jeudi 26 janvier 2023

 

PAROLE SUR LA MORT 

Partie 1/9


Nous remettons en ligne ce texte, avec la bénédiction du Hiéromoine Nicodème  (9 chapitres), publié en Janvier 2012 sur le site : 
Spiritualite-orthodoxe.blogspot.com

Nous vous proposons le fameux traité sur la mort de saint Ignace Briantchaninov Evêque du Caucase et de la Mer Noire, écrit au milieu du 19ème siècle.


Ce fameux traité est précieux puisqu'il expose d'une façon méthodique et selon les témoignages des saints pères de l'Eglise orthodoxe, ainsi que de la tradition liturgique, les enseignements relatifs à la double nature de l'homme, à la séparation de cette double nature par la mort, à l'état de l'âme après la mort et ce qui pourrait lui advenir comme bonheur ou malheur, suite à ce qu'elle aurait choisi comme principe de vie durant son séjour terrestre.

Ce texte est proposé aux chrétiens orthodoxes qui fréquentent régulièrement les offices de l'Eglise ainsi que les sacrements, qui ont une vie de prière intérieure et qui ont un père spirituel chez qui ils se confessent régulièrement. Pour les autres, nous craignons qu'il provoquera chez eux des réactions négatives et pourraient être perturbés dans leur psyché.

Nous publierons successivement les neuf chapitres de ce traité et nous avertissons les lecteurs qu'il pourrait-y avoir des passages difficiles qui, probablement, vont heurter la sensibilité de notre entendement humain. Prière de garder à la mémoire la pensée que Christ est venu sauver ceux qui espèrent en Lui, que la vie a jailli du tombeau et le Seigneur nous l'a accordée par le Saint baptême et les sacrements de l'Eglise.

A noter cependant, que ce que l'on appelle "Les visions de Theodora", sur les épreuves que son âme a subies à sa sortie du corps, (les douanes), ont été critiquées par plusieurs théologiens contemporains, du fait que les sources utilisées, on sait maintenant que leur origine est douteuse et nous prions les lecteurs de relativiser leur portée.

Nous notons aussi que Saint Ignace dans sa façon d'écrire et son style direct, prononce des jugements radicaux sur différents états et sujets. Là aussi il convient de relativiser puisque ce style était bien répandu en Russie au 19ème siècle.

Ceci dit, ce traité reste unique pour parler de la mort d'une façon méthodique et exhaustive. On peut en tirer beaucoup de leçons pour nous préparer à ce moment fatidique de notre vie, puisqu'il est enrichi de l'expérience des saints et des citations bibliques.

Que par les prières de Saint Ignace Dieu nous fasse miséricorde. Amen.

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« Que tu te souviennes tous les jours de ta vie, du jour où tu sortis du pays d'Egypte »
(Dt. 16, 3)

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CHAPITRE I : 

DE LA NATURE DE L'ÂME HUMAINE ET DE CELLE DES ANGES

La mort est le grand mystère d'une naissance à l'éternité : celle de l'homme quittant cette vie terrestre et temporelle. Déposant le corps, cette enveloppe grossière, l'âme s'en va, fine et éthérée, vers un autre univers, la demeure des esprits. Cet univers est étranger aux organes sensoriels grossiers, créés pour renseigner l'homme sur le monde extérieur pendant son séjour terrestre. Comme tout ce qui participe du monde invisible, l'âme qui échappe au corps est insaisissable. Lors de l'accomplissement du mystère de la mort, nous ne voyons que l'absence de respiration, la soudaine immobilité d'un cadavre privé de vie. Ensuite viennent la décomposition, l'urgent besoin d'un enterrement, et enfin la corruption et les vers. D'innombrables générations sont ainsi mortes et tombées dans l'oubli. Qu'advient-il de l'âme qui quitte le corps ? L'homme ne détient pas les moyens d'investigation nécessaires pour résoudre cette énigme.


