Sur
Orthodoxie.com: traduction de l'interview de Jean-Claude LARCHET sur
Basilica.ro
(Merci
à Claude pour la mise en ligne gratuitement de cette article)
Basilica.ro a invité Jean-Claude L'ARCHET à un
dialogue sur les maladies corporelles, psychiques et spirituelles. Le
théologien a également parlé des idéologies qui minent la société actuelle.
Orthodoxie.com en propose la version française.
Basilica.ro : L’année 2024 a été déclarée dans
l’Église Orthodoxe Roumaine comme année thématique de la pastorale et des soins
aux malades. Quelles sont, selon vous, les maladies les plus graves du XXIe
siècle et comment l’Église peut-elle contribuer à les soigner et à les guérir ?
J-C Larchet : Les maladies et la souffrance qui les
accompagnent le plus souvent, font partie de la condition humaine déchue, et
tout le monde en fait l’expérience à des moments et à des degrés divers. Les
maladies spirituelles (c’est-à-dire les passions) habitent tout homme, et au XXe siècle
– comme aux siècles précédents et depuis l’origine –, la maladie la plus
grave est l’amour égoïste de soi, que les Pères grecs appellent philautia,
et qu’ils considèrent comme la mère de toutes les autres. Elle est l’exact
contraire (et le premier empêchement) des vertus dont la réalisation nous a été
donnée par le Christ comme premiers commandements : l’amour de Dieu et
l’amour du prochain. Elle est très proche d’une autre maladie spirituelle
souvent présentée comme étant aussi la plus importante : l’orgueil, par
lequel l’individu se place au centre de tout et au dessus de tout le monde,
prenant la place qui revient à Dieu et au prochain.
Si l’on considère maintenant les maladies psychiques, la plus
importante à notre époque est la dépression. Elle est particulièrement liée à
deux autres maladies spirituelles : la tristesse et l’acédie, mais aussi à
l’absence (ou à la faiblesse) de deux vertus que la tradition occidentale
appelle « cardinales », parce qu’elle sont des pivots (en latin cardines)
de la vie intérieure : la foi et l’espérance. La première permet de donner
un sens à la vie (dont la perte est la première cause de la dépression) et la
seconde donne confiance en la providence divine, c’est-à-dire dans l’aide
bienveillante de Dieu qui permettra de sortir de toutes les difficultés que
l’on a. La désaffection massive vis-à-vis de la religion à notre époque, a
accru la force de ces passions, et privé les hommes de ces vertus. C’est
pourquoi une partie du monde a sombré dans la dépression et se livre à diverses
drogues (dont les drogues numériques !) pour tenter d’y échapper, sans
comprendre que le supposé remède accroît la maladie.
Pour ce qui concerne les maladies corporelles on observe à
notre époque un développement de deux sortes de maladies graves, chacune à leur
manière : les cancers et les maladies dégénératives (maladie d’Alzheimer,
maladie de Parkinson, démences séniles…). Ce développement est lié au
vieillissement de la population, mais on remarque que des personnes de plus en
plus jeunes en sont atteintes. Les possibilités pour la médecine de contrer ces
maladies se sont développées, mais restent très limitées. Si l’on est croyant,
on peut attendre de Dieu et de ses saints (en particulier les saints anargyres)
des miracles, qui se produisent parfois, soit en faisant disparaître la maladie
(dans le cas des cancers) soit – on l’oublie souvent – en
ralentissant sa progression. Mais la règle générale est que les lois de la
nature déchue suivent leur cours, et Dieu n’intervient pas, car l’état déchu
est une conséquence du péché ancestral et de tous les péchés qui l’ont
confirmé ; ces péchés ont été des choix de l’homme, et Dieu respecte la
liberté de l’homme jusque dans ses effets, sinon ce ne serait pas une véritable
liberté. Mais en tant que chrétiens nous ne sommes pas abandonnés pour
autant : Dieu nous donne toujours la possibilité de
dépasser spirituellementla maladie, et d’en tirer un profit spirituel. Si
le Christ a souffert lors de Sa passion et sur la Croix, ce n’est pas pour
payer une rançon ni pour expier les péchés des hommes, comme l’a affirmé
(surtout en Occident) une fausse théologie, mais pour nous acquérir la grâce
(que nous recevons toujours si nous sommes unis à Lui par les sacrements et la
prière) de faire perdre à la souffrance tout le pouvoir négatif qu’elle peut
avoir sur nous (notamment celui de nous éloigner de Dieu !), et de
l’utiliser comme une forme d’ascèse qui contribue à nous détacher du monde et
de nous-même pour pouvoir davantage aimer Dieu et le prochain.
