mardi 5 août 2025

 


Thabor et Hiroshima,

deux lumières et deux royaumes


Un article de : Prof. Neculai Gheorghe - 05 août 2025

Le 6 août n'est pas une simple date calendaire, mais un seuil entre deux mondes. C'est le pont entre la gloire incréée et l'effondrement de la création dans l'abîme de l'autodestruction. D'un côté, nous avons le Thabor, le lieu où la nature humaine a été élevée à la vue de la gloire divine. De l'autre, Hiroshima, le champ de cendres d'une humanité qui a choisi d'ignorer l'image de Dieu et de devenir, de son plein gré, le bourreau de son prochain.


Sur le Thabor, trois pêcheurs galiléens voient, pour la première fois, la gloire qui donne la vie. Ils sont effrayés, émerveillés, ils tombent face contre terre. Mais ils ne meurent pas, car la Lumière du Christ ne tue pas. Ce n'est pas un feu qui brûle brutalement, mais une douce flamme qui illumine le mystère de la nature. C'est la gloire dont Moïse a également parlé lorsque son visage a rayonné après s'être tenu devant le Seigneur. C'est ce même Feu qu'Élie a reconnu, non pas dans le tremblement de terre, ni dans le vent, ni dans le feu déchaîné, mais dans la « douce brise ».

Sur le Thabor, la Lumière de Dieu n'est pas un accident, mais un acte pédagogique. Le Christ se révèle autant que l'homme peut le recevoir, le supporter et le comprendre. C'est une découverte progressive, douce et spontanée. Cette lumière n'est pas « fonctionnelle » ; elle n'a aucune utilité biologique. Elle ne réchauffe pas le corps, mais éveille l'âme. Elle ne dynamise pas le sang, mais lave le cœur. Elle est le début de la vision spirituelle, la pierre angulaire de la vie en Christ.

6 août 1945 - Un jour où la Lumière a été moquée

Ce même jour, des siècles plus tard, devient le théâtre du plus terrible blasphème de l'homme contre la vie. À l'aube du 6 août 1945, du ciel pur du Japon surgit une autre lumière – non pas de Dieu, mais des profondeurs de la perdition. Une « lumière » conçue en laboratoire, fabriquée selon de froides formules scientifiques, mais née d'un cœur dépourvu de Dieu. C'était la lumière de la haine, de l'orgueil luciférien, du désir de dominer, de vaincre à tout prix.

La bombe larguée sur Hiroshima n'était pas seulement un objet technologique. Cyniquement surnommée « Petit Garçon », elle est descendue du ciel non pas pour transfigurer, mais pour détruire.

C'était l'expression d'un esprit déchu. En 43 secondes, le ciel et la terre s'étreignirent, non pas dans la prière, mais dans l'agonie. En un instant, des dizaines de milliers de personnes furent réduites en poussière. Une poussière sans tombe, sans prière, sans bougie, sans miséricorde, sans pardon, sans temps pour la prière, sans temps pour le repentir.

Leurs ombres, imprimées sur les murs, sont comme l'écho silencieux d'un cri de désespoir : « Pourquoi ? » Ces silhouettes noircies sur les murs semblent être les sombres icônes d'un monde qui a perdu son âme. Ce ne sont pas les visages de saints, mais les ombres d'innocents.

Nagasaki : la croix des justes dans un monde injuste

Trois jours après Hiroshima, le 9 août, une autre ville, Nagasaki, fut frappée. L'ironie tragique est que Nagasaki était la ville la plus chrétienne du Japon. On y trouvait des églises, des communautés de martyrs, des croyants secrètement persécutés depuis des siècles.

Il y avait aussi la cathédrale catholique d'Urakami, où de nombreuses personnes priaient au moment de l'explosion. La bombe atomique a détruit l'église et tué des dizaines de milliers de personnes, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées.

Où est Dieu face à une telle horreur ? C'est la question que beaucoup se posent. Mais Dieu était là – non pas dans le feu meurtrier, mais dans ceux qui sont morts en pardonnant. Il était dans la figure de cire d'un prêtre qui, bien que blessé, tenait fermement un Évangile calciné dans ses mains.

Anti-Camp : Quand l'homme invente sa propre « transfiguration »

Cette coïncidence n'est pas fortuite pour celui qui regarde l'histoire avec foi. C'est un signe. C'est un appel à la réflexion. Deux « apparitions » le même jour : l'une divine, l'autre démoniaque. L'une sur une montagne, l'autre dans un précipice. L'une née de l'amour, l'autre de la haine et de la peur.

