Métropole
Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale
-
Université d’été 2013-
Père Noël
TANAZACQ
***
La
Confrérie Saint-Photius (1925-1950)
***
Un
mouvement prophétique orthodoxe à la fin du 2e millénaire
La Confrérie Saint-Photius est une confrérie orthodoxe de
jeunes laïcs russes, créée en 1925 et qui existera jusqu’en 1950. Vu de
l’extérieur, ce mouvement peut sembler mineur et de courte durée, mais en fait
il s’agit d’un mouvement prophétique, qui a déjà changé le visage de l’Eglise
et qui probablement la renouvellera profondément dans les siècles à venir.
C’est pourquoi on ne peut le comprendre qu’à l’échelle de l’histoire de
l’Eglise. Il faut donc d’abord le resituer dans ce contexte bimillénaire.
I. Survol
des 2000 ans d’histoire de l’Eglise
1.
L’Eglise apostolique et indivise (le 1er millénaire)
Au plan ecclésiologique, il faut rappeler deux aspects très
importants du message du Christ :
-Il est venu sauver tous les hommes (et pas seulement Israël)
et l’Evangile s’adresse à l’univers entier (cf. l’appel de St Paul, « Apôtre
des gentils », ses oeuvres et ses écrits).
-Il veut changer le coeur des hommes et non pas imposer une
structure nouvelle aux peuples et aux Etats (« Mon Royaume n’est pas de ce
monde »- Jn 18/36).
Et l’Eglise naissante, apostolique, va mettre ces préceptes
évangéliques en pratique :
-Elle manifestera rapidement son universalité (grâce à St
Paul, qui l’emportera sur Pierre au Concile des Apôtres ) en prêchant partout
l’Evangile, dans tout l’Empire romain et même au-delà, à tous les peuples,
toutes les cultures, toutes les catégories sociales.
-Elle se développera naturellement, biologiquement, dans les
cadres de l’Empire romain, dans ses structures politiques, administratives,
sociales, économiques, culturelles. Elle ne sera jamais une superstructure qui
impose sa loi aux peuples et aux Etats : elle collera à la réalité humaine, car
son but était de changer les hommes de l’intérieur.
La vie de l’Eglise va s’organiser autour du « sacerdoce » (les
évêques, relayés ensuite par les prêtres) parce qu’elle est fondamentalement
sacramentelle (le Christ est notre Grand-prêtre) et elle sera dès le départ à
caractère conciliaire, parce que le Christ a établi le collège des Douze, qui est
un reflet de la Divine Trinité (« Deux ou trois réunis en Mon Nom »-Mt 18/20-
et non pas « un ») : cette conciliarité sera codifiée ensuite dans la 34e règle
(ou canon) apostolique (1).
Progressivement la société va se christianiser. Vers la fin du
4e siècle, l’Empire romain devient officiellement chrétien (il était déjà
fondamentalement religieux –païen- comme toute la société, mais on est passé
des faux-dieux au vrai Dieu). Mais il y a séparation des deux pouvoirs, celui
de César et celui de l’Eglise, parce que les deux viennent de Dieu (Tout
pouvoir vient d’en-haut : d’après Jn 19/11. Cf. l’empereur Constantin2 et
l’aigle à deux têtes3).
Au plan interne, l’Eglise doit faire face à des hérésies, qui
lui imposeront de préciser l’expression de la foi, grâce aux 7 Conciles œcuméniques
(entre le 4e et le 8e siècles).
(1)34e
règle (ou Canon) apostolique : « Il convient que les évêques de chaque peuple
reconnaissent parmi eux le premier et le considèrent comme un chef n’agissant
pas en ce qui surpasse leur pouvoir sans lui demander son opinion : que chacun
n’agisse que dans le domaine de son district (paroïchia : éparchie) et les
lieux qui lui sont attachés. Mais que le premier, non plus, ne fasse rien sans
l’opinion de tous. Ainsi sera la concorde et Dieu sera glorifié par le Christ,
dans l’Esprit-Saint (Constitutions apostoliques, compilées en Syrie vers 380).
(2)
L’empereur Constantin, qui fut l’artisan de la « paix de l’Eglise » (en 313 en
Occident et en 324 en Orient) disait qu’il était « l’évêque de l’extérieur »,
c’est-à-dire qu’il avait la charge de la cité terrestre (l’évêque de
l’intérieur, le futur patriarche, lui, avait la charge des âmes, la charge de
les conduire à la cité céleste). Sa vision était tout à fait juste, et conforme
à l’Evangile (même s’il est vrai que Constantin ait empiété plusieurs fois sur
le domaine de l’Eglise, mais en général il agissait au nom de l’ordre public).
(3)L’aigle
bicéphale, représenté sur la bannière impériale à partir du 12e s., deviendra
l’emblème de l’Empire byzantin : l’aigle symbolisait le caractère divin de
l’Empire ; les deux têtes représentaient les deux pouvoirs, celui de l’empereur
et celui du patriarche, qui tous deux viennent de Dieu. Après la disparition de
l’Empire, en 1453, ce blason sera repris par la plupart des patriarcats
orthodoxes.
2
La vie liturgique se développe et se structure, à partir d’une
source commune (très certainement Jérusalem et Antioche, c’est-à-dire la
province de Syrie, où est né le christianisme), mais avec une évolution différente
en Orient et en Occident, en fonction des cultures. Il en résultera deux
grandes familles liturgiques, orientale et occidentale, avec de nombreux rites
différents dans chaque famille, qui se compénètrent et se complètent. Il y a
des richesses et des déficiences dans tous les rites.
Les évènements (surtout les « grandes invasions ») vont
bouleverser le paysage politique. l’ Empire romain disparaît en Occident à la
fin du 5e siècle : de nouveaux royaumes vont apparaître, préfigurant les
nations d’Europe occidentale. En Orient l’Empire se maintient, mais, à partir
de la fin du 7e siècle, il devient un empire grec (l’Empire byzantin).
Toutefois ces bouleversements ne changent rien à la nature de
l’Eglise ni à son mode de vie. Pendant le premier millénaire l’Eglise a connu
une réelle unité (malgré les schismes et les hérésies) qui permet de la
qualifier d’Eglise indivise, mais c’est une unité dans la diversité et dans la
liberté4, une unité de foi dans la diversité des rites. C’est aussi une unité
d’esprit et de mode de vie, avec un certain nombre d’usages communs5. L’Eglise
est une symphonie d’églises locales, d’Eglises-sœurs qui sont en communion.
Cependant, de grands bouleversements politiques surviennent en
Occident à partir du milieu du 8e siècle : ils auront des conséquences graves
sur la théologie, l’ecclésiologie et le mode de vie de l’Eglise, et conduiront
directement au schisme du 11e siècle. Nommons-les sans les détailler :
- L’alliance politico-religieuse entre Pépin-le-Bref et le
pape Etienne II en 754 (le pape de Rome cautionnait l’usurpation des
Carolingiens vis-à-vis des Mérovingiens et recevait en échange une protection
contre les Lombards, et éventuellement contre Constantinople), qui entraînera
la création d’un Etat pontifical en Italie centrale, basée sur un faux, la
pseudo-Donation de Constantin. Il en résultera :
- l’apparition d’un nouvel Empire en Occident, carolingien
(franc) à partir de 800 (Charlemagne) [auquel succèdera un Empire germanique en
962] concurrent de l’Empire byzantin,
- une intervention très forte de Charlemagne et de ses
successeurs dans les affaires religieuses :
. imposition du rite romain (qui était le plus local de tous
les rites et le seul à ne pas avoir d’épiclèse) à tous ses Etats (qui
entraînera la disparition du rite des Gaules6, effective vers le milieu du 9e
siècle), ainsi que de la Règle de St Benoît (disparition de toutes les autres
règles7)
. à partir de 809, imposition du Filioque dans le Credo. Rome
résistera pendant plus de deux siècles8 (c’est l’empereur germanique Henri II
qui l’imposera définitivement en 1014). Ce sera la cause principale du schisme
de 1054.
- Apparition des fausses décrétales isidoriennes au 9e siècle,
qui constituent le point de départ de l’idéologie papale, affirmant la primauté
universelle du pape de Rome.
- Des changements sacramentels graves vont aussi s’opérer vers
le 9e siècle en Occident :
. utilisation du pain azyme pour l’Eucharistie (contrairement
à l’usage universel)
. suppression de la communion au précieux sang pour le peuple.
(4) C’est
une expression classique de l’ecclésiologie orthodoxe, mais l’ajout de « et
dans la liberté » vient de la Confrérie Saint-Photius (voir p. 5).
(5) Par
exemple : l’usage du pain levé pour l’eucharistie, la communion pour tous sous
les deux espèces, la coexistence d’un clergé marié et d’un clergé continent, un
signe de croix universel (épaule droite puis gauche, comme le font encore les
Orthodoxes)…
(6)
Maxime Kovalevsky l’appelle « rite paneuropéen », parce qu’il était célébré
dans toute l’Europe occidentale, avec des variantes (mozarabe en Espagne,
ambrosien en Italie du Nord, celtique dans les îles britanniques,…). Il possède
une véritable épiclèse, invocation à l’Esprit-Saint après l’Institution, pour
qu’Il consacre les dons.
(7)
Disparition des Règles de Ligugé (St Martin), de Lérins (St Honorat), de
Marseille (St Jean-Cassien), de St Colomban et de bien d’autres.
(8)
Surtout Léon III(795-816) qui fit graver sur des plaques d’argent le Credo sans
le Filioque, en grec et en latin
«par
amour et pour la sauvegarde de la foi orthodoxe » et les fit déposer au-dessus
des tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, ainsi que Jean VIII (872-882).
