PAROLE
SUR LA MORT
Partie 1/9
Nous vous proposons le fameux traité sur la mort de saint Ignace Briantchaninov Evêque du Caucase et de la Mer Noire, écrit au milieu du 19ème siècle.
Ce fameux traité est précieux puisqu'il expose d'une façon méthodique et selon
les témoignages des saints pères de l'Eglise orthodoxe, ainsi que de la
tradition liturgique, les enseignements relatifs à la double nature de l'homme,
à la séparation de cette double nature par la mort, à l'état de l'âme après la
mort et ce qui pourrait lui advenir comme bonheur ou malheur, suite à ce
qu'elle aurait choisi comme principe de vie durant son séjour terrestre.
Ce texte est proposé aux chrétiens orthodoxes qui fréquentent
régulièrement les offices de l'Eglise ainsi que les sacrements, qui ont une vie
de prière intérieure et qui ont un père spirituel chez qui ils se confessent
régulièrement. Pour les autres, nous craignons qu'il provoquera chez eux des
réactions négatives et pourraient être perturbés dans leur psyché.
Nous publierons successivement les neuf chapitres de
ce traité et nous avertissons les lecteurs qu'il pourrait-y avoir des passages
difficiles qui, probablement, vont heurter la sensibilité de notre entendement
humain. Prière de garder à la mémoire la pensée que Christ est venu sauver
ceux qui espèrent en Lui, que la vie a jailli du tombeau et le Seigneur nous
l'a accordée par le Saint baptême et les sacrements de l'Eglise.
A noter cependant, que ce que l'on appelle "Les visions
de Theodora", sur les épreuves que son âme a subies à sa sortie du corps,
(les douanes), ont été critiquées par plusieurs théologiens contemporains, du
fait que les sources utilisées, on sait maintenant que leur origine est
douteuse et nous prions les lecteurs de relativiser leur portée.
Nous notons aussi que Saint Ignace dans sa façon d'écrire et
son style direct, prononce des jugements radicaux sur différents états et
sujets. Là aussi il convient de relativiser puisque ce style était bien répandu
en Russie au 19ème siècle.
Ceci dit, ce traité reste unique pour parler de la mort d'une
façon méthodique et exhaustive. On peut en tirer beaucoup de leçons pour nous
préparer à ce moment fatidique de notre vie, puisqu'il est enrichi de
l'expérience des saints et des citations bibliques.
Que par les prières de Saint Ignace Dieu nous fasse miséricorde. Amen.
+++
« Que tu
te souviennes tous les jours de ta vie, du jour où tu sortis du pays d'Egypte »
(Dt. 16, 3)
+++
CHAPITRE
I :
DE LA NATURE DE L'ÂME HUMAINE ET DE CELLE DES ANGES
La mort est le grand mystère d'une naissance à l'éternité :
celle de l'homme quittant cette vie terrestre et temporelle. Déposant le corps,
cette enveloppe grossière, l'âme s'en va, fine et éthérée, vers un autre
univers, la demeure des esprits. Cet univers est étranger aux organes
sensoriels grossiers, créés pour renseigner l'homme sur le monde extérieur
pendant son séjour terrestre. Comme tout ce qui participe du monde invisible,
l'âme qui échappe au corps est insaisissable. Lors de l'accomplissement du
mystère de la mort, nous ne voyons que l'absence de respiration, la soudaine
immobilité d'un cadavre privé de vie. Ensuite viennent la décomposition,
l'urgent besoin d'un enterrement, et enfin la corruption et les vers.
D'innombrables générations sont ainsi mortes et tombées dans l'oubli.
Qu'advient-il de l'âme qui quitte le corps ? L'homme ne détient pas les moyens
d'investigation nécessaires pour résoudre cette énigme.
Quel mystère que la mort ! Avant l'illumination du Christianisme, l'homme avait
généralement une conception fausse et grossière de l'immortalité de l'âme. Les
plus grands sages païens en étaient réduits aux suppositions. Toutefois l'homme
déchu, bien qu'abêti et enténébré, a toujours eu au fond du cœur l'intuition de
son immortalité. Toutes les croyances païennes l'attestent; toutes évoquent une
vie d'outre-tombe, heureuse ou non, selon la qualité du parcours terrestre du
défunt.
