Noël
sans fioritures :
que
cache la grotte noire de l'icône ?
25 décembre
Pourquoi
la Vierge Marie se détourne-t-elle de l'Enfant Jésus, et pourquoi un abîme
infernal s'ouvre-t-il au centre de l'icône festive ? Analyse du drame
caché dans les couleurs.
Décembre embaume les aiguilles de pin, les mandarines et
l'impatience. Nous savons que Noël est la fête la plus chaleureuse de l'année.
Nourrie par de belles cartes postales, notre imagination peint un tableau
idyllique : une grange en bois accueillante, de la paille dorée, de doux
anges aux joues roses et une Sainte Famille rayonnante admirant l'Enfant Jésus.
Ce tableau respire la lumière, la paix et la chaleur réconfortante. Nous rêvons
d'y être. Nous rêvons de nous y blottir.
Mais si nous entrons dans une église orthodoxe et nous
approchons du retable où se trouve l'icône de la Nativité (par exemple, une
œuvre d'Andreï Roublev ou des anciens maîtres byzantins), nous allons avoir une
surprise.
Ici, point de douceur ni de
charme désuet. Il se passe ici quelque chose d'époustouflant.
Au lieu de paille douce, des rochers acérés comme des lames.
Au lieu d'un foyer chaleureux, un froid cosmique glacial. Ce n'est pas une
idylle familiale, c'est un bouleversement historique majeur. Et si l'on regarde
de plus près, on constate que le peintre d'icônes a représenté non seulement la
naissance d'un enfant, mais le début d'une grande bataille.
Le trou
noir de l'univers
Où se pose d'abord notre regard ? Au centre même. Mais il
n'y a là aucune lueur. Il y règne une obscurité absolue et impénétrable.
Sur fond de roches ocre, le triangle noir de la grotte se
dresse béant. C'est la couleur la plus sombre de la palette du maître. Et il ne
s'agit pas seulement de l'entrée de la grotte, où le bétail est abrité des
intempéries. Dans la théologie de l'icône, cette obscurité porte un nom
terrible : « la gueule de l'enfer ».
L'icône nous dit avec une grande franchise : le monde dans lequel le Christ vient ne l'attendait pas à bras ouverts. Ce monde est plongé dans le mal (1 Jean 5, 19). C'est un monde ravagé par le péché et la mort. La caverne noire est l'image de toute l'humanité, privée de Dieu. Elle concentre nos souffrances, notre désespoir, nos guerres et nos trahisons. Elle représente les « ténèbres extérieures » (Matthieu 8, 12).
Le miracle principal se produit
ici même. La lumière ne brille pas sur cette grotte de l'extérieur, comme un
projecteur. Elle y pénètre. Volontairement. L'Enfant Jésus est placé au cœur de
cette obscurité.
Dieu n'est pas dégoûté par nos ténèbres. Il n'exige pas que
nous « nettoyions » d'abord nos vies, que nous allumions la lumière, et
qu'ensuite seulement nous l'invitions à entrer. Il naît au plus profond de
notre chute. Il se couche à l'épicentre pour dissiper les ténèbres intérieures.
Né pour
mourir
Regardez le bébé. Il ne ressemble pas au petit garçon joyeux
des tableaux de la Renaissance. Il est étroitement emmailloté dans des langes
blancs.
Rappelons-nous l'iconographie d'un autre événement : la
mise au tombeau du Christ. Ces linceuls blancs reprennent à l'identique le
linceul funéraire. Et la crèche de pierre dans laquelle il repose ressemble de
façon saisissante à un cercueil, à un sarcophage.
Au moment le plus joyeux de l'histoire, l'Église ne nous
laisse pas oublier le but de sa venue.
Il n'est pas né pour qu'on lui
chante des berceuses. Il est né pour mourir.
La tache blanche de l'Enfant sur le fond noir de la grotte est
un grain jeté en terre (Jean 12, 24). Ici, à Bethléem, l'ombre de la Croix du
Calvaire se fait déjà sentir. L'icône ne cache rien : le prix de notre
salut sera exorbitant.