3
Tous ces changements vont conduire au schisme de 1054, qui est
une rupture de communion entre Rome et Constantinople et, in fine, entre le
Patriarcat romain (qui domine maintenant tout l’Occident) et les quatre autres
Patriarcats d’Orient (Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem). Ce
drame est directement lié à la création d’un Etat pontifical, parce que les
papes de Rome vont se trouver intégrés à la hiérarchie féodale : ils sont
devenus des vassaux des empereurs germaniques. La raison précise sera
l’intervention militaire du pape Léon IX contre les chevaliers normands, qui
voulaient conquérir l’Italie du Sud, terre byzantine, parce qu’il avait reçu de
l’empereur Henri III la suzeraineté sur le Bénévent (!). Il sera battu et fait
prisonnier : une ambassade sera alors envoyée à Constantinople pour demander de
l’aide. Mais le Cardinal Humbert, au lieu de faire profil bas, prit les choses
de haut, reprochant aux « Grecs » d’avoir retiré le Filioque du Credo (!) et
déposa sur l’autel de Saint-Sophie une lettre de rupture de communion, ce qui
était d’autant plus absurde que le pape Léon IX au nom duquel il agissait était
mort. Le « mince fil de communion qui reliait encore entre l'Orient et
l’Occident »9 fut ainsi coupé.
2.
L’Eglise divisée et déchirée (de 1054 à la 1ère guerre mondiale)
Aussitôt après le schisme, il se produira une véritable
révolution religieuse en Occident, qui se prolongera pendant environ trois
siècles : elle donnera naissance à « l’Eglise catholique-romaine » telle que
nous la connaissons et créera un fossé entre l’Occident et l’Orient chrétiens.
Mentionnons les points essentiels.
- Le pape de Rome Grégoire VII, dans ses « Dictatus papae »
(1075) s’autoproclame supérieur à tous les évêques (il transforme une primauté
d’honneur en un pouvoir juridique de droit divin) et supérieur aux rois et
empereurs, en affirmant qu’ils tiennent leur pouvoir de l’Eglise (et non plus
de Dieu). Il institue une véritable théocratie. Cela s’accompagne d’un énorme
mouvement de centralisation et d’uniformisation (dans l’esprit de Cluny, qui
est à son apogée), ainsi que d’une lutte violente contre le clergé marié. C’est
une rupture complète avec l’esprit de l’Eglise indivise.
- Avec Anselme de Cantorbéry, une nouvelle théologie apparaît
à la fin du 11e siècle, la scolastique, fondée sur la raison et la philosophie
grecque : on introduit le rationalisme dans la théologie (on veut « prouver »
Dieu par la raison), le juridisme dans la spiritualité (la doctrine des mérites
et de la satisfaction par la souffrance) et l’esthétisme (puis le sentiment)
dans l’art chrétien. C’est une rupture complète avec l’esprit patristique, qui
était fondé sur la Bible et l’expérience spirituelle.
- les Croisades (12e-13e siècle) avaient une raison objective
initialement (les persécutions que subissaient les chrétiens en Palestine),
mais elles deviendront rapidement une manifestation de puissance de l’Occident
et elles s’achèveront par un désastre ecclésiologique : le sac de
Constantinople (1204) et l’instauration d’un Patriarcat latin sur ce siège. Ce
forfait épouvantable constituera la consommation du schisme et créera un abîme
entre l’Orient et l’Occident chrétiens. Il précipitera la prise de
Constantinople par les Turcs Ottomans et la disparition de l’Empire byzantin
(1453).
- Il y aura de nombreuses résistances de la part de canonistes
(Yves de Chartres au 11e siècle) et de théologiens (Gerson au 15e siècle), et
surtout de conciles (Constance en 1415, Bâle en 1431)10.
La plus importante de toutes, et la plus tragique, sera la
Réforme protestante (16e siècle) qui déchirera l’Eglise d’Occident (jusqu’à
présent). Mais en voulant rejeter les excès de Rome, les Protestants
rejetteront la Tradition, la prêtrise et les sacrements.
(9) P.
Eugraph Kovalevsky : Le Schisme de 1054, ou la rupture entre l’Orient et
l’Occident chrétiens in Contacts, 1952, rééd. in Présence Orthodoxe, 1970,
n°9-10, p.42-46.
(10)Le
Concile de Constance, en 1415, réaffirmera la doctrine conciliaire par la voix
de Gerson, chancelier de l’Université de Paris. Cela sera confirmé par le
Concile de Bâle (en 1431) qui réaffirmera la supériorité du concile sur le
pape.
4
- Le point d’aboutissement de ce processus sera le 1er Concile
du Vatican (1870) qui proclamera l’infaillibilité pontificale, malgré de fortes
résistances, notamment des évêques français et allemands : il transformera le
pape de Rome en une sorte de demi-dieu .
- Pendant ce temps, les Eglises orthodoxes d’Orient sont
plongées dans les épreuves. Alexandrie, Antioche et Jérusalem avaient déjà été
conquises par les arabes musulmans au 7e siècle. A partir de la fin du 11e
siècle, les Turcs Ottomans conquièrent petit à petit l’Asie-Mineure, puis la
partie européenne de l’Empire byzantin. Constantinople est prise en 1453. C’est
le début d’une longue période de persécutions (le patriarche Grégoire V est
pendu à la porte du Phanar en 1821). Une seule nation orthodoxe est épargnée :
la Russie (convertie au 10e siècle), qui devient autocéphale en 1589. Mais elle
aura à subir au 13e siècle les invasions mongoles (Kiev sera entièrement
détruite) et les chevaliers teutoniques. Le monde orthodoxe oriental va se
replier sur lui-même. Le Mont Athos devient le refuge et la mémoire de
l’Orthodoxie, avec d’importantes conséquences liturgiques : l’office cathédral
(c’est-à-dire paroissial) disparaît au profit de l’office monastique (au 14e
siècle, sous le Patriarche Philothée). On commence à élever les iconostases
pour cacher « les choses saintes » : les historiens pensent que c’est une
conséquence des invasions mongoles ; ce processus s’achève au 15e siècle.
- C’est la 1ère Guerre Mondiale et l’instauration d’un régime
totalitaire et anti-chrétien en Russie, en 1917, qui va tout changer. Au début
de la 1ère Guerre Mondiale, en 1914, on est à un des pires moments de
l’histoire de l’Eglise : il y a un mur de séparation, et même parfois un fossé
de haine, entre les deux parties de l’Eglise. Pour Rome, les Orthodoxes sont
des « schismatiques d’Orient », qui «ne reconnaissent pas le pape » et qui ont
rejeté les nouveaux dogmes romains ( Filioque, Immaculée conception de Marie…).
Quant aux Orthodoxes, en rejetant Rome et ses erreurs, ils ont rejeté aussi en
bloc tout l’Occident, sa culture, son mode de vie, ses richesses… On s’ignore,
on ne se connaît pas, on se caricature et on se hait. C’est une sorte de «
Yalta » ecclésiastique. « Catholique » va signifier « catholique-romain » (les
Protestants rejetteront le terme), « Orthodoxe » va signifier « oriental ».
L’Orthodoxie sera perçue comme exotique, et même parfois folklorique. Hélas,
elle va tout faire pour correspondre à cette caricature, en oubliant la
véritable catholicité (elle confondra « catholicisme [romain] » et «
catholicité »).
II. La
confrérie Saint-Photius (1925-1950)
1. Sa
création, son but et ses principes
La 1ère Guerre Mondiale est un cataclysme qui ébranle toute
l’Europe : elle est la fin d’un monde. La Révolution russe de février/mars(11)
1917 voit l’effondrement de l’Empire russe, et la révolution bolchévique
d’octobre/novembre1917 permet à Lénine et aux communistes de prendre le
pouvoir. Ils traitent aussitôt avec l’Allemagne. Les Pays baltes et l’Ukraine
proclament leur indépendance. A partir de janvier 1918, une guerre civile
ravage le pays (entre l’armée rouge communiste et l’armée blanche tsariste) et
durera jusqu’en 1922(12). Il y aura une terrible famine entre août 1921 et
février 1922. Les communistes instaurent rapidement un régime de terreur qui
est à la fois social (contre les classes dirigeantes et les intellectuels) et
religieux (contre l’Eglise). Toutefois l’Eglise orthodoxe profitera d’une
liberté relative entre les deux révolutions pour réunir un concile, en août
1917 : il restaure le Patriarcat13, élit Tikhon et pose les fondements d’un
renouveau de l’Eglise. Mais il sera « expulsé » par les Soviétiques en
septembre 1918.
(11) «
février » en calendrier julien, « mars » en calendrier grégorien. Le calendrier
julien a 13 jours de retard sur le grégorien. En histoire russe, il est
préférable de donner les deux dates, à partir d’octobre 1582 (Réforme du
calendrier julien par le pape de Rome Grégoire XIII). L’URSS a adopté très vite
le calendrier grégorien, mais l’Eglise orthodoxe russe a conservé le calendrier
julien (jusqu’à présent).
(12)
L’URSS est constituée en décembre 1922.
(13)Le
Patriarcat avait été supprimé par Pierre le Grand en 1721 : il était remplacé
par un Synode, où se trouvait le « Procureur général » nommé par le tsar et qui
le représentait. En fait, l’Eglise était asservie au pouvoir politique.
5
Il y aura alors un exode massif des Russes vers l’Occident, à
partir de 1919-1920 (environ un million de personnes) : ce sont essentiellement
des gens cultivés, des intellectuels, des fonctionnaires, des cadres, des
entrepreneurs, des artistes, toute l’élite de la nation. Il y aura peu
d’ecclésiastiques au début, parce qu’ils sont restés près de leurs fidèles, et
peu de militaires, parce qu’ils se battent contre les Rouges. Ils sont nombreux
à venir en France parce que la Russie entretenait des relations très fortes
avec la France, où beaucoup de grandes familles avaient des propriétés. Lénine
les a laissés partir parce qu’il n’avait pas les moyens de les anéantir14 et
qu’il fallait d’abord conquérir le pays russe pour y installer une
administration communiste. Ceux qui ne voudront pas partir seront expulsés15.
