mardi 24 janvier 2023

 

Les nouveaux martyrs russes 

– La Duchesse Sainte Elisabeth Feodorovna

source : Citations Orthodoxes

 



Seconde fille du grand-duc Louis IV de Hesse et de la princesse Alice du Royaume-Unis, fille de la reine Victoria, elle reçoit le prénom de sa grand-mère paternelle, Élisabeth de Prusse. Son prénom rend également hommage à une ancêtre de la Maison de Hesse : Sainte Élisabeth de Hongrie. En famille, elle est surnommée « Ella ».

Bien qu’étant une des plus nobles et anciennes maisons d’Allemagne, la famille d’Élisabeth a un train de vie plutôt modeste. Les enfants nettoient eux-mêmes leurs chambres tandis que leur mère confectionnent les vêtements de toute la famille. Élisabeth grandit dans un foyer heureux et influencé par les habitudes britanniques, et l’anglais est sa langue maternelle. Les enfants parlent en anglais avec leur mère, et en allemand avec leur père.


La jeune princesse reçoit une éducation très religieuse. Sa mère l’initie très tôt à ses œuvres de charité et Ella visite les malades dans les hôpitaux avec elle. Selon Maurice Paléologue, Alice, amie du théologien David Strauss, aurait ainsi fortement influencé ses filles Alix et Élisabeth concernant leurs croyances et leur « aptitude à l’exaltation religieuse ».

Le 29 mai 1873, la famille de Hesse-Darmstadt est endeuillée par le décès accidentel du prince Frédéric de Hesse-Darmstadt. Quelques années plus tard, le 8 août 1878, la sœur cadette d’Élisabeth, la princesse Marie de Hesse-Darmstadt, âgée de 4 ans, décède de la diphtérie. La princesse Alice ayant contracté la maladie en soignant ses enfants décède elle aussi le 14 décembre 1878. Élisabeth est la seule de la fratrie à ne pas contracter la maladie car elle est envoyée chez sa grand-mère paternelle dès le début de l’épidémie. Quand elle est enfin autorisée à retourner chez elle, elle décrit les retrouvailles comme étant terriblement tristes et dit avoir l’impression de se retrouver dans un horrible cauchemar. Après le décès de sa mère, l’éducation de la princesse Élisabeth se poursuit à la cour de la reine Victoria.

Toute sa vie, Élisabeth suscite l’affection et la dévotion de son entourage, et Maurice Paléologue écrit dans ses mémoires qu’elle était capable de provoquer des « passions profanes ». Par exemple, le 24 septembre 1884, peu après son arrivée en Russie, le grand-duc Constantin Constantinovich écrit un poème où il décrit l’excellente impression qu’elle fit à la cour. Quant au prince Félix Ioussoupov, il la considère comme une seconde mère, et écrit dans ses mémoires qu’elle l’a soutenu dans les moments les plus difficiles de sa vie. Enfin, elle fascine sa cousine Marie de Saxe-Cobourg-Gotha, alors enfant, qui décrira plus tard dans ses mémoires sa beauté et sa douceur comme tenant du rêve.

Elle fut rapidement subjuguée par la foi orthodoxe par sa profondeur , sa richesse et sa beauté. Et elle résolue à entrer dans l’Église Orthodoxe. L’Empereur Alexandre III profondément touché par la décision de sa belle fille , il lui fit le don de l’icône très précieuse du Sauveur que la princesse conserva toute sa vie. Elle fut autant Russe que Orthodoxe .

En 1888, à l’occasion de la consécration de l’église Sainte Marie-Madeleine construite sur le Mont des Oliviers à Jérusalem, le couple se rend en Terre Sainte. Les Lieux Saints impressionnent tant Ella qu’elle émet ce souhait : « Je voudrais être enterrée là ». Son vœu sera respecté en 1920.

En 1891, son époux est nommé gouverneur de Moscou. La vie de la grande-duchesse est transformée. En raison du poste occupé par son époux, ses soirées sont consacrées aux réceptions et aux bals, les journées employées à la gestion des associations de charité. Elle visite des hospices de pauvres et des orphelinats. Sur son instance, un hôpital est construit à Illynskoye. En 1892, la grande-duchesse fonde la Société bénévole Elizaveta destinée aux mères célibataires. En outre, elle s’occupe de la filiale russe du Comité des Dames de la Croix-Rouge dont elle devient présidente après la mort de son mari (1905).

