Silence
après « Amen »
Les bougies sont éteintes. L'église vide embaume la cire et le
silence. Non pas le silence extérieur, mais un silence particulier, dense,
vibrant, comme si l'air même conservait encore les traces des prières qui
viennent d'être prononcées. Je me tiens devant les portes royales, la main
effleurant la fraîcheur des dorures. Derrière moi, l'obscurité du
narthex ; devant moi, l'autel, mystérieux et silencieux dans la nuit. Ma
seconde patrie, ma patrie principale.
C’est dans ces moments-là, lorsque le tumulte de la journée
s’apaise, lorsque la tension des regards, des questions et des demandes
retombe, que naît ce sentiment si important : celui d’un don incroyable,
presque bouleversant, et d’une responsabilité tout aussi immense. Je ne suis ni
enseignant, ni administrateur, ni psychologue, même si je dois parfois l’être.
Je suis prêtre. Celui qui se tient entre Dieu et les hommes. Entre le ciel, que
nous symbolisons par l’autel, et la terre, qui représente le reste de l’Église.
Ils me confient leurs secrets les plus intimes. Ils viennent à
moi avec une faille dans l'âme aussi profonde qu'un abîme. Une femme au regard
éteint, qui a perdu son fils. Un homme rongé par une rancœur tenace qui empoisonne
son existence. Un jeune homme, perdu en lui-même et dans le monde. Ils
m'apportent leur douleur, enveloppée de silence ou d'un flot de paroles, et la
déposent devant le Crucifix. Et ma tâche n'est pas de donner des conseils. Ni
de résoudre le problème. Ma tâche est de les aider à discerner au moins une
lueur d'espoir dans ces ténèbres. De les aider à comprendre que Dieu les voit
non pas comme un « projet à corriger », mais comme un enfant
bien-aimé, même blessé, souillé et désespéré.
« Mon
rôle n'est pas de donner des conseils. Mon rôle n'est pas de résoudre les
problèmes. Mon rôle est d'aider les gens à entrevoir une lueur d'espoir dans
l'obscurité. »
Et parfois, ils apportent la joie. De jeunes gens rayonnants
se tiennent devant le pupitre, et entre leurs mains jointes, une simple bougie
vacille. Et je vois dans leurs yeux non seulement un bonheur humain, mais le
reflet de cette même Lumière éternelle. Et alors mon âme chante
« Axios ! » – « Digne ! » – non pas pour moi-même,
mais pour cet amour que le Seigneur a scellé aujourd’hui de sa grâce.
Mais le mystère le plus terrible et le plus « guérisseur »,
c'est la confession. Je ne suis pas juge. Je suis témoin. Témoin du courage
humain, car parler à haute voix de ses ténèbres, les regarder en face, exige
une force incroyable. Je me tiens debout, la tête baissée, la croix à la main,
et j'entends les murs de pierre qui entourent le cœur de quelqu'un s'effondrer.
Et à cet instant, je ne suis qu'un canal. Une personne qui doit être si
transparente qu'à travers moi, comme à travers un verre clair, on ne me voit
pas, mais la main du Christ qui se tend vers soi. « Tes péchés sont pardonnés…
» Je prononce des mots qui ne sont pas les miens. Et chaque fois que je les
prononce, je ressens un frisson glacial. Ce n'est pas moi qui pardonne. C'est
moi, tout aussi faible, avec mes propres faiblesses, qui proclame la volonté de
Dieu pour le pardon. C'est un miracle qui dépasse l'entendement.
Et puis vient la Liturgie. Le couronnement de tout. Devant
l'autel, le temps se condense en un instant. L'Éternité se vit ici et
maintenant. On offre le Sacrifice sans effusion de sang, et entre nos mains ne
tiennent pas des symboles, mais la Réalité elle-même. On porte dans nos paumes
toute la souffrance du monde, tout son espoir, tous ces êtres dont on vient de
lire les noms, et on offre tout cela à Dieu. Puis on se tourne vers les fidèles
– la vieille femme qui prie depuis quatre-vingts ans, l'homme d'affaires épuisé
par sa course, l'adolescent qui observe le monde avec une curiosité mêlée de
perplexité – et on dit : « Approchez-vous avec crainte et foi… »
Et on les voit venir. Certains en pleurant, d'autres tremblant, d'autres encore
par habitude. Mais ils viennent. À la Source de la vie.
Et après l'office, les gens viendront me voir : l'un pour un
conseil, l'autre pour me serrer la main, un troisième pour me demander de prier
pour lui. Et dans le regard de chacun, il y aura une question, une requête, un
espoir. Et je rentrerai chez moi, portant ce fardeau et cette joie. Car être
prêtre, ce n'est pas « travailler dans l'Église ». C'est vivre l'âme ouverte.
C'est se réjouir si intensément de la joie d'autrui que cela vous serre le
cœur. C'est être si profondément touché par la douleur d'autrui que vous ne
pouvez plus dormir la nuit. C'est apprendre à aimer de nouveau chaque jour, car
sans cet amour, tout n'est que du vent.
Je ne suis qu'un vase d'argile dans lequel les gens puisent
l'eau vive. Et mon rôle n'est pas de les empêcher de la trouver.
Et maintenant, en silence, je contemple le visage sombre du
Sauveur, éclairé par une simple lampe. Et je ne prie pas pour les autres, mais
pour moi-même. Pour ne pas devenir un simple artisan. Pour ne pas me lasser.
Pour ne jamais oublier l'émotion ressentie le jour de mon ordination, lorsque
les mains fraîches de l'évêque se posèrent sur ma tête. Pour toujours me
souvenir : je ne suis qu'un vase d'argile dans lequel les hommes puisent
l'eau vive. Et ma tâche n'est pas de les empêcher de la trouver.
Seigneur, fais de moi au moins un chemin qui mène à Toi. Même
si l'on ne remarque pas les pierres sous ses pieds. L'essentiel est qu'il
conduise à la Lumière. Amen.
18 décembre 2025
Source : Pravoslavie