OBÉISSANCE ET BÉNÉDICTION
DANS LA SPIRITUALITÉ ORTHODOXE
16/11/15
Parler de l’Obéissance n’est certes pas un sujet facile. En « Vivre » est encore plus difficile.
Le mot « obéissance » est loin d’être à la mode. Notre esprit le
teinte d’un arrière-fond d’asservissement ou de rapport infantile à l’autorité.
Dans toute tradition spirituelle authentique, et la spiritualité orthodoxe en
fait partie puisqu’elle signifie qu’elle s’exerce selon « la voie
droite », la vraie obéissance ne consiste pas à obéir servilement mais à
bien écouter pour bien répondre, pour agir de manière libre et responsable.
Il faut se souvenir que le mot « obéir » vient du latin « oboedire » qui signifie « écouter » et le même mot en langue hébraïque se dit « NICHMAa » et veut dire : « qu’est-ce qui a été entendu ? » (implicitement, par moi !). Il s’agit donc d’écouter Dieu pour mieux répondre à ce qu’Il attend de nous, d’être à l’écoute des personnes que l’on rencontre et des évènements qui surviennent afin de mieux leur être présent, d’écouter ses propres aspirations, ses idéaux et ses besoins, ses forces et ses faiblesses afin de ne pas passer à coté de ce pour quoi l’on est fait, d’avoir les oreilles et le cœur ouverts afin de grandir en vérité.
Par ailleurs, et ceci est probablement le plus important à retenir, la véritable obéissance ne peut se vivre que dans l’Amour et pour l’Amour, autant du coté de celui qui doit obéir que de celui qui invite à l’obéissance. Ainsi vécue, cette vertu apportera aux différents acteurs de cette aventure le grand bénéfice de la liberté. Liberté qui correspond bien à notre spiritualité orthodoxe.
Afin de vivre au mieux ce que je viens d’exprimer il nous faut trouver des références, des repères, des modèles. Car notre nature déchue ne favorise pas en nous une obéissance spontanée… Puisque nous sommes chrétiens, ou plus exactement que nous essayons de l’être ! Personne d’entre vous ne sera surpris si je propose le Christ Jésus comme le premier, et le seul, parfait modèle d’obéissance.
En effet, à la suite à une décision synodale trinitaire, il a été demandé au Fils de Dieu, deuxième personne de la Sainte Trinité, de venir sur notre terre en s’incarnant dans le sein de Marie, et ce, pour nous sauver. C’est donc par obéissance que le Christ agit mais cette obéissance est mue par l’amour qu’Il porte au Père et à l’Esprit, et aussi, ce qui n’est pas négligeable, par amour pour nous tous, hommes et femmes de cette terre.
À cause de cet Amour tout, en Jésus, est ordonné à la volonté de Dieu ;
faire celle-ci est sa nourriture et sa vie. En conséquence il se montre
obéissant à tout ce qui manifeste cette volonté : la loi juive, ses
parents, les autorités, etc. – mais avec liberté !
Un premier exemple nous est donné lorsque ses parents revinrent le chercher dans
le Temple de Jérusalem où Il discutait avec les docteurs de la loi. En réponse
à l’obéissance qu’attendaient légitimement Marie et Joseph Jésus
déclara : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne
saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? » (Lc 2,
48-49). Tout se trouve en germe : sa conscience filiale, sa consécration
absolue aux affaires de son Père céleste, la subordination de tout lien humain
à son dessein.
Sa mission rédemptrice est conçue comme une obéissance au Père, comme
l’exécution d’une disposition divine. Cette mission commencera par le début de
sa vie publique au moment de son baptême par Jean. La note d’obéissance s’y
trouve dans la parole assez énigmatique de Jésus : « Laisse
faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute
justice » (Mt 3, 15), c’est-à-dire se soumettre ensemble au dessein de
Dieu.
Il faut souligner que Jésus n’était pas un « illuminé » au sens
péjoratif du terme. Il obéit à la volonté de Dieu transmise par la Bible, par
ceux qui détiennent l’autorité légitime, religieuse ou politique, par les
institutions juives, etc., auxquelles il acquiesce sans résister même quand
elles agissent injustement.
Il convient aussi de souligner que l’attitude du Christ vis-à-vis de la loi
juive est très nuancée. Il y est soumis en général et, en même temps, il est
très critique à l’égard des tendances légalistes et pointilleuses vécues au nom
d’une tradition juive (tradition des hommes) que Jésus refuse de mettre au même
niveau que la loi de Moïse. Il fait preuve d’une certaine liberté par rapport
aux usages. Jésus rappelle la hiérarchie des préceptes, la primauté du précepte
de l’Amour. Il n’est pas un trublion par principe mais il se présente des cas
où Il lui est impossible d’éviter la confrontation : par exemple la
question du sabbat et celle des rites de purification… Ce qui compte avant tout
pour le Seigneur c’est de vivre dans l’amour de tous les hommes et d’être le
reflet de la bonté du Père.