Quel mystère que la mort ! Avant l'illumination du Christianisme, l'homme avait généralement une conception fausse et grossière de l'immortalité de l'âme. Les plus grands sages païens en étaient réduits aux suppositions. Toutefois l'homme déchu, bien qu'abêti et enténébré, a toujours eu au fond du cœur l'intuition de son immortalité. Toutes les croyances païennes l'attestent; toutes évoquent une vie d'outre-tombe, heureuse ou non, selon la qualité du parcours terrestre du défunt.


Pour nous pèlerins, de passage ici-bas, il est primordial de connaître le sort que nous réserve l'éternité. Puisque sur cette terre déjà, dans ce bref périple, nous dépensons tant d'énergie à éloigner toute tristesse et à rechercher l'agréable, il est normal que nous nous inquiétions de notre vie future. Qu'est-ce que la mort fera de nous ? Qu'est-ce qui attend notre âme à la sortie de la matière ? Se peut-il qu'il n'y ait pas de rétribution pour le bien et le mal accomplis ici-bas, volontairement ou non ? Est-il admissible que cette rétribution n'existe pas, alors que le mal prospère et triomphe, alors que le bien est pourchassé et souffre ? Nous sentons bien l'urgence : il faut démasquer le mystère de la mort et pressentir la vie d'outre-tombe, cachée aux yeux du corps !


La Parole de Dieu explique le mystère de la mort. L'Esprit Saint peut même le rendre accessible à nos sens affinés et purifiés par la grâce : l'Esprit sonde tout, jusqu'aux profondeurs de Dieu (1Cor.2,10), pas seulement celles de l'homme.


La mort, c'est la séparation voulue par Dieu d'une âme et d'un corps qui avaient été unis auparavant par cette même volonté divine. Ce phénomène est une conséquence de la chute, qui priva le corps humain de l'incorruptibilité offerte à l'origine par le Créateur. La mort est le châtiment infligé à l'homme immortel comme prix de sa désobéissance à Dieu. Elle le sépare douloureusement en deux parties, et celui-ci n'est plus... L'âme et le corps n'existent plus ensemble mais séparément.


Le corps continue d'exister dans la décomposition, dans le retour à la terre d'où il a été tiré. Dans la corruption même, il attend la seconde union avec l'âme, après quoi la mort n'aura plus d'emprise sur lui. Toutefois, les corps de certains élus résistent à la corruption, pénétrés abondamment par la grâce divine. Ils manifestent à l'ombre de la mort les prémices de leur glorieuse résurrection. Au lieu de la puanteur, ils exhalent un merveilleux parfum. Au lieu de la contamination mortelle, ils offrent guérisons et vie. De tels corps sont à la fois morts et vivants : morts selon la nature, et vivants par la présence de l'Esprit Saint. Ils témoignent d'un fait : la grandeur et la sainteté ont été rendues à la Création par la Rédemption.
Qu'advient-il de l'âme quand le corps s'endort dans le sommeil de la mort? La Parole de Dieu révèle qu'elle s'unit, soit aux anges de lumière, soit aux anges déchus, selon la vie terrestre du défunt. Les âmes sont des créatures semblables aux anges. Comme eux, elles sont soit bonnes, soit mauvaises. Naissant saintes et sans taches, elles s'approprient par la suite le bien ou le mal, selon l'usage de leur libre arbitre. Le destin des âmes est attesté de manière irréfutable dans les Saintes Ecritures et les écrits patristiques. Par exemple, le Seigneur a promis au larron le départ immédiat de son âme pour le Paradis : Je te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec Moi dans le Paradis (Luc23,43). Après sa mort, le pauvre Lazare souffrant fut emporté au Paradis, dans le sein d'Abraham, alors que le riche impitoyable qui menait joyeuse vie sur terre fut précipité en enfer (Luc16,19-31).


Après avoir quitté cette vie pour le ciel, les âmes des justes jouissent de la béatitude en attendant la Résurrection des corps, comme l'expose Saint Jean le Théologien, le visionnaire des Mystères (Ap.6, 10-11). Les âmes des pécheurs attendent la Résurrection en enfer dans d'atroces souffrances (Ap.20, 13).