Pour nous pèlerins, de passage ici-bas, il est primordial de connaître le sort
que nous réserve l'éternité. Puisque sur cette terre déjà, dans ce bref
périple, nous dépensons tant d'énergie à éloigner toute tristesse et à
rechercher l'agréable, il est normal que nous nous inquiétions de notre vie
future. Qu'est-ce que la mort fera de nous ? Qu'est-ce qui attend notre âme à la
sortie de la matière ? Se peut-il qu'il n'y ait pas de rétribution pour le bien
et le mal accomplis ici-bas, volontairement ou non ? Est-il admissible que
cette rétribution n'existe pas, alors que le mal prospère et triomphe, alors
que le bien est pourchassé et souffre ? Nous sentons bien l'urgence : il faut
démasquer le mystère de la mort et pressentir la vie d'outre-tombe, cachée aux
yeux du corps !
La Parole de Dieu explique le mystère de la mort. L'Esprit Saint peut même le
rendre accessible à nos sens affinés et purifiés par la grâce : l'Esprit sonde
tout, jusqu'aux profondeurs de Dieu (1Cor.2,10), pas seulement celles de
l'homme.
La mort, c'est la séparation voulue par Dieu d'une âme et d'un corps qui
avaient été unis auparavant par cette même volonté divine. Ce phénomène est une
conséquence de la chute, qui priva le corps humain de l'incorruptibilité
offerte à l'origine par le Créateur. La mort est le châtiment infligé à l'homme
immortel comme prix de sa désobéissance à Dieu. Elle le sépare douloureusement
en deux parties, et celui-ci n'est plus... L'âme et le corps n'existent plus
ensemble mais séparément.
Le corps continue d'exister dans la décomposition, dans le retour à la terre
d'où il a été tiré. Dans la corruption même, il attend la seconde union avec
l'âme, après quoi la mort n'aura plus d'emprise sur lui. Toutefois, les corps
de certains élus résistent à la corruption, pénétrés abondamment par la grâce
divine. Ils manifestent à l'ombre de la mort les prémices de leur glorieuse
résurrection. Au lieu de la puanteur, ils exhalent un merveilleux parfum. Au
lieu de la contamination mortelle, ils offrent guérisons et vie. De tels corps
sont à la fois morts et vivants : morts selon la nature, et vivants par la
présence de l'Esprit Saint. Ils témoignent d'un fait : la grandeur et la
sainteté ont été rendues à la Création par la Rédemption.
Qu'advient-il de l'âme quand le corps s'endort dans le sommeil de la mort? La
Parole de Dieu révèle qu'elle s'unit, soit aux anges de lumière, soit aux anges
déchus, selon la vie terrestre du défunt. Les âmes sont des créatures
semblables aux anges. Comme eux, elles sont soit bonnes, soit mauvaises.
Naissant saintes et sans taches, elles s'approprient par la suite le bien ou le
mal, selon l'usage de leur libre arbitre. Le destin des âmes est attesté de
manière irréfutable dans les Saintes Ecritures et les écrits patristiques. Par
exemple, le Seigneur a promis au larron le départ immédiat de son âme pour le
Paradis : Je te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec Moi dans le
Paradis (Luc23,43). Après sa mort, le pauvre Lazare souffrant fut emporté au
Paradis, dans le sein d'Abraham, alors que le riche impitoyable qui menait
joyeuse vie sur terre fut précipité en enfer (Luc16,19-31).
Après avoir quitté cette vie pour le ciel, les âmes des justes jouissent de la
béatitude en attendant la Résurrection des corps, comme l'expose Saint Jean le
Théologien, le visionnaire des Mystères (Ap.6, 10-11). Les âmes des pécheurs
attendent la Résurrection en enfer dans d'atroces souffrances (Ap.20, 13).