Comme je l’ai évoqué au début de mon exposé cet amour du Christ Le conduit à
vivre dans l’obéissance absolue au Père. Je pourrais citer de nombreux passages
de l’Évangile qui en témoignent. Je ne vous proposerai que quelques
citations de sain Jean :
« Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et
d’accomplir son œuvre » (Jn 4,34).
« Que le monde sache que j’aime mon Père et que j’agis conformément à ce
que le Père m’a prescrit » (Jn 14, 31).
« J’ai gardé le commandement de mon Père et je demeure en son amour »
(Jn 15 ,10).
On le voit très clairement chez le Christ l’amour du Père est intimement lié à
l’obéissance. Cette attitude qui scande la vie du Seigneur va le mener à l’acte
suprême du salut du monde. Pour saint Paul, tout le drame de l’histoire du
salut se ramène à une question d’obéissance envers Dieu : « De même
que par la désobéissance d’un seul homme, Adam, la multitude a été rendue
pécheresse, de même aussi par l’obéissance d’un seul, le Christ, la multitude
sera-t-telle rendue juste » (Rm 5, 19) .
Voyons comment se concrétise cette obéissance du Christ qui nous apporte le
salut, qui nous rend justes ! C’est encore saint Paul qui nous apporte la
réponse dans l’épître aux Philippiens : « Lui, de condition divine,
ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais Il s’anéantit
lui-même, prenant la condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes.
S’étant comporté comme un homme, Il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la
mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l’a-t-Il exalté et lui
a-t-il donné le Nom qui est au dessus de tout nom » (Ph 2, 6-9). Et nous
revivons chaque année pendant la semaine sainte lors des lectures sur la
Passion du Christ ce que saint Paula résumé ici en quelques mots Ce qui
pourrait paraître à nos yeux comme pur masochisme est en fait la réalisation
concrète de l’amour de notre Dieu, Jésus, dans l’obéissance totale à la
décision trinitaire dont j’ai parlé en premier lieu. Le Seigneur veut
nous faire comprendre, non par des mots, mais par son expérience, combien nous
sommes aimés par Celui qui nous a créés.
Non seulement Il va vivre une souffrance terrible, se sentant rejeté par ceux
qu’Il aime mais cette souffrance va le mener jusqu’à la croix, et tout ce qui
aura précédé… et ce qui précède la croix n’est pas rien ! Il y a les
critiques méchantes des pharisiens, les moqueries, les incompréhensions de
l’entourage, etc. Puis tout se précipite : Jésus se rend avec ses
apôtres à Gethsémani, Il se met à l’écart pour prier et la peur, la vraie peur
humaine L’envahit au point que sa sueur se mêle de sang et qu’Il
s’écrie : « Si c’est possible que cette coupe s’éloigne de
moi ! » Il est en plein désespoir. Mais il ajoute
aussitôt : « Cependant, non pas ma volonté mais ta
volonté ». Voilà l’un des moments clés du mystère du salut.
Le second moment lui sera fort semblable, lorsque sur la croix Il
s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné ? » On dira que Jésus récite le début d’un psaume.
C’est vrai. Mais on oublie que c’est avant tout le cri d’un homme, du
psalmiste, du Christ Lui-même, face à cette horrible souffrance. Nous sommes de
nouveau face au désespoir du Seigneur. Mais, là encore, Il manifestera aussitôt
son abandon volontaire au Père en prononçant ces paroles
salvatrices : « Père, je remets mon esprit entre tes
mains ». L’obéissance de Jésus est alors totalement accomplie. Et nous
devons garder ces paroles comme un véritable trésor où nous pouvons aller
puiser à chaque fois qu’il est nécessaire.
« La kénose de la divinité, son abaissement qui atteint là pour ainsi dire
à l’anéantissement – affirme le père Serge Boulgakov – est si profonde que
l’abîme de la mort s’ouvre devant le Dieu‑Homme, avec les ténèbres du non-être,
dans toute l’intensité de l’abandon par Dieu. Le gouffre vertigineux du néant
de la créature bée pour le Créateur Lui-même. Et la haute plainte sur la croix
exprime l’extrémité dernière de cette dévastation de la Divinité, épuisée,
crucifiée… Son cri expirant est alors remplacé par l’invocation au Père, qui
est l’issue de la kénose : “Père, je remets mon esprit entre tes mains”,
puis la parole qui clôt tout cela : “C’est accompli” ». Du Verbe
incarné.
