PAROLE SUR LA MORT 3/9
CHAPITRE III
: DE L'ÂME APRES SA SÉPARATION D'AVEC LE CORPS
Ce texte est proposé aux chrétiens orthodoxes qui fréquentent régulièrement les offices de l'Eglise ainsi que les sacrements, qui ont une vie de prière intérieure et qui ont un père spirituel chez qui ils se confessent régulièrement. Pour les autres, nous craignons qu'il provoquera chez eux des réactions négatives et pourraient être perturbés dans leur psyché.
Il pourrait-y avoir des passages difficiles qui, probablement, vont heurter la sensibilité de notre entendement humain. Prière de garder à la mémoire la pensée que Christ est venu sauver ceux qui espèrent en Lui, que la vie a jailli du tombeau et le Seigneur nous l'a accordée par le Saint baptême et les sacrements de l'Eglise.
Pour notre édification et notre salut, les saints pères ont exposé les circonstances qui entourent le départ de l'âme du corps. Citons la troisième catéchèse de Saint Théodore le Studite : « Frères ! Resterons-nous toujours ici? Non ! Malheur, frères ! Quel terrible mystère que la mort ! Comme nous devons être vigilants, repentants, raisonnables, et penser qu'aujourd'hui même la mort nous attend, la séparation de l'âme et du corps, la venue des anges, et je ne parle pas de celle des démons. Ces derniers s'approchent de ceux qui se sont laissé entraîner par les passions. Pensez quelles peines et quelles souffrances suscitent leur vue, quand retentit l'ordre : âme, sors ! Pour ceux qui quittent leur corps, les bonnes œuvres et la pureté de conscience sont un grand secours. L'obéissance procure à l'âme beaucoup de hardiesse, l'humilité une grande consolation, les larmes du secours, la patience de l'aide. Les bonnes œuvres chassent les démons, et les adversaires bredouilles laissent la place aux anges qui entraînent l'âme vers le Sauveur. Mais l'âme qui a transformé les passions en habitude et s'est laissée vaincre par le péché est saisie d'effroi. Les démons triomphent et entraînent la maudite vers les souffrances de l'enfer souterrain, vers les ténèbres du tartare ».
Deux anges apparurent un jour à Saint Macaire d'Alexandrie, un compagnon
d'ascèse de Saint Macaire le Grand doté de grands dons spirituels. L'un d'eux
lui dit : « Ecoute, Macaire, de quelle façon les âmes quittent le corps, tant
celles des fidèles que celles des infidèles. Sache que les choses se passent
dans le monde céleste comme dans ce monde-ci. Lorsque le roi envoie ses soldats
se saisir de quelqu'un, ils le maîtrisent, même s'il n'est pas consentant, même
s'il se défend. Pétrifié par la peur, il tremble, tant il redoute la simple
présence de ceux qui entraînent sans pitié. De la même façon, lorsque les anges
sont envoyés pour prendre une âme, pieuse ou impie, la peur la saisit. Elle
tremble d'effroi en voyant les terribles anges. Elle comprend enfin l'inutilité
des richesses, des relations et des amis. Bien qu'elle entende les sanglots de
l'entourage, elle est impuissante à articuler une parole et même le moindre
son, car elle n'est pas prête pour une telle situation. Elle est effrayée par
l'immensité de ce monde nouveau, et par le changement de vie. Elle redoute
l'aspect de ceux qui la tiennent déjà en leur pouvoir et ne lui manifestent ni
compassion, ni miséricorde. Son attachement au corps était si fort que la
séparation provoque en elle une affliction accablante. Sa conscience ne lui
apporte aucune consolation, sauf si elle peut se reconnaître quelque bonne
œuvre. C'est ainsi que l'âme est jugée par sa conscience, avant même de
comparaître devant le Juge Suprême ».
Citons un court extrait de l'homélie sur la mort de Saint Cyrille, Patriarche
d'Alexandrie : « Quelle crainte et quelle frayeur t'attendent, ô âme, le jour
de la mort ! Tu verras devant toi des démons effrayants, sauvages, cruels,
impitoyables et impudiques, semblables à des maures ténébreux. Leur vue seule
est plus terrible que toute souffrance. En leur présence, l'âme se trouble,
s'agite, s'inquiète, cherche à se cacher et invoque les saints anges. Ces
derniers la tiennent, cheminent avec elle dans les airs, et la raccompagnent
tout au long des épreuves qui, de la terre vers le ciel, jalonnent la voie du
salut. Chaque épreuve teste un péché ou une passion particulière et tous ont
leur épreuve et leurs tortionnaires. Quelle frayeur et quel trouble doit
éprouver l'âme tant que la sentence définitive et libératrice n'a pas été
prononcée. Comme cette période d'attente indécise doit être pénible, lourde
d'inconsolables lamentations !