Lorsque sonnera la trompette de la Résurrection, la voix du Fils de Dieu
invitera les âmes des saints du Paradis à s'unir avec leurs corps ressuscités
(Jn.5,25). Cette voix, Lazare l'entendit quand, mort depuis quatre jours, il
sentait déjà. L'enfer, quant à lui, présentera ses morts au Jugement Dernier
pour la sentence définitive. Après le verdict et son exécution, la béatitude
des justes augmentera, et les pécheurs retourneront en enfer pour des
souffrances redoublées (Ps.9,18).
Nous savons de la bouche du Seigneur qu'après la Résurrection, les justes
seront semblables aux anges (Luc20,36). Annonçant Son second avènement et le
Jugement Dernier, le Seigneur déclara qu'Il dirait aux justes situés à Sa
droite : Venez, les bénis de Mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous
a été préparé depuis la fondation du monde, et aux pécheurs situés à Sa gauche
: Allez loin de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le
diable et ses anges (Mt.25,34-41). La rétribution des justes sera en vérité
très différente de celle des pécheurs. La justice divine rendra à chacun selon
ses actes (Apo.22,12). Les demeures célestes sont multiples, comme en témoigne
le Sauveur, et les prisons de l'enfer sont aussi fort diverses et les souffrances
très variées. Celui qui a péché sciemment recevra un grand nombre de coups et
celui qui a péché par inadvertance n'en recevra qu'un petit nombre (Luc12,
47-48).
Les chrétiens hériteront de la béatitude avec les anges de lumière, mais
uniquement les orthodoxes, et, de surcroît, ceux qui auront vécu pieusement ou
se seront purifiés de leurs péchés par un repentir sincère, une confession
authentique à leur père spirituel et un amendement personnel. En revanche, les
impies (ceux qui ne croient pas au Christ) et les mécréants (les hérétiques et
les orthodoxes qui vivent toute leur vie dans le péché ou qui commettent
quelque pêché mortel non guéri par le repentir), hériteront des souffrances
éternelles avec les anges déchus. Voici en outre, ce que proclament les pères
de l'Eglise Catholique d'Orient, concernant les âmes de ceux qui ont commis des
péchés mortels sans avoir désespéré au moment de la Mort, et qui s'en sont
repentis sans avoir eu le temps d'offrir des fruits, tels que la prière, la
contrition du cœur, les larmes, les métanies, les veilles, la consolation des
pauvres, les œuvres de l'amour de Dieu et du prochain (toutes choses reconnues
par l'Eglise comme nécessaires et agréables à Dieu) : de telles âmes iront en
enfer pour recevoir les châtiments que méritent leurs péchés, sans toutefois
être privées de l'espoir d'un soulagement. Ce soulagement provient de la prière
des prêtres, des œuvres de bienfaisance accomplies en la mémoire des défunts,
et surtout de la puissance du sacrifice non sanglant accompli quotidiennement
par le serviteur du culte, pour chaque chrétien, pour ses proches, et pour tous
les défunts de notre Eglise Catholique et Apostolique. Funeste sera la mort des
pécheurs (Ps.33,22), mais pour les gens pieux et les saints, elle sera le
passage de l'agitation et de la tourmente d'ici-bas au calme inaltérable, des
souffrances incessantes à la béatitude infinie et continuelle, de la terre au
ciel et à l'assemblée innombrable des anges et des saints. .Elle offrira
l'insatiable contemplation de Dieu, un perpétuel et ardent amour pour Lui, la
suprême jouissance des saints.
Voici ce que dit Saint Macaire le Grand : « Lorsque l'âme de l'homme sort du
corps, un grand mystère s'accomplit. Si elle est chargée de péchés, les chœurs
des démons, les anges de mauvaise augure, les puissances ténébreuses viennent,
s'emparent d'elle et la retiennent. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Si un
homme s'est soumis à satan pendant sa vie terrestre, s'il lui a obéi et a été
son esclave, il est normal qu'il tombe en son pouvoir quand il quitte le monde
et que satan le retienne. Du côté du bien, saches que les choses se présentent
de la manière suivante : les saints serviteurs de Dieu ont dès cette vie des
anges à leurs côtés, de saints esprits qui les entourent et les gardent. Quand
ils quittent leur corps, les choeurs angéliques prennent possession de leur
âme, les emportent de leur côté, dans le monde pur, et les conduisent devant le
Seigneur » (homélie 22).
