Le
respect de la mort et le prix des chrysanthèmes
- publié le 07/11/25
C’est en respectant la mort et en honorant ses défunts qu’une
société accède à la civilisation. Chez les chrétiens, indique le père Guillaume
de Menthière, prêtre du diocèse de Paris, les fleurs symbolisent la vie qui
passe et la couronne de gloire de l’éternité.
Sur une radio périphérique, le matin du 2 novembre, j’écoutais
un des inévitables "marronniers" de la Toussaint : un reportage
dans une maison de pompes funèbres faisait valoir le moindre coût de
l’incinération des défunts par rapport à leur ensevelissement traditionnel, et
un autre chez un fleuriste nous apprenait le cours du chrysanthème. C’est là, c’est
le cas de le dire, tourner autour du pot. Comment se fait-il qu’on ne puisse
dans notre doux pays de France aborder la question de la mort que sous l’angle
commercial et économique ? Triste symptôme…
La mort
n’est pas rien
Il est vrai que la chronique se poursuivait par l’interview
d’un philosophe très en vue qui nous expliquait, Épicure à l’appui, que la mort
n’est rien. Woody Allen aurait dit : si la mort n’est rien, alors j’ai
payé mes chrysanthèmes beaucoup trop cher… Il m’est revenu à l’esprit cette
malicieuse maxime de La Rochefoucauld : "Rien ne prouve davantage
combien la mort est redoutable que la peine que les philosophes se donnent pour
persuader qu’on la doit mépriser."
J’abhorre ce texte qu’on nous fait lire quelquefois aux
obsèques : "la mort n’est rien, je suis passé dans la pièce à
côté…" (Henry Scott-Holland, All is well : "Death is
nothing at all/ It does not count/ I have only slipped away into the next room/
Nothing has happened"). Non seulement l’attribution aussi fréquente que
fautive et impensable de ce texte à Péguy ou à saint Augustin m’agace, mais je
ne puis comprendre qu’on "futilise" ainsi la mort, ce dernier ennemi
de mon Christ, celui qu’à la fin des fins, il écrasera sous ses pieds (1
Co 15,26). La mort n’est rien du tout, j’ai glissé dans la pièce suivante,
il ne s’est rien passé : tu parles ! Écoutons plutôt le vrai Péguy
contemplant Jésus à Gethsémani en disant :
"Quelle ne faut-il pas, mon ami, quelle ne faut-il pas
que soit la mort, la simple mort, mon enfant, pour que la seule approche, pour
que la seule attente, pour que la seule appréhension de la mort l’ait mis dans
un tel état, dans cet état" (Dialogue de l’histoire et de l’âme
charnelle). Et Péguy de citer Corneille : "Dieu même a craint la
mort" (Polyeucte, acte II, scène 6).
Les
humains vénèrent leurs défunts
Puis, sans transition, comme on dit dans les médias, fut
évoquée sur les ondes l’ouverture solennelle d’un fastueux musée au Caire en
face des célèbres pyramides de Guizèh. Il est dommage que la journaliste ne se
soit pas saisie d’une transition pourtant toute trouvée. Les pyramides ne
sont-elles pas des éléments d’un vaste complexe funéraire destiné à faciliter
aux pharaons la vie de l’au-delà ? Car près de 3.000 ans avant
Jésus-Christ, la civilisation égyptienne était pénétrée de cette certitude
d’une vie après la mort et cherchait à faciliter pour le défunt le chemin
de l’autre côté. On fournissait au mort tout ce dont son âme aurait besoin
pour le voyage d’outre-tombe : barque, lit, nourriture, boisson…
Il n’y a pas de civilisation qui n’ait eu son culte des morts,
pour la bonne raison d’ailleurs que le culte des morts est le critère
d’accession à la civilisation. Dans son roman Les Animaux dénaturés,
Vercors imagine qu’on trouve des êtres simiesques sur une île déserte. Sont-ce
des êtres humains ou des animaux ? On ne sait pas. Qui est capable de
trancher cette question ? Le médecin, le philosophe, le juriste, le
théologien, le politique, l’ethnologue ? Après bien des débats, le roman
propose cette conclusion : ces créatures sont bien des êtres humains parce
qu’elles vénèrent leurs défunts.
L’inestimable
couronne de gloire
Dans le monde juif, la coutume est de déposer une pierre ou un
galet sur les tombes. On voit cela à la fin du film la Liste de Schindler,
par exemple. L'origine de ce rite n'est pas connue de façon précise, mais les
anciennes sépultures n'avaient pas de pierre tombale imposante comme
aujourd'hui. Aussi, pour empêcher les bêtes sauvages de s’emparer du cadavre on
mettait sur la dépouille du défunt un petit cairn (tumulus, tas de pierres).
Après quoi, régulièrement, la famille passait arracher l'herbe et ajouter une
pierre sur le tas, pour entretenir le monticule. Avec la généralisation des
pierres tombales en marbre, ce geste a perdu son utilité et n'est plus qu'une
survivance de cette ancienne coutume. Dans le souci de lui donner une
signification, certains commentateurs ont remarqué que le mot pierre, en
hébreu (even) אבן, peut se
lire comme une combinaison des mots אב (av, père) et בן (ben, fils). Placer une
pierre sur la tombe, c’est donc exprimer un sentiment filial, comme d’un fils à
son père, envers les ancêtres défunts. Chez les chrétiens, la tradition est
d’offrir non des vivres ou des pierres mais des fleurs. Celles-ci, outre leur
apport esthétique, symbolisent la vie dans ce qu’elle a d’éphémère (on fleurit
le matin et le soir on est fané). Mais surtout, réunies en couronne, elles nous
rappellent l’immarcescible couronne de gloire qui attend au paradis ceux qui
auront combattu le bon combat de la foi. Car si les chrysanthèmes sont chers,
l’auréole dont Dieu couronnera lui-même ses élus est, quant à elle, hors de
prix, inestimable et incorruptible.
Source : Aleteïa