche Métrophane
Ier Kritopoulos d'Alexandrie, également signée par les patriarches Jérémie
ΙΙΙ de Constantinople, Athanase V d'Antioche, Chrysanthe de Jérusalem et
plusieurs hiérarques de l'Église de Constantinople, dispose : « Entre les
quatre patriarches, il y a une égalité qui sied vraiment aux pasteurs
chrétiens. Aucun d'entre eux ne s'élève au-dessus des autres, et aucun ne se
considère digne d'être appelé chef de l'Église catholique... Ce chef de
l'Église catholique est le Seigneur Jésus-Christ, qui est le chef de tous, et
c’est de lui que le corps entier est coordonné (cf. Eph. 5, 15-16) ... Sachant
cela, les quatre sanctissimes et béatissimes Patriarches de l'Église
catholique, successeurs des Apôtres et défenseurs de la vérité, ne veulent
appeler personne « tête », se contentant de ladite Tête, qui est divine et
toute-puissante, qui siège à la droite du Père et regarde tout. Ils se traitent
mutuellement de manière égale en toutes choses. En dehors de la cathèdre, il
n'y a aucune autre distinction
entre eux. Le Constantinopolitain préside, à côté de lui
l'Alexandrin, puis l'Antiochien, à côté de lui le Hiérosolomytain »21
21 Cité dans : Jean Karmiris, Τὰδογματικὰκαὶσυμβολικὰμνημεῖα[Monuments
dogmatiques et symboliques…]Graz, 1968. Τ. ΙΙ. pp. 560 (640).
22 Ibid., pp. 927-930 (1007-1010).
23 Ibid., pp. 939-940 (1025-1026).
Déclinant une invitation du pape de Rome au premier Concile du
Vatican, le patriarche Grégoire VI de Constantinople écrivit en 1868 : « Nous
ne pouvons accepter que, dans toute l'Église du Christ, il y ait un évêque
supérieur et chef, autre que le Seigneur, qu'il y ait quelque patriarche...
parlant du haut de la chaire et supérieur aux Conciles oecuméniques... ou que
les apôtres n'aient pas été égaux, ce qui est un outrage à l'Esprit Saint, qui
les a tous éclairés de manière égale, ou que tel ou tel patriarche ou pape ait
obtenu l'aînesse de son trône non d’un Concile, non des hommes, mais de droit
divin, comme vous le dites »22 .
En 1894, le patriarche Anthime VII de Constantinople, dans une
lettre au pape de Rome Léon XIII, a également souligné l'égalité des primats et
des Églises locales : « Les Pères divins, honorant l'évêque de Rome seulement
en tant qu'évêque de la ville régnante de l'Empire, lui ont accordé le
privilège honorable de préséance, le considérant simplement comme le premier
parmi les autres évêques, c'est-à-dire le premier parmi ses égaux, privilège
qui a ensuite été également accordé à l'évêque de la ville de Constantinople,
lorsque cette ville est devenue régnante dans l'Empire romain..... Chaque
Église autocéphale d'Orient et d'Occident était entièrement indépendante et
autonome à l'époque des sept Conciles oecuméniques [...] et l'évêque de Rome
n'avait aucun droit d'interférer, étant lui-même soumis aux résolutions
conciliaires »23
L'histoire de l'Église connaît un certain nombre de cas où un
hiérarque de Constantinople a sombré dans l'hérésie ou le schisme. En
particulier, l'évêque Eusèbe de Constantinople était arien, et Macédonius était
pneumatomaque. L'évêque Nestorius de Constantinople était un hérésiarque, ce
qui lui valut d'être déposé et excommunié de l'Église lors du IIIème concile
oecuménique. Les patriarches de Constantinople Serge Ier, Pyrrhus, Paul II,
Pierre étaient monothélites, tandis que les patriarches Anastase, Constantin
II, Nicétas Ier, Théodote Ier Cassitéras, Antoine Ier Cassymatas, Jean VII le
Grammairien étaient iconoclastes. Les patriarches Métrophane II de
Constantinople et Grégoire III Mammé étaient en union avec Rome.
L'appartenance à l'Église orthodoxe n'est pas déterminée par
la présence ou l'absence de communion avec le Patriarche de Constantinople,
mais par la ferme adhésion à la tradition dogmatique et canonique. Dans les cas
où le Patriarche de
Constantinople lui-même dévie vers l'hérésie ou le schisme,
comme cela s'est produit à de nombreuses reprises dans l'histoire, il se trouve
hors de la communion avec l'Église orthodoxe, ce qui n’est pas le cas de ceux
qui, pour défendre la vérité et suivre les canons, sont contraints de rompre la
communion avec lui. En particulier, lorsque le patriarche de Constantinople a
fait défection au profit de l'Uniatisme, d'autres Églises locales ont continué
à préserver fermement la foi orthodoxe. Et la plénitude de la grâce en elles
n'a pas été diminué parce qu'elles étaient temporairement hors de communion
avec le Patriarche de Constantinople.
Il ne peut y avoir de primat dans l'Église orthodoxe disposant
de privilèges particuliers par rapport à d’autres primats. La tête de l'Église
universelle est le Seigneur Jésus-Christ (« Il est la tête du corps de l'Église
» - Col. 1 :18), et non le Patriarche oecuménique24 . L'ingérence d'une
Église locale dans les affaires d'une autre Église est inadmissible. La
primauté du Patriarche de Constantinople parmi les Primats des Églises
orthodoxes locales est une primauté d'honneur et non de pouvoir. Elle ne lui
confère aucun privilège particulier, à l’exception de ceux qui peuvent lui être
attribués par consensus des Églises orthodoxes locales, comme ce fut le cas au
cours de la préparation du Saint et Grand Concile de l'Église orthodoxe,
lorsque, par accord des Églises, les fonctions de coordinateur du processus ont
été confiées au Patriarche de Constantinople.
24 "L'homme ne peut pas être le chef de l'Église du
Christ... La doctrine de la nécessité impérative d'avoir un chef visible
suprême de toute l'Église du Christ est apparue en raison du grand déclin de la
foi dans le chef invisible de l'Église, c'est-à-dire dans le Seigneur
Jésus-Christ, et dans son existence et son action dans l'Église, et aussi en
raison du déclin de l'amour pour Lui " (Gorazd de Prague, hiéromartyr,
1168 вопросовиответовоправославнойвере[1168 questions et réponses sur la foi
orthodoxe] 343, 388).
Actuellement, en raison de l’adhésion du Patriarche de
Constantinople au schisme, il est devenu impossible pour l'Église orthodoxe
russe de lui reconnaître cette primauté d’honneur. Comme l'a mentionné le
Saint-Synode dans une déclaration du 15 octobre 2018, entrer en communion avec
ceux qui ont dévié vers le schisme, et qui plus est avec ceux qui ont été
excommuniés de l'Église, équivaut à dévier dans le schisme et est sévèrement
condamné par les canons de la Sainte Église : « Si des évêques, des presbytres,
des diacres ou des membres du clergé se trouvent en communion avec des
excommuniés, qu'ils soient eux-mêmes exclus de la communion de l'Église, car
ils bouleversent la règle de l'Église » (Canon 2 du Concile d'Antioche ; cf.
Canons apostoliques 10, 11).
Dans une décision datée des 23 et 24 septembre 2021, le
Saint-Synode a mentionné qu' « en soutenant le schisme en Ukraine, le
patriarche Bartholomée a perdu la confiance de millions de croyants » et a
souligné que « dans des
conditions où la majorité des fidèles orthodoxes du monde ne
sont pas en communion ecclésiastique avec lui, il n'a plus le droit de parler
au nom de l'ensemble de l'Orthodoxie mondiale et de se présenter comme son
dirigeant »25
25 Protocole n° 60 du Saint-Synode de l'Église orthodoxe
russe des 23 et 24 septembre 2021.
26 Citation de la décision du Saint-Synode du Patriarcat
de Constantinople du 11 octobre 2018 sur la réception en communion de Philarète
Denissenko et Macaire Maletitch.
27 « Si un ecclésiastique a un différend avec un autre
ecclésiastique, qu'il ne quitte pas son évêque et qu'il n'ait pas recours aux
tribunaux séculiers. Mais qu'il porte d'abord sa cause devant son évêque, ou
que, par la volonté de ce même évêque, les personnes choisies par les deux
parties constituent le tribunal. Quiconque contrevient à cette règle sera puni
selon les règles. Si un clerc a un litige avec son évêque ou avec un autre
évêque, qu'il soit jugé par le Concile de la province. Mais si un évêque ou un
clerc a un litige avec le métropolite, qu'il en appelle à l'exarque de la
grande province ou au trône de la Constantinople régnante, et qu'il soit jugé
devant lui » (extrait du 9ème canon du IVe concile oecuménique).
28 D'après l'interprétation du 17è canon du IVe concile
oecuménique. Voir : Évêque Nicodème (Milaš), Правила Православной Церкви с
толкованиями [Canons de l'Église orthodoxe avec commentaires], Мoscou,
1996. Т. 1. p. 374.
2. Prétentions du patriarcat de Constantinople au rôle de plus
haute instance d'appel de l'Église universelle
Une violation flagrante de l'ordre canonique existant dans
l'Église orthodoxe est la revendication des prétendus « privilèges canoniques
du patriarche de Constantinople d'accepter les appels des évêques et des clercs
de toutes les Églises autocéphales »26 . Constantinople fonde cette
revendication sur la 9e règle du IVe concile oecuménique27 , qui prescrit
que dans le cas de plainte contre le « métropolite de la province » on doit
s’adresser « soit à l'exarque de la grande région, soit au trône de la
Constantinople régnante ».
Cependant, cette règle ne s’étend pas à toutes les Églises
locales, mais à l'Église locale de Constantinople, et n'est valable qu'en son
sein. C'est ce qu'affirme le commentateur byzantin des canons faisant autorité,
Jean Zonaras, qui indique clairement que « le patriarche de Constantinople
n'est pas nommé juge de tous les métropolites sans exception, mais seulement de
ceux qui lui sont subordonnés. En effet, il ne peut pas citer à son tribunal
les métropolites de Syrie, de Palestine, de Phénicie ou d'Égypte contre leur
volonté ; mais les métropolites de Syrie sont soumis au tribunal du Patriarche
d'Antioche, ceux de Palestine au tribunal du Patriarche de Jérusalem, et ceux
d'Égypte doivent être jugés par le Patriarche d'Alexandrie, de qui ils
reçoivent l'ordination et à qui ils sont subordonnés »28 .
Saint Nicodème l’Hagiorite dans le Pédalion, qui est une
source faisant autorité en matière de droit ecclésiastique et canonique dans
l'Église de Constantinople, mentionne également que « le Primat de Constantinople
n'a pas le droit d'agir dans les diocèses et les provinces des autres
Patriarches, et cette règle ne lui a pas donné le droit d'accepter des appels
pour tout cas dans l'Église universelle ». Après avoir énuméré un certain
nombre d'arguments en faveur de cette interprétation, saint Nicodème conclut :
« Actuellement, le Primat de
Constantinople est le premier, le seul et le dernier juge des
métropolites qui lui sont subordonnés, mais non de ceux qui sont subordonnés
aux autres Patriarches »29 .