Le Seigneur Jésus avait enseigné que personne n’a de plus grand amour que celui
qui donne sa vie pour ses amis. Lui, la Vie, donnait tout de Lui-même. Il était
la plus belle expression, le sommet, de l’amour. Il aimait comme Dieu seul peut
le faire ! D’un amour grand comme Dieu même. Et cet amour se réalise dans
une obéissance parfaite ! Le jésuite Emile Meersch écrivait ceci :
« Ce rédempteur est le Christ dans l’acte suprême de son amour, le Christ
dans l’acte où il éclate d’amour en quelque sorte, pour être toute OBÉISSANCE
au Père et toute oblation aux hommes ».
Vous l’aurez compris aisément, dans ces quelques lignes j’ai voulu mettre en
évidence que pour le Christ, modèle parfait, amour et obéissance se
compénétraient au point d’être indispensablement liés. J’ai voulu aussi que
nous allions à l’essentiel pour réfléchir sur ce thème délicat de l’obéissance
dans la tradition orthodoxe. Certes le modèle de Jésus comme parfait obéissant
est inatteignable pour aucun d’entre nous. Mais ma proposition est d’ouvrir le
coffre pour que nous puissions puiser, même un tout petit peu, dans le trésor
qu’il contient.
En effet, si l’on veut être honnête, l’obéissance chrétienne est plus que
difficile pour l’homme que nous sommes. Je ne parle pas ici de ces petites
obéissances accomplies aisément, ces petits services qui sont à notre portée et
qui, en définitive, ne présentent pas de difficultés dans leur réalisation.
J’exclus aussi ce que j’appellerai « l’obéissance organisationnelle »
que l’on trouve dans diverses institutions sociales, professionnelles ou
militaires, encore que l’on puisse vivre celle-ci chrétiennement… Non je veux
fondamentalement parler de l’obéissance qui nous libère de la mort et du
péché ! Je veux donc parler aussi de liberté. Le Christ nous dit :
« Si vous demeurez dans ma parole – si vous obéissez à ma parole – vous
êtes vraiment mes disciples. Vous connaitrez la vérité et la vérité vous rendra
libres » (Jn8, 31). Mais cette vérité dont Il parle n’est pas une
réalité philosophique ! La vérité c’est Lui-même et c’est en essayant de
Le suivre sur le chemin de l’obéissance que nous deviendrons libres.
Il n’en demeure pas moins qu’obéir est souvent à la limite du possible si l’on
veut le faire seul, par soi-même. C’est sans aucun doute le premier piège à
éviter ! La prière humble et sincère est certainement le premier moyen à
utiliser pour obtenir le secours de Dieu et une plus grande facilité à obéir.
Compte tenu de tout ce que je vous ai décrit précédemment, c’est avant tout
vers le Christ qu’il faut se tourner. Mais nous pouvons demander l’intercession
de saints et de saintes qui nous ont précédés dans la foi et qui connaissent
d’expérience la vie sur cette terre… Par ailleurs s’adresser aux saints, c’est
faire preuve d’humilité devant Dieu vers qui nous n’osons pas nous tourner
directement en raison de nos faiblesses… Puisque nous parlons des saints, il me
semble que lire ou relire leurs vies, lorsqu’elles sont bien écrites, avec
authenticité et inspiration, peut nous encourager à vivre telle ou telle
situation délicate voir désespérante… Il y a quelques années, dans une période
de tribulation et de doute face à une situation où seule l’obéissance était la
vraie solution, j’ai connu quelqu’un qui a lu avec grand bénéfice la vie de
saint Nectaire d’Égine et qui a retrouvé la paix du cœur.
Une autre possibilité, en cas de nécessité, est d’aller trouver son père
spirituel et de lui demander conseil. Cela peut se faire avec son confesseur ou
tout simplement avec l’aide d’un ami avancé dans la vie spirituelle. Et lorsque
la situation est trop lourde allons tout simplement par la pensée auprès du
Seigneur en relisant le passage relatant sa prière à Gethsémani et demandons
lui humblement secours… Il ne faut pas hésiter à revenir, dans une prière
insistante, lorsque l’obéissance nous semble trop impossible. Dieu et les
saints aiment que nous soyons têtus avec eux !
Puisque nous parlons de l’obéissance dans la spiritualité orthodoxe, il est
difficile d’éviter de méditer sur l’obéissance monastique. Or le moyen par
excellence dont dispose le moine pour vivre selon Dieu c’est
l’obéissance ! Nos pères sont unanimes : c’est avant tout par
l’obéissance que le novice apprend (et il apprendra toute sa vie…) à devenir
moine. C’est le Christ qui nous appelle à la vie monastique. Et celui ou celle
qui répond ne peut le faire que parce que le Seigneur Jésus l’a séduit dans son
âme par son amour : « C’est pourquoi je vais la séduire, la conduire
au désert et parler à son cœur » (Os 2, 16). Cet amour infini de Dieu se
manifestera de manière particulière pour chaque personne et dans un respect
total de celle-ci. Et c’est la délicate attention du Seigneur qui engendrera un
désir profond de donner suite à cet appel, qui sera une première expérience de
l’obéissance…
Ainsi avec le secours de la grâce de l’Esprit Saint, le moine acceptera
« d’enchaîner » ses passions et sa volonté propre et sera disposé à
répondre « qu’il me soit fait selon ta parole », selon le parfait
modèle de la Mère de Dieu. Mais « comment cela se fera-t-il ? ».