Le fait que les âmes soient conduites dans le même lieu de jouissance ou de
châtiment que les anges montre qu'elles leur sont en tout semblables. Ceci est
clair dans les paroles du Seigneur citées plus haut. Des anges à l'aspect
humain sont apparus à certains justes de l'ancien testament comme Abraham, Lot,
Jacob et d'autres ; ils ne furent pas reconnus tout de suite comme des
incorporels. Après la Résurrection du Christ, d'autres anges sont apparus aux
femmes myrrophores, tels des hommes resplendissants vêtus de blanc (Luc24,4
& Jn.20,12). Lors de l'Ascension, ils sont aussi apparus comme des hommes
vêtus de blanc (Ac.1,10). De nombreux pères ont vu des anges vêtus de blanc et
des démons semblables à des « éthiopiens » noirs et difformes. Après Sa
Résurrection, le Seigneur s'est présenté subitement à Ses disciples rassemblés
dans la chambre haute. Ces derniers ont eu peur, croyant voir un esprit. Le
Seigneur les a rassuré et leur a expliqué la différence entre un esprit et Son
corps renouvelé : Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi ces doutes montent-ils
en votre cœur ? Voyez Mes mains et Mes pieds, c'est bien Moi ! Palpez-Moi et
rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'en
ai (Luc 24,38-39). Il n'est pas dit ici qu'un esprit soit informe; il y a même
l'opportunité de reconnaître que les esprits, âmes ou anges, ont bien une
forme. On voit seulement qu'ils n'ont ni la chair, ni les os que le corps du
Christ a conservés dans son état glorifié. Après avoir pris pour un esprit
l'Apôtre Pierre qui avait été miraculeusement libéré de prison et aperçu par
Rhoda, les chrétiens de Jérusalem ont exprimé eux aussi l'opinion 9ue les
esprits ont une forme en disant : c'est son ange (Ac.12,15)
Saint Macaire le Grand dit que les anges ont un aspect et une forme semblables
à ceux des âmes. Cet aspect et cette forme sont ceux du corps humain. Saint
Macaire enseigne aussi que les anges et les âmes sont des corps, bien que d'une
nature très fine. Ils sont aussi fins et éthérés que nos corps terrestres sont
épais et grossiers. Le corps grossier de l'homme sert de vêtement au corps fin
qu'est l'âme. Sur les yeux, les oreilles, les mains et les pieds de l'âme sont
déposés les membres correspondants du corps (Homélie4,9). L'âme qui quitte le
corps au moment de la mort le dépose comme un vêtement. Saint Macaire ajoute
que les chrétiens les plus parfaits, purifiés par l'Esprit Saint, peuvent voir
l'aspect de l'âme. Bien rares cependant sont ceux qui atteignent une telle
perfection et sont dignes d'une telle vision (Hom.7,6). Toujours d'après Saint
Macaire, ceux qui peuvent dire c'est l'Esprit qui prie en moi voient parfois
leur âme sortir du corps pendant la prière, par une indicible grâce de l'Esprit
Saint. « A cette heure, il arrive à l'homme qu'en même temps que la prière sort
de sa bouche, son âme sort de lui également ».
A l'époque de Saint Macaire le Grand et du monachisme élevé du désert de Scété,
peu nombreux étaient déjà les saints moines dignes de voir l'aspect de l'âme. A
notre époque, ils sont encore plus rares. Cependant on en trouve encore, par la
grande miséricorde de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ n'a-t-il pas promis à
Ses disciples de demeurer avec eux jusqu'à la fin des temps ? Nous possédons à
ce sujet le témoignage d'un élu qui, sous J'effet abondamment bienfaisant de la
prière, vit son âme flotter dans l'air hors du corps. Elle avait l'aspect d'un
corps éthéré, très fin et aérien, parfaitement semblable au corps charnel,
jusqu'aux cheveux et aux traits du visage. L'âme possédait à ce moment-là non
seulement la force spirituelle, mais également les sens, la vue, l'ouïe, le
toucher. Elle détenait la vie alors que le corps gisait sur la chaise comme
mort, tel un vêtement, jusqu'à ce que l'âme l'ait habité de nouveau sur un
signe de Dieu, de façon aussi incompréhensible qu'elle l'avait quitté.
