jeudi 18 décembre 2025

 

Silence après « Amen »

Le prêtre Leonid Bartkov

 


Les bougies sont éteintes. L'église vide embaume la cire et le silence. Non pas le silence extérieur, mais un silence particulier, dense, vibrant, comme si l'air même conservait encore les traces des prières qui viennent d'être prononcées. Je me tiens devant les portes royales, la main effleurant la fraîcheur des dorures. Derrière moi, l'obscurité du narthex ; devant moi, l'autel, mystérieux et silencieux dans la nuit. Ma seconde patrie, ma patrie principale.


C’est dans ces moments-là, lorsque le tumulte de la journée s’apaise, lorsque la tension des regards, des questions et des demandes retombe, que naît ce sentiment si important : celui d’un don incroyable, presque bouleversant, et d’une responsabilité tout aussi immense. Je ne suis ni enseignant, ni administrateur, ni psychologue, même si je dois parfois l’être. Je suis prêtre. Celui qui se tient entre Dieu et les hommes. Entre le ciel, que nous symbolisons par l’autel, et la terre, qui représente le reste de l’Église.

Ils me confient leurs secrets les plus intimes. Ils viennent à moi avec une faille dans l'âme aussi profonde qu'un abîme. Une femme au regard éteint, qui a perdu son fils. Un homme rongé par une rancœur tenace qui empoisonne son existence. Un jeune homme, perdu en lui-même et dans le monde. Ils m'apportent leur douleur, enveloppée de silence ou d'un flot de paroles, et la déposent devant le Crucifix. Et ma tâche n'est pas de donner des conseils. Ni de résoudre le problème. Ma tâche est de les aider à discerner au moins une lueur d'espoir dans ces ténèbres. De les aider à comprendre que Dieu les voit non pas comme un « projet à corriger », mais comme un enfant bien-aimé, même blessé, souillé et désespéré.

« Mon rôle n'est pas de donner des conseils. Mon rôle n'est pas de résoudre les problèmes. Mon rôle est d'aider les gens à entrevoir une lueur d'espoir dans l'obscurité. »

Et parfois, ils apportent la joie. De jeunes gens rayonnants se tiennent devant le pupitre, et entre leurs mains jointes, une simple bougie vacille. Et je vois dans leurs yeux non seulement un bonheur humain, mais le reflet de cette même Lumière éternelle. Et alors mon âme chante « Axios ! » – « Digne ! » – non pas pour moi-même, mais pour cet amour que le Seigneur a scellé aujourd’hui de sa grâce.

Mais le mystère le plus terrible et le plus « guérisseur », c'est la confession. Je ne suis pas juge. Je suis témoin. Témoin du courage humain, car parler à haute voix de ses ténèbres, les regarder en face, exige une force incroyable. Je me tiens debout, la tête baissée, la croix à la main, et j'entends les murs de pierre qui entourent le cœur de quelqu'un s'effondrer. Et à cet instant, je ne suis qu'un canal. Une personne qui doit être si transparente qu'à travers moi, comme à travers un verre clair, on ne me voit pas, mais la main du Christ qui se tend vers soi. « Tes péchés sont pardonnés… » Je prononce des mots qui ne sont pas les miens. Et chaque fois que je les prononce, je ressens un frisson glacial. Ce n'est pas moi qui pardonne. C'est moi, tout aussi faible, avec mes propres faiblesses, qui proclame la volonté de Dieu pour le pardon. C'est un miracle qui dépasse l'entendement.

Et puis vient la Liturgie. Le couronnement de tout. Devant l'autel, le temps se condense en un instant. L'Éternité se vit ici et maintenant. On offre le Sacrifice sans effusion de sang, et entre nos mains ne tiennent pas des symboles, mais la Réalité elle-même. On porte dans nos paumes toute la souffrance du monde, tout son espoir, tous ces êtres dont on vient de lire les noms, et on offre tout cela à Dieu. Puis on se tourne vers les fidèles – la vieille femme qui prie depuis quatre-vingts ans, l'homme d'affaires épuisé par sa course, l'adolescent qui observe le monde avec une curiosité mêlée de perplexité – et on dit : « Approchez-vous avec crainte et foi… » Et on les voit venir. Certains en pleurant, d'autres tremblant, d'autres encore par habitude. Mais ils viennent. À la Source de la vie.

Et après l'office, les gens viendront me voir : l'un pour un conseil, l'autre pour me serrer la main, un troisième pour me demander de prier pour lui. Et dans le regard de chacun, il y aura une question, une requête, un espoir. Et je rentrerai chez moi, portant ce fardeau et cette joie. Car être prêtre, ce n'est pas « travailler dans l'Église ». C'est vivre l'âme ouverte. C'est se réjouir si intensément de la joie d'autrui que cela vous serre le cœur. C'est être si profondément touché par la douleur d'autrui que vous ne pouvez plus dormir la nuit. C'est apprendre à aimer de nouveau chaque jour, car sans cet amour, tout n'est que du vent.

Je ne suis qu'un vase d'argile dans lequel les gens puisent l'eau vive. Et mon rôle n'est pas de les empêcher de la trouver.

Et maintenant, en silence, je contemple le visage sombre du Sauveur, éclairé par une simple lampe. Et je ne prie pas pour les autres, mais pour moi-même. Pour ne pas devenir un simple artisan. Pour ne pas me lasser. Pour ne jamais oublier l'émotion ressentie le jour de mon ordination, lorsque les mains fraîches de l'évêque se posèrent sur ma tête. Pour toujours me souvenir : je ne suis qu'un vase d'argile dans lequel les hommes puisent l'eau vive. Et ma tâche n'est pas de les empêcher de la trouver.

Seigneur, fais de moi au moins un chemin qui mène à Toi. Même si l'on ne remarque pas les pierres sous ses pieds. L'essentiel est qu'il conduise à la Lumière. Amen.

Le prêtre Leonid Bartkov

18 décembre 2025

Source : Pravoslavie