Les puissances divines présentent les bonnes intentions, les paroles et les actes de l'âme, et celle-ci, dans la crainte et la frayeur, assiste au dialogue des anges et des démons qui conduira, soit à sa justification et à son salut, soit à sa condamnation et à sa perte. Si elle a mené une vie pieuse et agréable à Dieu, si elle a mérité le salut, elle chemine tranquillement vers Dieu, avec les saintes puissances comme compagnes. Alors s'accomplit la parole : la tristesse, la souffrance et les soupirs se sont éloignés. Libérée des esprits malins, terribles et corrompus, l'âme s'en va vers une joie ineffable. Mais s'il s'avère qu'elle a vécu dans la négligence et l'adultère, alors elle entend une voix terrible dire : qu'on se saisisse de l’impie, qu'elle ne voit pas la gloire du Seigneur. Elle s'en ira vers les jours ténébreux de la colère, de l'affliction, de la peine, de l'angoisse, et de l'obscurité. Les saints anges l'abandonneront et les maures, les démons, la raviront. Ils la frapperont sans merci et la précipiteront sur la terre qui s'ouvrira à son passage. Liée par des liens inextricables, elle sera emprisonnée dans des lieux sombres, dans les geôles souterraines de l'enfer, où sont enfermées les âmes des pécheurs décédés depuis des siècles. Lieux sombres et terribles des ténèbres éternelles, comme dit le juste Job, Où il n'y a ni lumière ni vie pour les hommes, mais des souffrances éternelles, une tristesse infinie, des pleurs, des soupirs incessants; de continuels grincements de dents... Là, on entend en permanence : hélas, hélas Là, on appelle à l'aide et personne ne répond. Là, on crie sans jamais voir arriver de libérateur.
Il n'y a pas de mot pour décrire les malheurs de ce lieu, ni les souffrances auxquelles sont soumises les âmes qu'on y a précipitées et enfermées. Aucune bouche humaine ne peut exprimer la peur et les tremblements qui s'emparent des prisonniers de l'enfer, leurs peines et leurs pleurs. Ils gémissent sans trêve, pour l'éternité, et personne n'a pitié d'eux. Ils poussent de profonds soupirs que personne n'entend, ils sanglotent et personne ne les libère, ils appellent et tambourinent aux portes, sans qu'on leur fasse miséricorde. Où sont alors les louanges de ce monde ? Où est la vanité ? Où sont la jouissance et la satiété ? Et la noblesse et la virilité du corps ? Et la trompeuse et pernicieuse beauté féminine ? Et l'audace impudique, les habits somptueux, la douceur impure du péché ? Et les parfums et les aromates, les festins au son des cymbales et du psaltérion ? Et l'attachement à l'argent et aux biens matériels, qui met en fuite la miséricorde ? Et l'orgueil inhumain qui dédaigne tout et ne respecte que lui-même ? Et la futile vaine gloire, les spectacles et les distractions ? Et les blasphèmes, l’oisiveté et l'insouciance ? Et les doux vêtements et les couches moelleuses, les hauts bâtiments et les larges portails ? Et la sagesse des sages, l'éloquence des orateurs et la vaine science ? Hélas, tous s'agiteront et tituberont d'étonnement, devant leur sagesse engloutie. Frères ! Ne perdons pas de vue la conduite que nous devons suivre ! Nous devrons rendre compte de chacun de nos actes, grand ou petit ! Nous rendrons même compte au Juste Juge de chaque parole vaine (Saint Cyrille vivait au Vème siècle et présidait le cinquième concile œcuménique. Son homélie sur la mort est placée dans le psautier. Il succéda au Patriarche Théophile, dont il était le neveu, et qui avait déjà prêché un enseignement analogue).
Le soldat Taxiote parla de sa mort en des termes qui corroborent la pensée de
Saint Cyrille : « Lorsque j'étais mourant, je vis les maures devant moi, leur
aspect était terrible, je fus troublé en les regardant. Puis je vis deux très
beaux jeunes gens et mon âme se réfugia dans leurs bras. Nous commençâmes
immédiatement à nous élever dans les airs, comme en volant, et nous atteignîmes
les épreuves qui jalonnent l'ascension de l'âme de chaque homme. Chaque épreuve
tourmente pour un péché particulier : une pour le mensonge, une pour l'envie,
une pour l'orgueil... Tous les péchés sont examinés dans les airs. Je vis dans
les mains des anges un coffret contenant toutes mes bonnes actions. Ils les
sortirent pour les opposer aux mauvaises. Nous traversâmes ainsi différentes
épreuves. En nous rapprochant des portes célestes, nous arrivâmes à l'épreuve
de l'adultère. Là les gardiens m'arrêtèrent et présentèrent toutes mes actions
charnelles adultères, accomplies depuis l'enfance. Les anges annoncèrent que
tous les péchés charnels que j'avais commis en ville avaient été pardonnés par
Dieu car je m'en étais repenti. A ceci mes ennemis rétorquèrent qu'en sortant
de la ville, j'avais commis le péché avec la femme du laboureur chez qui je
vivais. Ayant entendu cela sans pouvoir trouver une seule bonne action qui
aurait pu faire pencher la balance de l'autre côté, les anges m'abandonnèrent
et s'éloignèrent. Les esprits malins s'emparèrent de moi, me rouèrent de coups
et me descendirent sur la terre qui s'ouvrit pour me permettre de descendre,
par des chemins étroits et nauséabonds, vers la prison souterraine de l'enfer
».