Il faut enfin évoquer des maladies dont on parle peu, bien
qu’elles soient de plus en plus manifestes à notre époque et soient
particulièrement inquiétantes : ce sont des maladies collectives, qui
affectent les sociétés entières, mais aussi les États et malheureusement aussi
les Églises.
Parmi les premières, il y a les maladies causées par les
nouveaux médias, dont j’ai longuement parlé dans un de mes livres récents, et
qui détruisent non seulement l’attention, mais aussi et surtout, contrairement
aux apparences, les relations interpersonnelles. Ils substituent un mode
artificiel et superficiel de communication à un monde réel et profond de
communion, et ont un rôle destructeur non seulement pour les individus, mais
pour les couples et les familles, dont les membres sont rivés à leurs
smartphones, vivant l’un à côté de l’autre et non l’un avec l’autre. Sur les
réseaux sociaux, les fausses théories séduisent beaucoup de gens, et les
influenceurs sont devenus les pères spirituels de beaucoup de jeunes. Dans une
conférence sur les médias numériques et la pastorale orthodoxe tenue en Crète
en 2018, j’avais proposé que parmi les règles du jeûne soit introduit
officiellement par les Églises le jeûne des nouveaux médias. Cette proposition
a reçu un vaste écho dans tous les médias orthodoxes y compris le vôtre, mais
n’a malheureusement pas été suivie d’effet. Combien de temps faudra-t-il
attendre pour que les Églises prennent conscience de la gravité du
problème ?
Une autre maladie qui affecte les sociétés actuelles est une
forme de délire – c’est-à-dire de fausse perception de la réalité
– concernant, premièrement la nature et les rapports des genres (masculin
et féminin) ainsi que l’orientation de la sexualité humaine ; deuxièmement
les rapports de l’homme avec la nature. Il s’agit de deux composantes de ce que
l’on appelle « la pensée woke » ou le wokisme. La première s’exprime
dans la théorie du genre (selon laquelle les genres relèvent d’un choix
individuel), le féminisme radical (selon lequel le genre masculin doit être aboli)
et le mouvement LGBTQUIA+ (selon lequel de nombreuses orientations sexuelles
sont légitimes et au choix de chacun) ; la seconde dans l’écologie
radicale (selon laquelle la nature a plus de valeur que l’être humain qui n’en
est qu’un prédateur).
En ce qui concerne les autres maladies collectives, on mesure
leurs effets dans les guerres entre les pays, et les disputes de pouvoir et de
territoire entre les Églises. Leur cause est le nationalisme et le phylétisme,
qui est une forme ecclésiastique du nationalisme. L’un et l’autre sont des
formes d’orgueil, et plus précisément d’une forme de l’orgueil qui n’apparaît
pas dans les listes classiques de passions et est de ce fait sous-estimée, mais
qui est bien mise en valeur dans la prière de saint Éphrem le Syrien, que l’on
récite plusieurs fois par jour au long du Grand Carême : l’esprit de
domination. Elle est certes une maladie individuelle, mais aussi une maladie
collective, car comme le disait le philosophe Kant, les États sont affectés des
mêmes passions que les individus, et l’on pourrait ajouter aussi les Églises
dans leur dimension humaine, trop humaine…
Basilica.ro : Vous avez écrit un livre intitulé La
théologie du corps. Les tendances idéologiques actuelles semblent mépriser le
corps au profit de la partie invisible de l’existence, en soulignant le droit
de l’homme à transformer son corps, même biologiquement ou du point de vue
médical, selon les désirs de l’âme ou les diverses passions. Quelle est
l’importance du corps dans l’existence humaine et dans l’histoire du salut ?
J-C Larchet : En réponse à la dernière partie de
votre question, je rappellerai simplement que la personne humaine, dans sa
nature, est constituée indissociablement d’une âme et d’un corps (la séparation
des deux qui suit la mort n’étant que provisoire et sans qu’il y ait une perte
de leur lien essentiel). Dieu a créé l’homme âme et corps ; lors de la
conception, le corps et l’âme sont formés simultanément et liés dès le premier
instant ; à la résurrection, l’âme et le corps seront réunis, le corps
ayant dès lors un mode d’existence nouveau. Il faut rappeler surtout qu’en
venant parmi nous, le Verbe de Dieu a pris un corps en tout point semblable au
nôtre, et a sauvé et déifié en lui l’homme tout entier, âme et corps, donnant à
chaque personne qui croirait en lui et s’unirait à lui par les sacrements et la
vie spirituelle, de recevoir la grâce de ce salut et de cette déification. Le
corps occupe une place importante dans cette vie spirituelle, puisqu’il est
co-acteur avec l’âme de tous les actes accomplis par l’homme. Il participe avec
les moyens qui sont ceux de sa nature propre, à toutes les activités
spirituelles. Il reçoit le Corps et le Sang du Christ en même temps que l’âme
et est transformé spirituellement en même temps qu’elle, étant
« christifié » et devenant réellement le temple de l’Esprit.