Cette question posée par Marie à l’archange Gabriel, nous pouvons aussi la
formuler. La réponse est connue : c’est par l’action de l’Esprit Saint
qu’il nous sera possible de concrétiser notre « oui » au Seigneur. En
effet le novice qui pense pouvoir réaliser ce don de lui-même par ses propres
forces et sa propre volonté risque fort d’être déçu et, plus grave encore, de
tomber dans le gouffre de l’orgueil où le démon l’aura poussé.
Je vous parle de la vie monastique parce qu’il n’est pas si difficile de
transposer cette façon de vivre l’obéissance dans un autre contexte, comme par
exemple le mariage : les formes d’engagement sont différentes mais les
moyens sont assez proches à quelques nuances près. Par ailleurs la vie dans
l’Orthodoxie a toujours été teintée d’une certaine coloration monastique tant
dans l’organisation de sa vie liturgique que de sa vie ecclésiale. Mais là
aussi avec des nuances. Et dans tous les cas de figures il ne s’agit jamais de
« copier » une situation. Il n’y a rien de plus risqué que de vouloir
vivre en moine alors que l’on est marié… : c’est le meilleur moyen pour
aller vers la catastrophe…
La vie monastique est simple. Mais sans l’exercice de l’obéissance elle n’est
rien ! Et je ne connais personne qui ait persévéré dans ce mode de vie
sans un désir réel d’être obéissant. C’est volontairement que je dis
« sans un désir », car rares sont ceux qui parviennent à l’obéissance
parfaite. Mais ceux qui y aspirent profondément se trouvent sur la bonne voie.
L’expérience nous le fait comprendre : l’obéissance libère ! Mais de
quoi libère-t-elle ? De l’orgueil qui réside en nous, constituant la
racine profonde de toutes nos fautes. Par exemple : nous avons une
tendance naturelle à l’égoïsme, nous nous replions sur nous-mêmes, nous voulons
avoir raison en exerçant notre volonté propre… En acceptant l’autorité du père
spirituel, en s’efforçant d’obéir à la demande de nos frères et en accueillant
les évènements comme des visites de Dieu, alors, progressivement, nos chaînes
tomberont et nous goûterons la paix intérieure… L’obéissance monastique a pour
seul but d’acquérir une plus grande liberté vis-à-vis de nos faiblesses et de
nos passions, et ainsi de vivre dans une plus grande intimité avec le Seigneur.
Les saints Pères nous parlent souvent de la prière et du jeûne, mais on
remarquera qu’ils donnent une place bien plus importante à l’obéissance :
« Tu peux prier beaucoup, tu peux jeûner souvent, mais si tu pratiques
tout cela sans obéissance tu perds ton temps et tu tomberas dans
l’orgueil ».
L’obéissance véritable demande une très grande humilité. Elle s’acquiert au
long d’un combat sans cesse renouvelé – et qui peut durer toute une vie… Plus
le moine est conscient de son péché, plus il devient capable de se déposer aux
pieds du Christ pour demander son secours, et plus il lui sera aisé de
s’abandonner dans l’obéissance : ainsi, progressivement, il fera
l’acquisition de la vraie liberté… L’on comprend maintenant que l’obéissance
monastique est une « clé » qui ouvre la porte de la liberté
spirituelle, elle-même porteuse de paix et de joie de la part de Dieu.
