Message
de l’archevêque Anastase d’Albanie
au Conseil œcuménique des Églises
31 mai 2024 par Jivko Panev. orthodoxie
.com
Archevêque de Tirana, de Durrës et de toute l’Albanie (1992–)*
À mi-chemin entre Pâques et la Pentecôte orthodoxes, Sa
Béatitude Anastase, archevêque de Tirana, de Durrës et de toute l’Albanie,
adresse un message au Conseil œcuménique des Églises (COE). Il y fait remarquer
que, dans le monde d’aujourd’hui, « le nom du Christ n’a pas sa place dans des
projets fondés sur l’opportunisme politique ou visant l’oppression des
personnes et des peuples ».
Membre honoraire de l’Académie d’Athènes, ancien président du
COE et membre actif du mouvement œcuménique depuis plus de soixante ans,
l’archevêque Anastase est connu comme un héraut de la paix et de la sagesse
dans les cercles interreligieux et internationaux.
Le
pouvoir du Christ ressuscité
Dans le contexte de fatigue, de confusion et d’inquiétude qui
règne au sujet des événements douloureux qui se produisent sur notre planète,
dans la faiblesse à cause de laquelle, souvent, nos multiples difficultés
personnelles nous épuisent, Pâques fait resplendir un flot de lumière, et nous
offre quelque chose d’unique: le pouvoir de la Résurrection, le triomphe de la
puissance du Dieu d’amour.
Après avoir été calomnié par le statu quo religieux,
injustement condamné par les autorités, insulté par la foule, l’homme-Dieu
Jésus ne ressuscite pas seulement de la mort en vainqueur. Il reçoit également
un pouvoir absolu de Dieu le Père: en effet, le Seigneur ressuscité assure ses
disciples que «tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre» (Matthieu
28,18), et il les charge de prêcher ce message de portée universelle à tous les
peuples.
La puissance inimaginable de Dieu s’est révélée avec
allégresse dans la Résurrection. Jésus a volontairement accepté l’humiliation
de la Passion et écrasé la dynastie du pouvoir démoniaque, un pouvoir fondé sur
l’arrogance et l’égoïsme. Il a fixé nos péchés sur la croix et «par la mort il
a vaincu la mort». Il nous a accordé la vie, «la vie éternelle». Dieu le Père a
placé son Fils crucifié et ressuscité «bien au-dessus de toute Autorité,
Pouvoir, Puissance, Souveraineté et de tout autre nom qui puisse être nommé,
non seulement dans ce monde, mais encore dans le monde à venir. Oui, il a tout
mis sous ses pieds» (Éphésiens 1,21-22). C’est ce changement rédempteur que
nous célébrons à Pâques.
Dieu tout-puissant a placé Jésus Christ «au sommet de tout»,
il l’a donné «pour tête à l’Église» (Éphésiens 1,22). Et l’Église, en tant
que communauté eucharistique de la Résurrection, prêche le mystère du Dieu
trinitaire, le salut des êtres humains en Christ par l’Esprit Saint. Elle
annonce la transcendance ultime de la mort et notre participation à la vie du
Ressuscité. Parce qu’elle est en secret le «corps, la plénitude de celui que
Dieu remplit lui-même totalement» (Éphésiens 1,23), l’Église fait rayonner
dans toute la création la gloire du Seigneur vivant, qui traverse le temps avec
la ferme espérance eschatologique que toutes les autres forces se soumettront à
la fin des temps à son autorité d’amour unique.
Mais le pouvoir de Jésus sur l’humanité est très différent des
puissances de ce monde. Jésus l’a souligné devant Pilate au moment crucial de
sa Passion: «Ma royauté n’est pas de ce monde» (Jean 18,36). Il nous a
rappelé en même temps qu’il pouvait imposer son autorité à tout moment
(Matthieu 26,53). Il a clairement distingué ce qui était spirituel et ce
qui était temporel. Cet ordre perdurera jusqu’à son retour glorieux.
À la différence des diverses traditions théocratiques qui
associent pouvoir religieux et pouvoir étatique, l’Église doit rester fidèle à
son rôle spirituel. Le nom du Christ n’a pas sa place dans des projets fondés
sur l’opportunisme politique ou visant l’oppression des personnes et des
peuples. Jésus projetait une autre conception du pouvoir dans la société
humaine. Il avait fixé pour base et idéal le service de ses semblables: alors
que les puissances de ce monde ont l’habitude de dominer, méprisant la dignité
des gens ordinaires et opprimant les faibles, Jésus menait la vie de «celui qui
sert» (Luc 22,25-27). Il a donné cet exemple à son peuple, à son Église.