Lorsque sonnera la trompette de la Résurrection, la voix du Fils de Dieu invitera les âmes des saints du Paradis à s'unir avec leurs corps ressuscités (Jn.5,25). Cette voix, Lazare l'entendit quand, mort depuis quatre jours, il sentait déjà. L'enfer, quant à lui, présentera ses morts au Jugement Dernier pour la sentence définitive. Après le verdict et son exécution, la béatitude des justes augmentera, et les pécheurs retourneront en enfer pour des souffrances redoublées (Ps.9,18).


Nous savons de la bouche du Seigneur qu'après la Résurrection, les justes seront semblables aux anges (Luc20,36). Annonçant Son second avènement et le Jugement Dernier, le Seigneur déclara qu'Il dirait aux justes situés à Sa droite : Venez, les bénis de Mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde, et aux pécheurs situés à Sa gauche : Allez loin de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges (Mt.25,34-41). La rétribution des justes sera en vérité très différente de celle des pécheurs. La justice divine rendra à chacun selon ses actes (Apo.22,12). Les demeures célestes sont multiples, comme en témoigne le Sauveur, et les prisons de l'enfer sont aussi fort diverses et les souffrances très variées. Celui qui a péché sciemment recevra un grand nombre de coups et celui qui a péché par inadvertance n'en recevra qu'un petit nombre (Luc12, 47-48).


Les chrétiens hériteront de la béatitude avec les anges de lumière, mais uniquement les orthodoxes, et, de surcroît, ceux qui auront vécu pieusement ou se seront purifiés de leurs péchés par un repentir sincère, une confession authentique à leur père spirituel et un amendement personnel. En revanche, les impies (ceux qui ne croient pas au Christ) et les mécréants (les hérétiques et les orthodoxes qui vivent toute leur vie dans le péché ou qui commettent quelque pêché mortel non guéri par le repentir), hériteront des souffrances éternelles avec les anges déchus. Voici en outre, ce que proclament les pères de l'Eglise Catholique d'Orient, concernant les âmes de ceux qui ont commis des péchés mortels sans avoir désespéré au moment de la Mort, et qui s'en sont repentis sans avoir eu le temps d'offrir des fruits, tels que la prière, la contrition du cœur, les larmes, les métanies, les veilles, la consolation des pauvres, les œuvres de l'amour de Dieu et du prochain (toutes choses reconnues par l'Eglise comme nécessaires et agréables à Dieu) : de telles âmes iront en enfer pour recevoir les châtiments que méritent leurs péchés, sans toutefois être privées de l'espoir d'un soulagement. Ce soulagement provient de la prière des prêtres, des œuvres de bienfaisance accomplies en la mémoire des défunts, et surtout de la puissance du sacrifice non sanglant accompli quotidiennement par le serviteur du culte, pour chaque chrétien, pour ses proches, et pour tous les défunts de notre Eglise Catholique et Apostolique. Funeste sera la mort des pécheurs (Ps.33,22), mais pour les gens pieux et les saints, elle sera le passage de l'agitation et de la tourmente d'ici-bas au calme inaltérable, des souffrances incessantes à la béatitude infinie et continuelle, de la terre au ciel et à l'assemblée innombrable des anges et des saints. .Elle offrira l'insatiable contemplation de Dieu, un perpétuel et ardent amour pour Lui, la suprême jouissance des saints.


Voici ce que dit Saint Macaire le Grand : « Lorsque l'âme de l'homme sort du corps, un grand mystère s'accomplit. Si elle est chargée de péchés, les chœurs des démons, les anges de mauvaise augure, les puissances ténébreuses viennent, s'emparent d'elle et la retiennent. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Si un homme s'est soumis à satan pendant sa vie terrestre, s'il lui a obéi et a été son esclave, il est normal qu'il tombe en son pouvoir quand il quitte le monde et que satan le retienne. Du côté du bien, saches que les choses se présentent de la manière suivante : les saints serviteurs de Dieu ont dès cette vie des anges à leurs côtés, de saints esprits qui les entourent et les gardent. Quand ils quittent leur corps, les choeurs angéliques prennent possession de leur âme, les emportent de leur côté, dans le monde pur, et les conduisent devant le Seigneur » (homélie 22).