Si le Thabor est le lieu où l'homme est appelé à voir ce qu'il peut devenir en Dieu, Hiroshima est le contre-Thabor, le lieu où l'homme a vu ce qu'il devient sans Dieu. La Transfiguration sur la montagne est l'œuvre de la grâce. La « Transfiguration » d'Hiroshima est l'œuvre du feu atomique, d'une science détachée de l'éthique, de l'humilité, de la miséricorde.

Paradoxalement, là aussi, il y eut un « spectacle » – non pas de gloire, mais d'enfer. C'était un enfer visible, palpable, mesurable en kilotonnes et en radiations. Un enfer sans démons cornus comme dans les films d'horreur, mais peuplé d'esprits brillants, mais spirituellement aveugles. Si sur le Golgotha le Christ se sacrifie pour le monde, à Hiroshima, le monde est sacrifié au nom d'une paix imposée par la terreur. Tabor et Hiroshima ne sont pas que deux points sur une carte. Il y a deux chemins. Deux choix. Tabor est la révélation du paradis. Hiroshima – l'effondrement en enfer. Sur Tabor, l'homme est illuminé de l'intérieur. Sur Hiroshima, l'homme est anéanti de l'extérieur, par le feu. Sur Tabor, l'homme grimpe, prie, voit, se tait. Sur Hiroshima, l'homme tombe, court, crie, disparaît. Sur Tabor, la lumière est donnée par amour. Sur Hiroshima, la lumière frappe par châtiment.

Lumière et feu - signes d'un choix

Le monde dans lequel nous vivons est rempli de signes, de repères. Dieu ne s'impose jamais par la force, mais nous propose, nous laisse des signes, des traces, des choix. Tabor et Hiroshima ne sont pas seulement deux lieux et deux moments. Ce sont deux vocations, deux destinations, deux façons de vivre.

Chacun de nous est appelé à gravir la montagne de la vie et à voir la Lumière – cette lumière que les saints portent dans leur regard, les ermites dans leurs prières, les enfants dans leurs yeux et les martyrs dans leurs larmes. Mais, en même temps, le feu d'Hiroshima rôde en chacun de nous : la colère, le désir de contrôle, la volonté de puissance, le mépris de la vie, le manque d'amour du prochain, comme le dit aussi la prière de saint Éphrem le Syrien.

Et alors le choix devient terriblement personnel : dans chaque pensée, dans chaque geste, dans chaque décision, l’homme choisit entre la Lumière du Thabor et le feu d’Hiroshima.

Car entre le Mont de la Transfiguration et la ville réduite en cendres, le choix n'est pas historique, mais intérieur. Chaque jour, nous pouvons gravir le Thabor par la prière, la miséricorde, le pardon, le repentir. Ou nous pouvons ramener Hiroshima autour de nous par la haine, le mépris, la manipulation, le manque d'amour, le ressentiment.

Ombres et Lumière : une théologie de la mémoire

On pourrait se demander : « À quoi bon relier deux événements si différents ? Quel lien peut-il y avoir entre la gloire du Christ et les souffrances d'Hiroshima ? » Mais la théologie ne se résume pas à des dogmes ; c'est aussi la mission de voir l'histoire à la lumière de Dieu. Et la mémoire n'est pas seulement une archive, mais un appel à la conscience.

Les ombres sur les murs d'Hiroshima, les visages désincarnés de ceux qui ont été brûlés en quelques secondes, sont un témoignage mystérieux. Elles nous rappellent que là où l'homme bannit Dieu, naît la mort. Là où cesse la prière, commencent les froids calculs de destruction. Là où disparaît le visage du frère, apparaissent la guerre, la famine, le génocide.

La science sans Dieu - un abîme au sourire d'ange

Tabor nous enseigne que la véritable connaissance est la rencontre avec Dieu. Et cette connaissance ne tue pas, mais vivifie. Elle ne brûle pas, mais illumine. Elle ne produit pas d'explosions, mais dompte les cœurs. Sans cette rencontre, toute connaissance devient dangereuse. Et l'incendie d'Hiroshima témoigne que l'homme, livré à sa propre raison, peut construire l'enfer le sourire aux lèvres.

Aucune obscurité n'est assez profonde pour éteindre la Lumière. Le Christ, apparu dans la lumière du Thabor, descend dans tous les abîmes de l'humanité. Non pas pour punir, mais pour sauver. Non pas pour tenir compte du péché, mais pour chercher la larme du repentir.

Si nous ne tirons pas les leçons de l'histoire, nous la répéterons. Et le prochain « Hiroshima » ne sera pas seulement une ville, mais peut-être le monde entier. Qu'est-ce que la bombe atomique, sinon le fruit d'une science séparée de Dieu ? L'esprit humain, privé d'âme, de morale, finit par construire les instruments de la fin du monde.