Cet effondrement de la « Sainte Russie » va amener beaucoup
d’intellectuels orthodoxes à réfléchir sur le sens de cette épreuve. Parmi ces
émigrés, il y a la famille Kovalevsky. C’était une vieille et grande famille
russe de Saint-Pétersbourg, originaire d’Ukraine, au service de l’Etat et de
l’Eglise depuis le 13e siècle, qui avait donné à la Russie des intellectuels,
des savants, des généraux et des ministres16. Eugraph Kovalevsky père était
député à la Douma et rapporteur du budget de l’Instruction publique et du Saint
Synode. Les parents avec leurs trois enfants (Pierre, Maxime et Eugraph) arrivent
à fuir en Ukraine17 en 1918, puis à s’embarquer en Crimée pour la France, en
1919.
Ils font une escale à Constantinople. La veille du départ pour
la France, le jeune Eugraph glisse un billet sous la porte des trois églises
russes de la ville : « La Révolution est permise par Dieu afin de purifier
l’Eglise et pour l’éclatement universel de l’Orthodoxie ». Il avait 15 ans !
Eugraph écrira plus tard, dans ses mémoires18 : « En 1919, avant de prendre le
bateau pour la France, deux idées s’étaient imposées à mon esprit : Dieu a
voulu l’émigration orthodoxe en Europe afin qu’elle apporte la lumière de
l’Orthodoxie, qui, durant 1 000 ans, s’est désintéressée de l’Occident ».
Maxime Kovalevsky cite encore son frère Eugraph : « deux sentiments aigüs
m’animent : la splendeur de l’Orthodoxie et le péché des Orthodoxes, avec leur
indifférence vis-à-vis des autres peuples ou plutôt leur satisfaction statique.
Ce péché est lavé par le martyre de la Russie et la mission des orthodoxes en
Occident »19.
La famille s’installe dans sa villa de Beaulieu (Côte-d’Azur),
puis vient à Paris (à Meudon) en 1920. Les trois jeunes gens reprennent leurs
études, tandis que leur père se consacre à la restructuration de l’Eglise russe
à Paris, en introduisant les réformes décidées par le concile de Moscou de
1917-1918, auquel il avait participé. Les jeunes russes fréquentent assidûment
l’Eglise, découvrent l’Occident dont ils connaissaient déjà bien la culture
(ils parlaient couramment trois langues : russe, français, allemand) et réfléchissent
beaucoup entre eux et avec d’autres jeunes émigrés.
Quelques années plus tard, en 1925(20), un groupe de huit
jeunes russes décide de créer une « confrérie » (c’est-à-dire une association
de laïcs) dans le but de défendre et promouvoir l’indépendance et
l’universalité de l’Orthodoxie, en affirmant dans leur manifeste20 :
-que l’Eglise orthodoxe est la seule et vraie Eglise du
Christ,
-qu’elle n’est pas seulement orientale, mais universelle, pour
tous les peuples,
-que chaque peuple doit y avoir sa place (« son droit
personnel »), sa constitution canonique autocéphale, la sauvegarde de ses
coutumes, de ses rites et de sa langue liturgique.
Le manifeste se terminait ainsi : « Nous confessons l’unité
dans la multiplicité et la liberté… ».
(14) Lénine
crée le « Goulag » dès le 15 avril 1919, mais il faudra du temps pour que cette
industrie d’anéantissement des êtres humains devienne rentable…
(15)
Comme par exemple la famille Lossky, dont le père, Nicolas, était un philosophe
célèbre et qui ne voulait pas quitter la Russie : ils furent expulsés en 1922.
Il était trop dangereux pour les communistes de conserver en Russie des
intellectuels, qui sont des penseurs, par nature libres.
(16) L’
arrière grand-père, Eugraph (1790-1867), avait été ministre de l’Instruction
Publique.
(17) La
famille Kovalevsky, originaire d’Ukraine, y possédait une grande propriété, où
ils passaient leurs vacances. Mais celle-ci sera rapidement occupée par les «
Rouges » et ils devront à nouveau fuir.
(18)
Mémoires d’Eugraph Kovalevsky : il ne s’agit pas à proprement parler d’un
ouvrage mis en forme, mais de récits de sa vie, notés par Yvonne Winnaert au
fur et à mesure qu’il en racontait des passages, et qu’elle a intitulé « Ma vie
». Maxime Kovalevsky, qui cite souvent son frère, les nomme ses « Souvenirs ».
Ce manuscrit se trouve dans les archives de l’Eglise Catholique Orthodoxe de
France et n’a jamais été publié. Il semble que ces souvenirs biographiques
aillent jusque vers les années 1950.
(19)
Maxime Kovalevsky : Orthodoxie et Occident, renaissance d’une Eglise locale,
Paris, l’Ancre, 1994, p.62.
(20).
Probablement le 11 février, bien qu’un document d’archives manuscrit porte le
27 janvier (cité par R. et C. Bange). Texte complet (et exact) du Manifeste
chez Vincent Bourne, La Divine contradiction, 1975, p.78-79.
6
C’était une véritable bombe ecclésiologique. Personne n’avait
osé parler ainsi depuis 1000 ans. C’était une affirmation très forte de
l’universalité de l’Orthodoxie, de sa « catholicité ». Dans cet esprit, ils
vont prendre conscience du fait que l’Occident fut dans la communion de
l’Eglise indivise et orthodoxe pendant 1000 ans, et que leur devoir à eux, les
Orthodoxes émigrés, est de retrouver les racines orthodoxes de l’Occident (la
liturgie, les saints, l’art iconographique) et de permettre aux occidentaux qui
le souhaiteraient de retrouver leur place au sein de l’Eglise orthodoxe, non
pas en se faisant orientaux mais en tant que chrétiens occidentaux, avec leurs
usages et leurs rites propres. Eugraph Kovalevsky écrira : « Nous avions deux
principes fondamentaux : intransigeance dans les dogmes orthodoxes, relativité
dans les autres domaines ». Vladimir Lossky ajoutera quelques années plus tard
: « le but de la Confrérie se définit….comme le service pour le triomphe
universel de l’Orthodoxie….L’unité chrétienne ne peut être atteinte qu’en
confessant l’Orthodoxie qui doit renaître en Occident… ».
Ils avaient retrouvé la conscience de la catholicité. C’était
absolument nouveau, « révolutionnaire ».
Et ils placent leur Confrérie sous le patronage de St Photius
de Constantinople (9e siècle) parce qu’il lutta vigoureusement contre les
erreurs dogmatiques de Rome (Filioque)21 et qu’il fut missionnaire (il envoya
Cyrille et Méthode vers les Khazars, puis les Slaves).
-Qui étaient-ils ?
Parmi les huit fondateurs, nous connaissons six noms : Alexis
Stavrovsky (qui en eut peut-être l’initiative ?), les trois frères Kovalevsky
(Eugraph, Maxime et Pierre)22, Vsevolod Palachkovsky et le comte Nicolas
Ignatieff. Ils étaient tous jeunes (une telle initiative ne pouvait venir que
de jeunes), issus de familles cultivées et très engagées dans la vie
ecclésiale, mais ouvertes à la culture européenne et à la pensée moderne (comme
le dit Maxime Kovalevsky). La plupart s’inscriront à l’Institut Saint-Serge23
qui ouvrit ses portes à la fin de 1925.
Ils avaient pensé recruter largement dans la communauté russe,
mais ce ne sera pas le cas : ils resteront un petit groupe. Mais plusieurs
futures personnalités les rejoignirent : Vladimir Lossky24 (amené par Eugraph
en 1928 : c’est lui qui le fit passer de la philosophie médiévale à la
théologie orthodoxe ; ils devinrent des amis inséparables) et deux futurs
grands iconographes : Georges Krug (le futur hiéromoine Grégoire) et Léonide
Ouspensky (ces deux-là, avaient une histoire différente : ils venaient de
l’athéisme et même, pour Ouspensky, du communisme).
Certains prêtres participeront à leurs travaux (le P. Nicolas
Sakharoff 25) et certains confrères deviendront prêtres, mais il s’agissait
fondamentalement d’une confrérie de laïcs. La Confrérie ne sera pas
exclusivement parisienne : il y aura aussi des antennes en province (à
Strasbourg : André Behr, à Nice, à Lille…).
2.
L’organisation et le mode de vie de la Confrérie
-Le lien avec l’Eglise
La Confrérie est au service de l’Eglise et elle ne fera jamais
rien sans la bénédiction de l’évêque (à ce moment-là il s’agit du Métropolite
Euloge26, qui est très lié à la famille Kovalevsky). Mais elle n’est pas une
structure paroissiale. Après le schisme eulogien (1930-1931), elle sera
rattachée directement au Métropolite Serge de Moscou (statut de stavropigie).
-Le mode de vie
Il y avait deux types de membres : les « épistates » (maîtres)
et les « mathestes » (disciples), et tout
(21) Il a
écrit notamment un ouvrage de fond sur ce sujet : La Mystagogie du Saint-Esprit
(éd. française, 1991).
(22)Eugraph
(1905-1970) sera d’abord un artiste (peintre et iconographe) ; Maxime
(1903-1988) sera musicien (compositeur et maître de chapelle) et Pierre
(1901-1978) sera historien. Ils seront de grands serviteurs de l’Eglise.
(23)Eugraph
y soutiendra sa thèse de licence sur Les tαξis dans la Divine Trinité en 1928.
Son directeur de thèse, le célèbre P. Serge Boulgakov lui dira : « Je ne puis vous
noter, car votre travail est au-dessus des notes ».
(24)Vladimir
Lossky (1903-1958), fils du philosophe Nicolas Lossky et futur théologien de
renom.
(25)Le
Père Nicolas Sakharoff (1869-1951) était prêtre à la cathédrale St Alexandre et
il fut le professeur de religion d’Eugraph au lycée russe (dont il fut l’un des
promoteurs). En 1936 il deviendra Recteur de la cathédrale.