Pendant la Guerre Russo-Japonaise, la grande-duchesse, déjà présidente de la Croix-Rouge, organise un comité chargé de porter assistance aux soldats, dans le grand palais du Kremlin.

Le couple n’a pas eu d’enfant . On suppose que le mariage n’a jamais été consommé. Maurice Paléologue décrit le grand-duc Serge comme « le plus soupçonneux et le plus inquisitorial des maris » face à une épouse « calme et docile ». Lorsque le grand-duc Paul est exilé à Paris par Nicolas II, il laisse ses deux enfants, le grand-duc Dimitri et la grande-duchesse Marie, à la grande-duchesse Élisabeth et au grand-duc Serge.

Élisabeth joue un rôle clef dans le mariage de son neveu par alliance, le tsar Nicolas II de Russie, avec sa jeune sœur Alix. À la consternation de la reine Victoria, elle encourage Nicolas, alors tsarévitch, à courtiser Alix. Quand Nicolas demande Alix en mariage en 1894, et qu’elle le rejette car elle ne veut pas se convertir à l’orthodoxie, c’est Élisabeth qui l’encourage à changer d’avis. Quelques jours plus tard, Nicolas demande Alix en mariage une seconde fois, et la jeune fille accepte.

Le grand-duc Serge est assassiné, le 17 février 1905, par l’explosion d’une bombe à la nitroglycérine dans sa voiture. Le coupable est membre du parti des Combattants socialistes révolutionnaires. L’explosion désintègre la voiture, le grand-duc est tué sur le coup.

Au bruit, Élisabeth accourt sur les lieux du drame. Elle retrouve des morceaux de bois brûlé et des restes de tissu provenant des vêtements de son époux. À genoux dans la neige maculée de sang, la grande-duchesse donne ses instructions, puis recueille les restes de son époux.

C‘est un terrible choc pour Élisabeth, mais elle ne perd pas son calme. Selon elle, c’est sa prophétie qui se réalise. En effet, après que le grand-duc ait expulsé 20000 Juifs de Moscou, elle avait déclaré : « Dieu nous punira sévèrement« . Sa nièce Marie rapporte dans ses mémoires que son visage était « pâle et abasourdi« , et elle déclare qu’elle n’a jamais pu oublier son expression d’infinie tristesse. Marie raconte qu’une fois dans sa chambre, Élisabeth « se laisse faiblement tomber dans un fauteuil…les yeux secs et le regard fixe, elle regarde droit devant elle, et ne dit rien. » Alors que les visiteurs vont et viennent, elle les regarde sans sembler les voir. Toute la journée, Élisabeth refuse de pleurer. Mais Marie écrit comment elle finit par abandonner son rigide contrôle d’elle-même, avant de s’effondrer en larmes. Sa famille craint alors qu’elle ne fasse une dépression nerveuse, mais elle retrouve vite son sang-froid.

Élisabeth passa les jours précédant l’enterrement en prières. Sur la pierre tombale de son époux, elle fit écrire : « Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font« . Elle avait compris dans son cœur et dans son âme le message des Écritures, et à la veille des funérailles, elle demanda à être conduite à la prison de Kaliaïev. Arrivée dans sa cellule, elle lui demanda :

« Pourquoi avez-vous tué mon époux ? »

– « J’ai tué Serge Alexandrovitch car il était une arme de la tyrannie. J’ai vengé le peuple », lui répondit-il.

– « N’écoutez pas votre fierté. Repentez-vous et je supplierais l’empereur d’épargner votre vie. Je lui demanderai pour vous. Je vous ai moi-même déjà pardonné« .

À la veille de la révolution, elle avait déjà trouvé la solution : le pardon ! Pardonner malgré la souffrance et le sang, et stopper à son début le cercle vicieux de la violence. Par son exemple, la pauvre Ella a interpellé la société, appelant le peuple à vivre selon la foi chrétienne.

– « Non » ! lui répliqua Kaliaïev. « Je ne me repent pas. Je dois mourir pour mon action. Ma mort sera plus utile à ma cause que celle de Serge Alexandrovitch. » Kaliaïev fut condamné à mort. « Votre sentence me convient, a-t-il-dit aux juges. J’espère qu’elle sera exécutée aussi publiquement que celle que j’ai exécuté au nom du Parti Socialiste Révolutionnaire. Apprenez à voir en face la révolution qui s’avance. »

Très affectée par l’assassinat de son époux, la grande-duchesse vend ses biens et bijoux, y compris son alliance, et achète au 34, rue Bolchaïa Ordynka à Moscou quatre maisons avec un vaste jardin. En février 1909, elle y fonde le couvent Sainte Marie et Sainte Marthe. Les six premières religieuses, non cloîtrées, ont pour vocation de s’occuper des pauvres de Moscou. Le 10 février 1909, la grande-duchesse quitte le Palais Nikolaïevsky et s’établit avec quelques religieuses au couvent. Elle y prononce ses vœux le 15 avril 1910. La tenue de ses religieuses diffèrent des autres ordres monastiques, car elles sont vêtues de blanc et portent un long voile blanc (l’apostolnik – Апостольник), avec une grande croix orthodoxe russe autour du cou.





