vendredi 19 décembre 2025

 

Ziarul Lumina 

« Je prie depuis chez moi »

ou un obstacle à la prière constante 

 


Article du père Marcel Stavără 

– 19 décembre 2025

Il est évident que la société n'incite pas à la prière, ni même à parler de Dieu, et encore moins à s'adresser à lui. L'expression « Je prie depuis chez moi » illustre peut-être l'un des obstacles contemporains à la prière, plus important qu'il n'y paraît : la simple impossibilité de se rendre à l'église pour les offices.


Cette expression est devenue si courante chez certains qu'elle signale en réalité le problème de la privatisation de la foi, à l'instar de la confiscation privée de nombreux aspects de la vie quotidienne. La gravité de ce choix religieux se révèle par son effet : une régression spirituelle due à l'absence d'un environnement spirituel où l'individu puisse s'intégrer pleinement, ainsi qu'à une autosatisfaction fondée sur une spiritualité superficielle qui peut aisément mener à l'indifférence et au relâchement moral.

Réduire la prière à Dieu à un cadre individualiste est contraire à l’Écriture et constitue un acte spirituellement néfaste. « Si vous priez en dehors de l’Église, vous risquez de confondre Dieu avec votre propre raison et de régresser spirituellement. Dans l’Église, toute la liturgie est une invitation à s’élever vers Dieu, qui descend et vient à votre rencontre… Rester dans sa propre suffisance spirituelle et refuser la communion de l’Église peut conduire, tôt ou tard, à la mort spirituelle. La mesure de la prière ne vous est pas donnée par vous-même, mais par l’Église. Vous participez à la prière de l’Église, vous la poursuivez chez vous, afin que, le dimanche, vous participiez à la prière de l’Église. » ¹

En fin de compte, que peut demander un homme à Dieu dans sa prière, sinon sa présence et sa participation au Royaume de Dieu ? Qui imagine le Roi céleste œuvrant et conversant uniquement avec une seule personne ? Qui ignore que dans son Royaume, il n’y a ni individualisme ni fuite de la communion, mais seulement des relations de communion dans l’amour ? Toute prière repose sur la manifestation du désir de communion de l’homme, et même si quelqu’un prétend n’avoir de communion qu’avec Dieu, il ment, car Dieu nous envoie toujours vers les autres. L’individualisme ne correspond pas à la vie de l’homme, qui ne s’accomplit que par la manifestation envers autrui. « Alors, où est le Royaume de Dieu que nous devons préparer, si la religion n’est qu’une affaire privée entre Dieu et moi ? Pourquoi prier pour le pardon des péchés ? Pourquoi dire que les artisans de paix, les miséricordieux, seront heureux ? Comment manifester notre miséricorde, sinon par des gestes extérieurs, dans toutes les manifestations de l’Évangile ? »

L'illusion d'une relation privilégiée « avec Dieu » naît d'une profonde introspection. Quand Jésus-Christ a-t-il dit : « J'ai une relation spéciale avec toi ; l'Église est pour les apôtres, les prêtres, les anges, pour les autres ; mais avec toi, c'est différent ; tu es mon élu » ? Et si vous dites prier le samedi soir, à genoux, devant l'icône du Sauveur, et que Dieu ne vous appelle pas à la Sainte Liturgie le lendemain, dimanche, que faut-il en conclure ? Que Dieu se contredit, puisqu'il a dit : « Buvez-en tous… » (Mt 26, 27) ? Certainement pas. L'Absolu ne peut se contredire. Alors, soit votre prière n'a pas été entendue, soit vous ne vous êtes pas adressé à la bonne personne, car il est impossible que Jésus-Christ lui-même vous prive de sa Cène et ne vous appelle pas à son Sacrifice, constamment renouvelé par la Sainte Liturgie.