(26)Ancien
archevêque de Volhynie (Ukraine) réfugié en France, nommé administrateur des
paroisses d’Europe occidentale par le Patriarche Tikhon. A ce moment-là, il
était aussi proche du Synode de Karlovtsy (cf. p. 9 et annexe I).
7
tout un rituel d’entrée (il fallait être parrainé par un
ancien) qui se passait dans la chapelle de la Confrérie, dans l’esprit des
rituels chevaleresques (ils étaient jeunes et enthousiastes). les confrères se
réunissaient une fois par semaine. Ce fut d’abord dans le bureau du chef de
gare de Bois-Colombes (parce que Stavrovsky était le chef de gare), puis à
Saint-Serge ; puis ils louèrent un local à Viroflay ; et enfin, en 1928, ils
furent accueillis à Saint-Cloud chez un des confrères, Nicolas Ignatieff (dans
la propriété de son père, le comte Alexis). Dans chacun de leurs locaux, ils
installèrent une chapelle (et à Viroflay, il y avait une chapelle orientale et
une chapelle occidentale).
-Organisation et programme de travail
Assez rapidement il y eut des commissions spécialisées (qui
permirent d’intégrer des personnalités extérieures, des spécialistes), et des
Sections ou « Provinces » correspondant à des aires géographiques ou à des
peuples. Mais il n’est pas toujours facile de comprendre.
Fin 1925 (le 10 décembre), une commission française [ou : pour
la France] fut créée (avec la bénédiction du Métropolite Euloge) dont le but
était de se préoccuper de l’Orthodoxie occidentale. Son programme comportait
expressément la mission de résoudre le problème de l’unité ou de la
multiplicité des rites. Dès le début le problème liturgique fut posé, parce
qu’il était fondamental, et un programme de travail fut élaboré :
a- Etude des anciennes liturgies gallicanes.
b- Etude des ordos gallicans plus récents [restaurations des
18e et 19e siècles].
c- Etude de l’ordo romain, de sa pénétration et de son
implantation en France.
d-Révision des traductions françaises actuelles de la liturgie
orthodoxe orientale et élaboration de nouvelles traductions.
Dans cette Commission, il y avait le P. Nicolas Sakharoff
(Président), Eugraph Kovalevsky, le vicomte Serge Hotman de Villiers, le comte
Nicolas Ignatieff et, à partir de 1928, Vladimir Lossky.
En Janvier 1926 nacquit une Section (ou Province) Saint-Irénée
qui fut chargée de « travailler à la restauration de l’Eglise orthodoxe
française ». Le 15 décembre 1926, Eugraph Kovalevsky est nommé chef de la
Province Saint- Irénée (à 21 ans !). Par la suite la Commission française ne
s’occupera plus que des problèmes de traduction.
Il y eut aussi une Province Saint-Alexis chargée des problèmes
de l’Eglise russe à l’étranger, présidée par Maxime Kovalevsky, dont nous ne
savons grand-chose.
L’accomplissement de ce programme ambitieux supposait un gros
travail de documentation et de recherches en bibliothèque (il n’y avait pas de
photocopieurs : il fallait aller consulter les ouvrages en bibliothèque et
recopier !).
En outre, les confrères avaient des activités ecclésiales et
liturgiques importantes : Eugraph accompagnait les prêtres en province (il les
aidait à aménager les lieux de culte, chantait et faisait les lectures). Maxime
était chef de choeur dans une paroisse russe à Meudon, puis à Paris, rue de la
Montagne Sainte Geneviève [après 1935].
Les confrères se préoccupaient de tous les problèmes qui se
posaient à la diaspora russe et à l’Eglise orthodoxe en général. La Confrérie
envoya en 1931 un mémorandum important au Métropolie Serge de Moscou sur le
futur Concile panorthodoxe (rédigé par Eugraph K.). La Confrérie était un
véritable laboratoire d’idées où tous les sujets ayant trait à l’Eglise
orthodoxe, et même au-delà, étaient abordés. Léonide Zourov, l’ami et le
protecteur de Georges Krug, écrira : « Presque chaque jour ils se rencontraient
quelque part, vivaient dans un état d’excitation, dans une atmosphère
échauffée, réfléchissant et approfondissant les questions d’Eglise… »27. Ils
rencontraient aussi les grands intellectuels de l’époque : Berdiaev, Jacques
Maritain, Gabriel Marcel… « Chaque confrère explorait le Christianisme
occidental dans son domaine de prédilection… Il y avait sans cesse des
conférences tenues par l’un ou l’autre des confrères, ici ou là, comme une
célèbre communication d’Eugraph Kovalevsky sur l’histoire de l’Eglise,
prononcée chez Maritain…qui avait été presqu’entièrement improvisée… »27.
(27) La fondation de la paroisse de Trois Saints Hiérarques,
document électronique sur le site du Patriarcat de Moscou en France, février
2004. Voir aussi le chap. IX de la Divine contradiction, de Vincent Bourne, qui
décrit bien cette atmosphère de bouillonnement intellectuel, p.104-110.
8
Mais elle aura aussi à subir le contrecoup des graves problèmes
ecclésiologiques qui vont se poser à la diaspora russe en raison des problèmes
politiques (la persécution religieuse en U.R.S.S.).
3. La grande oeuvre de la Confrérie : la restauration d’une
Eglise orthodoxe occidentale et d’un rite occidental au sein de l’Orthodoxie.
A partir de décembre1927, la Commission Française décida de
laisser à la Province Saint-Irénée le soin de poursuivre l’étude en profondeur
des différents rites possibles pour des occidentaux orthodoxes. Mais avant
d’aborder ce point essentiel, je voudrais montrer quels furent les signes
précurseurs, les révélations divines et la préparation intérieure du chef de la
Province Saint- Irénée, qui allait en être le maître d’oeuvre, Eugraph
Kovalevsky.
Dès son arrivée à Paris en 1920, il alla saluer Sainte
Geneviève, patronne de la ville, et sa première préoccupation fut d’introduire
son culte (absent du calendrier oriental) à la cathédrale russe de Paris et de
peindre son icône (il fut le premier).
En 1923, il fit un pèlerinage à Saint Irénée, à Lyon, et il
apprit par les russes de la paroisse locale, qu’il y avait à Lyon un français
orthodoxe, le comte Alexandre du Chayla, qui était un ami du roi Alexandre de
Serbie28. Il le rencontra et ce dernier lui raconta ce qui lui était arrivé peu
après être devenu orthodoxe : il se rendit en pèlerinage à Optino ; là il
rencontra un staretz qui lui dit immédiatement : « Bonjour mon petit français !
Je t’attendais. Tu dois devenir moine parce que la France a besoin d’un évêque
orthodoxe »29. Le Saint-Esprit était à l’oeuvre…
Vers 1927-1928, Eugraph fait un pèlerinage à Poitiers,
notamment pour y voir les fresques romanes (il était avant tout un artiste,
peintre et iconographe). Il les admire puis descend dans la crypte où se trouve
le tombeau de Sainte Radegonde : celle-ci lui donne l’ordre de passer sous son
tombeau. Il s’y résigne avec crainte (parce qu’il ignorait que c’était un usage
local et qu’il craignait de choquer les gens) et là, elle lui parle et lui
trace sa vie : il reçoit du Ciel l’ordre de ramener la France à l’Orthodoxie.
Eugraph écrira plus tard à propos de l’Orthodoxie occidentale : « Il ne
s’agissait pas d’une quelconque tolérance [de l’Orient orthodoxe vis à vis] de
telle ou telle coutume [occidentale], mais de la restauration dans l’Orthodoxie
universelle du visage légitime, immortel et orthodoxe de l’Occident ».
Eugraph va faire tous ses efforts pour s’imprégner du
christianisme occidental, de l’intérieur, et non comme une curiosité, un sujet
d’étude. Il lisait tous les jours le Bréviaire en latin. Il écrira : «
J’apprenais la messe romaine par coeur, j’assistais aux cérémonies, je lisais
le Bréviaire, je laissais le latin pénétrer mon âme. Souvent l’appel de
l’Orient était si fort que j’étais contraint de lutter avec moi-même, car pour
aimer quelque chose, il faut renoncer à autre chose. Les premières paroles de
l’Homme furent : « L’Homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa
femme ». Je devais abandonner mon père et ma mère pour aller vers le rite
occidental »30. Déjà à Viroflay il était le seul à prier dans la chapelle
occidentale (voir p.7).
Revenons à la Confrérie et à ses travaux.
Eugraph fait remonter le début des recherches sérieuses sur la
liturgie des Gaules aux années 1927-1928, dans le cadre de la Province St Irénée.
On disposait à cette époque d’une documentation abondante, car il y avait une
pléiade de savants liturgistes catholiques-romains qui avaient beaucoup publié
sur la question (Mgr Duchesne, Dom Cabrol, Dom Leclerc, Max de Saxe…)31. Outre
lui-même qui était le leader et le maître d’oeuvre (c’est lui qui connaissait
le mieux les rites orientaux et occidentaux, et il lisait le latin couramment)
ce furent surtout Ignatieff pour l’hagiographie et Palachkowsky pour la
liturgie des Gaules, qui firent avancer les choses.
(28) En
fait, de la Yougoslavie, récemment constituée (en 1919-1920) sous la direction
de Pierre Ier. Son fils Alexandre lui succéda (1921-1934)
(29) « Ma
vie », in Vincent Bourne, ibid. p.108-109. L’entrevue d’Alexandre du Chayla
avec le staretz d’Optino n’est pas datée, mais elle a dû avoir lieu en janvier
1909, car il atteste lui-même qu’il s’y rendit sur les conseils du Métropolite
Antoine de Saint-Pétersbourg. Il y rencontra 3 staretz : Barsanuphe, Joseph et
Anatole. Il rentra à Lyon en avril 1921. Il y avait environ 400 moines à Optino
Poustyne, qui se trouve au S-O de Moscou, près de Kalouga.