Comme je l’ai déjà dit cette manière de vivre, si elle appartient au
monachisme, peut aussi s’appliquer, et s’applique souvent, dans le cadre de la
vie familiale chrétienne et peut apporter beaucoup de vraie liberté à ceux qui,
avec la grâce de Dieu souhaitent s’y conformer. Nous devons aussi souligner que
l’obéissance ne doit pas être vécue comme une simple discipline, elle est plus
que cela car elle a à sa source un désir profond d’aimer ! D’aimer Dieu et
d’aimer son frère. Dans une communauté, celui qui aime son frère ou sa sœur
cherchera spontanément à faire sa volonté ce qui, bien souvent, nécessitera de
s’abaisser. Mais il est évident que sans humilité et sans obéissance dans le
quotidien banal, aucun d’entre nous ne saurait accomplir la volonté de Dieu au
moment où elle se manifestera…
Dans cette école qu’est le monastère le moine apprend à percevoir les pensées
et les souffrances de son frère dans un exercice concret d’obéissance à
celui-ci. Ainsi son cœur s’ouvre à une plus grande compassion, non seulement
envers les membres de sa communauté, mais aussi pour le monde entier avec
lequel il actualise un véritable lien ontologique, et l’amour du prochain lui
devient naturel. Saint Silouane en est sans aucun doute le modèle accompli. Sa
prière et ses larmes pour le monde ont contribué au salut du monde. Mais ceci
n’a été possible qu’en vertu d’une obéissance intense, profondément désirée et
exercée avec force. Ainsi ayant acquis une véritable liberté, il a pu aller
jusqu’à dire que l’amour des ennemis est le critère de la vraie foi !
Je terminerai sur ce sujet en disant que le Père Sophrony parle de l’obéissance
monastique comme d’un véritable sacrement. Ce qu’il suggère c’est que la
relation entre le père spirituel et le novice a un caractère sacré. En
enseignant le jeune moine, le staretz lui ouvre la possibilité de connaître la
volonté de Dieu sur lui, et ainsi de participer à la vie divine. C’est en ce
sens que l’on peut parler de sacrement.
Essayons maintenant de réfléchir à ce qu’est l’obéissance dans la vie de
l’Église.
Il est clair, selon ce que j’ai évoqué précédemment, que nous devons nous obéir
les uns aux autres ou, au moins, nous y efforcer. Ce n’est que la traduction du
commandement du Christ : « Aimez-vous les uns les autres ». Si
nous essayons de vivre cela nous sommes sur la bonne voie, la voie de l’unité.
Je voudrais citer ici les paroles du saint métropolite Wladimir, extraites de
son message lors de l’assemblée diocésaine de l’Exarchat en 1949 :
« Frères, gardons à l’esprit la sainte vérité concernant l’unité de
l’Église. Notre Seigneur Jésus-Christ a posé comme loi fondamentale de la vie
l’amour, en nous révélant par la bouche de son disciple bien-aimé que Dieu
Lui-même est Amour pur. Mais qu’est-ce que l’amour, si ce n’est l’unité
parfaite ? Devant sa mort salvatrice, le Seigneur n’a-t-Il pas prié pour
que nous soyons tous un, tout comme Il est un avec son Père ? (…) Dieu
nous enseigne que nous devons avoir une seule âme, un seul désir et un seul
sentiment, car nous sommes un en Christ… ».
Lorsque l’Église s’est organisée dans la mouvance du Saint Esprit, il a été mis
en place un mode hiérarchique de fonctionnement. La gestion spirituelle de la
communauté fut confiée à des anciens, des presbytres, des épiscopes dont
la mission fondamentale était de confirmer leurs frères dans la foi, de les y
faire grandir et d’être les garants de cette foi, comme le dit saint
Paul : « Ô Timothée, garde le dépôt… ». Il faut remarquer qu’à cette
période la distinction entre presbytres et épiscopes n’est pas clairement
définie. Il suffit pour cela de relire son épître à Tite (ch. 1, 5-9) pour nous
en convaincre. Ce sera plus tard, aux environs de l’an 110, comme le mentionne
le Père André Borrely dans son ouvrage de réflexion sur l’Église, que saint
Ignace d’Antioche nous parlera de l’importante place de l’évêque lorsque
disparurent les apôtres. La structure des Églises locales est à cette époque
fortement hiérarchisée. Désormais un « episkopos » unique se trouve à
la tête de chaque Église locale. Il est entouré d’un collège d’anciens
« le presbyterium » et il est assisté de diacres. (…) Chef de l’Église
locale, l’évêque visible est l’icône de l’Évêque invisible, le Christ, et
son représentant.
Mais il ne suffit pas d’avoir une Église bien structurée pour qu’elle
fonctionne parfaitement selon l’esprit du Christ. Toute l’histoire de l’Église
nous montre qu’au travers de chaque période de sa vie, la moindre petite
faille, que nous provoquons par nos faiblesses, permet au démon de s’engouffrer
avec force et violence dans le seul but de détruire ce que Dieu a mis en place.
C’est pour cette raison que la notion d’obéissance est capitale dans le bon
fonctionnement de l’Église. Obéissance humble, désirée et demandée dans une
prière intense par tous les membres de la communauté locale. Lorsque je parle
de l’obéissance par tous je veux dire par là que les fidèles, les prêtres, les
diacres, les évêques doivent tous s’efforcer de vivre de cette obéissance. Bien
sûr chacun à son niveau et selon ses responsabilités. Il y a quelques années un
laïc voulant me provoquer gentiment me dit : « Bien sûr tous les
membres de votre communauté doivent vous obéir, mais vous ? C’est facile
pour vous !... » Je lui répondis que la première partie de sa
remarque était juste mais non la seconde.