Le fait que les âmes soient conduites dans le même lieu de jouissance ou de châtiment que les anges montre qu'elles leur sont en tout semblables. Ceci est clair dans les paroles du Seigneur citées plus haut. Des anges à l'aspect humain sont apparus à certains justes de l'ancien testament comme Abraham, Lot, Jacob et d'autres ; ils ne furent pas reconnus tout de suite comme des incorporels. Après la Résurrection du Christ, d'autres anges sont apparus aux femmes myrrophores, tels des hommes resplendissants vêtus de blanc (Luc24,4 & Jn.20,12). Lors de l'Ascension, ils sont aussi apparus comme des hommes vêtus de blanc (Ac.1,10). De nombreux pères ont vu des anges vêtus de blanc et des démons semblables à des « éthiopiens » noirs et difformes. Après Sa Résurrection, le Seigneur s'est présenté subitement à Ses disciples rassemblés dans la chambre haute. Ces derniers ont eu peur, croyant voir un esprit. Le Seigneur les a rassuré et leur a expliqué la différence entre un esprit et Son corps renouvelé : Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi ces doutes montent-ils en votre cœur ? Voyez Mes mains et Mes pieds, c'est bien Moi ! Palpez-Moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'en ai (Luc 24,38-39). Il n'est pas dit ici qu'un esprit soit informe; il y a même l'opportunité de reconnaître que les esprits, âmes ou anges, ont bien une forme. On voit seulement qu'ils n'ont ni la chair, ni les os que le corps du Christ a conservés dans son état glorifié. Après avoir pris pour un esprit l'Apôtre Pierre qui avait été miraculeusement libéré de prison et aperçu par Rhoda, les chrétiens de Jérusalem ont exprimé eux aussi l'opinion 9ue les esprits ont une forme en disant : c'est son ange (Ac.12,15)


Saint Macaire le Grand dit que les anges ont un aspect et une forme semblables à ceux des âmes. Cet aspect et cette forme sont ceux du corps humain. Saint Macaire enseigne aussi que les anges et les âmes sont des corps, bien que d'une nature très fine. Ils sont aussi fins et éthérés que nos corps terrestres sont épais et grossiers. Le corps grossier de l'homme sert de vêtement au corps fin qu'est l'âme. Sur les yeux, les oreilles, les mains et les pieds de l'âme sont déposés les membres correspondants du corps (Homélie4,9). L'âme qui quitte le corps au moment de la mort le dépose comme un vêtement. Saint Macaire ajoute que les chrétiens les plus parfaits, purifiés par l'Esprit Saint, peuvent voir l'aspect de l'âme. Bien rares cependant sont ceux qui atteignent une telle perfection et sont dignes d'une telle vision (Hom.7,6). Toujours d'après Saint Macaire, ceux qui peuvent dire c'est l'Esprit qui prie en moi voient parfois leur âme sortir du corps pendant la prière, par une indicible grâce de l'Esprit Saint. « A cette heure, il arrive à l'homme qu'en même temps que la prière sort de sa bouche, son âme sort de lui également ».
A l'époque de Saint Macaire le Grand et du monachisme élevé du désert de Scété, peu nombreux étaient déjà les saints moines dignes de voir l'aspect de l'âme. A notre époque, ils sont encore plus rares. Cependant on en trouve encore, par la grande miséricorde de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ n'a-t-il pas promis à Ses disciples de demeurer avec eux jusqu'à la fin des temps ? Nous possédons à ce sujet le témoignage d'un élu qui, sous J'effet abondamment bienfaisant de la prière, vit son âme flotter dans l'air hors du corps. Elle avait l'aspect d'un corps éthéré, très fin et aérien, parfaitement semblable au corps charnel, jusqu'aux cheveux et aux traits du visage. L'âme possédait à ce moment-là non seulement la force spirituelle, mais également les sens, la vue, l'ouïe, le toucher. Elle détenait la vie alors que le corps gisait sur la chaise comme mort, tel un vêtement, jusqu'à ce que l'âme l'ait habité de nouveau sur un signe de Dieu, de façon aussi incompréhensible qu'elle l'avait quitté.
A notre époque, autant qu'ait pu en avoir connaissance l'auteur de la présente homélie, deux moines furent dignes de voir leur âme sortir du corps pendant la prière : l’ermite sibérien Vassilisk, décédé en 1825, et le schémamoine Ignace du désert de Nikiphorov, décédé en 1852. Le second dévoila personnellement cet événement à l'auteur de la présente homélie, qui habita lui-même jadis avec les plus proches disciples du premier, dont il fut l’ami dans le Seigneur.
Les anges sont semblables aux âmes : ils ont une tête, des yeux, une bouche, des cheveux, une poitrine, des bras, des jambes, en somme l'aspect exact d'un homme visible dans son corps. La beauté de la vertu et la grâce divine rayonnent sur les visages des saints anges. On peut observer cela également sur les visages des chrétiens les plus vertueux. Les anges déchus se caractérisent par leur méchanceté : leurs visages ressemblent aux visages hideux des criminels et des délinquants. C'est ce que racontent ceux qui ont vu des anges des ténèbres ou des anges de lumière.


