25 mars
GRAND CARÊME
Dispense de poisson
ANNONCIATION
À LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU
Synaxaire
En ce jour qui suit de peu l’équinoxe de printemps, alors que
l’obscurité de la nuit, ayant atteint le terme de son extension, commence à
céder la place à la lumière, l’Église célèbre la conception de notre Seigneur
Jésus-Christ et la descente, en ce monde obscurci par les ténèbres, du Soleil
de Justice, qui a retourné le mouvement du temps et de l’histoire et, d’une
descente vers la mort, en a fait une remontée vers le printemps définitif de
l’éternité.
Racine et principe de toutes les autres fêtes du Seigneur, par
lesquelles nous commémorons chaque année notre Rédemption, cette fête de
l’Annonciation doit toujours être célébrée à la même date, car, selon une
ancienne tradition, c’est au mois de mars que le monde fut créé par Dieu et
c’est le 25 mars précisément qu’Adam, trompé par la promesse du serpent et
voulant se faire dieu, transgressa le commandement divin et fut exilé du
Paradis . Il convenait donc que la guérison de notre nature s’accomplisse,
telle une seconde création, par les mêmes moyens et en ces mêmes jours qui ont
été ceux de notre chute. Et, de même que le genre humain avait été assujetti à
la mort par la désobéissance d’Ève, au printemps du monde, il convenait qu’il
en fût délivré au mois de mars par l’obéissance de la Vierge. Développant
magnifiquement cette doctrine des correspondances dans l’Économie de la
Rédemption, saint Irénée de Lyon écrit à ce propos :
« De même que celle-là (Ève) avait été séduite par le discours
d’un ange, de manière à se soustraire à Dieu en transgressant sa parole, de
même celle-ci (Marie) fut instruite de la Bonne Nouvelle par le discours d’un
ange, de manière à porter Dieu en obéissant à sa parole. Et, de même que
celle-là avait été séduite de manière à désobéir à Dieu, de même celle-ci se
laissa persuader d’obéir à Dieu, afin que de la vierge Ève la Vierge Marie
devienne l’avocate. De même que le genre humain avait été assujetti à la mort
par une vierge, il en fut libéré par une vierge, la désobéissance d’une vierge
ayant été contrebalancée par l’obéissance d’une vierge».
Après notre chute, Dieu, prenant patience dans sa miséricorde
infinie, avait peu à peu préparé l’humanité, de génération en génération, par
des événements heureux et malheureux, à la réalisation du Grand Mystère qu’Il
tenait caché avant tous les siècles dans son Conseil trinitaire : l’Incarnation
du Verbe. Alors qu’Il savait, bien à l’avance, qu’elle allait être la faute de
l’homme et ses tragiques conséquences, c’est en ayant en vue le terme de ce
mystère qu’Il avait pourtant créé la nature humaine, afin de s’y préparer une
Mère qui, par la beauté de son âme immaculée, relevée de l’ornement de toutes
les vertus, attira sur elle les regards du Tout-Puissant et devint la chambre
nuptiale du Verbe, le réceptacle de Celui qui contient tout, le Palais du Roi
du Ciel et le terme du dessein divin.
