Vivre les
Béatitudes 1 :
Une approche orthodoxe des
« pauvres en esprit »
Les béatitudes, telles qu’elles sont comprises dans la
tradition orthodoxe, ne sont pas de simples directives éthiques, mais un chemin de transformation vers la sainteté et la théosis, l’union avec Dieu. Chacune
d’entre elles identifie une caractéristique de ce que signifie être semblable
au Christ et digne de son Royaume. Jésus nous dit : « Bienheureux les
pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux » (Matthieu 5, 3).
Cette première béatitude nous montre que vivre une vie avec humilité et
confiance dans la providence de Dieu est le point de départ fondamental d’une
vie chrétienne orthodoxe.
Que
signifie « pauvre en esprit » ?
Le concept de pauvreté spirituelle va au-delà de la
pauvreté matérielle. Il s’agit de reconnaître notre but, notre besoin spirituel
et notre dépendance à l’égard de Dieu. Saint Jean Chrysostome souligne ce point
en disant que les « pauvres en esprit » sont ceux qui s’humilient
volontairement, tremblent devant les commandements de Dieu et ne comptent pas
sur leurs propres forces ou leur propre justice. Être pauvre en esprit ,
dans ce sens, c’est être profondément conscient de notre état de péché, se
repentir volontairement et faire appel à la miséricorde de Dieu pour envoyer le
Saint-Esprit se joindre à notre volonté.
L'intuition
de saint Grégoire de Nysse
Saint Grégoire de Nysse explique qu’il existe deux types de
richesses : la richesse matérielle et la richesse spirituelle. Dans le mode de
vie orthodoxe, nous sommes appelés à renoncer à l’attachement aux richesses
matérielles et à rechercher plutôt les vertus spirituelles. Il enseigne que
nous devons volontairement devenir pauvres dans les passions qui conduisent aux
vices qui nous séparent de Dieu, comme l’orgueil, l’égoïsme et l’indulgence
dans le péché. C’est une tâche laborieuse de maîtrise de soi et de conscience
de soi, reconnaissant que la vraie richesse se trouve dans la ressemblance au
Christ, et non dans le statut ou le bien-être mondain.
Le défi
de la fierté
L’un des plus grands obstacles à la pauvreté spirituelle est
l’orgueil. Saint Grégoire nous prévient que l’orgueil enfle l’âme de vanité et
nous éloigne du chemin de l’humilité. Nous pensons que notre propre volonté est
suprême. Cela peut se manifester de diverses manières dans la vie moderne, que
ce soit par la poursuite de la richesse matérielle, du statut social ou même
des réalisations personnelles. L’orgueil peut créer un faux sentiment
d’autosuffisance, nous aveuglant sur notre besoin de la grâce de Dieu.
Dans le contexte orthodoxe, le remède à l’orgueil se trouve
dans les pratiques ascétiques de l’Église : le jeûne, la prière, le repentir,
l’aumône et les sacrements. Ces pratiques nous aident à nous vider de notre
autonomie et à ouvrir notre cœur à la grâce de Dieu. Comme l’écrit l’apôtre
Paul, le Christ « s’est dépouillé lui-même, prenant la forme d’un serviteur »
(Philippiens 2, 7). Nous sommes appelés à faire de même, en adoptant une
attitude de service, d’amour et d’humilité.
Applications
modernes
Dans le monde d’aujourd’hui, l’appel à la pauvreté
spirituelle peut être difficile à vivre dans une culture qui valorise
l’autopromotion, la réussite matérielle et l’individualisme. Cependant, il est
rappelé au chrétien orthodoxe que la vie est transitoire et que notre véritable
objectif est la théosis, l’union avec Dieu, avec la vie éternelle dans son
Royaume. L’image que saint Grégoire nous donne d’un cimetière communautaire –
où toutes les distinctions terrestres sont supprimées – nous ramène à la réalité
de notre nature humaine commune et à la nature éphémère des possessions et du
statut matériels.
Être pauvre en esprit aujourd’hui peut signifier
réévaluer nos priorités, nous concentrer moins sur notre gain personnel, notre
idée du succès ou du bien-être, et davantage sur la croissance spirituelle.
Cela peut se manifester par le choix de servir les autres en silence, sans
rechercher la reconnaissance, ou en cherchant à vivre simplement, en évitant
les excès du consumérisme. Cela implique également d’accepter la repentance, en
reconnaissant qu’aucun d’entre nous n’est juste par son propre mérite, mais que
nous sommes sauvés par notre coopération avec la grâce.
L'exemple
du Christ
L’exemple par excellence de la pauvreté spirituelle est
le Christ lui-même, qui, bien qu’égal à Dieu, a choisi de s’humilier et de
prendre la forme humaine. Cet acte de dépouillement (kénose) est le modèle des
chrétiens orthodoxes. Suivre le Christ signifie se vider de l’orgueil, de l’ego
et de l’attachement aux choses du monde, et remplir son cœur d’amour pour Dieu
et son prochain.
Concrètement, cela se voit dans la façon dont nous abordons
notre vie quotidienne. Sommes-nous prompts à pardonner ? Donnons-nous
généreusement à ceux qui sont dans le besoin ? Prions-nous avec humilité, en
recherchant la volonté de Dieu avant nos propres désirs ? Ce sont toutes des
façons de vivre la béatitude de la pauvreté en esprit.
Conclusion
La conception orthodoxe de la pauvreté spirituelle exige
une vie d’humilité volontaire, d’abnégation et de confiance profonde dans la
providence de Dieu. C’est une reconnaissance de nos propres limites et de la
grandeur de la miséricorde divine. Par la prière, le repentir et les
sacrements, nous recevons la grâce de parcourir ce chemin, en regardant
toujours vers le Christ comme l’exemple de la véritable pauvreté spirituelle.
Ce faisant, le Royaume des cieux nous est promis, non pas comme une réalité
lointaine, mais comme une expérience présente de l’amour et de la présence de
Dieu dans nos vies.