Les anges et les âmes sont habituellement qualifiés d'incorporels dans les Ecritures. On les appelle aussi esprits car ils sont infiniment plus fins par nature que les objets matériels, et totalement différents. On remarquera que les hommes spirituels, qui traduisent avec une totale exactitude la pensée de l'Esprit Saint, choisissent à dessein un vocabulaire accessible à leurs contemporains, mais ne se préoccupent nullement de savoir comment la science humaine les comprendra Josué s'exclama par exemple : soleil, arrête-toi ! (Josué10,12) et le jour dura plus longtemps que d'habitude. La puissance de Dieu a répondu là à la parole de la foi, et vaines sont les exclamations dubitatives de la science devant une telle parole. Observons également que dans les écrits patristiques, jusqu'à une période récente, le mot esprit recouvrait aussi les notions de gaz, de vapeur (surtout l'air), de vent et de respiration humaine (CU Saint Grégoire le Sinaïte sur l'hésychia et les deux genres de prière).
Dans notre état habituel de chute, nous ne voyons pas les esprits, mais nous pouvons sentir leur influence si nous menons une vie pieuse et attentive. Cette perception spirituelle provient de la grâce et n'est possible qu'avec la bienfaisante purification de l'intellect et du cœur. Elle est incomparablement supérieure à la vision matérielle que procurent les yeux du corps. Dans ce dernier cas, le spectateur inexpérimenté est presque toujours victime d'un leurre ou d'un malheur psychique. La vision spirituelle au contraire est le fruit d'une vie pieuse et ascétique, couverte par la grâce et la bienveillance divine. Elle est bénéfique pour l'âme car elle lui enseigne les propriétés des esprits et leur façon d'agir, et lui permettent de se garder des esprits malins : Celui qui est né de Dieu se garde lui-même et le malin ne le touche pas (1Jn.5,18).


Le vent, l'air, les gaz et les vapeurs sont habituellement nommés esprits, dans l'Ecriture Sainte et les écrits patristiques. Le Seigneur a comparé l'action de l'Esprit Saint à celle du vent. (Cf. Théophylacte de Bulgarie sur (Jn.3,8) et Grégoire le Sinaïte dans la Philocalie). Au sens propre cependant, Dieu seul est Esprit. Parfait dans Son essence, Il se distingue totalement des créatures, aussi fines soient-elles. Aucun être n'est de même nature que Dieu I Dieu seul est donc spirituel par nature.


