La
célébration vespérale
Sanctification
du temps –
La répartition des offices de l’Église, dans la journée, dans
la semaine et dans l’année correspond à la sanctification du temps – ce qui est
vrai, d’ailleurs, pour le calendrier liturgique entier. Cette transfiguration
de la créature du temps, comme, du reste, de la créature de l’espace, relève
d’une part de l’action créatrice de la Divinité « dans le Principe »
et, d’autre part, de l’Incarnation ou « devenir chair » et
« devenir homme » de cette même Divinité.
De plus, l’organisation liturgique du temps assume l’horaire
et en général toute la chronologie des événements qui marquent la présence
visible du Verbe incarné pendant les trois années de son ministère prophétique
au milieu de son peuple et de l’humanité entière. L’horaire et le calendrier de
l’Église, loin d’être arbitraire, est plutôt comme une sorte d’icone
chronologique du Christ vrai Dieu et vrai Homme et de sa vie pleine du saint
Esprit. Le calendrier est une « mémoire » continuelle, c’est-a-dire,
non un simple rappel du passé, mais une actualisation réelle et sacramentelle
des actions divines et un témoignage de la présence réelle quoique invisible du
Seigneur Jésus par le saint Esprit « au milieu de nous ».
L’aube du
1er/8ème jour
En ce qui concerne la célébration de la divine liturgie, son
horaire vénérable et saint découle de l’heure miraculeuse de la résurrection du
Sauveur et du témoignage prophétique qu’ont apporté à cet évènement les saintes
femmes myrophores et, par elles, les saints apôtres. On voit ici la
structure pascale du cycle – des cycles – liturgique. La Résurrection – la
Pâque du Messie et du Verbe – est au centre de toute la Création, de toute
l’Histoire universelle, au milieu du temps et de l’espace. L’arbre de la Croix
est l’icône de ce mystère ; il est planté au milieu du monde et du
temps : la Croix est le cadran solaire par excellence. Les chrétiens
célèbrent chaque semaine la Pâque du Roi du monde le dimanche – jour Un et jour
Huit – quand la lumière du soleil de justice commence à poindre.
Si l’on doit célébrer la divine liturgie en semaine, elle ne
pourra jamais avoir d’autre contenu que ce même mystère pascal encore et encore
actualisé. Ceci est vrai, même si le motif de la célébration est une fête ou la
mémoire d’un saint. Les prières fondamentales de la divine liturgie sont celles
de la Pâque. Pour cette raison, les chrétiens célèbrent, en semaine également,
très tôt le matin. Dans les églises urbaines, on voit les fidèles y participer
en allant au travail. À la campagne, la célébration initie une journée de
travaux des champs, du moins en dehors de l’hiver. La célébration matinale de
la divine liturgie est la norme sacramentelle. Elle peut être précédée, la
veille ou le matin du jour même, par un autre office : vêpres, matines,
office de prime ; mais l’ensemble reste le sacrifice non sanglant offert
au Père par le Fils dans le saint Esprit, au matin de la Création et à l’aube
du temps nouveau inauguré par la Résurrection.
Vigiles
Il existe toutefois au cours de l’année une forme de
célébration très particulière, issue elle aussi du rite pascal. Il s’agit de la
célébration liturgique du samedi saint, après la journée silencieuse du Sabbat,
le repos du Seigneur au tombeau et sa visite au royaume des morts : elle a
lieu à la tombée de la nuit. On sait que, suivant la tradition biblique, la
journée commence la veille au soir, à l’heure appelée celle de vêpres. La
célébration du grand Samedi commence ainsi au coucher du soleil, par les
prières et les lectures vespérales ; et elle se continue par la divine
liturgie elle-même – selon saint Basile le Grand -, à partir de l’épître. C’est
donc bien ici une liturgie vespérale. Mais cela n’introduit pas de
contradiction, car la célébration suivante – selon saint Jean Chrysostome –
aura lieu au tout petit matin, avant même qu’on y voie, si possible.
Cette forme de célébration vespérale se retrouve à d’autres
moments de l’année, à Noël la veille du jour commençant. Mais, le Jeudi saint,
comme pour l’Annonciation, elle a lieu sous forme vespérale, mais a la fin du
jour, pourquoi ? Parce qu’on est en Carême : le jeûne de toute la
journée peut ainsi précéder, comme pour la liturgie des Présanctifiés, la
communion eucharistique du soir.
En dehors de ces cas tout de même très particuliers, on
célèbre la divine liturgie le matin.
L’économie
On appelle « économie » la transgression d’une
règle, d’un canon, d’une tradition ou de la Tradition, quand est en jeu
l’intérêt ponctuel d’une personne ou d’une communauté. La pratique de
l’économie est circonstanciée, contextuelle. Elle n’inaugure pas une nouvelle
tradition. On n’innove pas. D’autre part, l’économie, dans le domaine
liturgique ou dans le domaine sacramentel ou canonique, relève strictement du
ministère de l’Évêque. C’est à celui-ci que le prêtre d’une paroisse ou d’un
monastère demande la bénédiction afin, par exemple, de pratiquer un aménagement
horaire pour le bien de la communauté. Si cette pratique tendait à devenir
habituelle, il faudrait avoir soin de solliciter fréquemment le renouvellement
de la bénédiction épiscopale, sous peine d’innover et d’errer.
Bien entendu, la célébration vespérale permet à des fidèles de
rejoindre l’église après le travail. Toutefois, elle pose la question du jeûne
eucharistique : puisque la divine liturgie est indissociable de la
communion eucharistique, qui aura la force de jeûner depuis le matin, sauf
celui qui ne travaille pas ? À la rigueur, les fidèles et leur prêtre
pourraient manger très légèrement – sans huile, ni vin, ni rien d’animal – le
plus tôt possible pour bénéficier d’un jeûne de dix heures ou, au moins, de
huit. Pour cette raison, la liturgie vespérale est relativement cohérente quand
elle a lieu à la fin d’un jour de jeûne, le mercredi ou le vendredi. Et, en
tout cas, le contenu de la célébration devrait être celui du jour commençant,
non de celui qui se termine, afin d’être dans l’esprit de la vigile
liturgique ; et, si possible, on fera précéder la divine liturgie de
l’office de vêpres. Et, dès qu’on le pourra, on suivra la tradition de célébrer
le matin, de façon à jouir de l’esprit « pascal » de la divine
liturgie. C’est cette dynamique résurrectionnelle du culte qu’il faut savoir
garder et transmettre.
Source : Sagesse orthodoxe