Vivre les
Béatitudes 3
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Bienheureux ceux qui pleurent
Dans la foi chrétienne orthodoxe, les enseignements des
Béatitudes offrent des perspectives profondes sur le chemin vers la
transformation spirituelle. L’une des Béatitudes les plus paradoxales est : «
Heureux les affligés, car ils seront consolés » (Matthieu 5, 4). À première
vue, cela peut sembler contradictoire, car le deuil est généralement associé au
chagrin, à la perte et à la tristesse. Pourtant, dans la conception orthodoxe,
ce deuil n’est pas un signe de désespoir mais une bénédiction spirituelle qui
rapproche de Dieu.
Comprendre
le deuil dans le contexte des Béatitudes
Dans la spiritualité orthodoxe, le deuil dont parle cette
béatitude est une « tristesse bienheureuse » qui naît de la conscience de notre
séparation d’avec Dieu et de la pauvreté spirituelle de notre état déchu.
Contrairement à la tristesse mondaine, qui conduit au désespoir et à la misère,
la tristesse selon Dieu conduit à la repentance et, en fin de compte, au réconfort
et à la grâce de Dieu. Saint Paul souligne cette distinction dans sa deuxième
lettre aux Corinthiens : « La tristesse selon Dieu produit le repentir qui
conduit au salut et ne laisse pas place
au regret » (2 Corinthiens 7, 10) .
Ce type de deuil ne consiste pas à se complaire dans le
chagrin, mais à reconnaître la douleur et la souffrance de notre condition
déchue et à rechercher la guérison de Dieu. C'est l'expression d'un profond
désir de voir l'humanité restaurée dans son état originel et intact, en
communion avec Dieu.
Le rôle
du repentir dans le deuil
Au cœur de ce deuil se trouve le repentir, qui dans la
tradition orthodoxe est un retour continuel vers Dieu. Le mot grec pour
repentir, métanoïa, signifie un changement d'esprit ou de cœur, une
réorientation de la vie, du péché et de l'égoïsme vers Dieu et la sainteté. Il
ne s'agit pas d'un événement ponctuel, mais d'un processus continu qui fait
partie intégrante de la vie ascétique orthodoxe.
En embrassant le deuil et le repentir, les fidèles ne se
contentent pas de déplorer leurs péchés, mais utilisent cette tristesse comme
un moyen de croissance spirituelle. Le deuil devient alors un don, un
catalyseur pour se rapprocher de Dieu et rechercher la restauration de l'âme.
Ce processus appelle les individus à vivre une vie d'humilité, de conscience de
soi et de vigilance, en reconnaissant leur besoin de la miséricorde et de la
grâce de Dieu.
La
dimension eschatologique du deuil
La conception orthodoxe du deuil comporte également une
dimension eschatologique. Les fidèles sont appelés à endurer les épreuves et
les souffrances de ce monde tout en gardant les yeux fixés sur la joie
éternelle qui les attend dans la Résurrection. Le deuil ne concerne pas ici
seulement la condition présente, mais aussi le désir de la restauration de
toutes choses dans le Christ.
Cette vision de la vie éternelle apporte du réconfort au
milieu des souffrances de ce monde. L’attente du salut transforme le deuil en
une expression d’espoir, fondée sur la conviction que la souffrance n’est pas
une fin, mais une préparation à la joie éternelle et à la communion avec Dieu.
Les
saints : exemples vivants de deuil et de réconfort
La vie des saints orthodoxes, comme celle de saint Éphrem le
Syrien, offre de puissants exemples de cette double expérience de deuil et de
réconfort. Les saints sont souvent décrits comme pleurant la nature déchue de
l'humanité, mais ils se réjouissent simultanément de l'espoir du salut. Leur
tristesse ne mène pas au désespoir, mais au contraire approfondit leur
conscience de la bonté de Dieu et les entraîne dans une plus grande communion
avec Lui.
Les saints enseignent que le deuil, lorsqu’il est abordé avec
foi, devient une voie de transformation spirituelle. C’est par leur exemple que
les fidèles apprennent à accepter le deuil non pas comme une fin en soi, mais
comme un chemin vers une plus grande intimité avec Dieu et l’accomplissement de
ses promesses.
Des
moyens pratiques pour vivre la béatitude du deuil
Pour les chrétiens orthodoxes, vivre la béatitude du deuil
implique de cultiver un esprit de repentir et de vigilance dans la vie
quotidienne. Cela peut se faire par plusieurs pratiques spirituelles :
Prière et
jeûne : Ces pratiques fondamentales aident le croyant à
s'humilier, à reconnaître sa dépendance envers Dieu et à exprimer sa tristesse
face au péché. La prière de Jésus, en particulier, est un moyen simple mais
puissant de se connecter à Dieu et de reconnaître sa miséricorde.
Confession
: Le
sacrement de la confession permet à chacun de faire face à ses péchés, de
recevoir le pardon et de ressentir le réconfort de la grâce de Dieu. Il
constitue une partie essentielle de la spiritualité orthodoxe, offrant aux
fidèles un moyen tangible de faire l'expérience du pouvoir de guérison du
Christ.
Imiter la
compassion du Christ : En acceptant le deuil et en faisant preuve
de compassion envers les autres, les fidèles imitent la tristesse du Christ
face à la chute de l'humanité. Ce faisant, ils allègent leur propre fardeau et
deviennent des sources de réconfort pour ceux qui les entourent.
Le deuil
comme chemin vers le réconfort
En fin de compte, la foi orthodoxe enseigne que le véritable
réconfort ne consiste pas à éviter la tristesse, mais à l'accepter à la lumière
de l'œuvre rédemptrice du Christ. Le deuil devient un processus transformateur
par lequel les fidèles sont non seulement guéris de leur propre fragilité, mais
aussi préparés à la joie éternelle et à l'union avec Dieu qui attendent ceux
qui pleurent avec foi et espérance.
En conclusion, la béatitude « Bienheureux ceux qui pleurent »
nous invite à regarder au-delà de la surface du deuil et à reconnaître son but
spirituel plus profond. Le deuil, dans la conception orthodoxe, est un voyage
sacré, un voyage qui mène au repentir, au renouveau spirituel et, finalement,
au réconfort en présence de Dieu. Grâce à ce processus, nous nous rapprochons
de Dieu et faisons l’expérience de la vraie joie qui vient de vivre dans la
lumière de sa grâce.
Référence : Commentaire de
Grégoire de Nysse sur les Béatitudes, Ancient Christian Writers 18, pp 71-78
Source : Orthodox way of
life