Histoire de Sainte Théodora.
Sainte Théodora, disciple du grand saint Basile le Nouveau, a raconté sa mort
avec force détails. Nous citons ci-dessous une partie de son récit à Grégoire,
un autre disciple de Saint Basile : « Mon fils Grégoire, tu me questionnes au
sujet d'une chose terrible, dont le souvenir même est effrayant. Lorsque sonna
l'heure de ma mort, je vis des personnages que je n'avais jamais vus et
j'entendis des paroles que je n'avais jamais entendues. Que dire ? Des malheurs
pénibles et cruels, dont je n'avais nulle idée, m'attendaient en raison de mes
actes. Mais, par la prière et l'aide de Basile, notre père commun, j'en fus
délivrée. Comment te raconter la douleur corporelle, l'angoisse et la fatigue
auxquelles sont soumis les mourants ? C'est comme si une personne nue tombait
dans un grand feu pour s'y consumer et être réduite en cendres. C'est ainsi
qu'est détruit l'homme par la mort à l'heure de la séparation de l'âme et du
corps. Approchant du terme de ma vie, je vis une multitude d'éthiopiens
entourer ma couche. Leurs visages étaient sombres comme la suie ou le goudron,
et leurs yeux luisaient comme des charbons ardents. Les voir était plus cruel
que la géhenne elle-même. Ils s'agitèrent bruyamment. Les uns mugissaient comme
des animaux sauvages ou du bétail, d'autres aboyaient comme des chiens ou
hurlaient comme des loups. En me voyant, ils devinrent furieux et se
précipitèrent sur moi en grinçant des dents, avec la visible intention de me
dévorer sur-le-champ. A ce moment-là, dans l'attente de l'arrivée de quelque
juge, on sortit les parchemins et on déroula les rouleaux sur lesquels étaient
inscrites toutes mes mauvaises actions. Ma pauvre âme trembla de terreur. Non
seulement la tristesse de la mort m'accablait, mais la fureur terrifiante de
ces éthiopiens était pour moi comme une seconde mort, plus douloureuse encore.
Je me tournai de tous côtés pour éviter de les voir et de les entendre, mais
ils déambulaient partout. Et personne pour me porter secours ! Parvenue à un
total affaiblissement, je vis deux anges de lumière s'approcher de moi, tels
des jeunes gens d'une beauté inexprimable. Leurs visages rayonnaient, leur
regard était tout amour, leurs cheveux scintillaient comme la neige, blancs aux
reflets d'or. Leurs vêtements étincelaient comme l'éclair, leurs poitrines
étaient ceintes d'or. S'approchant de ma couche, ils se tinrent sur le côté
droit et chuchotèrent. Je me réjouis en les voyant et je les dévisageai avec
plaisir. Les noirs éthiopiens frissonnèrent et s'éloignèrent quelque peu. Un
des lumineux jeunes gens s'adressa avec colère aux démons ténébreux : ô,
impudiques, maudits, ténébreux et méchants ennemis du genre humain ! Pourquoi
venez-vous troubler les mourants et effrayer par un tel tapage l'âme qui se
sépare du corps ? Ne vous réjouissez pas trop car vous ne trouver rien ici.
Cette âme jouit de la miséricorde de Dieu, vous n'avez aucune chance ! Lorsque
l'ange se tut, les éthiopiens chancelèrent, vociférèrent, montrèrent les
mauvaises actions que j'avais commises depuis ma jeunesse et crièrent : nous ne
trouverons rien ? Et à qui sont ces péchés ? N'est-ce pas elle qui a fait ceci
et cela ? Criant ainsi, ils attendaient la mort. Et voilà que la mort vint,
rugissant comme un lion, exhibant l'aspect terrible d'un humain sans corps,
d'un squelette. Elle portait divers instruments de torture : épées, flèches,
lances, faux, scies, haches, hameçons, et d'autres encore, à l'usage inconnu.