29 Pédalion, Interprétation du 9ème canon du IVe concile
oecuménique.
30 Εγκύκλιος της μιας αγίας καθολικής και αποστολικής
εκκλησίας επιστολή προς τους απανταχού ορθοδόξους. [Encyclique de l’église une,
sainte, catholique et apostolique à tous les orthodoxes], Constantinople 1848.
(§ 14)
À différentes époques, il y eut des cas d’appels des Primats
d’autres Églises locales au Patriarche de Constantinople pour obtenir de
l'aide. Cette pratique est reflétée, en particulier, dans « l’Encyclique de
l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique à tous les chrétiens orthodoxes
» (1848), qui stipule : « Les Patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de
Jérusalem, dans le cas d’affaires inhabituelles et confuses, écrivent au
Patriarche de Constantinople, parce que cette ville est la capitale des
empereurs et, ce faisant, dispose d’un privilège accordé par les Conciles. Si,
grâce à la coopération fraternelle, ce qui doit être corrigé l'est, c'est bien
; mais si ce n'est pas le cas, on s'en réfère au pouvoir temporel, suivant les
lois. Mais cette coopération fraternelle dans la foi chrétienne ne s’exerce pas
au prix de l’asservissement des Églises de Dieu »30.
Tout d’abord, on se réfère ici aux Églises locales concrètes
d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, et non à toutes les Églises qui ont
existé naguère ou qui existent actuellement. Deuxièmement, il s'agit de
questions « inhabituelles et confuses » qui sont renvoyées pour examen au
Patriarche de Constantinople par les Primats de ces Églises de leur propre
initiative, au cas où ils ne seraient pas en mesure de les résoudre eux-mêmes.
Troisièmement, il est dit clairement dans le texte que la participation de
Constantinople à la résolution de ces questions ne doit pas porter atteinte à
la liberté des Églises locales. Quatrièmement, le texte ne dit nulle part qu'un
évêque ou un clerc d'une Église locale peut faire appel au Patriarche de
Constantinople, en passant outre son Primat ou encore la plus haute autorité
conciliaire de sa propre Église. La pratique de faire appel au Patriarche de
Constantinople dans des cas complexes et confus est due au fait que « cette
ville est la capitale des empereurs », ce qu'elle n'est plus, comme cela est
bien connu. Il est évident que les pouvoirs respectifs du siège de
Constantinople ne pouvaient s'étendre au-delà du territoire placé sous
l'autorité desdits empereurs : en 1848, le sultan était un tel souverain, et
donc en ce lieu, l'affaire ne pouvait concerner que les Églises locales situées
à l'intérieur de l'Empire ottoman.
Dans l'histoire plus récente, il y eut des cas où, de sa
propre initiative, une Église locale, représentée par son Primat et son Synode,
faisait appel à Constantinople pour obtenir de l'aide si elle ne pouvait pas
résoudre un problème par elle-même. Dans de tels cas, le Patriarche de
Constantinople agissait non pas
en tant qu’instance d'appel suprême, mais en tant que
coordinateur de l'assistance fournie à l'Église souffrante par d'autres Églises
orthodoxes locales.
Un exemple d'une telle action panorthodoxe, réalisée sous le
rôle coordinateur du Patriarcat de Constantinople, peut être constitué par
l'une des étapes de la guérison du schisme dans l'Église orthodoxe bulgare. En
1998, sur la demande du patriarche Maxime de Bulgarie, le patriarche
Bartholomée de Constantinople a présidé le Saint Grand Concile élargi convoqué
à Sofia, aux travaux duquel ont participé les Primats et les représentants de
treize Églises orthodoxes locales, du 30 septembre au 1er octobre 1998. Le
Concile a accepté le repentir d'un certain nombre de hiérarques en schisme31,
et avec eux des clercs, des moines et des laïcs, en les réunissant à l'Église
orthodoxe bulgare canonique32.
31 En même temps, ceux qui se repentaient pour le schisme
retiraient publiquement leurs encolpions, signes de la dignité
épiscopale.
32 Malgré l'importance du Concile de Sofia de 1998, il
convient de mentionner que la position du patriarche Bartholomée, qui l'a
présidé, ne se distinguait pas par sa pureté canonique. Il a soutenu la
réception dans la communion « par économie extrême » des « hiérarques » qui
avaient reçu leur ordination, dans le schisme, de personnes réduites à l’état
laïc et excommuniées de l'Église, alors que la majorité des participants au
Concile était favorable à leur réception par une ordination canonique. Cette
position est reflétée dans l'opinion particulière du Saint-Synode de l'Église
orthodoxe russe concernant les décisions du Concile des primats et hiérarques
des Églises orthodoxes locales à Sofia.
Bien des années plus tard, le patriarche Bartholomée a
prétendu « guérir le schisme ukrainien », mais il n’a absolument pas agi de la
même manière que pour la guérison du schisme dans l'Église bulgare. Si, dans ce
dernier cas, les dirigeants de l'Église bulgare ont fait alors appel à
Constantinople, aujourd'hui, ni la Hiérarchie de l'Église orthodoxe russe, ni
celle de l'Église orthodoxe ukrainienne auto-administrée n'ont fait appel à
Constantinople pour trouver une solution au problème. Mais ce sont les autorités
séculières de l'État ukrainien et deux groupes de schismatiques qui se sont
adressés au Patriarche Bartholomée, en contournant l'Église orthodoxe
ukrainienne canonique. La décision de Constantinople de « rétablir dans le rang
sacerdotal » l’ex-métropolite de Kiev, Philarète (Denissenko), excommunié de
l’Église, a été prise en violation des canons ecclésiastiques.
Il convient de rappeler que le 26 août 1992, en réponse à la
notification de la déposition du métropolite Philarète de Kiev, le Patriarche
Bartholomée de Constantinople avait écrit au Patriarche Alexis II de Moscou et
de toute la Russie: « Notre Sainte Grande Église du Christ, reconnaissant la
plénitude de la compétence exclusive de votre très Sainte Église russe sur
cette question, accepte la décision de [votre] Synode sur ce qui précède ». La
réponse du patriarche Bartholomée du 7 avril 1997 au message concernant
l'anathémisation de Denissenko est la suivante : « Ayant reçu notification de
décision susmentionnée, nous en avons informé la hiérarchie de notre Trône
oecuménique et lui avons demandé de ne plus avoir dorénavant aucune communion
ecclésiastique avec les
personnes mentionnées ». Ainsi, même si le Patriarcat de
Constantinople avait le droit de recevoir les appels d'autres Églises orthodoxes
locales, même dans un tel cas, le Patriarche de Constantinople, conformément
aux canons33, ne pourrait accepter à nouveau un appel de l’ex-métropolite
Philarète Denissenko, en ayant précédemment reconnu la plénitude de la
compétence exclusive de l'Église orthodoxe russe dans son cas et ayant exprimé
son accord avec la décision de son Assemblée des évêques sans aucune
proposition de révision. Au demeurant, tout appel de la part de
l’ex-métropolite de Kiev Philarète eût été en tout état de cause nul et non
avenu puisque, ayant été condamné, il n'a pas cessé d'accomplir des offices et
des ordinations, perdant ainsi, selon les canons34, le droit de voir son cas
réexaminé.
33 Voir le 5ème canon du Conseil de Sardique.
34 14e canon du Concile de Sardique : « Mais avant que
toute chose ne soit examinée avec soin et foi, celui qui fut privé de la
communion ne doit pas revendiquer la communion pour soi » ; 29e canon (38e) du
Concile de Carthage : « Il a également été décidé par tout le synode que
l’évêque ou n’importe quel clerc qui fut privé de la communion pour sa
négligence, s’il ose communier durant le temps de sa privation de communion et
avant d’être entendu en justice, sera considéré comme ayant porté contre soi la
sentence de condamnation», etc.
35 15e canon du Concile d'Antioche : « Si un évêque...
est jugé par tous les évêques de la province et que tous ont été unanimes à
porter sur lui un jugement défavorable, il ne sera pas jugé par d'autres
évêques, mais la décision concordante des évêques de la province restera ferme
» ; 105e (118e) canon du Concile de Carthage : « Quiconque, ayant été
exclu de la communion de l'Église... se rend clandestinement outre-mer pour
être reçu dans la communion, est passible de l’exclusion du clergé ». Lettre canonique
du Concile de Carthage au pape Célestin : : « Que ceux donc qui ont été dans
leur propre province privés de la communion… ne soient pas … rétablis dans la
communion par votre sainteté… toutes affaires qui naissent quelque part doivent
être conclues dans les lieux mêmes ».
36 Lettre du patriarche Bartholomée de Constantinople au
patriarche Cyrille de Moscou et de de toute la Russie n° 1119 du 24 décembre
2018.
Le « rétablissement dans le rang sacerdotal » de
l’ex-métropolite Philarète Denissenko entrepris unilatéralement par le
Patriarcat de Constantinople, sans procès ni examen de l'affaire au fond, est
nul et non avenu à la lumière des saints canons - en particulier, du 15e canon
du Concile d'Antioche, du 105e (118e) du Concile de Carthage et de la lettre
canonique du Concile de Carthage au Pape Célestin35.
Les actions qui ont eu lieu à Constantinople en octobre 2018
ne peuvent pas même formellement être qualifiées de cour d'appel : non
seulement les décisions de justice ecclésiastique prises à l'encontre de
Philarète Denissenko et de Macaire Maletitch n'ont pas été examinées, mais on
n’a pas même pris une connaissance élémentaire des biographies de ces
personnes. Ainsi, le patriarche Bartholomée a écrit à propos des appels qu'il
les avait reçus « du ci-devant seigneur de Kiev Philarète et également du ci-devant
seigneur de Lvov Macaire36 », bien qu'à l'époque du schisme, Nicolas
Maletich était archiprêtre marié.
Dans le but d'étendre la portée de ses droits fictifs et de
créer de nouveaux précédents, le Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople
a, le 17 février 2023, a « abrogé » les décisions dûment ratifiées du tribunal
ecclésiastique du diocèse
de Vilnius concernant la destitution du rang sacerdotal de
cinq ecclésiastiques pour des délits canoniques commis par eux et, sur la
recommandation du patriarche Bartholomée, les a « rétablis » dans leurs anciens
rangs sacerdotaux. Dans le même temps, malgré l'assurance d'une « enquête
méticuleuse sur les cas examinés », le Saint-Synode du Patriarcat de
Constantinople ne disposait pas des documents relatifs aux affaires judiciaires
et se fondait exclusivement sur les déclarations personnelles des
ecclésiastiques mentionnés, qui reflétaient unilatéralement leurs opinions et
leurs intérêts37. De la même façon, le 27 juin 2023, un clerc du diocèse de
Moscou a également été « rétabli » dans son rang sacerdotal sur la base d'une
déclaration personnelle, sans étude des documents du tribunal, bien que la
procédure de privation de son rang sacerdotal engagée par le tribunal
ecclésiastique diocésain n'ait pas été achevée (la confirmation du verdict par
le patriarche de Moscou et de toute la Russie n'avait pas eu lieu au moment de
l'examen de la question à Constantinople38).