(30)
Ibid. p.80.
(31)
Duchesne : Les Origines du culte chrétien ; Cabrol-Leclerc : Dictionnaire
d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie ; le prince-abbé Max de Saxe fut un
grand défenseur de l’épiclèse (voir p.9, note 35). Il y en eut beaucoup
d’autres.
9
Un grand évènement se produisit en 1929 : les confrères se
réunirent en séminaire sur les rites pendant 3 jours, dans leur local de
Saint-Cloud. Il y eut la célébration en latin des trois liturgies : romaine,
gallicane32 et byzantine. Puis il y eut une longue discussion, après plusieurs
exposés (dont un d’Eugraph Kovalevsky). La Confrérie décida alors de choisir le
rite des Gaules pour les français orthodoxes (à venir : ceux qui frapperaient à
la porte de l’Eglise orthodoxe ; il n’était pas question de prosélytisme). Ils
demanderont alors au Métropolite Euloge l’autorisation d’employer le rite
gallican, avec le calendrier occidental, mais ce dernier recula devant une
chose aussi audacieuse et répondit que cela dépassait sa compétence (c’est le
Métropolite Serge de Moscou qui osera, sept ans plus tard).
Hélas en 1930-1931, il y a un schisme au sein de l’Eglise
russe à Paris : le schisme eulogien. Le Métropolite Euloge, qui était de facto
l’exarque du Métropolite Serge de Moscou33, est sanctionné par ce dernier pour
avoir participé à Londres à une manifestation oecuménique contre la persécution
religieuse en URSS. Cela contraint le Métropolite Serge à le sanctionner : en
janvier1931, il est interdit par Moscou, qui nomme à sa place comme exarque le
Métropolite Eleuthère de Vilnius34. Euloge se rattache alors à Constantinople
(c’est l’origine de l’Archevêché russe du Patriarcat de Constantinople, appelé couramment
« la rue Daru »). Ce sera un drame, un déchirement au sein de l’émigration
russe. (Pour tous ces évènements, complexes, voir l’Annexe I, p. 16).
Lors de l’Assemblée Générale de 1931, seules quelques
personnes choisiront de rester dans le Patriarcat de Moscou, pour des raisons
ecclésiologiques (et non politiques), dont les membres les plus influents de la
Confrérie Saint-Photius (Eugraph et Maxime Kovalevsky, Vladimir Lossky). Le
Patriarcat de Moscou va reconstituer un évêché russe (rue Pétel) dans des
conditions difficiles et la Confrérie Saint-Photius sera rattachée directement
au Métropolite de Moscou [locum tenens du patriarche], bénéficiant d’un statut
de stavropigie. Il y aura alors trois juridictions russes en Europe et dans le
monde : le Patriarcat de Moscou, l’Eglise Russe Hors Frontières et l’Exarchat
russe de Constantinople.
De facto cela entraînera un semi effacement de la Confrérie,
parce qu’elle va se trouver coupée de son milieu naturel, l’émigration russe.
Toutefois, elle va continuer à oeuvrer en demeurant fidèle à ses engagements.
En 1932, au Congrès de la Confrérie à Montfort, un appel est lancé aux
orthodoxes de la diaspora pour participer à la grande oeuvre de restauration de
l’Orthodoxie occidentale. Le cap était maintenu, avec courage. En fait, le seul
soutien de la Confrérie était le Métropolite Serge de Moscou, personnellement,
car le Métropolite Eleuthère ne comprenait pas grand-chose à ces problèmes
(selon Pierre Kovalevsky, il était « borné » -Journal de 1931).
Alors que tout semblait compromis, sinon perdu, un évènement
va tout changer : la quête d’Orthodoxie d’une petite Eglise «
Catholique-Evangélique » dirigée par Mgr Louis Winnaert (1880-1937). Prêtre
catholique-romain en désaccord avec Rome sur des points importants, il quitte
l’Eglise romaine en 1918 (dont il est exclu), suivi par une partie de ses
paroissiens. Cherchant un port du salut, il se rapproche des Vieux-Catholique
(Utrecht) puis d’une branche « libérale », en Grande-Bretagne, qui le sacrera
Evêque. Se rendant compte qu’ils sont théosophes, il rompt avec eux. Toujours
en recherche, il lit les Pères de l’Eglise et transforme sa messe romaine
(suppression du Filioque, introduction d’une épiclèse, communion sous les deux
espèces pour tous). Le 11 novembre 1929 (St Martin !), lors d’une réunion
oecuménique, il rencontre le Père Lev Gillet, ancien prêtre uniate devenu
orthodoxe35, à qui le Métropolite Euloge avait confié en 1928 la
(32) Il
s’agissait d’un essai de restauration de la liturgie des Gaules fait en 1874
par le P. Vladimir Guettée (1816-1892), approuvée par le Saint Synode russe en
1876 et célébrée dans l’église de l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg.
C’était une reconstitution un peu « archéologique », parce que le P. Guettée
n’était pas liturge, mais elle avait le mérite d’exister.
(33) Il
n’avait jamais été nommé exarque et, dans ses Mémoires, il ne dit jamais qu’il
l’était.
(34)
Vilnius [en russe : Vilno], mais résidant à Kaunas, car Vilnius était en zone
polonaise. L’indépendance de la Lituanie permettait d’avoir des relations avec
l’Europe occidentale (la persécution de l’Eglise en URSS était terrible).
(35) Le
Père Lev Gillet (1893-1980) était un moine bénédictin attiré par la Russie et
le rite byzantin, et ami de Dom Lambert Beauduin qui fondera le monastère de
l’Union à Amay/Meuse en décembre 1925 (transféré en 1939 à Chèvetogne). Il
deviendra le secrétaire du célèbre Métropolite uniate de Galicie, le comte
Szeptyckij (à l’époque la Galicie était polonaise). Rentré en France fin 1926,
il est choqué par l’encyclique « Mortalium animos » de Pie XI, qui ferme la
porte à l’oecuménisme, et définitivement convaincu de la justesse de
l’Orthodoxie en lisant les « Pensées sur l’union des Eglises » de Max de Saxe
(1910) : il se rapprochera alors de l’Orthodoxie, dans laquelle il sera reçu
par le Métropolite Euloge, le 25 mai 1928. Il écrira de nombreux livres sous le
nom d’ « Un moine de l’Eglise d’Orient ».
10
première paroisse francophone (fondée en 1927), et se lie
d’amitié avec lui. Ils se rencontrent plusieurs fois et approfondissent les
questions de fond. Finalement, quelques jours plus tard, le P. Lev lui dit : «
Monseigneur, pourquoi n’êtes-vous pas orthodoxe ? ». « Parce que je suis
français ». Lev Gillet commence alors à l’initier à l’Orthodoxie : «
L’orthodoxie n’est pas un rite, elle contient tous les rites ». Aussitôt Mgr
Winnaert dévore toute la littérature orthodoxe et un jour, à son lever, il dit
à sa collaboratrice : « Je suis orthodoxe ». Il avait franchi le pas
intérieurement. Le Père Lev Gillet lui fait rencontrer le Métropolite Euloge le
11 novembre 1930 (toujours St Martin !), mais c’est sans lendemain parce qu’on
est en pleine crise ecclésiologique.
Alors, bien qu’étant lui-même sous la juridiction d’Euloge, le
Père Lev Gillet en parle à Eugraph avec lequel il était resté ami36 : il avait
intuitivement compris que le chemin ecclésial de cette communauté concordait
avec les buts de la Confrérie. En effet, les confrères et surtout ceux de la
Province Saint-Irénée avaient compris, dès 1928-1929, qu’ils ne pourraient
passer à l’acte, faire une expérience grandeur nature, qu’à la condition de
rencontrer des Occidentaux en recherche37, en quête d’Orthodoxie. Là, ils se
trouvaient vraiment face à un cas concret, pour lequel il fallait trouver
rapidement une solution ecclésiale et liturgique .
Mais, hélas, l’Orthodoxie était déchirée par le schisme
eulogien. Eugraph, malgré sa fougue habituelle se dit : on ne peut pas les
mêler à toutes ces difficultés internes de l’émigration russe38. Il conseille
alors au P. Lev Gillet de s’adresser à Constantinople. En septembre1932, Mgr
Winnaert demande officiellement à être reçu dans l’Orthodoxie, avec sa communauté
(2 paroisses en France et une en Belgique : environ 1200 fidèles et 5 prêtres).
Cette demande sera ensuite appuyée par le Métropolite Euloge, qui avait
consulté l’Institut Saint-Serge et dont l’avis était favorable. Il n’y aura
aucune réponse. Ils ne finiront par répondre qu’en 1935 et seulement parce que
le Père Lev Gillet était revenu à la charge en allant au Phanar. La réponse fut
très dure (l’épiscopat de Mgr Winnaert n’était pas reconnu, ce qui n’était pas
surprenant, mais même sa prêtrise était rejetée, ce qui le blessa
profondément). Cette dureté de coeur et ce mépris sont le grand péché de
l’Orthodoxie historique. Puis Photius II de Constantinople meurt : tout est
arrêté, alors que Mgr Winnaert, très malade depuis plusieurs années, est
quasiment mourant !
Le Père Lev comprend que tout est bloqué et conseille à Mgr
Winnaert de se tourner vers Moscou : il organise alors une rencontre entre Mgr
Winnaert et Eugraph Kovalevsky. Le Père Lev dit à Mgr Winnaert : « Je vous
amènerai cette semaine l’homme que je considère comme le plus remarquable à ma
connaissance : Eugraph Kovalevsky » (février ou mars 1936). Ce sera un trait de
génie, un geste prophétique. Les deux hommes s’entendent immédiatement. Le
vieil évêque occidental et le jeune homme russe partageaient plusieurs choses :
ils voulaient faire renaître l’Orthodoxie en Occident et ils étaient tous les
deux des serviteurs désintéressés de l’Eglise, centrés sur la liturgie. En
mars1936, Mgr Winnaert donne tous les documents à Eugraph qui rédige un rapport
et l’envoie au Métropolite Serge, le 22 avril 1936 (co-signé par Vladimir
Lossky, à qui Mgr Winnaert avait aussi écrit, en tant que Président de la
Confrérie).