Voyant cela, ma pauvre âme trembla de peur. Les saints anges dirent à la mort :
ne tarde pas, délie cette âme des liens charnels, délie-la vite mais doucement,
le poids de ses péchés n'est pas grand ! La mort s'approcha de moi, prit une
petite hache et trancha d'abord mes jambes, puis mes bras ; ensuite, elle
affaiblit tous mes membres à l'aide d'autres instruments, les séparant les uns
des autres au niveau des articulations. Je fus privée de bras, de jambes; tout
mon corps s'engourdit, je ne pouvais plus bouger. Ensuite, elle trancha ma tête
qui me devint étrangère, immobilisée elle aussi. Après avoir dissout un
breuvage dans une coupe, elle l'approcha de mes lèvres et me le fit boire de
force. Ce breuvage était si amer que mon âme ne put le supporter : elle
tressaillit et se sépara brutalement de mon corps. Les anges lumineux la
reçurent aussitôt dans leurs bras. En me retournant, j'examinai avec étonnement
mon corps allongé, insensible, et inerte comme un vêtement que j'aurais ôté et
jeté. Alors que les saints anges me tenaient, les démons à l'aspect
d'éthiopiens nous entourèrent en criant : cette âme a beaucoup de péchés,
qu'elle en réponde ! Et ils les exhibèrent. Les saints anges cherchèrent mes
bonnes actions et, grâce à Dieu, ils en trouvèrent. Ramassant tout ce que
j'avais pu faire de bien un jour ou l'autre avec l'aide de Dieu, ils se
préparèrent à faire contrepoids à mes mauvaises actions. Voyant cela, les
éthiopiens grincèrent des dents. Ils auraient bien voulu m'arracher sans
attendre des mains des anges pour me conduire au fond de l'enfer ! Soudain
notre saint père Basile apparut et dit aux anges : anges de Dieu, cette âme m'a
beaucoup servi durant ma vieillesse, j'ai prié Dieu pour elle et Il m'en a fait
don. En prononçant ces paroles, il sortit de son sein un petit sac rouge bien
plein, à mon idée d'or pur, et le donna aux anges en disant : quand vous
passerez les épreuves aériennes, rachetez les dettes de cette âme avec ceci,
dès que les esprits malins commenceront à la torturer. Je suis riche par la
grâce de Dieu, j'ai amassé beaucoup de trésors par ma sueur et mes efforts, et
je fais don de ce petit sac à l'âme qui m'a servi. Ayant prononcé ces mots, il
partit. Les esprits malins, perplexes, firent entendre cris et lamentations,
puis ils s'éloignèrent. Saint Basile revint en apportant plusieurs récipients
contenant de l'huile pure et une myrrhe précieuse. Il les ouvrit l'un après
l'autre et les versa sur moi, me couvrant d'une bonne odeur spirituelle. Je me
sentis transformée et illuminée. Saint Basile dit aux saints anges : quand vous
aurez fait tout ce qui convient, faites-la entrer dans la demeure que le
Seigneur m'a préparée, afin qu'elle y vive ! Ayant dit cela, il devint
invisible. Les anges me prirent et nous nous dirigeâmes vers l'orient».
Nombreux sont ceux qui voient la mort avant leur décès. Puisqu'une partie
importante du monde visible nous est inconnue, il n'est pas étonnant que le
monde invisible nous soit aussi inconnu, surtout à ceux qui ne se sont pas
lancés sérieusement dans son exploration, ou s'y sont lancés de façon
superficielle. Ce n'est pas parce qu'une chose parait étrange à notre intellect
charnel qu'elle est étrange en soi. Nos préjugés ne peuvent pas limiter la
toute-puissance de Dieu. Tout homme dépourvu d'une véritable intelligence
spirituelle est plein de préjugés, quelles que soient son intelligence et son
instruction mondaine, qui sont d'ailleurs éphémères et folies devant Dieu.
Le Saint Évangile lui-même confirme les récits patristiques précédents. Notre
Seigneur raconte comment l'âme du juste Lazare fut emportée par les anges dans
le sein d'Abraham (Luc 16,22). Au riche avare qui rêvait d'une longue vie de
jouissances charnelles à la vue de son abondante récolte, et qui envisageait de
reconstruire des greniers, Dieu dit : Insensé ! Cette nuit-même, ton âme te
sera redemandée et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ? (Luc 12,20).
Le bienheureux Théophylacte de Bulgarie fait sur ce passage le commentaire suivant
: « L'âme sera redemandée car les impitoyables anges-publicains arrachent l'âme
des pécheurs par la force et la douleur. L'âme du juste ne lui est pas arrachée
; il la remet avec joie et allégresse à son Père et son Dieu ».