Pour en rester à la question de la maladie qui est au centre
de cet entretien, il faut souligner que les hommes de notre époque, qui ont
pour la plupart perdu toutes les normes de l’anthropologie chrétienne ont un
vrai problème avec leur corps.
Ils aspirent à une liberté absolue, y compris par rapport à
leur propre corps, dont ils entendent rejeter non seulement toutes les
déterminations, mais toutes les orientations définies par sa nature selon sa
constitution génétique, organique et physiologique, et parfois sa structure et
sa forme mêmes.
La volonté d’avoir une maîtrise totale sur le corps ne se
rencontre pas seulement chez les adeptes (qui se multiplient de nos jours) du
transsexualisme, mais constitue à notre époque un vrai phénomène de
civilisation, dont témoigne l’importance prise par la chirurgie esthétique,
mais aussi par tous les moyens de modifier l’apparence du corps (par des
piercings, des implants ou des tatouages).
Le malaise que peut ressentir l’homme par rapport à un corps
donné et qu’il ne maîtrise pas dans sa constitution ou dans sa forme, qui
constitue une gêne ou une entrave par rapport à ses aspirations qu’elles soient
spirituelles, psychiques ou physiques, traverse l’histoire de la philosophie
– de Platon à Foucault – et aussi celle de la spiritualité
– comme en témoignent de manière radicale les diverses sectes gnostiques,
mais aussi, de façon plus nuancée, les écrits et pratiques ascétiques de toutes
les religions. Il révèle sans aucun doute un problème profond. Ce problème
touche à la condition humaine en ce monde, à ses limites (ou, pour utiliser un
terme plus métaphysique, à sa finitude) et à la difficulté de les supporter par
un esprit qui, lui, est sans limites dans ce qu’il peut concevoir et imaginer.
Il touche aussi à l’aspiration de l’homme à accéder à une condition idéale, ou
du moins supérieure, où ces limites seraient ontologiquement dépassées. Mais
dans la situation actuelle, il est irréaliste, utopique, infantile et même
pathologique de nier ces limites. L’homme peut déplorer de ne pas avoir d’ailes
pour voler, de ne pas avoir dix bras comme Shiva, de multiples yeux comme les
chérubins. Mais il est, comme chaque être de ce monde défini par des
particularités qu’il doit assumer, et c’est dans sa capacité à les assumer
qu’il peut trouver la paix intérieure et le bonheur ; leur refus ne peut
que le placer en permanence dans un état de frustration et une situation
d’échec. Adam a été déchu de sa condition originelle pour avoir tenté, selon la
promesse du Serpent, de devenir « comme un dieu ». Celui qui va
contre la nature se condamne à l’enfer du contre-nature. On peut en effet,
sans se référer à un châtiment divin, considérer que la nature se venge toujours
de celui qui la nie et agit à son encontre.
La distinction que fait le christianisme entre la nature
originelle et déchue aide le chrétien a assumer les limites actuelles de son
corps. La spiritualité lui donne les moyens de transcender spirituellement ces
limites, dans l’attente de leur dépassement physique dans le Royaume des cieux.
La spiritualité hésychaste en particulier constitue un modèle parfait
d’intégration du corps, de manière à le faire participer au progrès spirituel
de l’âme, et à être progressivement déifié avec elle. Ce mode spirituel
d’assumation du corps est la seule façon réaliste et fructueuse d’en
transcender les limites.
Basilica.ro : La discussion sur le rôle du corps
dans l’identité humaine nous conduit également à l’idée que le genre de la personne
n’est pas « fluide » comme le prétendent certaines théories contemporaines,
mais lié au corps dans lequel la personne mène son existence. Comment
pouvons-nous aider et soutenir les enfants à renforcer leur identité de genre –
masculine ou féminine, selon le cas ?
J-C Larchet : L’homme – corps et âme – est genré par
nature et de par la création divine (« Homme et femme il le fit »).