Et le miracle se produit. Le 16 juin 1936, le Métropolite
Serge publie un oukase, un décret qui fait date dans l’histoire de l’Eglise39 :
il reçoit dans la communion de l’Eglise orthodoxe, Mgr Winnaert et sa
communauté en leur permettant de conserver le rite occidental, à certaines
conditions. Pour la première fois depuis 1000 ans un patriarche orthodoxe
d’Orient opérait une distinction entre la foi (orthodoxe) et le rite (rite
romain modifié). En fait, cette décision prophétique constituait déjà en
elle-même, symboliquement, une abolition du schisme de 1054.
(36) Le P. Lev Gillet avait rencontré Eugraph à Saint-Serge au
printemps de 1928 et ils étaient devenus immédiatement amis. Lors de la
réception du P. Lev dans l’Orthodoxie en 1928 à Clamart, c’est Eugraph qui
était chef de choeur. C’est lui qui demandera au P. Lev d’accepter d’être le
recteur de la première paroisse francophone, après la trahison du P. Deubner
(uniate qui se faisait passer pour orthodoxe). Ils s’estimaient mutuellement.
(37)Beaucoup
de gens en Occident étaient en recherche de « l’Eglise », à la suite de Vatican
I et aussi ébranlés par les horreurs de la guerre : en Allemagne (le Prof.
Heiler, célèbre historien de l’Eglise, protestant), en Hollande (des pasteurs
calvinistes), en Suisse (les « diaconies »), en Italie (le pasteur Ugo janni),
tous de tendance « catholique-évangélique » (ces milieux sont bien décrits par
Vincent Bourne dans « La queste de vérité d’Irénée Winnaert, p. 279). Il y
avait aussi tout le mouvement oecuménique, qui avait pris un grand essor avec
les conférences de Stockholm (1925) et de Lausanne (1927), et auquel les
Orthodoxes adhéraient. Le contexte général était favorable.
(38) Il
faut dire aussi qu’Eugraph avait été tellement blessé par le schisme eulogien,
qu’il tomba en dépression nerveuse en 1932. Il y avait la division au sein de
sa propre famille, qui était très liée avec le Métropolite Euloge.
(39)
Texte complet, en français, in Queste de vérité d’Irénée Winnaert, p. 292-294.
11
La Confrérie soutient fermement Eugraph. Par contre la
communauté patriarcale russe, qui conserve un attachement sentimental à
l’Eglise-mère, est dans une incompréhension totale. Un seul comprend : le Père
Michel Belsky40, qui avait fondé en 1935 la seconde paroisse russe
francophone41 (Notre Dame-Joie des Affligés et Sainte Geneviève), devenue d’une
certaine façon la paroisse de la Confrérie. Il faut aussi ajouter que
l’entourage de Mgr Winnaert réagit mal. Ce dernier avait demandé à Eugraph de
le relayer dans l’initiation à l’Orthodoxie de son clergé : ils suivent cela à
contre coeur, considérant ce théologien russe comme un intrus, d’autant plus
qu’il est jeune (il a 31 ans) et très cultivé.
Il faut mentionner quelque chose d’extrêmement émouvant et
important au plan spirituel. En novembre1936, Vladimir Lossky reçoit une lettre
d’un hiéromoine d’Athènes, contenant deux messages : le hiérodiacre Sophrony,
du monastère Saint Pantalémon (le monastère russe du Mont Athos) envoie deux
petites icônes pour Mgr Winnaert et lui transmet un message du « Vénérable
Silouane » : « Que Dieu donne à l’évêque Winnaert de connaître l’amour de Dieu
par le Saint-Esprit. Il vient avec ses ouailles de la petite lumière vers la
grande lumière de l’Orthodoxie… »42. Ce message de St Silouane de l’Athos est
comme un sceau de Dieu.
En 1937 l’accomplissement va se faire, alors que Mgr Winnaert
est mourant. En décembre 1936, le P.Michel Belsky l’avait reçu dans
l’Orthodoxie par la communion eucharistique, alors qu’il était en agonie. Puis,
un peu rétabli, il fut reçu dans le monachisme sous le nom d’Irénée et fait
archimandrite par le Métropolite Eleuthère. Il lui demanda alors d’ordonner
prêtre Eugraph Kovalevsky, après avoir demandé à ce dernier de continuer son
oeuvre, ce à quoi il s’engagea pour toujours. Le 7 février 1937, lors de la
Sainte Rencontre (reportée), l’Archimandrite Irénée Winnaert reçoit dans
l’Orthodoxie chacun de ses fidèles. Mais il meurt le 3 mars. Le Métropolite
Eleuthère ordonne prêtre Eugraph le 6 mars (tout le monde essaya de l’en
dissuader, car on lui prédit le martyre)43. Puis le 7 mars il concélèbra avec
le Métropolite Eleuthère les funérailles de Mgr Irénée (ce fut sa 1ère liturgie
)44.
Après, tout va se passer exactement comme dans les conciles
oecuméniques : on croit que tout est réglé et c’est la guerre. Les anciens
prêtres de Mgr Winnaert prennent tout de suite le jeune prêtre russe en grippe,
par jalousie et par ignorance, et surtout le P. Lucien Chambault qui estime
être successeur de droit, alors qu’il ne connaît rien à la théologie ni à la
liturgie (c’était un ancien journaliste)45. Les réunions consacrées à la correction
de la messe romaine utilisée par eux (correction demandée par le Métropolite
Serge) sont un désastre, car ils font de l’obstruction systématique (Le Père
Lev Gillet claque la porte, Vladimir Lossky se désole et le P. Eugraph est
réduit au silence). Le Métropolite Eleuthère ne comprend rien à tout cela et,
sur la suggestion du P. Chambault, il envoie le P. Eugraph desservir une
paroisse russe à Nice en octobre 1937 (alors que les autres prêtres russes
pressentis lui ont répondu « non »). C’est une catastrophe pour l’oeuvre de
l’Orthodoxie française et pour le petit groupe de français qui suivent le P.
Eugraph : ils avaient compris qu’il représentait l’avenir et que leur « Eglise
» devait maintenant devenir vraiment orthodoxe, tandis que l’ancien clergé de
Mgr Winnaert s’était installé dans une certaine marginalité
(40) Père
Michel Belsky (1884-1963) : ancien officier de l’armée blanche, ancien uniate
revenu à l’Orthodoxie en 1931 et ordonné prêtre en 1933, à la cathédrale russe
de la rue Pétel . Sa fille épousera un fils de Vladimir Lossky, Nicolas.
(41)Celle
fondée par le Mte Euloge, et dont le P. Lev G. était le recteur, était tombée
en sommeil. Elle disparaît en 1937.
(42)
Queste de vérité d’Irénée Winnaert, p.308.
(43)Lorsque
la famille Kovalevsky était réfugiée en Ukraine, Eugraph rencontra en Crimée, à
Simféropol l’archevêque Théophane de Poltava (1874-1940) qui y était réfugié et
qui était un visionnaire : il lui accorda un très long entretien au cours
duquel il lui traça sa vie. Il lui dit : « Tu seras malmené par la grâce…Ton
martyre sera de souffrir toute ta vie pour la vérité, non par les gens du
dehors, mais par les gens d’Eglise…». Eugraph avait 14 ans (fin 1919). Sa mère,
Inna, qui était une intellectuelle, essaiera de le dissuader en lui prédisant
la « galère orthodoxe occidentale » ! Il raconte lui-même qu’il avait souvent
refusé d’être ordonné diacre et prêtre. Là, il accepta parce qu’il avait promis
à Mgr Winnaert (qu’il appellera toujours « mon évêque ») de poursuivre son
oeuvre. Il sera fidèle jusqu’à la mort. Il fut ordonné prêtre à la cathédrale
des Trois Saints Docteurs (rue Pétel).
(44) Le
27 février 1937, le P. Lev Gillet écrira à son amie-disciple Elisabeth
Behr-Sigel : « L’avenir de l’Orthodoxie occidentale est entre les mains d’Eugraph.
Elle sera ce qu’il en fera. Et peut-être Dieu a-t-il réservé Eugraph pour cette
heure ». Magnifique prophétie ! (cité par E.B-S. dans Un moine de l’Eglise
d’Orient, p.275).
(45) A
tout cela s’ajoutaient des facteurs psychologiques : le P. Chambault souffrait
de disgrâces physiques (il était petit et boitait). Tout concourait chez lui à
une violente antipathie vis-à-vis de « ce jeune prêtre intelligent, de grande
culture et savant liturgiste », comme le nomme Maxime K. (Orthodoxie et
Occident, p. 73).
12
ecclésiologique et liturgique, avec une mentalité « passéiste
», comme le dit Maxime Kovalevsky. Beaucoup pousseront le P. Eugraph à
résister46. Finalement, il faudra intervenir directement auprès du Métropolite
Serge, qui donnera des ordres à Eleuthère, en août 1939 : le Père Eugraph
pourra rentrer à Paris et s’occuper de l’Orthodoxie française.
Mais il sortira au moins quelque chose de bon de cette épreuve
: le Métropolite Serge, qui était le seul à comprendre et à soutenir la
Confrérie, suggèrera la création d’une nouvelle communauté française,
correspondant aux objectifs de la Confrérie et distincte de l’ancienne paroisse
de Mgr Winnaert, et bénira la création d’un Centre missionnaire, le Centre
Saint-Irénée : créé le 31 août 1939, il est en fait à l’origine de la Paroisse
Saint-Irénée actuelle. Aussitôt rentré à Paris, le Père Eugraph se remet au
travail avec les confrères de la Province Saint-Irénée. Mais que de temps perdu
dans ce psychodrame ecclésiastique ridicule !