La prière de l'homme signifie avant tout un sacrifice de l'âme à Dieu. Si, dans d'autres religions, le dieu avait besoin de renforcer son pouvoir par des sacrifices offerts par les hommes, souvent même des sacrifices humains comme ceux en l'honneur des divinités incas, le christianisme ne parle pas du sacrifice que vous devez offrir à Dieu, mais du sacrifice que Dieu offre pour vous. Dans l'Église orthodoxe, tous les sacrifices ne sont pas nécessaires à Dieu, mais à nous, les humains. La conséquence néfaste de cet individualisme excessif a des répercussions sur toute la vie religieuse et morale. Si la vie spirituelle se limite à soi-même et la prière à une prière personnelle, alors on se prive même de la prière la plus fondamentale : le Notre Père. On n'est pas autorisé à la réciter dans sa prière familiale si l'on se replie sur soi-même et que l'on ne se sent plus membre de la famille de Dieu, si l'on ne se considère plus comme un enfant de Dieu et si l'on ne voit plus l'Église comme sa maison. Ce n’est que lorsque vous vous sentez partie intégrante d’une communauté paroissiale, ce n’est que lorsque vous êtes attaché à la vie de votre paroisse et que vous connaissez ses joies, ses événements, les difficultés qu’elle rencontre et les personnes qui forment le corps de cette paroisse, que vous pouvez présenter votre prière à Dieu dans les conditions qu’il souhaite.

Quiconque croit « prier seulement chez soi » et que cela plaît à Dieu est appelé à observer la manière dont Jésus-Christ lui-même se rapportait à son Église et aux Mystères de l'Église. Si Jésus les considère tous comme très importants et leur accorde une telle importance, comment celui qui prétend le prier et le suivre en tout peut-il les négliger ? L'expérience pastorale a constaté qu'en l'absence de prière liturgique ou communautaire, la prière privée devient superficielle jusqu'à disparaître complètement, faute du soutien de la communauté de foi. Il est bien connu que si l'on tombe, on tombe seul, mais que le salut n'est possible que par l'intermédiaire des autres. En réalité, ceux qui disent « prier chez eux » devraient reconnaître que cette situation est révolue depuis longtemps, et que la prière s'est progressivement raréfiée, se trouvant aujourd'hui en marge du canon de la prière, une marge qui ne prendra fin que lorsqu'elle sera fortifiée par la prière liturgique.

Les Saintes Écritures démontrent de façon convaincante l'existence et la puissance de la prière commune dès les origines. Le saint apôtre Pierre fut emprisonné, mais « l'Église priait Dieu sans cesse pour lui » (Actes 12, 5), et la puissance de la prière communautaire le libéra. Dès sa libération, saint Pierre se rendit auprès de la communauté. « Mais Pierre continuait de frapper à la porte. Quand ils l'ouvrirent, ils le virent et furent étonnés » (Actes 12, 16).

De même, saint Paul, après sa conversion sur le chemin de Damas et le début de sa prédication du Christ ressuscité, se rendit à Jérusalem pour vérifier sa foi et son enseignement auprès des autres apôtres, afin de s’assurer que ses croyances et son enseignement étaient conformes à l’Apocalypse et à la foi unanime de l’Église. En conséquence, « les apôtres et les anciens, avec toute l’Église, décidèrent de choisir parmi eux des hommes et de les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé » (Actes 15, 22). Ainsi, le témoignage apostolique de la vérification de la foi doit être le baromètre de notre vie spirituelle, car « où cette communion est-elle pleinement et authentiquement vérifiée ? Certainement dans l’Église, où l’unité des croyants est réalisée par la communion à la même coupe eucharistique avec le Corps et le Sang du Christ ».

La prière à la maison est très bonne et agréable à Dieu : le canon personnel, les prières du matin et du soir, les prières aux repas, les acathistes, les offices religieux, le psautier et toutes les autres prières qui font partie des activités humaines sont absolument nécessaires et requises par Dieu lui-même. Il n’y a qu’une chose que le Christ ne demande pas : se dissocier de son Corps. Le Seigneur Jésus-Christ nous appelle à la déification, à être Dieu par la participation, « une déification très concrète, correspondant pleinement aux besoins de l’homme. Ce n’est pas une déification qui isole l’homme, de sorte qu’on puisse dire de lui : c’est un saint, il n’a rien à voir avec nous. Elle permet à l’homme de partager une disposition à se donner aux autres, une délicatesse envers autrui, une humanisation qui s’accentue de jour en jour »