En effet je considère que l’attention d’amour que je dois porter à tous mes
frères et sœurs implique obligatoirement une obéissance à leur égard, je dois
les respecter dans leur histoire, leur cheminement, leur caractère, leur
faiblesse et leur sensibilité. Ceci va souvent à l’encontre de ce que je
souhaite mais me permet, avec la grâce de Dieu, de garder l’unité de la foi
dans l’amour. Contrairement à ce que cet homme croyait, c’est tous les jours
que j’obéis, et pas toujours avec facilité. Ceci sans parler de l’obéissance
que je dois à mon propre père spirituel, à mon archevêque et, bien sûr, au
Seigneur Jésus…
Je pense pouvoir dire, avec grand respect, que même notre patriarche
Bartholomée se doit d’expérimenter la même réalité ! Et je suis certain
que c’est ce qu’il vit, dans un quotidien qui ne doit pas être constitué
seulement de doux compliments et d’agréable vénération à son égard… Comme tout
évêque, il se doit tout à tous et, présidant à la charité, il doit résoudre
souvent des problèmes parfois cruciaux ! N’oublions pas que tout évêque,
fut-il patriarche, lorsqu’il est consacré, devient « comme un agneau qu’on
mène à l’abattoir », à l’image de Celui qu’il représente, le Christ Jésus
Lui-même. Comme nous le voyons, pour chacun d’entre nous l’obéissance est loin
d’être une vertu facile. Mais il nous faut souvent revenir sur cette phrase
prononcée par le Christ Jésus à l’intention de ses apôtres : « ce qui
est impossible à l’homme est possible à Dieu ».
Pour conserver notre unité, nous devons faire preuve d’obéissance envers
l’Église, envers nous tous, qui que nous soyons. « Quand nous obéissons à
l’Église, nous rappelle saint Porphyrios, c’est au Christ en personne que nous
obéissons. Le Christ veut que nous devenions un seul troupeau sous un seul
pasteur (…). Nous devons être en peine de l’Église. L’aimer beaucoup !
Nous sommes tous l’Église. » Vie et Paroles, p. 126..
Pour terminer sur ce thème de l’obéissance je ne résiste pas à l’idée de vous
rappeler l’histoire particulière du sacrifice d’Isaac et d’en tirer les
conclusions. C’est au moment où tout semble réussir dans la vie du patriarche
Abraham que Dieu veut éprouver la fidélité de son ami et sonder les sentiments
de son cœur. Nous dirions aujourd’hui : s’il est capable d’obéir !
Dieu lui demande non seulement d’accepter que son fils Lui soit offert mais
d’offrir lui-même en holocauste ce fils bien aimé, espoir unique de sa
vieillesse… Dieu demande à Abraham de coopérer librement à l’accomplissement de
sa volonté, même si son cœur de père doit en être crucifié, même si tout en lui
se révolte devant une action si cruellement inhumaine aux yeux de sa raison.
Pendant le voyage qui doit le mener au lieu de l’holocauste, Abraham offre à
Dieu un sacrifice vraiment intérieur en désirant exécuter sa volonté. Cet
holocauste intérieur est une totale obéissance ! Et Dieu attendait avant
tout cet holocauste intérieur du cœur et non la mort physique d’Isaac. On voit
très clairement ici que foi, obéissance et amour sont intimement liés. Que Dieu
nous donne la grâce de recevoir au moins une part de la vertu d’Abraham.
Je terminerai sur la notion de bénédiction dont il m’a été demandé de vous
parler.
Dans la tradition de notre Église, demander la bénédiction revêt un sens très
particulier, aisé à comprendre, mais que l’on oublie souvent. Le mot vient du
latin « benedictio », de « bene dicere », et signifie
l’action de bénir par la parole et/ou le geste. La signification du mot
« le fait de dire du bien » indique déjà les deux sens qui lui sont
habituellement connus :
1.synonyme de louange : une prière de bénédiction peut-être destinée à
remercier Dieu pour son aide et à Le louer ;
2.synonyme d’un bienfait demandé : ainsi un célébrant invoquera la
bienveillance divine sur un fidèle ou sur une assemblée.
Déjà dans l’Ancien Testament le mot bénédiction est utilisé fréquemment (67
fois) et très souvent par les patriarches qui bénissent leurs fils afin de leur
transmettre la bénédiction qu’ils ont eux-mêmes reçue de Dieu. Ce dernier
exemple est très clair et resitue bien le sens de la bénédiction.