A notre époque, autant qu'ait pu en avoir connaissance l'auteur de la présente
homélie, deux moines furent dignes de voir leur âme sortir du corps pendant la
prière : l’ermite sibérien Vassilisk, décédé en 1825, et le schémamoine Ignace
du désert de Nikiphorov, décédé en 1852. Le second dévoila personnellement cet
événement à l'auteur de la présente homélie, qui habita lui-même jadis avec les
plus proches disciples du premier, dont il fut l’ami dans le Seigneur.
Les anges sont semblables aux âmes : ils ont une tête, des yeux, une bouche,
des cheveux, une poitrine, des bras, des jambes, en somme l'aspect exact d'un
homme visible dans son corps. La beauté de la vertu et la grâce divine
rayonnent sur les visages des saints anges. On peut observer cela également sur
les visages des chrétiens les plus vertueux. Les anges déchus se caractérisent
par leur méchanceté : leurs visages ressemblent aux visages hideux des
criminels et des délinquants. C'est ce que racontent ceux qui ont vu des anges
des ténèbres ou des anges de lumière.
Les anges et les âmes sont habituellement qualifiés d'incorporels dans les
Ecritures. On les appelle aussi esprits car ils sont infiniment plus fins par
nature que les objets matériels, et totalement différents. On remarquera que
les hommes spirituels, qui traduisent avec une totale exactitude la pensée de
l'Esprit Saint, choisissent à dessein un vocabulaire accessible à leurs
contemporains, mais ne se préoccupent nullement de savoir comment la science
humaine les comprendra Josué s'exclama par exemple : soleil, arrête-toi !
(Josué10,12) et le jour dura plus longtemps que d'habitude. La puissance de
Dieu a répondu là à la parole de la foi, et vaines sont les exclamations
dubitatives de la science devant une telle parole. Observons également que dans
les écrits patristiques, jusqu'à une période récente, le mot esprit recouvrait
aussi les notions de gaz, de vapeur (surtout l'air), de vent et de respiration
humaine (CU Saint Grégoire le Sinaïte sur l'hésychia et les deux genres de
prière).
Dans notre état habituel de chute, nous ne voyons pas les esprits, mais nous
pouvons sentir leur influence si nous menons une vie pieuse et attentive. Cette
perception spirituelle provient de la grâce et n'est possible qu'avec la
bienfaisante purification de l'intellect et du cœur. Elle est incomparablement
supérieure à la vision matérielle que procurent les yeux du corps. Dans ce
dernier cas, le spectateur inexpérimenté est presque toujours victime d'un
leurre ou d'un malheur psychique. La vision spirituelle au contraire est le
fruit d'une vie pieuse et ascétique, couverte par la grâce et la bienveillance
divine. Elle est bénéfique pour l'âme car elle lui enseigne les propriétés des
esprits et leur façon d'agir, et lui permettent de se garder des esprits malins
: Celui qui est né de Dieu se garde lui-même et le malin ne le touche pas
(1Jn.5,18).
Le vent, l'air, les gaz et les vapeurs sont habituellement nommés esprits, dans
l'Ecriture Sainte et les écrits patristiques. Le Seigneur a comparé l'action de
l'Esprit Saint à celle du vent. (Cf. Théophylacte de Bulgarie sur (Jn.3,8) et
Grégoire le Sinaïte dans la Philocalie). Au sens propre cependant, Dieu seul
est Esprit. Parfait dans Son essence, Il se distingue totalement des créatures,
aussi fines soient-elles. Aucun être n'est de même nature que Dieu I Dieu seul
est donc spirituel par nature.