En envoyant ses disciples dans le monde, il leur a transféré son autorité et
leur a confié son pouvoir spirituel. Il insistait sur le fait qu’il devait
s’agir d’un ministère, d’un don désintéressé.
Le pouvoir du Christ ressuscité est lié à la Passion
volontaire. Le Seigneur exprime une compassion constante pour la souffrance de
chaque personne. La Résurrection n’est pas un phénomène indépendant, un
événement qui fait suite à la Croix; elle existe dans la Croix, dans la
Passion. Et notre acceptation du Christ crucifié et ressuscité aboutit à
l’expérience de la Résurrection. Nous croyons en un Dieu de miséricorde, qui se
penche avec amour sur les êtres humains blessés par le péché. Il n’opprime pas,
il sert. Il ne se venge pas, il pardonne. Il ne piétine pas, il rachète. Il ne
s’impose pas par de la propagande et des fanfares, il agit dans un silence
discret. Surtout, son pouvoir est rédempteur, c’est un don de pardon et
d’amour. Jésus ressuscité respecte la liberté et le caractère sacré de toutes
les personnes humaines, y compris celles qui doutent de lui. Il ne fait pas
peur; il délivre l’existence humaine de la peur, en particulier de la peur de
la mort. Les personnes qui le suivent considèrent ce pouvoir comme le plus
important, et c’est celui-là qu’elles doivent exercer.
De nos jours, nous avons le sentiment que l’humanité est
soumise à différentes forces incontrôlables (politiques, militaires,
économiques, légales, idéologiques) qui sèment arbitrairement la confusion,
entraînant des conséquences tragiques. Dans la frustration générale que suscite
l’exercice du pouvoir des puissants, la résurrection du Christ apporte un
souffle d’espérance. Elle nous rappelle que, au-delà des événements tragiques
et mystérieux que nous connaissons de nos jours, le cours du monde ne dépend
pas, en définitive, du pouvoir et du savoir accumulés, ni de l’usage arrogant
qu’en font les puissants de ce monde. Le pouvoir essentiel et ultime se trouve
entre les mains de Celui qui a pleinement respecté la liberté de l’humanité, au
point de réprouver le rigorisme religieux. Son pouvoir allie la puissance
mystique de la justice, de la paix, de l’amour et de la vie. Il poursuit son
action rédemptrice dans l’histoire de l’humanité, même si beaucoup doutent de
lui en théorie ou en pratique. Et c’est ce pouvoir qui jugera le monde à la
fin.
Notre optimisme est fondé sur cette certitude. Il ne s’agit
pas d’une vague théorie: la toute-puissance du Seigneur se révèle souvent dans
notre vie quotidienne. Cette vérité nous donne de la résilience et du courage
jusque dans les phases les plus douloureuses de notre histoire personnelle et
globale. Mais elle nous donne également la force et l’énergie d’intervenir dans
des événements historiques. Son Église, qui est «son Corps», et chacune de ces
cellules, ses membres, partagent par l’évangélisation l’énergie et la présence
vivante de l’homme-Dieu dans l’histoire. Ses membres exercent ce pouvoir
spirituel et doivent œuvrer sous son autorité au service de la justice, de la
réconciliation et de l’édification de la paix. Ils et elles doivent se mêler
des affaires historiques, locales ou mondiales, avec une conscience éclairée et
des critères spirituels clairs. Ses disciples n’ont pas le droit de s’engager
dans des modèles d’oppression et de pouvoir. Ils et elles croient au pouvoir et
à l’autorité spirituelle de l’amour, et s’y soumettent. Telle est la base de
leur liberté.
Le Seigneur à qui «tout pouvoir a été donné au ciel et sur la
terre» n’est pas une entité lointaine, perdue dans le brouillard du passé. Il
est vivant et présent dans nos esprits, nos cœurs et nos consciences, apportant
réconfort et inspiration. Sentir la présence du Seigneur ressuscité, vainqueur
de la mort et maître de l’univers, est l’élément le plus fondamental de
l’expérience chrétienne. La certitude qu’il est constamment avec nous «chaque
jour de notre vie» apaise notre existence, même dans les tempêtes de
l’injustice et de la guerre, lorsque les «chagrins de mort» nous encerclent et
que les torrents de non-droit nous secouent.
Puisse la certitude que «tout pouvoir lui a été donné au ciel
et sur la terre», à lui, le Dieu d’amour, ressusciter notre optimisme meurtri
en l’avenir du monde. »