En effet, le lendemain c’est la guerre !47 Le Père Eugraph est
mobilisé, puis fait prisonnier : il passera presque 4 ans dans un camp de
prisonniers en Allemagne (où il accomplira des merveilles). Il racontera que
c’est là où il apprit à connaître le « peuple de France ». Mais il manquera de
mourir deux fois et sa santé, qui avait été déjà mise à rude épreuve pendant la
guerre civile en Russie, en sera altérée pour toujours. Pendant ce temps, le
Centre Saint-Irénée trouve un local dans l’Île Saint-Louis, où une chapelle est
aménagée dès 1941 (Léonide Ouspensky sculptera les portes royales et la croix
d’autel d’après les indications -écrites- du P. Eugraph). Le P. Eugraph est
libéré en octobre 1943, pour des raisons sanitaires (le typhus). Dès son
retour, il se remet au travail avec ardeur dans le local de l’île Saint-Louis:
-travail définitif et précis sur la restauration de la
liturgie des Gaules, avec l’aide de V. Palachkovsky (en février 1944, le centre
de recherches liturgiques Saint-Irénée y sera installé)
-travail pastoral (la chapelle, ouverte en déc.1943 deviendra
une paroisse le 11 novembre 1944)
-travail missionnaire d’enseignement (les bases de l’Institut
Saint-Denys sont posées, avec l’aide de Vladimir Lossky48 : il ouvrira ses
portes le 15 novembre 1944).
Le 29 juin 1944 a lieu la première célébration d’une liturgie
en rite des Gaules restauré pour la fête de St Irénée (reportée du 28 juin),
dans la chapelle Saint-Irénée. Cette restauration n’est pas archéologique, mais
pastorale. Etablie avec sérieux sur la base de documents antiques par des
orthodoxes issus d’une tradition liturgique vivante, et enrichie d’éléments
byzantins, tant par nécessité (défaillances ponctuelles dans les sources) que
par souci d’enrichissement théologique, au nom du principe de la compénétration
des rites, elle avait pour but de permettre à des orthodoxes occidentaux
d’avoir une vie liturgique qui soit simultanément ancrée dans l’Orthodoxie et
fidèle à la tradition locale venant de leurs Pères. Cette renaissance d’une
liturgie disparue depuis 1000 ans est le fruit de recherches scientifiques et
de la prière. Elle est aussi un miracle : les saints de la terre de France y
sont pour beaucoup.
En novembre1945, Maxime Kovalevsky49 accepte de prendre en
charge la composition des chants liturgiques (avec l’aide de Michel Zimine), en
utilisant les tons grégoriens (renouvelés et épurés) et les tons slaves.
En 1946, les statuts de « l’Eglise Orthodoxe de France »50
sont déposés, avec l’accord du Métropolite Séraphin, qui était le nouvel Exarque
du Patriarcat de Moscou à Paris (voir p.13). La même année, un local stable est
trouvé à Paris, l’ancienne église Saint-Denis des Vieux-Catholiques, boulevard
Blanqui, qui deviendra l’église Saint-Irénée (1ère liturgie : 13 octobre 1946).
(46) Le
P.Michel Belsky, Doyen des paroisses françaises, jouera un très beau rôle. Il
écrira au P. Eugraph : « Je vous somme de venir à Paris, en tant que membre de
mon clergé… ». Ses confrères de Saint-Photius aussi le reprendront sévèrement,
en lui reprochant d’abandonner l’oeuvre pour laquelle il a été ordonné prêtre.
Le P. Lev Gillet écrira au Métropolite Eleuthère, le 1er décembre 1937, une
lettre admirable d’exactitude théologique et de finesse psychologique pour
défendre le P. Eugraph (citée par Maxime K. in Orthodoxie et Occident, p.
74-77).
(47)Le
1er septembre1939 Hitler envahit la Pologne. Le 3 septembre, la France et
l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne.
(48)Un
français demandera au P.Eugraph des conférences sur St Denys l’Aéropagite, ce
qu’il fera avec l’aide de Vladimir Lossky. Ce sera le début de l’Institut
Saint-Denys (L’Institut Saint-Serge n’enseignait qu’en russe).
(49)Maxime
Kovalevsky (1903-1988) : frère aîné d’Eugraph et qui oeuvrera constamment à ses
côtés. Le plus grand compositeur de musique liturgique orthodoxe au 20e siècle.
Il était alors chef de choeur de la paroisse francophone Notre Dame-Joie des
Affligés et Sainte Geneviève.
(50)
Cette dénomination a été probablement choisie pour la distinguer du reliquat de
l’ancienne paroisse de Mgr Winnaert (dirigée par le P. Chambault), qui
continuait à s’appeler « Eglise orthodoxe occidentale ».
13
On aurait pu penser, en cette année 1946, que tout était
réglé, les principales difficultés étant surmontées, et que l’Orthodoxie
occidentale, enfin établie sur des bases solides, allait pouvoir prendre son
envol, dans une certaine paix ecclésiale. Il n’en fut rien. En effet un
évènement historique, qui avait d’abord suscité bien des espoirs, va se révéler
catastrophique : en septembre 1945, juste après la victoire des Alliés, il y
eut une grande réconciliation entre les trois juridictions russes, non
seulement parce que c’était le désir légitime du nouveau patriarche, Alexis51,
mais aussi parce que cela entrait dans le jeu diplomatique de l’URSS. Le
Métropolite Nicolas de Kroutitsy, bras droit du patriarche, fut envoyé à Paris
pour la sceller, sous la forme d’une grande liturgie présidée par la
Métropolite Euloge, dans la cathédrale St Alexandre-Nevsky. Il y eut à ce
moment-là des mouvements dans le personnel ecclésiastique et notamment des
transfuges de la « rue Daru »52 (ex-Exarchat russe de Constantinople) vers le
Patriarcat de Moscou (puisqu’il n’y avait plus qu’une seule juridiction, avec
un seul Exarque, le Métropolite Euloge). Selon le témoignage formel et précis
de Maxime Kovalevsky53, ces transfuges causèrent un tort considérable à
l’Orthodoxie occidentale52, car, depuis le schisme eulogien (1931), l’Exarchat
russe de Constantinople s’en désintéressait complètement.
Mais en août 1946 le Métropolite Euloge meurt et la belle
unité retrouvée éclate. Ce sera une nouvelle catastrophe, pire que celle de
1931. Alors que l’Exarchat russe de Constantinople se reconstitue autour de
l’Archevêque Vladimir (de Nice), Moscou nomme un nouvel Exarque à Paris (et
résidant), le Métropolite Séraphin54, qui venait de l’Eglise Russe Hors
Frontières, et dont le siège sera rue Pétel. Ce sera d’abord une bonne chose
pour le Centre et la paroisse Saint-Irénée, parce qu’ il comprenait le sens
ecclésiologique d’une Eglise orthodoxe occidentale. Mais il fut tellement
calomnié par son entourage55 qu’il fut destitué par Moscou, sans autre forme de
procès, et jeté à la rue, en 1949(56). Et le patriarche Serge n’était plus là
pour défendre l’oeuvre de la Confrérie Saint-Photius, l’Orthodoxie occidentale.
Néanmoins, la Confrérie avait rempli ses objectifs : il y
avait désormais une liturgie occidentale, qui allait devenir le socle d’un rite
occidental, et les bases d’une structure ecclésiale occidentale. En fait le
Centre Saint-Irénée avait pris le relais de la Confrérie à partir de 1943-44.
Mais cette mutation provoqua des tensions et des incompréhensions au sein de la
Confrérie57, qui eut de plus en plus tendance à devenir un organisme au service
du Patriarcat de Moscou : elle ne correspondait plus à l’esprit qui avait
présidé à sa fondation. C’est le P. Eugraph lui-même qui proposera à son ami
Vladimir Lossky, dernier Président de la Confrérie, de la fermer, ce qu’il fera
le 8 novembre1950, avec l’assentiment du Patriarche Alexis. Le flambeau était
passé à la toute jeune et petite Eglise orthodoxe française.
(51)
Après les désastres militaires de 1941, Staline avait besoin de l’Eglise pour
soutenir le patriotisme russe (si les Soviétiques avaient été vaincus à
Stalingrad en février 1943, toute la Russie aurait été envahie par l’armée
allemande et la face du monde eut été changée) : il a donc libéralisé un peu la
vie religieuse et permis la réunion d’un concile orthodoxe à Moscou en
septembre 1943. Le Métropolite Serge fut élu Patriarche. Mais il mourut peu
après, en mai 1944. Le Métropolite Alexis sera élu Patriarche en janvier 1945.
(52) En
particulier l’Archimandrite Nicolas Ieremine, qui était auparavant professeur à
l’Institut Saint-Serge : il devint Recteur de l’église des Trois Saints
Docteurs (ex-cathédrale russe pendant quelques mois) et il vouera une haine
farouche au P. Eugraph Kovalevsky, notamment en soutenant le P. Chambault
contre lui.
(53)
Orthodoxie et Occident, p.128-131.Maxime insiste beaucoup sur le changement
d’ambiance et d’atmosphère constaté à partir de 1946, qui touchera aussi la
Confrérie Saint-Photius.
(54)
Monseigneur Séraphin Loukianov, Exarque à Paris de 1946 à 1949.
(55) Et
surtout par l’Archimandrite Nicolas Ieremine, qui était le Recteur de la
cathédrale, et qui sera le meneur de cette agitation. Il en tirera un grand
profit : d’abord chargé des affaires courantes en l’absence d’évêque (le nouvel
Exarque, l’Archevêque Boris de Berlin, ne sera nommé qu’en 1951), il sera
ensuite sacré évêque à Berlin, en 1953, après avoir réussi à faire échouer le
projet d’ordination épiscopale du P. Eugraph, et deviendra le nouvel Exarque du
Patriarcat de Moscou en 1954. L’Eglise est parfois pire que « le monde »…
(56) Il
n’arrivera à survivre que grâce à l’aide matérielle du P. Eugraph et de la
paroisse Saint-Irénée.