Dans notre tradition c’est la réception et la transmission d’une grâce de Dieu
par l’intermédiaire de celui ou celle qui l’a reçu préalablement. En aucun cas
il s’agit d’une demande d’autorisation. Celle-ci peut-être demandée et accordée
dans le cadre de l’Église mais ne relève pas de la même réalité. La demande
d’autorisation à un caractère disciplinaire, qui a d’ailleurs sa place légitime
en toute circonstance, mais ne remplace pas la demande de bénédiction.
Ce qui veut dire qu’un moine qui demande à son père
spirituel : « Est-ce que vous bénissez que je sorte en ville
pour faire des courses ? » est une demande mal formulée. La bonne
demande serait : « Père bénissez-moi pour que je sorte en ville
pour… » Dans le premier cas il s’agit d’une demande d’autorisation plus ou
moins consciemment déguisée, dans le second il s’agit bien de ce que nous
entendons par bénédiction dans la tradition de l’Église.
Il est très important de souligner que celui ou celle qui demande une
bénédiction le fait en conscience et s’adresse à son père spirituel, à son
confesseur ou à son évêque afin que la demande formulée soit bien dans le but
de la réalisation de la volonté de Dieu. Et nous voilà revenu au thème de notre
réflexion première, à savoir l’obéissance ! En effet, vouloir
accomplir la volonté divine n’est autre que de chercher à obéir à Dieu,
serait-ce par les intermédiaires que Celui-ci s’est choisi. Et demander la
bénédiction à son évêque ou son père spirituel a bien pour finalité de réaliser
au mieux le désir divin.
J’aimerai conclure par une parole de saint Silouane l’Athonite. Je vais me
permettre de l’adapter une peu mais je suis certain qu’il ne m’en voudra pas.
Il parle du rôle du père spirituel et je me permets d’ajouter « ou de
l’évêque » car je considère que l’un des rôles importants de l’évêque est
d’être Père spirituel de son diocèse. Voici donc ce texte :
« Les prières d’un père spirituel, ou d’un évêque, ont une grande force.
J’ai beaucoup souffert de la part des démons à cause de mon orgueil mais le
Seigneur m’a rendu humble et a eu pitié de moi grâce aux prières de mon père
spirituel, ou de mon évêque, et à présent le Seigneur m’a révélé que le Saint
Esprit repose sur les pères spirituels, et sur les évêques, et c’est pourquoi
j’ai un grand respect pour eux. Par leur prière nous recevons la grâce du Saint
Esprit et la joie dans le Seigneur qui nous aime et qui nous a donné tout ce
qui est nécessaire pour le salut de nos âmes. »
Et saint Silouane nous confie par ailleurs : « Un père
spirituel, un évêque, doit se réjouir quand le Seigneur conduit vers lui une âme
qui veut se repentir ; et, selon la grâce qui lui a été donnée, il doit
soigner cette âme, et pour cela il recevra de Dieu une grande récompense, comme
bon pasteur de ses brebis »
Amen. Pardonnez-moi et priez pour moi.
+ Archimandrite Syméon
de Saint-Silouane
+++
Les
diverses formes de bénédiction
source : Sagesse
orthodoxe
Les
sacrements –
La Tradition fait une différence entre bénédiction et
sacrement. Par celui-ci s’opère une véritable consécration et une véritable
sanctification de l’offrande humaine: baptême (consécration de la personne
humaine), chrismation (Onction avec le saint Chrême, ou Sceau du don du saint
Esprit: cette huile est elle-même consacrée et sanctifiée dans la réunion des
évêques d’une Église souveraine), eucharistie (consécration et sanctification
du Pain et du Vin, convertis en Corps et Sang du Christ), saintes Huiles (consécration
de l’huile et onction des souffrants), ordination majeure (épiscopat, prêtrise
et diaconat), sanctification de l’eau (Théophanie, baptême du Christ), mariage
sont des moments où le saint Esprit est invoqué (épiclèse) pour une
transfiguration de ce que l’être humain apporte: sa personne, sa souffrance,
son service dans l’Église.
Sanctification
de la matière
La matière elle-même est consacrée, sanctifiée et
transfigurée: le corps humain, l’eau, l’huile, le pain et le vin sont investis
par la grâce divine et proprement divinisés. Cet évènement majeur s’inscrit
dans les conséquences de l’Incarnation du Verbe et suppose une synergie,
c’est-à-dire la coopération de la liberté humaine par la foi et la pureté du
cœur avec la liberté divine de créer et de sauver toute créature. Ce sont des
événements divino humains.