Le 9 avril 1910, Élisabeth franchit un nouveau pas : elle prononce solennellement ses vœux avec les sœurs de la jeune communauté. Le lendemain elle est ordonnée abbesse et s’appellera désormais mère Élisabeth. Le jour où elle prononce ses vœux, elle dit à ses sœurs : « Je laisse un monde brillant où j’avais une place brillante et avec vous toutes je monte dans un monde plus grand : le monde des pauvres et de la souffrance. »

Les services de la communauté sont appréciés par la population. Les religieuses qui reçoivent aussi une formation d’infirmière vont dans les quartiers pauvres de Moscou. L’hôpital offre des soins de qualité. Lorsque se déclenche la Première Guerre mondiale, Élisabeth consacre tout son temps et toutes ses forces aux soldats blessés. En plein conflit militaire éclate la révolution de février 1917. Le tsar est obligé d’abdiquer. Dès les premiers jours de la révolution des manifestants armés se présentent devant la Demeure et veulent arrêter mère Élisabeth, en affirmant qu’elle est une espionne allemande et qu’elle cache des armes. Élisabeth les laisse perquisitionner. Comme ils ne trouvent rien, ils épargnent la Demeure. Des représentants du gouvernement provisoire présentent leurs excuses à l’abbesse et lui conseillent de retourner au Kremlin pour être davantage en sécurité. Elle décide de rester avec ses sœurs. Dans le même temps, elle refuse les offres des émissaires de l’empereur d’Allemagne qui lui proposent de la ramener dans son ancienne patrie. Elle entend lier son sort à celui de la Russie. En agissant de la sorte, elle sait qu’elle risque sa vie.

Les religieuses et leur mère supérieure suivent strictement la règle des ascètes : la nuit, elles dorment sur une simple planche de bois et portent en pénitence sous leurs robes un cilice. Elles s’astreignent aussi à un jeûne très strict et pratiquent le végétalisme. Elle dote le couvent d’un hôpital, d’une chapelle, d’une pharmacie et d’un orphelinat. Élisabeth et les nonnes travaillent inlassablement parmi les pauvres et les malades de Moscou. Elle se rend souvent dans les quartiers les plus malfamés et fait tout ce qu’elle peut pour alléger les souffrances des plus démunis.

Au cours de la Première Guerre mondiale, la grande-duchesse Élisabeth prête assistance aux armées russes, en prodiguant des soins aux soldats blessés, mais aussi en rendant visite aux prisonniers allemands, ce qui provoque des rumeurs l’accusant de trahir la Russie.

En 1916, Élisabeth voit pour la dernière fois sa sœur Alix à Tsarskoye Selo. Bien que leur rencontre ait eu lieu en privé, le tuteur des enfants du tsar rapporte que durant leur discussion, Élisabeth aurait exprimé son inquiétude face à l’influence de Raspoutine sur sa sœur et sur la cour, et aurait supplié la tsarine d’écouter ses avertissements ainsi que ceux de la famille impériale. Sa ferme condamnation de l’attitude de Raspoutine, qu’elle n’a jamais rencontré, provoque sa rupture avec sa sœur cadette. Élisabeth aurait été au courant du complot visant à assassiner Raspoutine, et aurait su qui allait le mettre à exécution. En effet, la nuit du meurtre, avant que l’information ne soit révélée au public, elle écrit deux télégrammes, l’un au grand-duc Dimitri Pavlotitch et l’autre à son amie Zénaide Youssoupof, où elle considère que l’assassinat du starets est un acte patriotique.