Six mois après la conception miraculeuse de celui qui devait
être en toutes choses le Précurseur du Sauveur (Lc 1, 17), Gabriel, l’Ange de
la miséricorde [8 nov.], fut envoyé par le Seigneur à Nazareth en Galilée,
auprès de la Vierge Marie qui, au sortir du Temple, avait été fiancée au juste
et chaste Joseph, pour qu’il fût le gardien de sa virginité . Surgissant
soudain dans la maison sous une apparence humaine, un bâton à la main, l’Ange
salua celle qui devait devenir la consolation des larmes d’Ève , en disant : «
Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1, 28). Devant
cette étrange apparition, la Vierge laissa tomber son fuseau et, toute troublée
par ces paroles de l’incorporel, elle se demandait si cette annonce de joie
n’était pas, comme pour Ève, une nouvelle tromperie de celui qui sait se
transformer en ange de lumière (2 Cor 11, 14). Mais l’Ange la rassura et lui
dit : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu, ne
t’étonne pas de mon étrange aspect et de ces paroles de joie, alors que,
trompée jadis par le serpent, ta nature a été condamnée à la douleur et aux
gémissements, car moi, c’est la vraie joie que je suis venu t’annoncer et la
délivrance de la malédiction de la première mère (cf. Gn 3, 16). Voici que tu
concevras et enfanteras un fils, en accomplissement de la prédiction du
prophète Isaïe qui disait : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils
(Is 7, 14) ! Et tu l’appelleras du nom de Jésus, — ce qui signifie Sauveur — Il
sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut (Lc 1, 30). »
À ces paroles inouïes, la Vierge s’exclama : « Comment cela
serait-il possible, puisque je ne connais point d’homme ? » Elle ne mettait pas
là en doute la parole divine par manque de foi, comme Zacharie qui avait été
pour cela puni de mutisme (Lc 1, 20), mais elle se demandait comment ce mystère
pourrait bien se réaliser en elle, sans l’union nuptiale, devenue la loi de la
reproduction du genre humain soumis à la corruption. Comprenant ses doutes,
l’Ange ne la blâma pas, mais il lui expliqua le mode nouveau de cette naissance
: « L’Esprit Saint viendra sur toi, qui a été comblée de grâce en préparation
de sa venue, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » Puis,
rappelant qu’Élisabeth, celle qu’on appelait « la stérile », venait de
concevoir un fils dans sa vieillesse, il lui montra ainsi que là où Dieu le
veut l’ordre de la nature est vaincu , et il lui confirma que par sa venue en
elle le Saint-Esprit allait accomplir un miracle plus grand encore que la
création du monde. Abaissant les cieux, le Roi de l’univers, Celui qui contient
tout, allait s’anéantir lui-même (Phil 2, 7) par une ineffable condescendance,
afin de demeurer en son sein, de s’y mêler en une union sans confusion à la
nature humaine, et de se revêtir de sa chair, teinte en son sang virginal,
comme une pourpre royale. Inclinant alors humblement son regard à terre et
adhérant de toute sa volonté au dessein divin, la Vierge répondit : Je suis la
servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole !
Par ces paroles, elle acceptait — et avec elle la nature
humaine tout entière — la venue en elle de la puissance divine transmise par
les paroles de l’Ange . C’est à cet instant même que s’accomplit la conception
du Sauveur. Le Fils de Dieu devient Fils de l’Homme : une seule Personne en
deux natures. Dieu se revêt de l’humanité et la Vierge devient en toute vérité
Mère de Dieu (Théotokos), afin que, grâce à cet échange des propriétés
naturelles, les hommes, délivrés de la corruption, puissent devenir fils de
Dieu par la grâce.
L’accomplissement de ce mystère de l’Incarnation, caché même à
la connaissance des anges, ne fut donc pas seulement l’œuvre du Père, dans sa
complaisance, du Fils qui descendit des cieux, et de l’Esprit qui recouvrit la
Vierge de son ombre ; mais le Seigneur attendait que celle qu’il avait choisie
entre toutes les femmes y prenne aussi une part active par son acquiescement
libre et volontaire, de sorte que la Rédemption du genre humain fût l’œuvre
commune de la volonté de Dieu et de la foi de l’homme. Ce fut donc par une
libre coopération (synergie) de l’humanité au dessein divin que s’est accompli
ce Grand Mystère préparé depuis l’origine du monde, que « Dieu devient homme
pour que l’homme soit déifié en Lui » , et que la Vierge, Épouse inépousée, est
devenue pour notre nature renouvelée la source et la cause de tous les biens.
Autrefois entrevue en figures par les prophètes comme le
Buisson non-consumé (Ex 3, 14), comme la Montagne non-entaillée (Dn 2), comme
la Porte scellée par laquelle Dieu seul devait passer (Ez 44, 2), la Mère de
Dieu est l’Échelle vivante (Gn 28, 10-17) par laquelle Dieu est descendu et qui
permet aux hommes de monter au Ciel. Elle a ouvert au genre humain un nouveau
mode d’existence : la virginité, grâce à laquelle le corps de tout homme, à sa
suite, est appelé à devenir temple de Dieu (1 Cor 3, 16 ; 6, 19).
La création entière, soumise jadis à la corruption par la
faute de l’homme, était elle aussi dans l’attente de ce « Oui ! » de la Vierge,
qui annonçait le début de sa délivrance. C’est pourquoi le ciel et la terre
réunis, forment aujourd’hui un chœur de fête avec les fils d’Adam, pour rendre
gloire à Dieu en honorant la conception de sa Mère inépousée.
(Synaxaire du hiéromoine Macaire de Simonos Petras)