37 Communiqué du Secrétariat général du Saint-Synode du
Patriarcat de Constantinople, daté du 17 février 2023, sur l'appel des clercs
de Lituanie.
38 Communiqué sur les travaux du Saint-Synode du
Patriarcat de Constantinople du 28 juin 2023.
Poursuivant ses activités illégales, le Saint-Synode du
Patriarcat de Constantinople a examiné, les 25 et 26 avril 2023, les appels de
deux clercs de l'Église orthodoxe en Amérique, qui avaient fait l’objet de
sanctions par le tribunal ecclésiastique de leur Église locale en raison de
leurs délits canoniques.
Il est ainsi créé une situation des plus dangereuses, lorsqu'un
clerc qui a transgressé les saints canons et a été destitué de son rang
sacerdotal dans son Église locale peut interjeter appel à Constantinople et
recevoir une « réintégration dans le rang sacerdotal ». Qui plus est, ces
clercs peuvent être utilisés pour créer une structure du Patriarcat de
Constantinople sur le territoire canonique d'une autre Église locale.
3. Le « rétablissement dans le rang sacerdotal » des
schismatiques qui n'ont pas été ordonnés canoniquement ou qui ont perdu leur
rang pour avoir rejoint le schisme
Le « rétablissement dans le rang sacerdotal » des
schismatiques ukrainiens par le Patriarcat de Constantinople constitue une
violation indubitable des saints canons et une rupture avec la pratique
séculaire de l'Église.
Par la décision du Saint-Synode du Patriarcat de
Constantinople du 11 octobre 2018, les « hiérarques » et « clercs » de deux
structures schismatiques en Ukraine – l’Église orthodoxe ukrainienne –
Patriarcat de Kiev et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale - ont été
acceptés dans la communion
ecclésiale « dans leur rang sacerdotal existant », sans examen
des circonstances de leur condamnation et de la validité de leurs
ordinations.
Cette décision a été prise en dépit du fait que les
schismatiques ne se sont pas repentis et ne se sont pas réunis avec l'Église
orthodoxe ukrainienne, dont ils s'étaient détachés et à l’égard de laquelle ils
continuent leur hostilité. Ainsi, la condition la plus importante pour
l'admission des schismatiques dans l'Église a été bafouée : leur repentir et
leur réunion avec l'Église locale dont ils se sont séparés. Or, c'est à cette
condition que la Sainte Église a guéri les schismes, tant dans les temps
anciens que modernes, ce qui est confirmé par de nombreux exemples
En particulier, l'examen du problème du schisme mélicien lors
du premier Concile oecuménique s'est déroulé avec la participation directe de
l'Église d'Alexandrie, au sein de laquelle il a surgi et qui en a souffert.
L'évêque Alexandre d'Alexandrie, comme l'indiquent les Actes du Concile, « a
été le principal artisan et participant de tout ce qui s'est passé au Concile
». Il est caractéristique que les évêques ordonnés dans le schisme, en revenant
dans l'Église, devaient être confirmés par une ordination plus sainte (μυστικωτέρᾳ
χειροτονίᾳ βεβαιωθέντας), et qu'ils étaient placés dans une
position subordonnée aux évêques canoniques sur le terrain : « il leur était
enjoint de ne faire quoi que ce soit sans le consentement des évêques de
l'Église catholique et apostolique soumis à [l'évêque d'Alexandrie] Alexandre
»
De même, le Ier Concile oecuménique s'est prononcé sur le
schisme novatiens. Selon son 8e canon, les évêques novatiens devaient «
confesser par écrit » qu'ils suivraient en toutes choses les définitions de
l'Église catholique. Après avoir leur imposé des mains (ὥστε
χειροθετουμένους αὐτούς), ils ont été rattachés à
l'Église et, de la même manière que les Méliciens, ont été soumis aux évêques
canoniques locaux.
Le VIIème Concile oecuménique, qui s'est penché sur la question
de la réception des évêques iconoclastes dans l'Église, a exigé d’eux qu'ils se
repentent par écrit, ce qu'ils ont fait. En même temps, le cas de chaque évêque
iconoclaste a été examiné séparément par les Pères du Concile, ce qui est
décrit dans les Actes conciliaires, et les évêques qui étaient les iconoclastes
les plus zélés comme, par exemple, le métropolite Grégoire de Néocésarée, ont
été interrogés avec un soin particulier et convoqués aux sessions du Concile à
plusieurs reprises.
Dans l'histoire récente de l'Église, le même principe a été
appliqué lors du Concile des primats et des représentants des Églises
orthodoxes locales à Sofia en 1998 : les évêques schismatiques n'ont été
acceptés dans la communion qu'après s'être repentis et avoir exprimé leur
volonté de se réunir avec l'Église orthodoxe bulgare canonique.
Les schismatiques en Ukraine ne se sont pas repentis et ne se
sont pas réunis avec l'Église orthodoxe ukrainienne et son primat, Sa Béatitude
le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l'Ukraine. La décision du
Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople d'admettre ces personnes dans la
communion ecclésiale témoigne une déviation de la pratique séculaire
profondément ancrée dans la doctrine orthodoxe, qui à son tour conduit à des altérations
dans la compréhension de la nature et de la structure de l'Église
elle-même.
La gravité de l'acte anti-canonique du Patriarcat de
Constantinople est aggravée par le fait que tous les « évêques » schismatiques
et les simples « clercs », sans exception, ont été « rétablis » dans leur rang
par la décision arbitraire de son Synode sans enquêter sur la succession
apostolique de leurs ordinations. Or, dans de nombreux cas, les ordinations des
schismatiques ukrainiens ne peuvent pas être reconnues comme valides, même par
une économie extrême.
La hiérarchie de la soi-disant « Église orthodoxe autocéphale
ukrainienne » (EOAU) a été fondée par l’ex-diacre du diocèse de Toula, Victor
Tchekaline (défroqué en 1983), et l’ex-évêque de Jytomyr et d'Ovroutch, Jean
Bodnartchouk (défroqué en 1989), qui ont « ordonné » en 1990 les premiers
évêques de l'EOAU. Dans le même temps, Victor Tchekaline, qui prétendait être «
l'évêque Vincent de Iasnaïa Poliana », n'a jamais et nulle part (même dans des
communautés non canoniques) reçu une « ordination » non seulement épiscopale,
mais même presbytérale.
La partie principale de « l’épiscopat » de l'EOAU, qui a
rejoint la soi-disant « Église orthodoxe d'Ukraine », compte une succession d'«
ordinations » de ces deux personnes. En particulier, le « métropolite de Galicie
» André Abramtchouk, qui a concélébré avec le patriarche Bartholomée en la
cathédrale Saint-Georges [du Phanar, ndt] le 6 janvier 2021, a été « ordonné »
avec la participation de Victor Tchekaline. L'ancien primat de l'EOAU Macaire
Maletitch, qui s’était autoproclamé « Métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine
», a également reçu une « ordination » épiscopale » de la hiérarchie «
tchekalienne ».
La soi-disant « Église orthodoxe ukrainienne - Patriarcat de
Kiev » a été créée à la suite du passage, le 25 juin 1992, à l'EOAU de
l’ex-métropolite de Kiev, Philarète Denissenko, qui, deux semaines auparavant,
avait été défroqué par l’Assemblée des évêques de l'Église orthodoxe russe pour
toute une série d'accusations et, plus tôt encore, avait été interdit de célébration
par l’Assemblée des évêques de l'Église orthodoxe ukrainienne, les 27 et 28 mai
1992.
Après avoir rejoint l'EOAU schismatique, l’ex-métropolite
Philarète a concélébré pendant longtemps avec des hiérarques ayant reçu
l’ordination « tchekalienne », c'est-à-dire qui n'avaient jamais été ordonnés
évêques. Malgré les tentatives de l’ex-métropolite Philarète de « réordonner »
secrètement les
hiérarques de l'EOAU à l'aide de l’ex-vicaire épiscopal Jacob
Pantchouk et de l’ex-évêque de Lvov André Gorak, qui avaient également été
défroqués, certains des hiérarques de cette structure ont refusé d'être «
réordonnés ». Après la dislocation du schisme ukrainien en 1993 en deux
structures non canoniques, l'épiscopat « tchekalinien » est passé, plus d’une
fois, à l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev et vice-versa,
participant à plusieurs reprises aux « ordinations épiscopales ». À cet égard,
la présence de signes, même formels, de succession apostolique dans les «
ordinations » de l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev (EOU-PK)
ne peut être reconnue sans une recherche approfondie.
Les circonstances de la légalisation du schisme ukrainien
confirment que le Phanar n'a procédé à aucune étude des ordinations des
schismatiques ukrainiens. Cela est confirmé par le « rétablissement »
susmentionné du chef de l'EOAU Macaire Maletitch en tant qu’« ex-métropolite de
Lvov », alors que personne ne l'a jamais privé de ce rang et ne puisse le
faire, pour la bonne raison qu’il a rejoint l'EOAU avec le rang d'archiprêtre
(dont il a été privé par la suite), et il a reçu son « ordination » épiscopale
et la dignité d'« évêque de Lvov » alors qu’il se trouvait déjà dans le
schisme. Qui plus est, à la suite de la réception automatique dans « leur rang
existant » de toutes les personnes qui faisaient partie à l'époque de l'EOAU et
de l'EOU-PK non canoniques, Constantinople a reconnu dans la dignité de «
métropolite de Chersonèse » Michel Laroche, qui vivait à Paris39 , et qui
est devenu le « hiérarque » de la soi-disant « Église orthodoxe d'Ukraine ».
Par ailleurs, la succession de « l’ordination » épiscopale de cet homme remonte
aux schismatiques grecs vieux-calendaristes.
39 Décédé en 2022.
40 Patriarche Porphyre de Serbie, Communiqué de presse de
l’Église orthodoxe serbe « au sujet de la terreur d’État contre l’Église
orthodoxe ukrainienne » - Orthodoxie.com
41 Communiqué de l’Assemblée des évêques de l'Église
orthodoxe polonaise en date du 2 avril 2019.
Les actions illégales du Patriarche de Constantinople pour «
rétablir dans leur rang sacerdotal » des personnes qui n'ont jamais eu un tel
rang ont trouvé une évaluation canonique correspondante dans un certain nombre
d'Églises orthodoxes locales. Selon les termes de Sa Sainteté le patriarche
Porphyre de Serbie, « L’Église est l’Église, et une para-synagogue illégale
peut devenir Église uniquement par la repentance et la procédure canonique, et
en aucun cas d’un trait de plume »40 . « Ceux qui ont quitté l’Église,
dépourvus d’ordination sacerdotale, ne peuvent représenter un organisme
ecclésial sain »41 , a déclaré l’Assemblée des évêques de l'Église
orthodoxe polonaise.