Même si la mort des justes et des pécheurs complètement repentis diffère
largement de la mort des pécheurs réprouvés ou insuffisamment repentis, la
crainte et l'angoisse accompagnent tout homme au moment de sa fin. Cela doit
être ainsi : la mort est un châtiment. Si le châtiment du juste est adouci, il
reste néanmoins un châtiment. Le Dieu-Homme lui-même, alors qu'Il se préparait
de son plein gré à mourir pour le salut du genre humain, connut le combat, la
tristesse et l'angoisse. Il versa des gouttes de sueur semblables à des grumeaux
de sang. Mon âme est triste jusqu'à la mort (Mt.26,38), dit-Il aux Apôtres qui
s'étaient endormis de tristesse sans voir approcher le malheur. Mon Père, s'il
est possible, que cette coupe s'éloigne de Moi I Toutefois, non pas ce que Je
veux, mais ce que Tu veux ! (Mt.26,39). La Toute-Sainte Vierge et Mère de Dieu
sentit aussi cette crainte avant Sa bienheureuse Dormition, bien qu'Elle eût
été prévenue par l'Archange Gabriel de Son départ pour les demeures célestes et
de la gloire qui Lui était réservée. Et pourtant, l'Esprit Saint avait dirigé
vers le ciel toutes ses pensées et tout son désir.
Tous les saints se sont préparés dans la crainte et les pleurs à l'heure
fatidique de la mort. Ils comprenaient ce qu'elle représente pour l'homme.
Lorsque Saint Agathon l'atteignit à son tour, il passa trois jours sans parler
à qui que ce soit, restant profondément attentif à lui-même. Les frères lui
demandèrent :
- Abba Agathon, où es-tu?
- Je me tiens devant le tribunal du Christ.
- Est-ce possible que toi aussi, tu éprouves de la crainte ?
- Je me suis efforcé de garder les commandements de Dieu selon mes
possibilités, mais je ne suis qu'un homme. Comment puis-je savoir si mes actes
ont été agréables à Dieu ?
- Est-ce possible que tu ne comptes pas sur ta manière de vivre, qui fut
conforme à la volonté de Dieu ?
Je ne puis espérer, car autre est le jugement des hommes, autre est le jugement
de Dieu.
Comme ils voulaient l'interroger encore, il leur dit : Soyez charitables, ne
parlez plus avec moi, car je ne suis pas libre ! Il quitta ce monde avec joie.
Ses disciples rapportèrent qu'ils le virent se réjouir comme s'il rencontrait
des amis très chers. Ce grand saint vivait en permanence dans une grande
attention à lui-même et disait que l'homme ne peut atteindre la réussite sans
une sévère vigilance sur soi-même. Telle est la voie du salut. S'examinant en
permanence, les saints se trouvaient constamment de nouveaux défauts, et
s'absorbaient de plus en plus dans un repentir purificateur qui les
perfectionnait pour le ciel. Au contraire, une grande distraction et de
nombreux soucis sont toujours liés à une profonde méconnaissance de soi, à la
fierté et à l'autosatisfaction. Le bienheureux Théophylacte dit : « Beaucoup se
leurrent d'un vain espoir, pensant faire l'acquisition du Royaume des Cieux.
Ils croient dans leur présomption qu'ils s'associeront au chœur de ceux qui ont
atteint le sommet des vertus. Il y a beaucoup d'appelés, parce que nombreux
sont ceux que Dieu appelle, on peut même dire qu'Il nous appelle tous. Mais il
y a peu d'élus, peu de sauvés; peu sont dignes du choix de Dieu. Appeler, c'est
l'affaire de Dieu, mais être élu, cela dépend de nous : les juifs furent
appelés, mais ne furent pas élus en définitive, car ils désobéirent à Celui qui
les avait appelés » (Mt.22,14).
Saint Arsène le Grand passa toute sa vie monastique avec un mouchoir sur les
genoux pendant son travail manuel. Ceci à cause des larmes qui coulaient de ses
yeux. Abba Pimène qui était doué d'un grand discernement, apprit sa mort en
disant :
« Bienheureux es-tu, Arsène, car tu as pleuré sur toi-même tout au long de ta
vie terrestre. Celui qui n'a pas pleuré sur lui-même ici-bas, pleurera
éternellement. Il est impossible d'éviter les pleurs, soit ici-bas
volontairement, soit là-bas dans les souffrances involontaires ». Théophile, le
Patriarche d'Alexandrie, entendit lui aussi parler de cette mort et dit : «
Bienheureux es-tu, Arsène, car tu te souvenais constamment de l'heure de la
mort ».
C'est une consolation pour l'âme d'entendre le récit de la mort d'un juste.