Saint Jean Damascène dit que « l'ange est incorporel et immatériel seulement en comparaison avec nous. Mais toute créature semble grossière et matérielle en comparaison avec Dieu, qui Seul est immatériel et incorporel » (la foi orthodoxe livre 2, ch.3). « Par nature, Dieu seul est incorporel. Les anges, les démons et les âmes sont incorporels par grâce et au regard de la matière grossière ». Citons de nouveau Saint Macaire : « Ni les sages et toute leur sagesse, ni les prudents et toute leur prudence, n'ont pu comprendre la subtilité de l'âme, ni dire ce qu'elle est. Seuls ont pu le faire ceux à qui la compréhension en a été donnée par l'Esprit Saint, et à qui l'exacte nature de l'âme a été révélée. Mais réfléchis maintenant, discerne, et comprends ce qu'il en est. Ecoute : Lui est Dieu, elle n'est pas Dieu ; Lui est le Seigneur, elle la servante ; Lui est le Créateur, elle la créature ; Lui est l'Artisan, elle l'ouvrage. Il n'y a rien de commun entre Sa nature et la sienne» (Homélie4 9,4).
Citons maintenant Saint Jean Cassien : « Nous disons, il est vrai, qu'il existe des natures spirituelles, comme les anges, les archanges et les autres vertus célestes, notre âme aussi, et l'air subtil ; mais il ne faut pas croire qu'elles sont incorporelles. Elles ont à elles un corps par lequel elles subsistent, bien que beaucoup plus subtil que le nôtre, ainsi qu'en témoigne la parole de l'Apôtre : il est des corps célestes et des corps terrestres; il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel (1Cor.15,40&44). D'où l'on conclut manifestement que rien n'est incorporel que Dieu » (Conférence7,XIII). Jean Cassien est placé par la Sainte Eglise Orthodoxe dans le choeur des Saints (fêté le 29 février). Il est cependant blasphémé et compté parmi les hérétiques semi-pélagiens par les papistes parce qu'au Vème siècle déjà, il dénonçait leurs déviations (reconnues au VIème Concile Oecuménique) et établissait que le Christianisme s'est développé de manière incomparablement plus parfaite en orient qu'en occident. Les œuvres de Saint Jean Cassien ont été publiées par un jésuite qui les critique sur plusieurs points, notamment sur le fait que les esprits ont un corps. Il qualifie cette opinion de « paradoxale » et « extravagante ». Il affirme qu'au contraire les esprits sont « parfaitement incorporels, spirituels et immatériels »; et ajoute que son opinion est « acceptée par tous ». Cette critique ne mérite bien entendu aucune attention ! Il se trouve malheureusement que chez nous aussi, certains acceptent cette vision ténébreuse des raisonneurs occidentaux.


Il est manifeste que les Saintes Ecritures qualifient les esprits d'incorporels et d'immatériels, mais ceci n'a de sens qu'en comparaison avec les corps grossiers des hommes et du monde matériel. Ces qualificatifs sont donc relatifs. Dieu seul est totalement Esprit, Il est le seul Esprit. Les anges, saints ou déchus, sont circonscrits dans le temps et dans l'espace. On notera bien que la localisation dans l'espace est inséparable de l'existence d'un aspect : si l'on rejette la première, on est amené, soit à nier l'existence des anges, soit à leur attribuer l'omniprésence de Dieu. Seules deux dimensions, le néant et l'infini, ne sont pas soumises à une forme quelconque. Au contraire, toute grandeur circonscrite dans l'espace, grande ou petite, a nécessairement une forme. Ayant admis que les anges sont limités dans l'espace, il faut admettre aussi qu'ils ont une forme et un corps, bien que ce dernier soit très fin. L'infini est, quant à lui, sans forme et sans corps, totalement esprit. L'Être-Esprit, comparable à aucune créature, est le seul Être au sens propre du terme, c'est Dieu lui-même. Saint Jean Cassien n'est pas le seul à attribuer un corps fin aux anges : tous les saints qui ont été dignes de voir face à face des anges de lumière ou des anges des ténèbres partagent son avis. Beaucoup furent même cruellement battus par des démons, comme Saint Antoine le Grand ; d'autres reçurent de Dieu la possibilité de les battre, comme Saint André (2oct.) ou la sainte martyre Julienne (21déc.). Comment cela aurait-il pu avoir lieu si les anges déchus étaient totalement incorporels ? Le jésuite prétend que les saints pères de Scété se fondent sur le philosophe Platon. Cependant Saint Macaire le Grand, issu lui aussi de Scété, • confirme (comme il a été dit plus haut) que la connaissance des esprits est cachée aux « sages » de la terre et révélée par l'Esprit Saint. La conception orthodoxe de la nature des esprits développée plus haut fait partie des dogmes de la théologie orthodoxe enseignée dans tous les séminaires orthodoxes.