Comme le souligne à juste titre Sa Béatitude l'archevêque
Anastase d'Albanie dans une lettre au patriarche Bartholomée de Constantinople
datée du 21 mars 2019, « Par conséquent, la correction du schisme des Méliciens
et le
rétablissement de ceux qui avaient été de façon invalide
ordonnés par celui-ci, comportait les phases suivantes : 1) le repentir, 2)
l’imposition des mains par un évêque canonique, une exigence minimum pour le
sceau de la succession apostolique, 3) une prière et, finalement, 4) la
réconciliation. C’est là un principe en vigueur pour tous les cas de la
réintégration des schismatiques dans l’Église orthodoxe et qui définit une
issue intéressante au problème existant. ». Il est également inapproprié de
comparer le schisme ukrainien à la division existant entre l'Église orthodoxe
russe hors-frontières et l'Église dans la patrie, division qui a été surmontée
en 2007. Les hiérarques de l'Église russe hors-frontières n'ont jamais été
destitués de leur rang et, comme l'écrit à juste titre Sa Béatitude
l'archevêque Anastase d'Albanie dans la lettre susmentionnée, « il n’y avait ni
excommunications ni anathèmes, et la succession apostolique n’était pas mise en
doute », ce qui est notamment confirmé par les cas répétés de hiérarques de
nombreuses Églises orthodoxes locales, y compris Constantinople, concélébrant
avec les hiérarques de l'Église russe hors-frontières.
Il convient également de mentionner l’argumentation de la
déclaration du Secrétariat du Saint-Synode de l'Église orthodoxe albanaise du
15 novembre 2022, qui met en question la légalité de l'ordination de l'actuel «
primat » de l'Église orthodoxe d’Ukraine par l’ex-métropolite Philarète
(Denissenko), excommunié de l’Église : « lorsque l’ordinant est séparé de
l’Église, défroqué, anathématisé et excommunié, il reste ineffectif, il ne
transmet aucune grâce (de même qu’un appareil électrique ne transmet aucune
énergie s’il est coupé du courant). Pas plus que quelque chose qui n’a jamais
eu lieu devient existant et valide par une simple décision administrative.
C’est en cela précisément que consiste la préoccupation quant à la validité de
l’ordination d’Épiphane par Philarète ».
Il faut reconnaître que les « hiérarques » de la soi-disant «
Église orthodoxe d'Ukraine », formée par la décision du patriarche Bartholomée
de Constantinople à partir de deux structures non canoniques qui existaient
auparavant - l'EOAU et l'EOU-PK - n'ont pas d'ordination canonique et ne sont
donc pas des évêques. Tout hiérarque de l'Église canonique qui concélèbre avec
eux, conformément aux canons de l'Église (9e canon du Concile de Carthage ; 2e,
4e canons du Concile d'Antioche ; 11e, 12e canons apostoliques), rejoint
lui-même par cette concélébration, le schisme, et est sujet à
l'excommunication. N'ayant ni le droit, ni le désir, d'entrer en communion
eucharistique avec de tels « hiérarques » après leur reconnaissance par
Constantinople, l'Église orthodoxe russe, lors de la réunion de son
Saint-Synode du 15 octobre 2018, a été contrainte de déclarer l'impossibilité
de la communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople jusqu'à ce
qu'il renonce à ses décisions anti-canoniques. Les
décisions ultérieures du Saint-Synode42 ont étendu
l'impossibilité de la communion eucharistique également aux primats et aux
hiérarques des Églises orthodoxes locales qui reconnaissent la légitimation du
schisme ukrainien et entrent en concélébration avec des personnes qui n'ont pas
d'ordination canonique.
42 Protocoles des séances du Saint-Synode de l'Église
orthodoxe russe n° 125 du 17 octobre 2019 ; n° 151 du 26 décembre 2019 ; n° 77
du 20 novembre 2020.
43 Auparavant, ces anciens clercs, privés de leur
ministère par un tribunal ecclésiastique, étaient « rétablis » dans leur rangs
par le Synode du Patriarcat de Constantinople (voir ci-dessus, section
2).
44 Voir 12è, 15è, 32è, 33è canon apostolique ; 15è, 16è
canon du Ier Concile œcuménique ; 5è, 6è, 10è, 11è, 13è, 20è, 23è canondu IVè
Concile œcuménique ; 17è, 18è canon du Concile in Trullo; 10è canon du
VIIè concile œcuménique ; 3è, 6è canon du Concile d'Antioche ; 20è, 23è (32è),
105è (118è), 106è (119è-120è) canon du Concile de Carthage.
Fidèle à l'esprit et à la lettre des saint canons, l'Église
orthodoxe russe continuera à l’avenir d'adhérer strictement aux règles
canoniques qui interdisent le concélébration avec les schismatiques et les
autoconsacrés. Tout écart par rapport à ces canons conduit inévitablement à la
destruction de la paix inter-ecclésiale et à l’aggravation du schisme.
4. Revendications du Patriarcat de Constantinople pour le
droit de recevoir des clercs sans lettres de congé
Une autre innovation du Primat de Constantinople a été la
déclaration de son prétendu droit à recevoir des clercs de n'importe quelle
Église locale sans lettre de congé de leurs évêques. En référence au soi-disant
« droit de recevoir » de son trône d'agir ainsi, cinq anciens clercs du diocèse
de Vilnius43 en février et deux clercs de l'exarchat biélorusse en avril,
ainsi qu'un clerc du diocèse de Moscou de l'Église orthodoxe russe « rétabli
dans son rang sacerdotale » en juin 2023 ont été pris « sous l'omophore » du
patriarche Bartholomée.
Le passage de clercs d'une juridiction à une autre sans
approbation de la hiérarchie sous la forme d'une lettre de congé constitue un
délit canonique, tant de la part du clerc que de l'évêque qui l'a accueilli.
Cela est explicitement indiqué dans un certain nombre de canons44. À la lumière
de ces canons, les actions du patriarche Bartholomée constituent des actes de
violation des fondements canoniques de la structure ecclésiastique.
Pour justifier ses actions, le patriarche Bartholomée ne se
réfère à aucun canon, mais uniquement à l'interprétation de Théodore Balsamon
des 17e et 18e canons du Concile in Trullo et du 10e canon du VIIe Concile
oecuménique (interdisant l'admission de clercs sans lettres de congé
canonique). Commentant le contenu du 10è canon du VIIe concile oecuménique,
Balsamon écrit : « Diverses canons interdisent aux clercs de quitter les
diocèses dans lesquels ils sont clercs
et de se rendre dans d'autres diocèses. Ainsi, suivant ces
règles, le présent canon détermine également qu'aucun clerc sans son évêque,
c'est-à-dire sans une lettre de recommandation et de congé canonique de sa
part, ou sans un décret du patriarche de Constantinople, ne sera reçu nulle
part, c'est-à-dire qu'il ne célébrera dans aucune église.... Il ressort du sens
littéral du canon actuel que seul le patriarche de Constantinople est autorisé
à recevoir des clercs étrangers sans lettre de congé canonique de celui qui les
a ordonnés, s'ils présentent au moins des lettres attestant leur ordination ou
leur admission dans le clergé. Pourquoi, me semble-t-il, le saint Patriarche et
ses chartophylax ont-ils le droit de permettre à un clerc étranger d'officier
dans la ville régnante sans lettre de congé canonique de celui qui l'a ordonné
? »45 .
45 Правила святых Вселенских Соборов с толкованиями. М.:
«Сибирскаяблагозвонница» [Canons des saints Conciles oecuméniques avec leurs
commentaires]. Moscou 2011, pp. 665-666.
46 Voir section 2 ci-dessus.
Dans ce commentaire, Balsamon fait effectivement une exception
à l'ordre général pour le patriarche de Constantinople. Il n'y a pas
d'exception de ce type dans les interprétations de ce canon ou d'autres canons
sur le sujet de la transition des clercs chez d'autres canonistes faisant
autorité : Zonaras, Aristène, l’évêque Nicodème (Milaš). La seule raison
compréhensible de l'attribution du siège de Constantinople et l'assimilation
d'un privilège spécial pour celui-ci pourrait être le statut de capitale de la
« ville régnante », qui était donc un centre d'attraction pour les clercs qui
avaient arbitrairement quitté leurs évêques, un statut perdu depuis longtemps
par cette ville. La question se pose toutefois de savoir ce que Balsamon
pensait des limites territoriales du privilège qu'il mentionne. Le commentateur
lui-même n'a pas de réponse à cette question.
Les commentaires de Jean Zonaras sur les 9è et 17è canons du
IVè Concile oecuménique jettent une lumière sur la question des appels,
précisant clairement que cela ne concerne que les métropolites subordonnés au
patriarche de Constantinople46 . Par analogie avec cette indication de
Zonaras, on peut affirmer que le droit du patriarche de Constantinople de
recevoir des clercs sans lettre de congé, auquel Balsamon fait référence,
s'appliquait à son époque exclusivement aux clercs du patriarcat de
Constantinople. D'autant plus que dans son interprétation du 17è canon du
Concile in Trullo, Balsamon affirme que le même privilège appartient à
l'évêque de Carthage : « Excluez ici l'évêque de Constantinople et l'évêque de
Carthage ; car eux seuls peuvent, comme on l'a souvent dit, recevoir des clercs
étrangers sans le consentement de celui qui les a
ordonnés »47 . En effet, le 55è canon (66è) du Concile de
Carthage accordait à l'évêque de Carthage, alors primat d'Afrique, le privilège
d'ordonner des clercs d'autres diocèses africains comme évêques d’un diocèse
vacant, sans exiger le consentement obligatoire de l'évêque auquel le clerc en
question était subordonné. Toutefois, il est absolument clair que ce privilège
ne s'étendait pas au-delà des frontières de l'Afrique. Cela semble donc assez
clair : Balsamon disait que l'évêque de Constantinople, par analogie avec
l'évêque de Carthage, a également des droits juridictionnels étendus par
rapport aux autres évêques, mais uniquement au sein de l'Église de
Constantinople.
47 Правила святых Вселенских Соборов с толкованиями [Canons
des saints Conciles oecuméniques avec leurs commentaires], p. 341.
Cela dit, il convient de rappeler que ce sont les canons
eux-mêmes, et non leurs interprétations, même si elles font autorité, qui ont
force de loi dans l'Église. Et le sens direct des canons mentionnés par le
Patriarche Bartholomée parle précisément de l'interdiction d'accepter des
clercs étrangers sans lettres de congé de leurs évêques. Par conséquent,
l'Église orthodoxe russe ne reconnaît pas et n'acceptera pas une telle
interprétation de la tradition canonique, qui attribue au patriarche de
Constantinople des droits supra-juridictionnels dans le monde entier, et
adhérera fermement au principe de l'égalité juridictionnelle des Églises
autocéphales et de leurs primats, quelle que soit leur place dans les saints
diptyques. Et les actes du Patriarche de Constantinople acceptant dans sa
juridiction des clercs d'une autre Église locale sans lettres d'autorisation
sont et seront considérés par nous comme un délit passible, selon les saints
canons, de destitution du rang sacerdotal.