Saint Jean Damascène dit que « l'ange est incorporel et immatériel seulement en
comparaison avec nous. Mais toute créature semble grossière et matérielle en
comparaison avec Dieu, qui Seul est immatériel et incorporel » (la foi
orthodoxe livre 2, ch.3). « Par nature, Dieu seul est incorporel. Les anges,
les démons et les âmes sont incorporels par grâce et au regard de la matière
grossière ». Citons de nouveau Saint Macaire : « Ni les sages et toute leur
sagesse, ni les prudents et toute leur prudence, n'ont pu comprendre la
subtilité de l'âme, ni dire ce qu'elle est. Seuls ont pu le faire ceux à qui la
compréhension en a été donnée par l'Esprit Saint, et à qui l'exacte nature de
l'âme a été révélée. Mais réfléchis maintenant, discerne, et comprends ce qu'il
en est. Ecoute : Lui est Dieu, elle n'est pas Dieu ; Lui est le Seigneur, elle
la servante ; Lui est le Créateur, elle la créature ; Lui est l'Artisan, elle
l'ouvrage. Il n'y a rien de commun entre Sa nature et la sienne» (Homélie4
9,4).
Citons maintenant Saint Jean Cassien : « Nous disons, il est vrai, qu'il existe
des natures spirituelles, comme les anges, les archanges et les autres vertus
célestes, notre âme aussi, et l'air subtil ; mais il ne faut pas croire
qu'elles sont incorporelles. Elles ont à elles un corps par lequel elles
subsistent, bien que beaucoup plus subtil que le nôtre, ainsi qu'en témoigne la
parole de l'Apôtre : il est des corps célestes et des corps terrestres; il est
semé corps animal, il ressuscite corps spirituel (1Cor.15,40&44). D'où l'on
conclut manifestement que rien n'est incorporel que Dieu » (Conférence7,XIII).
Jean Cassien est placé par la Sainte Eglise Orthodoxe dans le choeur des Saints
(fêté le 29 février). Il est cependant blasphémé et compté parmi les hérétiques
semi-pélagiens par les papistes parce qu'au Vème siècle déjà, il dénonçait
leurs déviations (reconnues au VIème Concile Oecuménique) et établissait que le
Christianisme s'est développé de manière incomparablement plus parfaite en
orient qu'en occident. Les œuvres de Saint Jean Cassien ont été publiées par un
jésuite qui les critique sur plusieurs points, notamment sur le fait que les
esprits ont un corps. Il qualifie cette opinion de « paradoxale » et «
extravagante ». Il affirme qu'au contraire les esprits sont « parfaitement
incorporels, spirituels et immatériels »; et ajoute que son opinion est «
acceptée par tous ». Cette critique ne mérite bien entendu aucune attention !
Il se trouve malheureusement que chez nous aussi, certains acceptent cette
vision ténébreuse des raisonneurs occidentaux.
Il est manifeste que les Saintes Ecritures qualifient les esprits d'incorporels
et d'immatériels, mais ceci n'a de sens qu'en comparaison avec les corps
grossiers des hommes et du monde matériel. Ces qualificatifs sont donc
relatifs. Dieu seul est totalement Esprit, Il est le seul Esprit. Les anges,
saints ou déchus, sont circonscrits dans le temps et dans l'espace. On notera
bien que la localisation dans l'espace est inséparable de l'existence d'un
aspect : si l'on rejette la première, on est amené, soit à nier l'existence des
anges, soit à leur attribuer l'omniprésence de Dieu. Seules deux dimensions, le
néant et l'infini, ne sont pas soumises à une forme quelconque. Au contraire,
toute grandeur circonscrite dans l'espace, grande ou petite, a nécessairement
une forme. Ayant admis que les anges sont limités dans l'espace, il faut
admettre aussi qu'ils ont une forme et un corps, bien que ce dernier soit très
fin. L'infini est, quant à lui, sans forme et sans corps, totalement esprit.
L'Être-Esprit, comparable à aucune créature, est le seul Être au sens propre du
terme, c'est Dieu lui-même. Saint Jean Cassien n'est pas le seul à attribuer un
corps fin aux anges : tous les saints qui ont été dignes de voir face à face
des anges de lumière ou des anges des ténèbres partagent son avis. Beaucoup
furent même cruellement battus par des démons, comme Saint Antoine le Grand ;
d'autres reçurent de Dieu la possibilité de les battre, comme Saint André
(2oct.) ou la sainte martyre Julienne (21déc.). Comment cela aurait-il pu avoir
lieu si les anges déchus étaient totalement incorporels ? Le jésuite prétend
que les saints pères de Scété se fondent sur le philosophe Platon. Cependant
Saint Macaire le Grand, issu lui aussi de Scété, • confirme (comme il a été dit
plus haut) que la connaissance des esprits est cachée aux « sages » de la terre
et révélée par l'Esprit Saint. La conception orthodoxe de la nature des esprits
développée plus haut fait partie des dogmes de la théologie orthodoxe enseignée
dans tous les séminaires orthodoxes.