Comme il est édifiant pour elle de connaître l'humilité et la contrition du
cœur de ceux qui se sont préparés à la mort, et la sainte crainte avec laquelle
ils l'ont accueillie ! Jadis, un père menait une vie si pure que Dieu ne rejetait
aucune de ses requêtes. Un jour, ce vieillard désira voir le départ de l'âme
d'un juste et celle d'un pécheur. Dieu le conduisit aux portes d'une ville,
auprès desquelles un reclus célèbre avait élu domicile dans un couvent. A ce
moment-là, le reclus était très malade et attendait la mort.
On préparait pour
lui une grande quantité de cierges et de veilleuses, pour que Dieu accorde, par
son intercession, du pain et de l'eau à la ville. Les habitants estimaient que
la mort du reclus entraînerait la perte de la ville entière. L'heure de la mort
du reclus étant arrivée, le vieillard vit un gardien de l'enfer s'approcher du
reclus avec un trident de feu. Une voix se fit entendre : « Comme cette âme ne
M'a pas laissé Me reposer une seule heure en elle, arrache-la sans pitié ! ».
Le démon enfonça le trident dans le cœur du reclus et, après l'avoir torturée
plusieurs heures, il arracha son âme. Ensuite, le vieillard entra dans la ville
où il trouva un pèlerin malade couché dans la rue. Comme il n'y avait personne pour
l'assister, le vieillard passa la journée à ses côtés. Lorsque l'heure de son
décès arriva, le vieillard vit les Archanges Michel et Gabriel descendre
chercher son âme. L'un s'assit du côté droit et l'autre du côté gauche et ils
incitèrent son âme à sortir, mais celle-ci ne voulait pas quitter le corps.
Gabriel dit alors à Michel « Prenons l'âme et partons ». Michel répondit qu'ils
ne pouvaient pas employer la force, puisque le Seigneur avait ordonné de la
prendre sans douleur. Michel s'écria alors d'une voix forte « Seigneur !
Qu'ordonnes -Tu pour cette âme ? Elle ne nous obéit pas et refuse de sortir !
». Une voix lui répondit : « Voilà ! J'envoie David avec le Psautier et les
chantres de la Jérusalem Céleste, afin que cette âme sorte en entendant les voix
et les psalmodies ». C’est ainsi que l'âme, entourée du chant des hymnes,
sortit dans les bras de Michel où elle fut accueillie avec joie. Qui ne serait
pas émerveillé devant un tel amour et une telle miséricorde de Dieu pour le
genre humain ? Hélas ! Quel grand malheur que nous repoussons avec acharnement
toutes les bontés de Dieu et, dans notre aveuglement démoniaque, nous nous
rangeons dans la cohorte des serviteurs et admirateurs de l'ennemi de Dieu.
Dieu couronne de gloire la fin de Ses élus. Quand le moment de mourir fut venu,
le visage du grand Sisoès s'illumina et il dit aux pères qui l'entouraient : «
Voilà, Abba Antoine est venu ». Après quelques instants de silence, il continua
: « Voilà, le chœur des Prophètes est venu ». Puis son visage s'éclaira
davantage et il ajouta : « Voilà, le chœur des Apôtres est venu ». Les
vieillards l'interrogèrent pour savoir avec qui il s'entretenait. « Les anges
sont venus me prendre, mais je les supplie de me laisser encore quelque temps
pour me repentir ». Et comme les vieillards lui disaient : « Père, tu n'as pas
besoin de repentir ! », il répondit : « En vérité, en ce qui me concerne, je ne
sais pas si j'ai même commencé à me repentir ». Et pourtant, tous savaient
qu'il était parfait. Voilà comment parlait et pensait un chrétien véritable,
abondamment pourvu des dons du Saint Esprit, qui ressuscitait les morts d'une
seule parole.
Par la suite, son visage s'éclaira davantage et brilla comme le soleil, si bien
que tous prirent peur. Il dit alors : « Voyez, le Seigneur est venu en disant:
Rapportez- Moi du désert le vase élu ! ». Et sur ces mots, il expira. Un éclair
jaillit et la demeure se remplit de parfum. Tel fut la fin du chemin terrestre
d'un des plus grands saints.
Histoire du brigand repenti.
Les pécheurs qui se sont sincèrement repentis peuvent aussi être dignes de la
miséricorde de Dieu. Du temps de l’empereur Maurice, il y avait en Thrace un
cruel et féroce brigand que personne n'avait jamais pu capturer. Le bienheureux
empereur envoya sa croix pectorale au brigand pour lui signifier que tous ses
crimes lui seraient pardonnés à condition qu'il s'amendât. Le brigand, touché,
se rendit chez le souverain et tomba à ses pieds en regrettant ses péchés.