5. Revendications du patriarcat de Constantinople concernant
le droit exclusif d'accorder l'autocéphalie
L'institution de l'autocéphalie s'est formée progressivement
dans l'Église orthodoxe et, sous sa forme actuelle, elle est le fruit de
siècles de développement.
Ni la cathèdre de Jérusalem, ni celle de Rome, ni celle
d'Alexandrie, ni celle d'Antioche, ni celle de Constantinople n'ont reçu
l'autocéphalie de qui que ce soit : elles sont toutes devenues autocéphales en
raison des circonstances du développement historique de l'Église au cours des
premiers siècles du christianisme.
Par la suite, des autocéphalies sont apparues et ont été
abolies pour diverses raisons, et il n'y a pas eu de procédure unique
universellement acceptée pour
accorder ou abolir l'autocéphalie. L'autocéphalie pouvait être
accordée par le Concile oecuménique. Par exemple, l'Église orthodoxe de Chypre
a reçu l'autocéphalie par décision du IIIè Concile oecuménique en
43148 .
48 « Les chefs des saintes Églises de Dieu en Chypre
resteront sans être inquiétés ni exposés à la violence, si, observant les
canons des saints et vénérés Pères ils procèdent par eux-mêmes, selon
l’ancienne coutume, à l’élections des très pieux évêques » (8è canon du IIIe
Concile oecuménique).
49 Le concile de Constantinople de 1593 a décidé que le
primat de l'Église russe doit « être et appelé frère des Patriarches
orthodoxes, selon le pouvoir de cette appellation, partageant le même rang et
le même trône et égal en rang et en dignité [que ceux-ci, ndt], et signer selon
la coutume des Patriarches orthodoxes : 'Patriarche de Moscou et de toute la
Russie et des pays du Nord' » (Actes du Concile de Constantinople de
1593).
L'autocéphalie pouvait également être accordée par
l'Église-Mère, sous la juridiction de laquelle une nouvelle Église orthodoxe
locale indépendante émergeait. Par exemple, l'autocéphalie de l'Église
orthodoxe serbe a été accordée trois fois - en 1219, en 1557 et en 1879 - par
le Patriarcat de Constantinople, qui a également accordé l'autocéphalie à un
certain nombre d'autres Églises orthodoxes locales quittant sa
juridiction.
L'histoire de l'Église orthodoxe russe est plus que millénaire
et remonte à 988, lorsque la Rus’ kiévienne a été baptisée par le prince
Vladimir isapostole dans les eaux du Dniepr. Pendant plusieurs siècles, la
métropole unifiée de la Rus’ - dont le centre se trouvait d'abord à Kiev, puis
à Vladimir et enfin à Moscou - a fait partie du Patriarcat de Constantinople.
Toutefois, en 1448, l'Église russe a acquis une indépendance de
facto après l'élection de saint Jonas au trône métropolitain de Moscou,
sans l’accord de Constantinople. Cette décision de l'Église russe a été forcée
: le patriarche de Constantinople était à l'époque en union avec Rome, et
l'Église russe a catégoriquement rejeté cette union.
L'autocéphalie de l'Église russe n'a pas été immédiatement
reconnue par Constantinople et les autres patriarches orientaux. Cependant, en
1589, avec la participation du patriarche Jérémie II de Constantinople, un
patriarcat a été établi à Moscou et le saint hiérarque Job a été élevé à la
dignité de patriarche. Dans le cadre de cet acte, le patriarche Jérémie et ceux
qui l'accompagnaient, ainsi que les hiérarques et les archimandrites de
l'Église russe, ont signé la « Charte d'établissement ». La dignité patriarcale
de la cathèdre de Moscou a été confirmée lors des conciles des Patriarches
orientaux à Constantinople en 1590 et 159349 .
Les décisions relatives à l'octroi de l'autocéphalie à des
parties du Patriarcat de Constantinople ont été prises à plusieurs reprises par
le Saint-Synode ou les Conciles de cette Église. Par exemple, le Patriarcat de
Constantinople a accordé le statut d'autocéphalie aux Églises d’Hellade (1850),
de Serbie (1879), de Roumanie (1885) et d’Albanie (1937) qui en faisaient
partie.
Dans l'histoire, en dehors des Conciles, l'autocéphalie a été
accordée non seulement par le Patriarcat de Constantinople, mais aussi par
d'autres Églises. Ainsi, au Ve siècle, l'autocéphalie de l'Église orthodoxe
géorgienne a été accordée par le Patriarcat d'Antioche, et au XXe siècle, le
Patriarcat de Moscou a accordé l'autocéphalie à l'Église orthodoxe polonaise
(1948), à l'Église orthodoxe tchécoslovaque (1951) et à l'Église orthodoxe en
Amérique (1970). En 2022, l'Église orthodoxe macédonienne (Archevêché d'Ohrid)
a reçu l'autocéphalie de l'Église orthodoxe serbe.
Sa Sainteté le patriarche Athénagoras de Constantinople, dans
une lettre adressée au métropolite Pimène de Kroutitsy et Kolomna, locum tenens
du trône patriarcal de l'Église orthodoxe russe, datée du 24 juin 1970, a écrit
: « Il n'y a pas de canons spécifiques qui définiraient précisément tout ce qui
concerne l'autocéphalie dans la législation de l'Église ; son octroi relève de
la compétence de l'Église tout entière et ne peut, même au moindre degré, être
considéré comme le droit de "toute Église autocéphale" ; le jugement
final sur la question de l'autocéphalie relève de la compétence d'un Concile
plus général représentant toutes les Églises orthodoxes locales, et en
particulier du Concile oecuménique »50.
50 Lettre n° 583 du 24 juin 1970 du patriarche
Athénagoras de Constantinople au métropolite Pimène de Kroutitsy et
Kolomna.
La compréhension de la procédure d'octroi de l'autocéphalie en
tant qu'oeuvre conciliaire de « toute l'Église » a servi de base au projet de
document sur l'autocéphalie et les moyens de l'accorder, qui a été examiné lors
de la réunion de 1993 de la commission préparatoire inter-orthodoxe et lors de
la quatrième conférence préconciliaire panorthodoxe en 2009.
La procédure d'octroi de l'autocéphalie envisagée par ce
projet et convenue au préalable présuppose : a) le consentement du Concile
local de l'Église-Mère kyriarcale à ce que sa partie reçoive l'autocéphalie ;
b) Déclaration par le Patriarche oecuménique du consensus de toutes les Églises
orthodoxes locales, exprimé par l'unanimité de leurs Conciles ; c) sur la base
de l'accord de l'Église mère et du consensus panorthodoxe, la proclamation
officielle de l'autocéphalie par l’impression du Tomos, qui « sera signé par le
Patriarche oecuménique et attesté par les signatures de Leurs Béatitudes les
Primats des très saintes Églises autocéphales invités à cette fin par le
Patriarche oecuménique ». En ce qui concerne ce dernier point, seule la
procédure de signature du Tomos n'a pas fait l'objet d'un accord complet, ce
qui n'a pas diminué l'importance des accords conclus sur les autres
points.
Lors des réunions des Primats des Églises orthodoxes locales
de 2014 et 2016, la délégation du Patriarcat de Moscou, ainsi que les
représentants de quelques autres Églises soeurs, ont insisté pour que la
question de l'autocéphalie soit inscrite à l'ordre du jour du Concile.
Toutefois, le Patriarcat de Constantinople a demandé aux Églises orthodoxes
locales de ne pas aborder la question de l'autocéphalie lors du Concile, qui
devait se tenir en juin 2016. L'Église russe a accepté l'exclusion de ce sujet
de l'ordre du jour du Concile seulement après que le patriarche Bartholomée ait
assuré à la réunion des Primats, le 24 janvier 2016, que l'Église de
Constantinople n'avait pas l'intention de mener des actions concernant la vie
ecclésiale en Ukraine, que ce soit lors du Saint et Grand Concile ou après
celui-ci.
Il est désormais évident que le Patriarche de Constantinople
préparait déjà une intrusion en Ukraine et qu'il a donc évité de discuter du
sujet de l'autocéphalie, insistant sur son exclusion de l'ordre du jour du
Conseil, soi-disant en raison d'un manque de temps pour son élaboration
détaillée. En réalité, le Primat de Constantinople souhaitait renoncer à tous
les accords préliminaires précédemment atteints au niveau panorthodoxe au nom
de la fausse théorie selon laquelle le droit d'accorder l'autocéphalie
appartient uniquement et exclusivement à l'Église de Constantinople. Le
résultat du développement de ces points de vue a été l'octroi du Tomos
d'autocéphalie à la soi-disant « Église orthodoxe d'Ukraine » en 2019.
Les enfants fidèles de l'Église orthodoxe russe ne
reconnaissent pas et ne reconnaîtront pas les autocéphalies que l'Église de
Constantinople crée ou continuera à créer seule sans le consentement des autres
Églises orthodoxes locales, et encore moins sans l'initiative et le
consentement de l'Église kyriarcale [i.e. l'Église qui donne l’autocéphalie à
l’une de ses parties, ndt]. La question de l'autocéphalie doit être discutée
plus avant sur la base des accords préliminaires atteints au cours du processus
préconciliaire, en particulier lors des commissions et des réunions de 1993 et
2009.
6. Violation du principe d'égalité des Églises autocéphales
par le Patriarcat de Constantinople
L'Église locale autocéphale, qui jouit d'une pleine autonomie
en matière de gouvernance, ne dépend d'aucune autre Église locale pour régler
les questions internes. L'Église orthodoxe oecuménique est une famille
d'Églises orthodoxes locales autocéphales. Au sein de l'Église autocéphale, il
peut y avoir des Églises autonomes et d'autres entités ecclésiastiques avec
différents degrés d'autonomie.
Toutes les Églises orthodoxes locales, indépendamment du
moment et de la manière dont elles ont reçu l'autocéphalie, sont égales entre
elles. Lorsqu'ils
concélèbrent, les Primats et les représentants des Églises
orthodoxes locales sont placés dans l'ordre des diptyques. Cependant, la place
inférieure du Primat dans les diptyques ne place pas l’une ou l’autre des Églises
dans une position subordonnée par rapport à l'Église y occupant une place
supérieure.
Le Patriarcat de Constantinople tente à présent d'imposer une
autre idée de l'autocéphalie aux Églises orthodoxes locales. On prétend que
toute Église devient autocéphale uniquement en vertu du Tomos reçu du
Patriarcat de Constantinople51, bien que l'histoire connaisse d'autres moyens
d'acquisition de l'autocéphalie par telle ou telle Église locale. Il est
soutenu que c'est Constantinople qui est la cour d'appel ultime pour toutes les
Églises locales (voir section 2). On prétend que seul le patriarche de
Constantinople a le droit de faire et de distribuer le saint Chrême. On prétend
que la canonisation des saints ne peut avoir lieu qu'à Constantinople.
51 Interview du métropolite Elpidophore (Lambriniadis) de
Proussa avec l'agence de presse Athènes-Macédoine, juillet 2018.
52 Cf. le Tomos d’autocéphalie de l'Église orthodoxe
serbe de 1879 : « Désormais, elle sera canoniquement autonome, indépendante et
autogérée, ayant pour chef, comme toutes les Églises orthodoxes, le Dieu-homme
Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ».