Dieu est Esprit (in.4,24). Celui qui fait de Ses anges des esprits et de Ses serviteurs des flammes de feu (Ps.103,4), notre Dieu qui S'est fait homme pour jeter un feu dans nos cœurs mis à mort et glacés par le péché, est venu s'unir à nous pour faire de nous des flammes de-feu, des esprits inaccessibles à la corruption et au diable. Les anges déchus et les âmes des pécheurs rejetés sont étrangers à la Vie véritable et à la véritable spiritualité. Les esprits déchus ont acquis un corps et des propriétés particulières dues à la chute. Comme l'homme, ils ont perdu la douceur angélique et la jouissance de Dieu. Comme l'homme, ils jouissent de la terre (étant à leur manière matériels) et des passions charnelles venues après la chute. Il n'y a pas lieu d'en être étonné : notre âme aussi, créée raisonnable et intelligente à l’image de Dieu, est devenue animale, insensible et déraisonnable, en s'éloignant de Dieu pour jouir des choses matérielles. Elle s'est habituée à voir sa nature modifiée, ses actes détournés arbitrairement de leur destination originelle (Cf. Saint Grégoire le Sinaïte). La boisson soumet l'individu à son influence extérieure et emprisonne sa nature ; de la même façon, nos ancêtres, en transgressant de leur plein gré le commandement de Dieu, se sont soumis au mal qui était étranger à leur nature.


Les futures demeures des âmes, l'éden et l'enfer, correspondent à leur nature éthérée. L'âme sainte, qui connaît déjà ici-bas la jouissance spirituelle et le Royaume des cieux à la mesure de sa purification, séjournera dans le lieu dont la miséricorde divine la rendra digne. L'âme pécheresse et rejetée par Dieu sera tourmentée par ce rejet, par sa conscience, mais également par son séjour dans une terrible prison souterraine, appelée enfer, tartare ou géhenne, où elle subira de cruelles tortures capables de déchirer son corps éthéré. Tout cela est attesté par les Saintes Ecritures et les hommes choisis par l'Esprit Saint pour une telle révélation.
Souvent, dans la vie quotidienne, quand nous souhaitons examiner un objet, nous recherchons les conditions opportunes pour effectuer l'examen. Ce n'est pas que l'objet ait besoin de ces conditions, mais ce sont nos propres faiblesses qui les imposent. Dans l'étude qui nous occupe ici, nous devons également comprendre la nécessité d'une aide extérieure pour pallier notre imperfection. Cette aide, c'est la Révélation Divine. Elle est absolument indispensable compte tenu de notre petitesse dans la création, de notre maigre aptitude à acquérir des connaissances et de la nullité de ces connaissances. La connaissance de nous-mêmes est déjà si difficile. Avec les yeux du corps, nous ne voyons ni l'enfer, ni le Paradis. Mais au fait, que voyons-nous ? Je ne parle même pas du monde des esprits, mais simplement de ce monde que nous qualifions avec une telle conviction de visible. Nous n'avons accès qu'à une toute petite partie de la totalité, comme l'attestent le télescope et le microscope, l'odorat qui perçoit la présence de gaz échappant à la vue, les obstacles matériels qui limitent notre champ visuel, l'opacité de multiples objets, les lois de la géométrie descriptive qui montrent si bien que l'éloignement est trompeur pour appréhender les dimensions exactes d'un objet. Ayant compris avec humilité et justesse l'étendue de notre médiocrité, tournons respectueusement le regard de notre esprit vers ces choses cachées à nos sens grossiers, mais que Dieu, dans Sa miséricorde, nous a fait la grâce de révéler. (suite)