Quelques jours plus tard, il tomba malade et fut placé dans un hospice. Il vit
en rêve le Terrible Jugement.
A son réveil, comme on constatait l'aggravation de son état et l'approche de sa fin, il se réfugia dans les larmes et la prière et dit : « Maître et Roi Ami de l'homme, Toi qui sauvas avant moi un brigand semblable à moi, manifeste aussi sur moi Ta miséricorde ! Reçois mes larmes sur mon lit de mort ! Comme Tu as reçu ceux qui étaient venus à la onzième heure, accepte mes larmes amères, purifie-moi et bénis-moi avec eux ! N'exige plus rien d'autre de moi, je n'ai plus de temps et les créditeurs approchent déjà ! Ne cherche pas et ne me scrute pas, Tu ne trouveras rien de bon en moi, mes iniquités m'ont précédé et, parvenu au soir de ma vie, mes crimes sont innombrables. Comme Tu as reçu les pleurs de l'Apôtre Pierre, reçois mes larmes mes actes pécheurs ! Par Ta puissance et Ta miséricorde, détruis mes péchés ! ». Le brigand se confessa ainsi plusieurs heures durant, essuyant ses Larmes avec son mouchoir, et rendit l’âme. .
A l'heure de sa mort, le médecin de l'hospice fit un rêve : des maures
s'approchaient du lit mortuaire avec des parchemins. Portant la liste des
innombrables péchés ; deux jeunes gens de la cour royale apportaient une
balance. Les maures plaçaient sur un plateau la liste des péchés qui l'emportait
largement. Les saints anges se demandaient alors s'ils n'auraient pas quelque
chose pour faire contrepoids. «Que pourrions-nous avoir, puisqu'il s'abstient
de meurtre depuis dix jours seulement ? Toutefois, cherchons quand même quelque
chose de bien ! ». L'un d'eux découvrait le mouchoir et disait : «
Effectivement, ce mouchoir est plein de larmes, mettons-le sur l’autre plateau
avec la miséricorde de Dieu et voyons ce qui adviendra !. Dès qu'ils le
plaçaient sur le plateau, il prenait le dessus sur le poids des parchemins. Les
anges s'écriaient d'une seule voix « En vérité, la miséricorde de Dieu a vaincu
! ».
Ayant pris l'âme du brigand, ils l'emmenaient avec eux, laissant les
maures dans les pleurs et la honte.
Le médecin se réveilla et partit aussitôt pour l'hospice : il trouva le corps
encore tiède et le mouchoir trempé de larmes à côté. Ceux qui avaient assisté
aux derniers moments du brigand lui confirmèrent son repentir. Le médecin prit
le mouchoir, s’en fut chez l'empereur et lui dit : « Seigneur, glorifions Dieu
I Pendant ton règne un brigand a trouvé le salut !». Toutefois, comme l'a fait
remarquer l'auteur de ce récit; il est bien préférable de se préparer à temps à
la mort et de devancer cette heure effrayante par le repentir.
Saint Jean Climaque remarque avec justesse que celui qui « est endurci par une
longue habitude du mal restera jusqu'à la fin sans se corriger » (Ech.6,11). «
Des habitudes invétérées touchent encore souvent celui-là même qui est touché
de componction », s'exclame avec tristesse ce grand maître des moines
(Ech.5,31). Il faut ajouter que le repentir n'est possible que pour celui qui
possède une connaissance exacte (même simple) de la foi orthodoxe, exempte de
toute hérésie ou fausse sagesse. Ceux qui établissent leur règle de vie et
conçoivent les vertus à partir des romans et autres livres hérétiques nuisibles
pour l'âme, ne peuvent pas avoir de véritable repentir : de nombreux péchés
mortels qui mènent à la perdition leur paraissent des transgressions
...insignifiantes et pardonnables, - et des passions coupables et affligeantes
leur semblent de légères et agréables faiblesses. Ils ne craignent pas de s'y
livrer aux portes mêmes de la mort. La méconnaissance du Christianisme est en
vérité un grand malheur ! .
Le Seigneur appelle l'homme au repentir et au salut jusqu'à la dernière minute
de sa vie. En ces derniers instants, les portes de la miséricorde divine sont
encore ouvertes pour quiconque veut s'y présenter. Que personne ne désespère
tant que la course n'est pas terminée, l'exploit est valable.
Histoire de Thaïs.
Il y avait en Egypte une fille dénommée Thaïs. Après le décès de ses parents,
elle transforma sa maison en refuge pour les moines et consacra ainsi une
longue période de sa vie à accueillir et à servir les pères. Mais ses biens
finirent par s'épuiser et elle se mit à souffrir du manque de moyens matériels.