53 Cette disposition du Tomos a été critiquée dans
une Déclaration du Saint-Synode de l’Église orthodoxe d’Albanie sur la
thèse du secrétaire du patriarcat oecuménique concernant la question
ecclésiastique ukrainienne - Orthodoxie.com. Le document de l'Église albanaise
indique que le Tomos qui lui a été accordé ne contient pas la thèse de la
reconnaissance, en tant que chef, du Trône oecuménique, et que l'Église
albanaise elle-même est appelée « soeur »", tandis que l'EOU est appelée
dans son Tomos « fille ». Le hiérarque de l'Église orthodoxe bulgare écrit : «
Il ne s'agit pas d'une primauté symbolique du patriarche de Constantinople ou
d'une primauté au sens de premier parmi ses pairs. Dans le Tomos, la question
de la primauté est liée aux pleins pouvoirs exclusifs du Primat de
Constantinople sur l'ensemble de l'Église orthodoxe... Par les clauses du
Tomos, on tente de conférer une légalisation canonique panorthodoxe aux actions
anti-canoniques du Patriarcat de Constantinople dans la question ukrainienne et
aux pleins pouvoirs déclarés de juridiction supra-frontalière sur le territoire
canonique des Églises locales autocéphales » (Daniel, métropolite de Vidin. За
единство Церкви [Pour l'unité de l'Église] Moscou, Poznanie, 2021. pp. 25,
38).
Ce nouveau concept ecclésiologique a été pleinement réalisé
par le Patriarcat de Constantinople en 2019 avec la création de la soi-disant «
Église orthodoxe d'Ukraine » (EOU), une entité non canonique créée à partir de
deux groupes de schismatiques. Les documents juridiques fondamentaux - le «
Tomos patriarcal et synodal d’octroi du statut ecclésiastique d’autocéphalie à
l'Église orthodoxe d'Ukraine » (ci-après : Tomos) et la « Charte de l'Église
orthodoxe d'Ukraine » (ci-après : Charte) - contiennent un modèle erroné d'une
Église prétendument autocéphale, alors qu’elle est en dépendance directe et
très forte vis-à-vis du Patriarcat de Constantinople.
Ainsi, alors que les précédents Tomos d'autocéphalie d'un
certain nombre d'Églises orthodoxes locales soulignaient que le chef de toutes
les Églises est le Seigneur Jésus-Christ52 , le Tomos de l'EOU déclare que
« l'Église autocéphale d'Ukraine reconnaît le Saint Siège apostolique et
patriarcal du Trône oecuménique comme son chef, à l’instar des autres
patriarches et primats »53 . Selon la Charte (paragraphe 1), l’« Église
autocéphale » nouvellement constitué, conformément
au nouveau concept du Patriarcat de Constantinople, « est unie
à la Grande Église -Mère du Christ à Constantinople et, à travers elle, à
toutes les autres Églises orthodoxes autocéphales ». Le Tomos détermine que la
« tâche première » de cette « Église autocéphale » est de préserver non
seulement la foi orthodoxe, mais aussi « l'unité canonique et la communion avec
le Patriarcat oecuménique ».
Conformément à ce même nouveau concept ecclésiologique, le
Tomos interdit explicitement à l'Église autocéphale « d'installer des évêques
ou d'établir des paroisses à l'étranger », stipulant que « celles qui existent
déjà seront désormais, conformément à l'ordre, soumises au Siège oecuménique,
qui a la pleine autorité canonique sur la diaspora ». Cette disposition est
explicitement confirmée par la Charte : « Les chrétiens orthodoxes d'origine
ukrainienne de la diaspora orthodoxe seront désormais desservis par les évêques
diocésains du Patriarcat oecuménique » (Charte I, 4). En outre, le Tomos
déclare que « la juridiction de cette Église est limitée au territoire de l'État
ukrainien », tout en établissant sur le même territoire l'exarchat de l'Église
de Constantinople et ses stavropégies, soulignant que « les droits du Siège
oecuménique à l'exarchat en Ukraine et aux saintes stavropégies restent non
amoindris ». En outre, la Charte met en garde contre toute ingérence dans les
affaires des stavropégies de Constantinople : « La résolution des questions
relatives à l’élaboration et à l'approbation du règlement intérieur des
stavropégies patriarcales appartient exclusivement au Patriarche oecuménique,
et à lui seul ». Les évêques diocésains ne peuvent interférer dans la formation
des organes de direction des « stavropégies patriarcales, qui sont subordonnées
au Patriarche oecuménique ».
Les deux documents - le Tomos et la Charte - stipulent
spécifiquement les pouvoirs de justice ecclésiastique du Patriarche de
Constantinople : « Le droit de tous les hiérarques et autres clercs
d’interjeter appel auprès du Patriarche oecuménique, qui dispose de la
responsabilité canonique de prendre des décisions judiciaires finales pour les
affaires des évêques et des autres clercs des Églises locales, est également
préservé » (Tomos) ; « un clerc de tout rang, condamné de façon définitive par
ses autorités ecclésiastiques à toute peine, peut exercer le droit d'appel (ἔκκλητον)
auprès du Patriarche oecuménique » (Charte, XI).
Fixant pour l'avenir ces relations manifestement inégales
entre les deux Églises « autocéphales », dont en réalité une seule est
autocéphale, le Patriarcat de Constantinople stipule expressément que la Charte
« doit nécessairement correspondre en tout point aux dispositions du présent
Tomos patriarcal et synodal », tandis que la Charte contient la disposition
selon laquelle « le Patriarche oecuménique a le droit exclusif d'interpréter
les dispositions de la Charte selon le Tomos ».
L'inégalité et même la subordination directe sont également
prescrites dans d'autres dispositions du Tomos et de la Charte. Par exemple, «
afin de résoudre
des questions importantes de nature ecclésiastique, dogmatique
et canonique », le Primat de l'EOU « doit faire appel à notre Très Saint Siège
patriarcal et oecuménique, en demandant son avis autorisé et son soutien
incontestable » (Tomos), et dans ce cas, le Patriarche de Constantinople «
annonce la décision nécessaire à la sainte Assemblée des évêques de l'Église
d'Ukraine » (Charte IV, 3). Le saint Chrême de l'EOU doit être reçu du
Patriarcat de Constantinople.
Ainsi, le Tomos et la Charte, en suivant les lignes
directrices fondamentales du nouveau concept ecclésiologique du Patriarcat s’de
Constantinople, créent un précédent juridique pour la consolidation de
l'inégalité entre les Églises orthodoxes locales autocéphales et leur
subordination à l'autorité administrative du Patriarcat de Constantinople. Une
telle inégalité est considérée à juste titre par de nombreux membres de
l'Église orthodoxe comme s’approchant du modèle papal d'autorité
ecclésiastique54 , qui n'a jamais existé dans l'Orthodoxie.
54 « Malheureusement, dans le cas de l'autocéphalie
ukrainienne, le patriarche oecuménique renonce à son rôle de coordination
traditionnellement reconnu, qui implique l'expression et la mise en oeuvre des
décisions prises conciliairement par les Églises orthodoxes locales, et refuse
donc de convoquer le Concile panorthodoxe ou le Concile des primats. Au
contraire, comme le pape, il 1) agit de manière transfrontalière sur le
territoire d'une autre juridiction, qui est subordonnée à l'Église russe, comme
il l'a lui-même reconnu jusqu'à récemment ; 2) prend des décisions souveraines
et indépendantes contraires à l'avis non seulement de l'Église d'Ukraine
elle-même, mais aussi des Églises orthodoxes locales ; 3) affirme que les
autres évêques orthodoxes du monde entier sont obligés d'accepter toutes ses décisions
; 4) considère que sa décision ne nécessite pas l'approbation des autres
Églises et ne peut être contestée » (extrait de la Lettre ouverte des prêtres,
des moines et des laïcs de l'Église de Grèce, publiée en septembre 2019.). « Il
y a un désir de la part du Patriarcat de Constantinople (...) de s'approprier
des pouvoirs qui n'ont jamais été donnés à aucun des évêques de l'Église
orthodoxe. Malheureusement, cela rappelle les tristes tentatives de l'évêque de
Rome d'usurper l'autorité dans l'Église. Tout le monde sait ce à quoi cela a
mené » (Daniel, Métropolite de Vidin, За единство Церкви [Pour l'unité de
l'Église]. p. 27).
55 Expression du métropolite Nicéphore de Kykkos et
Tylliria tirée de son rapport à la conférence de Moscou du 16 septembre 2021.
Voir : Мировое Православие: первенство и соборность в свете православного
вероучения [Orthodoxie mondiale : primauté et conciliarité à la lumière de
la doctrine orthodoxe], Poznanie, Moscou: 2023, p. 268.
L'Église orthodoxe russe, fidèle à la tradition canonique
séculaire, a défendu et continuera à défendre l'égalité des Églises orthodoxes
locales et l'indépendance de chaque Église locale par rapport aux autres
Églises locales dans sa gouvernance interne. « L’outrage à l'institution sacrée
de l'autocéphalie »55 , exprimé dans l'octroi de l'autocéphalie à un
groupe de schismatiques ukrainiens, a été l'une des tristes conséquences de
l’altération de la Sainte Tradition, sur laquelle la vie de l'Église orthodoxe
a été construite pendant des siècles en tant que famille d'Églises locales,
indépendantes les unes des autres en matière de gouvernance interne.
7. Révision unilatérale par le Patriarcat de Constantinople
des actes ayant une signification juridiquement constitutive
Manifestant des prétentions quant à des pouvoirs particuliers
dont il disposerait, le Patriarcat de Constantinople n’hésite pas à réviser
unilatéralement des actes historiques ayant une signification juridiquement
constitutive à l’égard
des Églises orthodoxes locales et de leurs limites canoniques.
Une telle approche entre en contradiction avec la Tradition canonique de
l’Église, en transgressant, notamment, le 119ème56 (133ème) canon du
Concile de Carthage et le 17ème canon du IVème Concile oecuménique57. Les
canons mentionnés ne donnent pas la possibilité de réviser les limites
ecclésiastiques [territoriales, ndt] établies, non contestées précédemment au
cours d’une longue période. Un exemple des actions du Patriarcat de
Constantinople transgressant les canons ecclésiastiques mentionnés est
constitué par « la réactivation » du Tomos du Patriarche de Constantinople
Mélétios IV du 7 juillet 192358, qui à l’insu du Patriarche de toute la Russie
Tikhon et sans son accord, avait reçu l’Église orthodoxe autonome d’Estonie
dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople, alors qu’elle faisait
partie du Patriarcat de Moscou. Après le rétablissement, en 1944, de la
juridiction légitime du Patriarcat de Moscou, le Tomos de 1923 fut oublié. Le 3
avril 1978, par l’acte du Patriarche de Constantinople Dimitri et du Synode du
Patriarcat de Constantinople, le Tomos a été déclaré « inactif » et l’activité
de Constantinople en Estonie « terminée »59.