Révolution d’Octobre et assassinat

En mars 1917, le gouvernement provisoire de Russie tente vainement de convaincre la grande-duchesse de quitter son couvent afin de se réfugier au Kremlin. La grande-duchesse Élisabeth refuse toutes les propositions qui auraient pu lui sauver la vie, notamment celle de l’empereur Guillaume II d’Allemagne. Après la révolution d’octobre 1917, les religieuses du monastère des Saintes-Marthe-et-Marie ne sont pas inquiétées. Mais en avril 1918, la grande-duchesse est arrêtée et exilée à Perm. Avant de quitter le monastère, elle bénit les religieuses en larmes. Seules la sœur Varvara Yakovlena et la sœur Catherine Yanytcheva suivent la grande-duchesse dans son exil.

En mai 1918, la grande-duchesse et les deux religieuses sont transférées au monastère Novo-Tikhvine à Ekateringbourg situé non loin de la maison Ipatiev où sa sœur est retenue prisonnière. Peu de temps après, Élisabeth Feodorovna et les deux religieuses rejoignent les princes Ioann, Constantin, et Igor, ainsi que le prince Vladimir Pavlovitch Paley, le grand-duc Serge Mikhailovitch et son secrétaire personnel Fiodor Semionovitch détenus à l’hôtel Atamanovka depuis le 3 mai. La grande-duchesse y fait la connaissance du jeune prince Vladimir Paley, neveu de son époux et issu du mariage morganatique du grand-duc Paul et de son épouse Olga Valerianovna Princesse Paley. La grande-duchesse, qui, quelques années auparavant, s’était naturellement opposée au mariage morganatique du grand-duc Paul, se prend d’affection pour son neveu.

Après deux semaines de détention à Ekaterinbourg, le Soviet régional de l’Oural décide le transfert des détenus. Le 20 mai 1918, la grande-duchesse et les autres détenus arrivent à Alapaïevsk et sont emprisonnés dans une école. Ils peuvent néanmoins correspondre avec leurs proches, jusqu’au 21 juin, date à laquelle le régime carcéral de la grande-duchesse et des autres détenus se durcit brusquement : les objets personnels sont saisis, les promenades extérieures et les correspondances interdites, les rations diminuées.

Dans la nuit 18 juillet 1918, les bolcheviques emmènent les prisonniers sur des charrettes, jusqu’au puits de la mine Selimskaïa. Ils sont alors précipités dans le puits vivants, à l’exception du grand-duc Serge Mikhailovitch qui, se débattant, est tué d’une balle dans la tête avant d’être à son tour jeté dans les profondeurs du puits. Les circonstances exactes du décès de la grande-duchesse sont floues : la chute n’ayant pas été fatale, il est possible que les bolcheviks tentèrent de tuer les prisonniers en jetant de gros morceaux de bois et des grenades au fond du puits, ou en leur tirant dessus au hasard, convaincus qu’aucun n’aurait la possibilité de sortir vivant des profondeurs du puits. Malgré cette tentative, les victimes sont encore en vie. Après le départ des bolcheviks, un homme des environs s’approcha discrètement du puits et entendit un chant religieux s’élevant des profondeurs du puits.

Lénine commente la nouvelle de sa mort en déclarant : « la vertu couronnée est un plus grand ennemi de la révolution que cent tsars tyranniques »

Citations de Sainte Elisabeth :



Un splendide élan de générosité et de charité soulève les cœurs ; les sacrifices sont grands mais l’espoir donne du courage . La Russie fidèle, à la parole donnée, triomphera avec les pays amis. La justice régnera et le monde sera régénéré !

Sainte Élisabeth nouvelle martyre est un exemple de vie de tous les jours. D’une part, elle est restée digne devant toute forme de souffrance. Chez elle, aucune place pour la révolte. Sans trêve, elle a cherché à transformer toute laideur en lumière. Son but était la transfiguration de l’être humain. D’autre part, elle s’est hissée au pardon total. Elle l’a prouvé de manière éminente en accordant le pardon à l’assassin de son mari. […]

Laissez le monde craquer avec une tempête de passions . Dieu nous laissera pas nous noyer si nous gardons nos commandements : – répondre par le bien , à la haine , avec compassion. Les malfaiteurs sont les plus malheureux. Ils méritent d’être plaints . Ces gens ont des gros ennuis.

Dans l’Évangile, il est écrit : « Là où est ton trésor, là est ton cœur » (Lc 12, 34). On peut appliquer cette phrase à la vie de la grande-duchesse. Son trésor se trouve dans la Bolchaïa Ordynka, une ancienne rue de Moscou, au-delà de la rivière Moskova, où est établie la Demeure de miséricorde Marthe-et-Marie. C’est là que renaît son œuvre après les longues souffrances de la Russie du siècle passé.



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