Se
détournant du Fils
Un autre détail qui déconcerte souvent le spectateur
moderne : regardez la Vierge Marie. Elle est le personnage le plus
imposant de l’icône. Elle repose sur un lit rouge, épuisée par l’accouchement.
Mais où se porte son regard ?
Elle ne regarde pas le bébé. Elle ne le serre pas contre son
sein. On la représente souvent le visage tourné vers l'extérieur.
Pourquoi ? N'y a-t-il donc pas d'amour maternel ici ? Il y en a. Mais c'est un amour qui transcende l'attachement.
L'iconographe nous montre Marie,
qui a déjà accompli son sacrifice. Elle comprend que cet Enfant ne lui
appartient pas. Il appartient au monde.
Elle ne se détourne pas par indifférence, mais par humilité
face au mystère. Son attitude reflète une profonde réflexion, cette même
« souvenir recueilli » (Luc 2, 19). Elle regarde le monde (souvent
vous et moi) avec une infinie tristesse et un espoir mêlé d’espoir. Elle sait
qu’une arme transpercera son âme (Luc 2, 35). Et elle l’accepte en silence.
Coin de
doute
Tournons maintenant notre regard vers le coin inférieur de
l'icône. On y voit un vieil homme. C'est Joseph l'Époux. Il est assis, la tête
appuyée sur sa main, dans une pose empreinte de profonde tristesse et de
réflexion. Il ne participe pas à la célébration des anges. Il est seul. À ses
côtés est souvent représenté un personnage étrange : un vieillard voûté,
vêtu de peaux de chèvre et appuyé sur un bâton tordu. Qui est-ce ? Un
berger ?
Les interprétations anciennes disent : c’est « l’esprit du doute », le démon qui tente Joseph. Il lui murmure les mêmes pensées qui sont si claires pour chacun de nous : « Comment une Vierge peut-elle enfanter ? C’est contraire aux lois de la nature. C’est impossible. Tu as été trompé. Les miracles n’existent pas, Joseph. Il n’y a qu’un bâton sec dans ma main et des pierres sous mes pieds. »
C'est le moment psychologique le
plus poignant de cette icône. C'est un véritable thriller au cœur des fêtes.
Tandis que le Ciel se réjouit, que les rois mages exultent de
joie et que les bergers écoutent les anges, une personne, assise dans un coin,
se tourmente et tente de croire.
Nous nous reconnaissons en Joseph. Vivant dans un monde empli
de souffrance et d'injustice, ne nous retrouvons-nous pas souvent dans ce «
coin du doute » ? Nous aussi, on nous murmure : « Dieu n'existe pas. Le mal a
triomphé. Regarde les infos : où est ton Noël ? Ce ne sont que des contes de
fées. »
L'icône ne condamne pas Joseph. Elle lui donne une place dans
la composition. L'Église le comprend : la foi n'est pas toujours un élan
enthousiaste. Parfois, la foi est simplement le courage de ne pas partir, de
rester assis près de la grotte, même quand l'esprit crie : « Je ne
crois pas. »
Le
réconfort de la vérité
Pourquoi cette icône austère nous réconforte-t-elle davantage
aujourd'hui qu'une carte de Noël sur papier glacé ?
Car les apparences sont trompeuses. Si Noël n'était qu'une
douce histoire de famille, elle s'effondrerait au premier contact avec la
réalité. La grange accueillante de l'image ne résistera pas aux bombardements.
Les anges aux joues roses ne nous sauveront pas de la peur de la mort.
Mais
l'icône dit vrai.
Dieu n'est pas venu dans un monde
de pain d'épice. Il est venu dans un monde où règnent les rochers froids, les
grottes obscures, la trahison et la mort.
Il est arrivé dans une réalité qui sent l'humidité et le sang,
pas la cannelle. C'est pourquoi nous avons de l'espoir.
Le Christ repose dans l'abîme obscur de notre souffrance. Il
est là. Au plus profond des ténèbres, dans le gouffre le plus profond, là où la
lumière semble absente, Il est déjà présent. Silencieusement… Entendez-vous ?
Dans ces ténèbres bat un cœur vivant. Dieu est né. Et les ténèbres ne l'ont
point enveloppé (Jean 1, 5).