Le problème n'est pas la science, mais la science sans éthique. La connaissance sans la crainte de Dieu. L'intelligence sans amour.

La science moderne, lorsqu'elle n'est pas sanctifiée, devient destructrice. Et pas seulement au sens nucléaire du terme. Combien de « bombes » spirituelles explosent aujourd'hui par le biais d'idéologies, de manipulations et de relativisme moral ?

Et aujourd'hui, on fabrique des « bombes » – pas seulement nucléaires, mais idéologiques et spirituelles. Le relativisme moral, la légalisation de l'avortement, la propagande contre la famille, l'idéologie du genre : autant de formes modernes d'Hiroshima. Des explosions dans le cœur des gens. Une déshumanisation au nom du « progrès ».

Tabor - le début d'une anthropologie rachetée

La Transfiguration du Seigneur n'est pas un simple épisode de la vie terrestre du Christ. C'est une révélation de ce qu'est véritablement l'homme. Si Adam a été créé à l'image de Dieu, alors le Christ, le Nouvel Adam, nous montre quelle est cette ressemblance : l'homme déifié, l'homme transfiguré, l'homme rayonnant de grâce.

Le Thabor n'est pas seulement une anticipation de la Résurrection, mais aussi une réponse à la peur de la mort. Si le corps peut briller de lumière, cela signifie qu'il n'est pas condamné à périr. Si les yeux peuvent voir la gloire incréée, cela signifie qu'ils ne sont pas faits uniquement pour ce siècle. Le Thabor devient ainsi l'acte de naissance de l'homme restauré.

À l'inverse, Hiroshima nous montre l'homme déchu, l'homme réduit à la biologie, l'homme sans âme. Tandis que sur le Thabor, les disciples, effrayés, ne savent plus quoi dire, à Hiroshima, plus personne ne peut rien dire. Si sur le Thabor, la voix du Père perce le nuage : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », à Hiroshima, le ciel est silencieux. Ou peut-être parle-t-il par le silence, attendant que l'homme l'entende à nouveau.

Appel à la métanoïa : entre prière et pénitence

Chaque 6 août, l'Église nous appelle à revenir au Thabor. Non seulement liturgiquement, mais existentiellement. Nous sommes appelés à redécouvrir le sens de la vie, la sainteté du corps, la gloire de la prière. Mais le 6 août est aussi un jour de deuil. De réflexion. D'assomption. Le Thabor n'est pas seulement un souvenir, mais un appel. Une invitation à l'ascension. Un voyage. Et si grandes que soient les ombres d'Hiroshima, elles ne peuvent occulter la Lumière incréée. Car la Lumière est venue dans le monde, et les ténèbres ne l'ont pas comprise.

Un soupir et un espoir

Tabor et Hiroshima. Deux hauteurs. L'une de grâce, l'autre de douleur. L'une chargée de nuages lumineux, l'autre de nuages de fumée et de cendres. L'une où Dieu se révèle, l'autre où l'homme se cache. Et pourtant, entre elles, il n'y a pas d'abîme infranchissable, mais un pont. Ce pont, c'est la liberté de l'homme. Son choix. Son cœur.

Rien n'est perdu tant que l'homme se retourne. Tant qu'il s'agenouille. Tant qu'il dit : « Seigneur, aie pitié ! » Car Dieu, même face à Hiroshima, ne détourne pas son visage. Il pleure avec ceux qui pleurent. Il embrasse ceux qui sont brûlés, ceux qui sont oubliés, ceux qui sont broyés par le feu. Et il leur dit, en secret, ce qu'il a dit aussi à ses disciples : « N'ayez pas peur ! »

Sur le Thabor, les disciples ne disent rien. Seul Pierre murmure quelque chose à propos de cabanes. Devant la Lumière, plus de jugement, plus de commentaire, plus de questionnement. On se tait. On voit. On adore. Telle est l'essence de la vie chrétienne : gravir la montagne de la vision. Chaque messe est un Thabor. Chaque sacrement de confession sincère est une lumière. Chaque pardon accordé est un rayon qui surmonte les ténèbres. N'ayons pas peur de l'ascension. N'ayons pas peur de l'ascèse. Seuls ceux qui grimpent peuvent voir. Seuls ceux qui endurent peuvent recevoir la Lumière. Chaque homme porte en lui un Thabor et un Hiroshima. Un lieu où il prie et un lieu où il maudit. Un coin de lumière et un coin de feu destructeur. Là où nous plaçons nos pensées, là naîtront la lumière ou les ténèbres. Si le cœur est pur, il verra Dieu (Matthieu 5, 8). S'il est rempli de haine, il ne verra que les ombres des murs brûlés.

 Source : Ziarul Lumina