Les
bénédictions
On y utilise une matière précédemment sanctifiée – l’huile ou
l’eau. La consécration signifie qu’une personne, un lieu, un temps, ou un
objet, sont dédiés à un usage exclusif. Ces bénédictions sont plus ou moins
solennelles et développées. Certaines doivent rigoureusement être présidées par
l’Évêque; certaines peuvent être accomplies par le ministère du Prêtre. Cela
n’a pas lieu en raison d’un pouvoir particulier appartenant à ces ministres: ce
pouvoir est celui du Christ agissant par l’Esprit saint dans son Église. Il
s’agit donc d’actions, non pas à caractère magique, mais à caractère ecclésial.
On peut citer les suivantes.
Divers
exemples
– ordinations mineures : sous-diacre, lecteur, acolytes sont
consacrés à vie pour un service précis ;
– les personnes : voyageurs, malades, femmes enceintes
sont bénis tout spécialement. Les soldats, sans que cela justifie en rien la
guerre, sont bénis parce qu’ils vont sacrifier leur vie pour les autres ;
la plupart des démarches de l’existence quotidienne sont présentées à la
bénédiction de l’Église ;
– l’église, lieu consacré par la foi, la prière et l’onction
du saint chrême, devient définitivement un lieu où offrir le sacrifice agréable
à Dieu ; c’est une consécration de l’espace ;
– le temps liturgique assume la consécration et la
sanctification du calendrier et du déroulement des grands moments de
l’année : un office spécial est dit en début d’année ;
– l’autel est une table bénie et consacrée par l’eau et
l’huile sainte, par la foi et la prière de l’Église et le ministère de
l’Évêque, et par la présence en elle des reliques des saints ;
– la Croix ainsi que les petites croix portées par les
fidèles ; la forme même de la Croix sanctifie en elle-même la matière
employée (bois, pierre, métal…) ;
– les vêtements liturgiques, ainsi que les nappes, vases
sacrés et autres objets servant dans le sanctuaire sont bénis avec l’eau et la
prière de l’Église. Ces éléments ne servent qu’à la célébration du culte
divin ;
– les lieux d’habitation sont, plusieurs fois par an, bénis
par la présence du Prêtre, la foi des fidèles et l’office prévu: on y bénit
l’eau et l’huile pour en oindre les murs et le montant des portes, dans le cas
où cette huile et cette eau n’ont pas été consacrées auparavant et apportées
par le Prêtre ;
– les véhicules et d’autres objets servant à la vie sont bénis
avec l’eau et la grâce du saint Esprit, et par la présence des saints anges qui
accompagnent les voyageurs et leurs passagers. On installe à cette occasion
quelques petites icônes et croix dans l’habitacle ;
– les
lieux de travail ;
– les animaux sont bénis, toujours en dehors de l’église, par
la grâce du saint Esprit et l’aspersion de l’eau. Les autres créatures peuvent
être bénies dans l’église. De même, on ne bénit pas de viande dans l’église,
parce que celle-ci est le lieu du sacrifice non sanglant.
Le grand Euchologe donne une liste impressionnante des
diverses bénédictions en usage dans l’Église. Très belle est, par exemple, la
bénédiction de la terre, des fruits et des semences à l’occasion de certaines
fêtes: Ascension, Transfiguration, Dormition…
Les
saintes icônes
Elles connaissent plusieurs moments de consécration. En
premier, le travail de l’iconographe, accompli dans la vraie foi, le jeûne et
la prière, inaugure la consécration du bois (choix et délimitation de la
planche) et de la matière (levka, dessin, couleurs…) dans l’obéissance
créatrice à la Tradition et à la foi de l’Église. Deuxièmement, le thème
théologique de l’icône, car c’est la vérité de foi exprimée par l’icône qui
constitue sa consécration. Troisièmement, la présentation de l’icône au Peuple
pour attestation de sa vérité. Quatrièmement, une fois cette vérité reconnue,
la prière de l’Église (évêque ou prêtre) et l’aspersion d’eau et onction
d’huile: ces éléments ont été bénis au préalable. On n’utilise pas ici l’eau de
la Théophanie parce qu’elle est consacrée à cette fête. Une coutume dont on
peut discuter consiste à bénir des reproductions ou des images d’icônes: ceci
ne peut être comparé à la consécration de l’icône sur bois, dont la
sanctification s’apparente à un sacrement puisqu’il y a transfiguration de la
matière.
Les
défunts
En ce qui concerne les défunts, le service est proposé pour
ceux qui se sont endormis dans la vraie foi. Il consiste dans la bénédiction du
corps, du cercueil et de la terre où reposera le défunt. Mais il fonde la
relation de foi et de prière que l’on va entretenir désormais avec les défunts
et leur Seigneur. Il ne s’agit ni d’un sacrement ni d’une bénédiction
proprement dits, la personne étant déjà consacrée par le saint baptême.
Dans tous ces actes que le Seigneur accomplit par le ministère
de son Église, se manifeste son extrême miséricorde et sa présence dans les
infimes détails comme dans les grands moments de la vie de l’homme.