56 « Si quelqu’un… convertit une localité à l’unité
catholique et la possède pendant trois ans sans réclamation de personne, on ne
la lui réclamera désormais plus, à condition cependant, que dans ces trois ans
il y eût un évêque qui devait la réclamer et n’en fit rien » [il s’agit des
Donatistes revenus à l’Orthodoxie en Afrique, ndt].
57 « Les paroisses appartenant à chaque diocèse… doivent
rester immuablement sous l’autorité des évêques qui les possèdent, surtout
s’ils les ont administrées sans conteste depuis trente ans ».
58 Tomos du Patriarche de Constantinople Mélétios IV,
in Православие в Эстонии. Исследования и документы [L’Orthodoxie en
Estonie. Recherches et documents], Moscou, Encyclopédie orthodoxe (en russe),
2010, tome 2, pp. 42-45.
59 Acte du Patriarche Dimitri de Constantinople et du
Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople du 3 avril 1978 sur la cessation
de la validité du Tomos du Patriarche de Constantinople Mélétios IV de
1923, in Православие в Эстонии [L’Orthodoxie en Estonie], pp.
207-208. Message du 3 mai 1978 du Patriarche Dimitri de Constantinople au
métropolite Paul de Suède et de toute la Scandinavie in Православие в
Эстонии [L’Orthodoxie en Estonie],pp. 208-209.
60 Acte patriarcal et synodal du Patriarcat de
Constantinople sur la réactivation du Tomos patriarcal et synodal de 1923
concernant la métropole orthodoxe d’Estonie, in Православие в
Эстонии [L’Orthodoxie en Estonie],pp. 314-317.
Néanmoins, le 20 février 1996, le Saint-Synode du Patriarcat
de Constantinople, sous la présidence du patriarche Bartholomée, a donné à
cette décision une nouvelle interprétation, déclarant que, soi-disant, en 1978
« l’Église mère [...] a déclaré le Tomos de 1923 inactif, c’est-à-dire ne
pouvant opérer sur le territoire de l’Estonie à ce moment-là, alors qu’il
faisait partie de l’Union soviétique, mais elle ne l’a pas aboli, invalidé, ni
abrogé ». Maintenant, le patriarche Bartholomée et son Synode déclarent « la
réactivation du Tomos patriarcal et synodal de 1923 »60.
L’expansion anti-canonique du Patriarcat de Constantinople sur
le territoire de l’Estonie a mené, en 1996, à la suspension temporaire de la
communion eucharistique de l’Église orthodoxe russe avec le Patriarcat de
Constantinople. La communion a repris par les décisions communes des
Saint-Synodes des deux
Églises du 16 mai 1996, selon les conditions des accords de
Zurich qui n’ont jamais été respectés en intégralité par la partie
constantinopolitaine.
En 2018 Le Patriarcat de Constantinople a abrogé
unilatéralement l’acte de 1686 signé par Sa Sainteté le patriarche Denys IV de
Constantinople et le Saint-Synode de l’Église de Constantinople, confirmant
l’existence de la métropole de Kiev au sein du Patriarcat de Moscou. Comme cela
a été mentionné dans la déclaration Déclaration du Saint-Synode de
l’Église orthodoxe russe à la suite des empiétements du Patriarcat de
Constantinople sur le territoire canonique de l’Église russe - Orthodoxie.com du
Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe du 15 octobre 2018, l’Acte de 1686
n’est pas susceptible de révision, sinon « Il serait possible de révoquer tout
document définissant le territoire canonique et le statut d’une Église locale –
indépendamment de son ancienneté, de son autorité et de sa reconnaissance par
toute l’Église ».
La charte synodale de 1686 et d’autres documents se rapportant
à cette question ne disent rien sur le caractère temporaire du transfert de la
métropole de Kiev à la juridiction du Patriarcat de Moscou, et n’établissent
pas, en outre, la possibilité d’abroger cet acte.
L’absence de fondement de l’abrogation de l’acte de 1686 est
soulignée par le fait qu’au niveau panorthodoxe, pendant plus de trois siècles,
personne n’a jamais mis en doute l’appartenance des chrétiens orthodoxes
d’Ukraine au troupeau de l’Église russe, et non à l’Église de Constantinople61.
En outre, le Patriarcat de Constantinople passe sous silence le fait que la
métropole de Kiev de 1686, dont Constantinople déclare maintenant le retour, ne
couvrait qu’une petite partie seulement du territoire de l’Église orthodoxe
ukrainienne contemporaine, qui a été formée par la suite dans le cadre de
l’Église russe autocéphale.
61 Cf. Nicéphore, métropolite de Kykkos et Tylliria, Современныйукраинскийвопросиегоразрешениесогласнобожественнымисвященнымканонам[la
question ukrainienne actuelle et sa résolution conformément aux canons divins
et sacrés], Moscou, Poznanie, 2021, p. 32. De nombreux témoignages y sont
mentionnés concernant une telle reconnaissance de la part de l’Église de
Constantinople (pp. 32-42).
62« Qu’aucun des évêques aimés de Dieu ne s’empare d’une autre
province… afin que les canons des Pères ne soient pas enfreints, ni que sous le
prétexte d’actes sacrés ne s’insinue l’orgueil de la puissance mondaine et que
sans nous en rendre compte, nous perdions peu à peu la liberté, que nous a
donnée par son propre sang Jésus-Christ notre Seigneur ».
Le 8ème canon du IIIe Concile oecuménique62 interdit
aux évêques d’étendre leur pouvoir sur les territoires ecclésiastiques
d’autrui. En instituant sa « stavropégie » à Kiev sans le consentement de la
hiérarchie canonique de l’Église orthodoxe ukrainienne, le Patriarcat de
Constantinople a fait irruption dans les limites appartenant à une autre
Église, ce qui tombe sous la condamnation du canon mentionné.
Le Patriarcat de Constantinople a transformé la menace
d’abrogation de ses décisions précédentes en procédé pour exercer une pression
sur les Églises
orthodoxes locales. Par exemple, le patriarche Bartholomée de
Constantinople dans une lettre datée du 4 févier 2012 à l’ancien primat des
orthodoxes Église des Terres tchèques et Slovaquie, le métropolite
Christophore, menaçait d’abolir l’autocéphalie de cette Église63.
63 Extrait de la lettre N°102 du 4 février 2012 du
Patriarche Bartholomée de Constantinople au métropolite Christophore des Terres
tchèques et de Slovaquie (le motif de cette lettre était la célébration à
Prague du soixantenaire de l’autocéphalie [accordée par le Patriarcat de
Moscou, ndt] de l’Église orthodoxe des Terres tchèques et de Slovaquie) : « En
cas de répétition de manifestations analogues de la célébration de l’acte du
Patriarcat de Moscou octroyant l’autocéphalie imposée à l’Église des Terres
tchèque et de Slovaquie considérée [par le Patriarcat de Constantinople, ndt]
comme non avenue et dès de début reconnue comme nulle, le Patriarcat de
Constantinople sera malheureusement contraint d’abroger l’autocéphalie
canonique qui a été octroyée à votre Église il y a quatorze ans, de rendre à
l’Église des Terres tchèques et de Slovaquie le statut en vigueur jusqu’à cet
acte d’Église autonome, de la rayer des saintes Diptyques des Églises
orthodoxes autocéphales, où elle occupe le quatorzième rang et d’informer de
cet acte toutes les Églises orthodoxes soeurs ».
64 Anastassiadis A. Un « Vatican anglicano-orthodoxe
» à Constantinople? : Relations interconfessionnelles, rêves impériaux et
enjeux de pouvoir en Méditerranée orientale а la fin de la Grande Guerre //
Voisinages fragiles: Les
Il convient de souligner que les tentatives du patriarche
Bartholomée de Constantinople d’imposer au monde orthodoxe le soi-disant droit
du siège de Constantinople d’abroger unilatéralement à sa guise des décisions
conciliaires ou synodales de toute ancienneté ne correspondent pas à l’ordre
canonique de l’Église et précipitent les relations inter-ecclésiales dans un
état d’anarchie chaotique.
8. Revendications du Patriarcat de Constantinople au droit
exclusif de juridiction ecclésiastique dans la diaspora
Les revendications du Patriarcat de Constantinople au droit
exclusif de juridiction ecclésiastique dans tous les pays de la diaspora
orthodoxe a pris forme dans les années vingt du XXe siècle. Précédemment,
l’Église de Constantinople soutenait des points de vue différents sur cette
question. En particulier, elle reconnaissait : 1) la juridiction de l’Église
orthodoxe russe sur l’Amérique; 2) la charge pastorale de la diaspora orthodoxe
en Australie et en Nouvelle-Zélande par le Patriarcat de Jérusalem ; 3)
l’administration canonique de la diaspora orthodoxe russe en Europe occidentale
par le métropolite de Saint-Pétersbourg ; 4) Le droit de l’Église de Grèce à
l’administration des paroisses grecques de la diaspora, confirmé par le Tomos
patriarcal et synodal du 18 mars 1908, signé par le Patriarche Joachim III de
Constantinople et les membres du Saint-Synode de l’Église
constantinopolitaine.
L’auteur de la nouvelle théorie sur la subordination absolue
et obligatoire de toute la diaspora orthodoxe au Trône de Constantinople fut le
patriarche Meletios IV (Metaxakis) qui occupa le siège de Constantinople dans
les années 1921-1923. La théorie était basée sur le concept de la
transformation du Patriarcat de Constantinople en une Église mondiale,
organisée sur le principe d’une juridiction extraterritoriale, une sorte de «
Vatican orthodoxe »64. Par la décision
relations interconfessionnelles dans le Sud-Est européen et la
Méditerranée orientale 1854-1923 : Contraintes locales et enjeux internationaux
/ Éd. A. Anastassiadis. Athènes, 2013. P. 283-302.
65 Ἐκκλησιαστικὴ Ἀλήθεια.
1922. p. 130.
66 En particulier, en 1993, lorsque le Patriarcat de
Jérusalem a décidé de restaurer son diocèse existant antérieurement en
Australie et d'y nommer un exarque, cette décision a provoqué une réaction
extrêmement vive de la part du Patriarcat de Constantinople : lors d'une
réunion du Synode élargi de l'Église de Constantinople, qui s'est tenue à
Istanbul les 30 et 31 juillet 1993, avec la participation des primats des
Églises d'Alexandrie et de Grèce, ainsi que des représentants de l'Église de
Chypre, deux évêques du Patriarcat de Jérusalem ont été destitués de leur rang
sacerdotal, et le Patriarche Diodore de Jérusalem a été condamné pour
"transgression blasphématoire" des saints canons, et pour scandale et
division dans le peuple grec. Sa commémoration dans les diptyques de l'Église
de Constantinople a été interrompue, mais par "miséricorde et
humanité", on lui a donné le temps de se repentir et d'annuler la décision
d'établir la juridiction du Patriarcat de Jérusalem en Australie, sous peine
d'être privé de sa dignité dans le cas contraire. Dans ces circonstances, le
patriarche Diodore a été contraint d'abandonner l'organisation d'un exarchat en
Australie et dans d'autres pays de la diaspora, après quoi sa commémoration
dans les diptyques de l'Église de Constantinople a repris et les hiérarques
destitués ont été rétablis dans leur dignité. Voir : Константинопольская
Православная Церковь [Église orthodoxe de Constantinople] // Encyclopédie
orthodoxe. Мoscou 2015. tome 37. p. 289.
synodale du 1er mars 1922, les dispositions du Tomos de 1908
furent abrogées. En outre, si le premier document concernait exclusivement les
paroisses grecques de la diaspora, la nouvelle décision, par contre, annonçait
le droit de Constantinople à la « supervision et l’administration directes de
toutes les paroisses orthodoxes sans exception se trouvant en dehors des
limites des Églises orthodoxes locales, en Europe, en Amérique et autres lieux
»65.
