PETITE
HISTOIRE DU
Aux premiers temps du christianisme, les fidèles de Jésus continuaient d'observer les pratiques religieuses juives, le repos du sabbat, la prière au Temple.
Ils constituèrent cependant une communauté de culte, qui se marquait par la cérémonie du baptême, donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, suivie d'une profession de foi. S'ils célébraient encore les grandes fêtes de la religion juive, la Pâque, la Pentecôte, ils leur donnaient une signification nouvelle : il ne s'agissait plus seulement du rappel des événements de l'Ancien Testament, mais aussi de la commémoration de la passion et de la résurrection du Christ, et de la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. Les premiers chrétiens suivaient les dates des fêtes juives. Puis des interrogations se firent jour : devait-on garder, pour la fête chrétienne de Pâques, la date et les rites de la Pâque juive ? Jusqu'au 4ème siècle, les différentes Eglises hésitèrent. Dans les Eglises d'Asie Mineure, certaines rejetèrent, d'autres gardèrent le rite de l'agneau pascal. L'Eglise d'Antioche s'en rapporta à la détermination juive pour fixer la résurrection au dimanche qui suivait la Pâque juive, tandis que les chrétiens d'Alexandrie se livrèrent à de savants calculs astronomiques et placèrent Pâques après l'équinoxe de printemps.
Bien que célébrée à des dates différentes, la fête de Pâques est pour toute
Eglise chrétienne la fête des fêtes, celle sur laquelle se base la foi, et elle
est précédée d'une longue préparation : le carême, ou " quarantaine
", en souvenir des quarante jours passés par Jésus dans le désert.
La pratique du carême remonte aux premiers siècles du christianisme, mais a
subi beaucoup de fluctuations. Il semble établi qu'au second siècle, au temps
de saint Irénée, évêque de Lyon, ce jeûne était très court, un ou deux jours,
sans prendre aucune nourriture. A Alexandrie, au milieu du 3ème siècle, on
jeûnait toute la Semaine sainte. Les premières traces du carême ou quarantaine
se trouvent au 4ème siècle, dans un canon du concile de Nicée. Ce temps était
dévolu à la préparation de la fête, mais surtout à celle des catéchumènes, qui
étaient baptisés à Pâques. A la fin du 4ème siècle, l'Eglise de Jérusalem
respectait les quarante jours de jeûne par un carême de huit semaines, pendant
lesquelles on ne jeûnait ni le samedi ni le dimanche. A la même époque, en
Egypte, et au 5ème siècle à Rome, puis en Gaule, on jeûnait le samedi, et le
carême était de six semaines. Pendant toute cette période, les fidèles ne
prenaient qu'un repas par jour, composé de pain, de légumes, et d'eau, certains
se contentaient simplement de pain et d'eau. Pendant la Semaine sainte,
l'abstinence était plus rigoureuse encore : le Vendredi saint et le Samedi, on
ne prenait aucune nourriture. Selon les Eglises, l'heure de ce repas différait.
Comme le carême de six semaines ne correspondait pas à quarante jours, on
avança, au 7ème siècle, au mercredi de la semaine précédente, le mercredi des
Cendres actuel, le premier jour d'abstinence. En même temps, les trois
dimanches précédant le Carême, la Septuagésime, la Sexagésime et la
Quinquagésime, furent inclus dans la préparation de Pâques, qui commençait
ainsi neuf semaines avant la fête. C'était beaucoup exiger et, petit à petit,
l'abstinence perdit de sa rigueur. L'obligation de ne manger que le soir était
maintenue, mais dès le 8ème siècle, on permit à certaines personnes délicates
et fragiles de prendre œufs, laitages, poisson et même vin. Au 12ème siècle, le
repas fut avancé à trois heures puis à midi, au 13ème siècle. S'ensuivit donc,
autorisée, une " collation du soir ". Au 17ème siècle, la discipline
du jeûne s'adoucit encore et les théologiens autorisèrent les potages, les
laitages et les petits poissons. Les cuisiniers rivalisèrent d'ingéniosité pour
proposer aux tables royales des menus tout aussi copieux que d'ordinaire, en
trouvant des arrangements avec les ordonnances de la religion.
Depuis 1949, l'Eglise catholique ne prescrit le jeûne que le mercredi des
Cendres et le Vendredi saint. Deux jours de célébration de la mort : le rappel
de notre propre mort à venir, puisque le jour du mercredi des Cendres le prêtre
officiant bénit les cendres des rameaux de l'année précédente et trace avec
elles sur le front de chaque assistant une croix en lui rappelant que
"l'homme est poussière et retournera en poussière ", et le Vendredi
saint, anniversaire de la mort de Jésus sur la croix.
Dans la liturgie orthodoxe, une préparation à l'entrée en carême se déroule
pendant cinq dimanches consécutifs, chacun d'eux étant consacré, avec un
évangile particulier, à un aspect fondamental du repentir. Pendant la quatrième
semaine, l'abstinence de viande est prescrite par l'Eglise. Le cinquième
dimanche est appelé dimanche du Pardon, chacun demande pardon à son voisin
avant que tous demandent ensemble pardon à Dieu.
" L'impression générale des offices est celle d'une " radieuse
tristesse ". Quelqu'un qui, même avec une connaissance réduite de la vie
liturgique, entrerait à l'église durant un des offices de Carême, comprendrait
presque tout de suite, j'en suis sûr, cette expression assez paradoxale. D'une
part, une sorte de calme tristesse imprègne l'office, les vêtements sont de
couleur sombre, les offices sont plus longs et plus monotones qu'à l'ordinaire,
il n'y a presque pas de mouvement. Puis la monotonie et la tristesse de
l'office prennent pour nous une toute autre signification. Une beauté
intérieure les illumine, comme un rayon de soleil matinal qui commence à
éclairer la cime de la montagne, alors que la vallée est encore plongée dans
l'obscurité. Cette joie secrète et douce nous est communiquée par les longs
alleluia et par toute la tonalité des offices de Carême. Ce qui nous paraissait
d'abord monotonie s'avère à présent être la paix "
(Alexandre Schmemann, Le
Grand Carême).
Le temps du carême n'est pas consacré au souvenir de la Passion, ce n'est qu'à
partir du dimanche des Rameaux, qui ouvre la Semaine sainte, que les textes
rappellent la fin du Christ sur la terre et sa résurrection.
" Le carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques, la
"Fête des fêtes " " (Alexandre Schmemann, op. cit. ).