C'est alors qu'elle rencontra des gens mal intentionnés qui la détournèrent de
la vertu. Elle entama une vie mauvaise et sombra dans la débauche. L'ayant appris,
les pères en furent attristés. Ils appelèrent Abba Jean et lui dirent : « Nous
avons entendu dire que la sœur Thaïs ne va pas bien. Lorsqu'elle en avait la
possibilité, elle faisait preuve d'amour à notre égard. Montrons-lui à notre
tour notre amour et aidons-la. Prends donc la peine de lui rendre visite et,
selon la sagesse que Dieu t'a donnée, occupe-toi d'elle ». Abba Jean se rendit
chez Thaïs et demanda à la vieille femme qui gardait la porte d'annoncer sa
visite. Celle-ci lui dit : « Vous, les moines, vous avez mangé tous ses biens !
». Ce à quoi Abba Jean rétorqua : « Annonce-moi, et je lui ferai un grand bien
! ». La vieille femme se rendit chez sa maîtresse qui lui dit : « Ces moines
voyagent constamment près de la Mer Noire, d'où ils ramènent perles et pierres
précieuses. Va, amène-le moi ! ». Abba Jean entra, s'assit près d'elle, jeta un
coup d'œil sur son visage, baissa la tête et se mit à verser des larmes amères.
- Abba, pourquoi pleures-tu ?
- Je vois satan jouer sur ton visage, comment pourrais-je ne pas pleurer ? En
quoi Jésus t'a-t-Il déplu pour que tu te sois tournée vers ces actes qui Lui
sont désagréables ?
En entendant ces mots, elle tressaillit.
- Père, y a-t-il un repentir pour moi ?
- Oui !
- Alors, emmène-moi où tu veux !
Et elle le suivit. Il fut étonné qu'elle n'eût donné aucune instruction, ni
même prononcé la moindre parole concernant sa maison. Lorsqu'ils atteignirent
le désert, la nuit tombait. Il lui confectionna un oreiller de sable et s'en
fit un pour lui à quelque distance de là. Puis, ayant fait le signe de la croix
sur l'oreiller de Thaïs, lui dit : « Endors-toi ici ! ». Ensuite, il fit ses
prières et se coucha. A minuit, il se réveilla et vit un sentier qui allait de
la couche de Thaïs jusqu'au ciel : des anges de Dieu y conduisaient l'âme de la
femme. Jean se leva et s'approcha de Thaïs. Elle était morte. S'étant alors
prosterné pour prier, il entendit une voix : « Une heure de son repentir fut
davantage prisé que le repentir de bien d'autres qui ne manifestent pas une
telle abnégation ».
« Seigneur ! Pour Tes serviteurs qui quittent leur corps et viennent vers Toi
notre Dieu, il n'y a pas de mort, mais un passage de la tristesse à un état
plus utile et plus doux, celui du repos et de la joie » (Prière des vêpres de
la Pentecôte).
En fait, dans le vrai sens du terme, la séparation de l'âme et du corps n'est
pas la mort : c'est uniquement la conséquence de la mort. La véritable mort est
bien plus terrible ! Elle est l'origine de tous les maux intérieurs et
extérieurs de l'homme, et aussi de ce que nous appelons à tort la mort. « La
véritable mort est cachée au fond du cœur. Elle tue l'homme extérieur de son
vivant. Si quelqu'un, dans le secret de son cœur, passe de la mort à la vie,
alors il vit éternellement et ne meurt pas. Même si l'âme d'un tel homme se
sépare temporairement du corps, les deux sont sanctifiés et se relèveront dans
la gloire. C'est pourquoi on qualifie de sommeil la mort des saints » (Saint
Macaire le Grand).
Le mot « mort » frappa pour la première fois l'oreille et les pensées de
l'homme lorsqu'il pénétra dans le Paradis. Parmi tous les arbres du jardin,
l'arbre de la connaissance du bien et du mal était particulièrement
remarquable. En entrant dans le Paradis, l'homme entendit le Seigneur lui dire
: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, mais tu ne mangeras pas de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal; car le jour où tu en mangeras, tu
mourras (Gen.2,16-17). Malgré cette terrible menace, l'homme transgressa le
commandement et mourut immédiatement : la mort pénétra instantanément tous les
mouvements de son âme et jusqu'aux sens de son corps. Auparavant, l'Esprit.
Saint l'habitait et transmettait l'immortalité à son âme et à son corps; Il
était la vie de cette âme et de ce corps. Après la transgression, Il s'éloigna
de lui, comme Il s'éloigne toujours de ceux qui rompent volontairement la
communion avec Dieu en rejetant le commandement divin et en s'asservissant de
plein gré à Satan. Suite..