La façon dont les genres sont définis socialement est évidemment, sur certains
points, susceptible d’être remise en question et corrigée. Mais cela ne
justifie ni l’abolition des genres, ou de tel genre, ni le changement de genre.
D’une manière générale et depuis toujours, la nature fait bien
les choses. La très très grande majorité des êtres humains, spontanément et
depuis leur petite enfance, assument sans problème le genre qui correspond à
leur sexe. Il peut y avoir des personnes qui, pour des raison génétiques,
physiologiques (hormonales) ou psychologiques se sentent d’un genre différent
que celui qui correspond à leur sexe, mais dans le passé et jusqu’à une époque
récente, ces personnes étaient en très petit nombre. Les petites filles qui
préféreraient être un garçon, ou les petits garçon qui préféreraient (c’est
moins fréquent) être une fille, est un phénomène qui se rencontre assez
couramment, mais cela est un phénomène transitoire, de même que les
incertitudes que rencontrent à un moment donné beaucoup d’adolescents.
Le problème est qu’il y a aujourd’hui une idéologie (que l’on
appelle couramment la théorie du genre) qui, venue des États-Unis, s’est
répandue en Europe grâce au soutien des médias, mais aussi des États et des
institutions internationales, qui non seulement répand l’idée que le genre et
le sexe peuvent être choisis librement par chacun, mais milite activement pour
que cela soit enseigné dès l’école primaire, et c’est de là que vient le
danger. Aux États-Unis, de nombreux parents chrétiens ont retiré leurs enfants
de l’école publique pour les mettre dans des écoles privées où ils sont à
l’abri d’une telle propagande. Il est en tout cas important que les parents
accompagnent leurs enfants dans leurs interrogations possibles, ne suivent pas
leurs velléités éventuelles (apparues à un moment donné et presque toujours
pour peu de temps) de changer de genre et surtout de sexe (ce qui créé des
dommages irréversibles), apportent un contre-enseignement, basé sur les valeurs
chrétiennes, à l’enseignement scolaire quand il est mal orienté, et forment
leurs enfants à se préserver de l’influence délétère des mauvais « influenceurs »
sur les réseaux sociaux.
Basilica.ro : Quels sont les thèmes que vous abordez
et les messages que vous transmettez dans votre ouvrage récemment
publié, Transfigurer le genre ?
J-C Larchet : Vous le découvrirez bientôt en
traduction roumaine. C’est un ouvrage riche, difficile à résumer, qui sur les
bases de la Bible et des écrits des Pères de l’Église, défend l’existence des
deux genres tout en proposant un dépassement spirituel de leurs limites. Il
montre en particulier comment les genres doivent être conçus et vécus dans
leurs relations dans une perspective chrétienne, à la fois différente des
fausses conceptions de la virilité et de la féminité que la société véhicule
(et qui justifient en partie les critiques féministes), et des mauvaises relations
que les passions (en particulier l’égoïsme, l’orgueil, l’esprit de domination,
les passions sexuelles) établissent au sein des relations hommes-femmes.
Relisant les textes bibliques et mettant au jour des textes patristiques
souvent négligés, il montre que le christianisme considère les femmes et les
hommes comme fondamentalement égaux, parce qu’ils ont été identiquement créés à
l’image et à la ressemblance de Dieu, parce qu’ils partagent la même nature
humaine (dont les genres ne sont qu’une spécification), parce qu’ils ont été
également sauvés par le Christ, parce qu’ils ont comme destin commun d’être
déifiés par grâce. Il montre que l’homme et la femme ont des charismes propres
qui sont complémentaires, et sont destinés à enrichir l’un et l’autre. La vie
chrétienne préserve les deux genres, et leur assure une unité harmonieuse et
fructueuse, dès lors qu’elle élimine les passions qui pervertissent les
relations, et entretient les vertus qui sont communes aux deux genres. Ces
vertus assurent une véritable fluidité des genres tout en les préservant :
la femme acquiert des qualités viriles dans ses efforts ascétiques, l’homme des
vertus féminines quant il acquiert la vertu de douceur, quand la vertu de
compassion attendrit son cœur, quand la vertu de pénitence fait couler des
larmes sur son visage. Quand l’Apôtre dit « En Christ il n’y a ni homme ni
femme » (Galates 3, 28), il ne signifie pas que les genres cessent
d’exister, mais que les conflits, oppositions et divisions ont cessé entre eux
par leur union au Christ et dans le Christ. C’est dans le même sens qu’il dit,
ayant en vue les conflits raciaux et ethniques, que « en Christ il n’y a
ni juif ni grec », ou en ayant en vue les conflits sociaux, que « en
Christ il n’y a ni esclave ni homme libre ».