Dieu est Esprit (in.4,24). Celui qui fait de Ses anges des esprits et de Ses
serviteurs des flammes de feu (Ps.103,4), notre Dieu qui S'est fait homme pour
jeter un feu dans nos cœurs mis à mort et glacés par le péché, est venu s'unir
à nous pour faire de nous des flammes de-feu, des esprits inaccessibles à la
corruption et au diable. Les anges déchus et les âmes des pécheurs rejetés sont
étrangers à la Vie véritable et à la véritable spiritualité. Les esprits déchus
ont acquis un corps et des propriétés particulières dues à la chute. Comme
l'homme, ils ont perdu la douceur angélique et la jouissance de Dieu. Comme
l'homme, ils jouissent de la terre (étant à leur manière matériels) et des
passions charnelles venues après la chute. Il n'y a pas lieu d'en être étonné :
notre âme aussi, créée raisonnable et intelligente à l’image de Dieu, est
devenue animale, insensible et déraisonnable, en s'éloignant de Dieu pour jouir
des choses matérielles. Elle s'est habituée à voir sa nature modifiée, ses
actes détournés arbitrairement de leur destination originelle (Cf. Saint
Grégoire le Sinaïte). La boisson soumet l'individu à son influence extérieure et
emprisonne sa nature ; de la même façon, nos ancêtres, en transgressant de leur
plein gré le commandement de Dieu, se sont soumis au mal qui était étranger à
leur nature.
Les futures demeures des âmes, l'éden et l'enfer, correspondent à leur nature éthérée.
L'âme sainte, qui connaît déjà ici-bas la jouissance spirituelle et le Royaume
des cieux à la mesure de sa purification, séjournera dans le lieu dont la
miséricorde divine la rendra digne. L'âme pécheresse et rejetée par Dieu sera
tourmentée par ce rejet, par sa conscience, mais également par son séjour dans
une terrible prison souterraine, appelée enfer, tartare ou géhenne, où elle
subira de cruelles tortures capables de déchirer son corps éthéré. Tout cela
est attesté par les Saintes Ecritures et les hommes choisis par l'Esprit Saint
pour une telle révélation.
Souvent, dans la vie quotidienne, quand nous souhaitons examiner un objet, nous
recherchons les conditions opportunes pour effectuer l'examen. Ce n'est pas que
l'objet ait besoin de ces conditions, mais ce sont nos propres faiblesses qui
les imposent. Dans l'étude qui nous occupe ici, nous devons également
comprendre la nécessité d'une aide extérieure pour pallier notre imperfection.
Cette aide, c'est la Révélation Divine. Elle est absolument indispensable
compte tenu de notre petitesse dans la création, de notre maigre aptitude à
acquérir des connaissances et de la nullité de ces connaissances. La
connaissance de nous-mêmes est déjà si difficile. Avec les yeux du corps, nous
ne voyons ni l'enfer, ni le Paradis. Mais au fait, que voyons-nous ? Je ne
parle même pas du monde des esprits, mais simplement de ce monde que nous
qualifions avec une telle conviction de visible. Nous n'avons accès qu'à une
toute petite partie de la totalité, comme l'attestent le télescope et le
microscope, l'odorat qui perçoit la présence de gaz échappant à la vue, les
obstacles matériels qui limitent notre champ visuel, l'opacité de multiples
objets, les lois de la géométrie descriptive qui montrent si bien que l'éloignement
est trompeur pour appréhender les dimensions exactes d'un objet. Ayant compris
avec humilité et justesse l'étendue de notre médiocrité, tournons
respectueusement le regard de notre esprit vers ces choses cachées à nos sens
grossiers, mais que Dieu, dans Sa miséricorde, nous a fait la grâce de révéler.
(suite)