Selon la nouvelle théorie, les structures du Patriarcat de
Constantinople ont été établies en 1922 en Europe occidentale, en Amérique du
Nord et du Sud, et en 1924 en Australie et en Océanie, et également en Europe
centrale. La création des structures du Patriarcat de Constantinople dans
d’autres régions de la diaspora s’est poursuivie au cours des années suivantes.
Ce faisant, Constantinople, là où cela était possible, faisait obstacle à la
création ou au rétablissement dans la diaspora des juridictions d’autres
Églises locales66.
Les revendications de Constantinople sur l’ensemble de la
diaspora reposent principalement sur une compréhension du 28è canon du IVe
Concile oecuménique qui n’est pas partagée par le plérôme de l’Église orthodoxe.
Ce canon dispose : « C’est pourquoi, les métropolites du Pont, de l’Asie et de
la Thrace, et eux seuls, ainsi que les évêques des parties de ces diocèses
situées dans les régions barbares, seront ordonnés par le très saint siège de
l’Église de Constantinople ». Cette règle s’applique à des régions concrètes de
l’Empire romain, où la propagation du christianisme était liée aux efforts
missionnaires de l’Église de Constantinople.
Dans l’Église de Constantinople actuelle, les revendications –
se référant au canon susmentionné – sont avancées sur toute la diaspora
orthodoxe en général, y compris l’Amérique du Nord et du Sud, l’Amérique
occidentale, l’Europe, l’Asie, l’Australie et l’Océanie. Dans ces régions ne
peut exister que la juridiction de l’Église de Constantinople seulement, et les
autres Églises locales y sont présentes illégalement. Qui plus est, si, par
exemple, un évêque ou un clerc d’une
quelconque Église locale accomplissant son ministère dans la
diaspora souhaite passer au Patriarcat de Constantinople, alors il n’a
soi-disant pas besoin d’une lettre de congé canonique, parce qu’en fait et
avant son passage, il était déjà évêque ou clerc de Constantinople, sans en
être conscient67.
67 Une telle logique a été appliquée par Constantinople,
en particulier, lors du passage de l’ex-évêque Basile (Osborne) de Serguiev
Possad, reçu au sein du Patriarcat de Constantinople en 2006 sans congé
canonique de l’Église orthodoxe russe (en 2010, le Saint-Synode du Patriarcat
de Constantinople l’a destitué de son rang sacerdotal et monacal après sa
décision de se marier).
68 Lettre N°85 du 14 janvier 1971 du Locum Tenens du
Trône patriarcal de Moscou, le métropolite Pimène, au Patriarche Athénagoras de
Constantinople,
Les revendications du Patriarcat de Constantinople couvrent
également les pays où il n’y a pas et n’a jamais existé de structures de ce
Patriarcat et où les missionnaires de l’Église de Constantinople n’ont jamais
prêché, par exemple, le Japon et la Chine.
La formation de l’Orthodoxie au Japon, comme on le sait, est
liée exclusivement à l’exploit du saint isapostole Nicolas du Japon et d’autres
missionnaires éminents de l’Église orthodoxe russe. En 1970, l’Église orthodoxe
du Japon a reçu l’autonomie du Patriarcat de Moscou. Or Constantinople non
seulement n’a pas reconnu cet acte, mais a également déclaré ses droits sur ce
territoire. À ce propos, en 1971, le locum tenens du trône patriarcal, le
métropolite Pimène (plus tard patriarche Moscou et toute la Russie) dans une
lettre au patriarche Athénagoras a mentionné « la contradiction fondamentale de
l’acte en question du Saint-Synode du Patriarcat oecuménique avec le droit
canonique orthodoxe et la pratique des Églises orthodoxes locales »68. Malgré
cela, en 2004, le Patriarcat de Constantinople a attribué à son métropolite de
Corée le titre d'« Exarque du Japon », malgré l’absence totale de son propre
troupeau dans ce pays.
À la théorie du droit exclusif du Patriarcat de Constantinople
de prendre la charge pastorale de la diaspora orthodoxe, est liée la décision
du Synode de l’Église de Constantinople concernant l’inclusion de la République
populaire de Chine dans les limites de la métropole de Hong Kong (en 1996 lors
de sa création, tout comme en 2008, lors du détachement de la métropole de
Singapour de celle-ci), malgré l’existence sur le territoire de la Chine de
l’Église orthodoxe autonome dans la juridiction du Patriarcat de Moscou. Le
Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a déclaré le 15 avril 2008: « Les
liens spirituels séculaires de l’Église orthodoxe russe avec la Chine où, par
ses labeurs, ont été construites des dizaines d’églises orthodoxes, ont été
traduits en chinois des livres saints et liturgiques, ont été élevés dans la piété
orthodoxe des fidèles, qui sont devenus des témoins de notre Seigneur
Jésus-Christ jusqu’à la mort, contraignent maintenant le Saint-Synode [de
l’Église orthodoxe russe, ndt] à défendre les droits du troupeau aimé de Dieu
de l’Église orthodoxe chinoise, affaibli par les lourdes épreuves qu’il a
endurées, et à déclarer l’injustice et l’illégalité canonique de la
décision du siège de Constantinople, qui inflige des dommages
à la paix et la stabilité des saintes Églises de Dieu »69.
69 Déclaration du 15 avril 2008 du Saint-Synode de
l’Église orthodoxe russe.
70 Il s’agit des fidèles qui avaient quitté le schisme
donatiste en Afrique à la suite de leur évêque (ndt).
71 Document de la IVème conférence préconciliaire, La
diaspora orthodoxe. Décision, Chambésy 2009.
72 La participation des hiérarques de l’Église orthodoxe
russe à ces assemblées a été suspendue conformément à la Déclaration du
Saint-Synode du 14 septembre 2018, en raison de l’intrusion illégale du
Patriarche de Constantinople sur le territoire de l’Église orthodoxe
russe.
Il est absolument impossible d’approuver les revendications du
Patriarcat de Constantinople au droit exclusif d’assumer la charge pastorale
des fidèles orthodoxes de la diaspora. Aucune Église n’a de droits
juridictionnels particuliers, exclusifs et globaux sur toute la diaspora
orthodoxe. Au contraire, chaque Église locale porte la responsabilité pastorale
de ses enfants dans la diaspora, s’ils résident en dehors des limites
canoniques d’autres Églises locales. Conformément au 99è (112è) canon du
Concile de Carthage, « les évêques […] qui auront fait revenir à l'unité
catholique les peuples qu'ils avaient jusque-là, devront les garder »70.
Le nouvel enseignement de Constantinople sur ses droits
exclusifs dans la diaspora est devenu une source de conflits au sein de
l’Église du Christ. Pour cette raison, dès le début, dans le cadre de la
préparation du Concile panorthodoxe, la question de la diaspora a également été
incluse parmi les sujets. Lors de la réunion préconciliaire panorthodoxe de
2009, il a été décidé d’établir dans chacune des régions des pays de la
diaspora des Assemblées épiscopales de « tous les évêques canoniquement
reconnus de la région donnée, qui continueront à être soumis aux juridictions canoniques
auxquelles ils appartiennent »71. Les réunions doivent se dérouler sous la
présidence du premier des hiérarques parmi ceux qui sont subordonnés à l’Église
de Constantinople et, en cas d’absence de celui-ci, du plus ancien des
hiérarques des Églises locales selon l’ordre des diptyques.
L’Église orthodoxe russe considérait les Assemblées
épiscopales dans la diaspora comme des organes consultatifs, appelés à
coordonner les actions des hiérarques des différentes Églises orthodoxes
locales sans aucunement amoindrir leur autonomie72. Cependant, pour
Constantinople, la création d’Assemblées épiscopales constitue un pas vers
l’abolition de la présence des Églises locales dans la diaspora. Dans toute une
série de pays, les représentants du Patriarcat de Constantinople ont pris sur
eux la fonction de représenter toutes les Églises locales auprès de l’État, de
faire des déclarations publiques en leur nom, souvent sans leur accord.
9. Conclusion
Les idées de nouveau concept ecclésiologique du Patriarcat de
Constantinople entrent en contradiction évidente avec la Tradition orthodoxe
et les dispositions canoniques et, par voie de conséquence, cela oblige le
Patriarcat de Constantinople à remettre en question cette Tradition elle-même
et exiger sa révision. Le Patriarche Bartholomée a déclaré : « Nous,
orthodoxes, devons nous soumettre à l’autocritique et réviser notre
ecclésiologie si nous ne voulons pas devenir une fédération d’Églises de type
protestant »73. Pour éviter cette menace manifestement absurde, il faut, selon
lui, d’urgence, reconnaître « que dans l’Orthodoxie universelle indivisible, il
y a un « Premier », non seulement d’honneur, mais aussi « Premier » avec des
devoirs particuliers et des pleins pouvoirs canoniques conférés par les
Conciles oecuméniques »74.
Nous condamnons et n’acceptons pas les dispositions théoriques
de la nouvelle conception ecclésiologique du Patriarcat de Constantinople,
ainsi que actes pratiques illicites et iniques entrepris dans le cadre de
l’application de ce concept dans la vie ecclésiale actuelle. Ces dispositions
et ces actions ne correspondent pas à la Tradition orthodoxe, détruisent les
fondements canoniques de l’Église universelle et causent un grave préjudice à
l’unité des orthodoxes locaux Églises.
Élevant une prière pour la préservation dans l’unité et la
vraie foi de l’Église orthodoxe, présente dans le monde entier, nous,
hiérarques de l’Église orthodoxe russe, nous faisons appel à Leurs Saintetés et
Leurs Béatitudes les Primats des Saints Églises de Dieu, à nos confrères les
hiérarques orthodoxes, les prêtres et diacres aimant Dieu, les vénérables
moines et les pieux laïcs, qui constituent ensemble le Plérôme de l’Église
universelle du Christ, pour qu’ils prient avec ferveur le Seigneur Jésus,
l’unique et véritable Chef de Son Église, afin que selon la volonté du Père
céleste et par la grâce du Très Saint-Esprit Il rassemble dans l’unité ceux qui
sont dispersés, qu’Il repousse toutes les hérésies et tous les schismes de
l’enceinte de la Sainte Orthodoxie, qu’Il abolisse l’inimitié et couvre de
honte tout mensonge, afin que soit glorifié d’une seule bouche et d’un seul
coeur, dans l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, le Très Saint Nom
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
Source : Orthodoxie.com