Basilica.ro : Vous avez été une voix modérée pendant
la pandémie de Covid-19. Quels sont les défis idéologiques et spirituels
auxquels l’Église orthodoxe a été confrontée pendant la pandémie de Covid-19 et
après ?
J-C Larchet : Il faut effectivement revenir sur ce
sujet, car d’autres pandémies surviendront dans le futur, et la réflexion sur
ce que nous avons vécu aide à s’y préparer. C’est pourquoi j’ai intitulé mon
livre : Petite théologie pour les temps de pandémie et non
pour un temps de pandémie.
Ce qui me paraît le plus grave dans ce qui s’est passé c’est
la division qui s’est révélée au sein de la communauté ecclésiale de la part
d’un clergé fondamentaliste hostile à toutes les mesures de protection et de
prévention, et qui non seulement s’est exprimé avec beaucoup de violence, mais,
de manière irresponsable a conduit à la mort d’un certain nombre de fidèles et
de moines et de moniales.
Il est paradoxal que ce clergé qui se veut super-orthodoxe et
proche des Pères, ait agi au nom de principes étrangers au christianisme,
marqués par les idées complotistes qu’un certain nombre de réseaux sociaux ont
fait émerger dans les années précédentes. Il est étonnant que ce clergé ait
marché sur la tête au point d’attribuer la maladie à Dieu et les moyens de prévention
et de guérison au diable. On a vu des prêtres refusant de donner la communion à
des fidèles qui avaient été vaccinés, et des fidèles refusant d’assister à la
liturgie de prêtres qui avaient été vaccinés. Des disputes et des bagarres ont
éclaté dans l’enceinte même des églises et pendant la liturgie. Tout cela
risque évidemment de se reproduire, d’autant que les idées complotistes,
alimentés par les réseaux sociaux, se répandent de plus en plus, bien qu’elles
soient de plus en plus irrationnelles.
Il faudrait profiter de cette année dédiée à la santé, la
maladie et la guérison, pour mettre en place pour le clergé et les fidèles une
sérieuse formation sur le souci que les chrétiens doivent avoir de leur santé
(qui est un don de Dieu) et le devoir qu’ils ont de protéger la santé des
autres (c’est-une dimension de la charité), et sur la façon dont l’Église,
depuis ses origines, a reçu positivement la médecine séculière et les moyens
thérapeutiques et prophylactiques qu’elle propose – y compris à une époque
récente les vaccins, qui ne font que pallier une partie de l’immunité que
l’homme déchu a perdue, et que la vieillesse réduit encore davantage. Une
formation serait utile aussi pour libérer certains clercs et moines de la
pensée magique selon laquelle l’espace de l’église serait un lieu protégé où
l’on ne peut contracter aucune maladie. Il faudrait aussi, théologiquement,
insister sur le fait que Dieu n’envoie aux hommes aucune pandémie, aucune
maladie, aucune souffrance – et que c’est même un blasphème de penser le
contraire –, mais que dans toutes les pandémies, maladies et souffrances, qui
sont liées à la condition déchue de l’homme consécutive au péché, Dieu est
présent au plus près de chaque personne qui croit et espère en Lui pour l’aider
à surmonter spirituellement ce qui n’a pas pu être empêché physiquement.
Basilica.ro : En tant que journalistes du Patriarcat
de Roumanie, nous sommes très présents sur les réseaux sociaux et sur
l’Internet. Dans quelle mesure considérez-vous que la présence des voix
orthodoxes sur les réseaux en ligne de médias est importante ?
J-C Larchet : Il est évidemment important que les
voix orthodoxes soient présentes sur l’Internet, car c’est malheureusement
devenu pour la grande majorité de nos contemporains la seule source
d’information. Malheureusement, sur les écrans, on lit vite et on lit mal. Pour
les lecteurs, la lecture sur écran ne permet pas la même attention et le même
approfondissement que la lecture sur papier, et l’information que l’on y trouve
est, peut-on dire très fugace, et vite emportée par le flux incessant des
autres informations, donc vite oubliée… Il est important de former les jeunes à
la lecture traditionnelle en leur en faisant découvrir tous les bienfaits, et
de préserver l’édition de livres orthodoxes, dans un monde où la diffusion des
livres chrétiens est de plus en plus restreinte et devient de la part des
éditeurs une forme d’apostolat.
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française