(57)
Maxime K. : « Le climat général se dégrade et atteint l’esprit pionnier de la
confrérie ». Ibid. p. 130.
14
CONCLUSION
La Confrérie Saint-Photius a accompli une oeuvre admirable et
prophétique, qui correspondait au dessein de Dieu et qui constitue, dans le
mystère, le rachat du péché de 1054. Chacune des deux parties, en effet, a dû
se porter au-devant de l’autre, en accomplissant une ascèse :
- Les Occidentaux ont pris conscience de leur déficience
théologique et du fait qu’ils ne pouvaient retrouver leurs racines qu’en
s’adressant à leur soeur orientale, l’Eglise orthodoxe historique, qui avait
conservé le trésor. Ils retrouvaient l’unité de foi, base de la catholicité.
- Les Orthodoxes ont repris conscience du fait que leur soeur
occidentale existait et qu’ils devaient lui tendre la main. Cela impliquait de
facto qu’ils acceptent le retour à la multiplicité des rites, dans l’unité de
la foi.
Mais, hélas, il y avait en germe, en 1950, toutes les
difficultés à venir :
- D’une part, les deux principales juridictions russes vont
évoluer dans un sens contraire à celui de la Confrérie (tout en demeurant
antagonistes) :
.l’Exarchat russe de Constantinople (la « rue Daru ») s’était
désintéressé des travaux de la Confrérie après 1931 et avait même rompu avec
elle après 1935 (à cause de la controverse sophiologique)58. Elle évoluera vers
une simple « francophonie » et sera rapidement hostile à la jeune Eglise
française naissante. Le fait d’être soumise à Constantinople y sera pour
beaucoup en raison de la théorie du « bi-papisme » (Rome-Constantinople), très
bien décrite par Maxime Kovalesvsky59.
.L’Evêché du Patriarcat de Moscou, après la mort du Patriarche
Serge en 1944 et la destitution du Métropolite Séraphin en 1949, oubliera
l’esprit et l’oeuvre de la Confrérie et se repliera sur un amour sentimental de
l’Eglise-mère.
- D’autre part, les Occidentaux demeureront divisés :
l’ancienne paroisse de Mgr Winnaert luttera ouvertement contre le Centre
Saint-Irénée et le P. Chambault aura une responsabilité très grave dans la
rupture de la jeune Eglise française avec le Patriarcat de Moscou en 1953, en
sachant habilement s’allier aux émigrés centrés sur la nostalgie de
l’Eglise-mère60 ainsi qu’aux hiérarques moscovites ignorants tout du problème
(sa toute petite communauté, mi-romaine, mi-byzantine, disparaîtra avec lui)
La jeune Eglise orthodoxe française aura à souffrir
constamment d’incompréhension, de critiques et de calomnies (que Maxime
Kovalevsky qualifie « d’absurdes »)61. Malgré cela, elle se développera
beaucoup et rapidement, car le P. Eugraph avait un sens pastoral exceptionnel :
non seulement il était un liturge inspiré62, mais encore ses homélies et ses cours
transportaient les foules. Cette « moisson abondante » suscitera de grandes
jalousies et lui vaudra beaucoup d’inimitiés, pour ne pas dire de haine (cf.
Annexe II).
Outre ce fruit, dont la plupart d’entre nous sommes les images
visibles, la Confrérie influencera durablement la plupart des paroisses de rite
byzantin d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord (surtout celles qui
célèbrent en langues vernaculaires) en restaurant un esprit d’Eglise et un mode
de célébration conformes à la véritable Tradition, dépouillés de nombreux
usages inexacts ou inutiles.
La Confrérie Saint-Photius a renouvelé l’Eglise orthodoxe en
profondeur. Mais nous n’en sommes qu’au début : cette semence va germer et
produira des fruits dans les siècles à venir, pour la gloire de Dieu,
conformément à ce que le Saint-Esprit a dit par la bouche du prophète Isaïe : «
Ma parole ne retourne pas à Moi sans effet » (Is.55/11).
Père Noël TANAZACQ
(Conférence faite le jeudi
29 août 2013 ; revue et augmentée de 3 annexes le 10 décembre 2013)
(58) Voir
Annexe II, p.18 et la n.6. (59)Orthodoxie et Occident, p. 39-44.
(60) La
collusion entre le P. Chambault et l’Archimandrite Ieremine provoquera
directement la rupture de 1953 entre l’Eglise française et le Patriarcat de
Moscou, qui sera un désastre ecclésiologique. Par leurs calomnies contre le P.
Eugraph, ils réussiront à influencer le Métropolite Nicolas de Kroutitsy et à
faire échouer le projet audacieux et prophétique du Patriarche Alexis, qui
était de créer à Paris deux vicariats, un pour les Russes et un pour les
Français et de sacrer un évêque pour chacun d’eux (l’évêque français devait
être le P. Eugraph, qui avait été élu par son troupeau). Le Métropolite
Nicolas, se rendant compte qu’il avait été trompé, enverra un émissaire au P.
Eugraph pour exprimer son repentir. Mais c’était trop tard…(voir Divine
Contradiction II, p.168-188). (61) Voie Annexe II, p.20 et la n.11.
(62) Un fidèle
de Saint-Irénée -futur prêtre- dira, beaucoup plus tard : « lorsque l’Evêque
Jean célébrait les divins mystères, nos mains touchaient les pieds des anges ».
15
ANNEXE I
Le contexte historique de l’Eglise orthodoxe en Russie et en
U.R.S.S. (1917-1950)
A partir du début du18e siècle, l’Eglise orthodoxe russe fut
asservie au pouvoir impérial : en 1721, Pierre le Grand supprima le Patriarcat
et institua un synode d’évêques pour gouverner l’Eglise, au sein duquel
siégeait en permanence son représentant, le « procureur général », qui en fait
contrôlait l’Eglise pour le tsar. Le chef de l’Eglise russe était,
nominalement, le Métropolite de Moscou.
En 1917, entre la révolution de février (mars) et celle
d’octobre (novembre) l’Eglise profita de cette liberté pour réunir un concile,
qui rétablit le Patriarcat et élit patriarche le Métropolite Tikhon de Moscou.
Dès l’arrivée au pouvoir des Bolchéviks, avec Lénine, la persécution religieuse
commença (de même que la guerre civile entre les « Rouges » et les « Blancs »).
Le Concile de Moscou sera expulsé par les communistes en septembre 1918 et donc
contraint d’arrêter son travail de renouvellement de l’Eglise.
En novembre 1920, le Patriarche Tikhon autorisait les évêques
russes de l’étranger à constituer temporairement des organisations
indépendantes, en raison de l’impossibilité d’avoir avec eux des relations
normales. En 1921, un synode d’évêques russes émigrés se réunit en Serbie1, à
Karlovtsy2 autour du célèbre Métropolite Antoine de Kiev3. Mais les évêques réunis
outrepassent les questions proprement religieuses et appellent au retour des
Romanov (Nicolas II et toute sa famille avaient été assassinés par les
Bolchéviks, le 16 juillet1918). Le 22 avril 1922, le Patriarche Tikhon,
contraint par les Soviétiques, ordonne la dissolution du synode de Karlovtsy,
ce que les évêques acceptent formellement. Mais ils le reconstituent peu après.
Après la victoire définitive des communistes en 19224, la
persécution se déchaîne : le Métropolite Benjamin de Petrograd5 est exécuté.
Pendant que les communistes persécutent, une Eglise parallèle se constitue : «
l’Eglise vivante »6, Eglise progressiste soutenue en sous-main par le pouvoir
soviétique, qui espère ainsi affaiblir l’Eglise orthodoxe en la divisant. Le
Patriarche Tikhon est arrêté en 1922, puis relâché en 1923. Il luttera
courageusement contre les communistes, tout en essayant de trouver une voie
médiane pour que l’Eglise puisse survivre, et contre l’Eglise vivante, pour
empêcher la division de l’Eglise. Mais finalement il est « hospitalisé » et
empoisonné : il meurt le 15 mars 1925(7). Il aurait rédigé une déclaration de
loyauté vis-à-vis de l’Etat soviétique avant de mourir : beaucoup en ont
contesté l’authenticité, mais les archives semblent le confirmer.
Son successeur désigné, le métropolite Pierre de Kroutitsy8
devient le locum tenens (en attentant un concile), mais il est déporté
aussitôt. Il est remplacé par le Métropolite Serge9 de Nijni Novgorod, qui sera
qualifié du titre étrange et redondant de « remplaçant du locum tenens » (parce
qu’un locum tenens doit être désigné par l’ancien patriarche -lorsque les
circonstances le permettent- et confirmé par un Synode : il gère les affaires
courantes en attendant l’élection d’un patriarche. Dans le cas de Serge, c’était
simplement un état de fait). Serge est plusieurs fois emprisonné, et notamment
de décembre 1926 à mars 1927, où les Soviétiques s’efforcent de le «
conditionner ».
(1)En
fait, dans la nouvelle Yougoslavie, créée en 1919-1920.
(2)L’Eglise
serbe a rétabli son Patriarcat en 1920 (Le Patriarcat de Peḉ
avait été supprimé en 1766 par les Turcs Ottomans sur la suggestion de
Constantinople). La ville de Karlovtsy venait d’être récupérée sur la Hongrie :
elle deviendra le siège du Patriarcat serbe.
3)
C’était un évêque remarquablement intelligent et un grand liturge : tout le
monde pensait qu’il serait élu patriarche en 1917. Il était apparenté aux
Kovalevsky.
(4) Les «
Blancs » sont vaincus en 1922. L’URSS est constituée en décembre 1922 (y
compris l’Ukraine et les républiques du Caucase). Il y a une terrible famine
d’août 1921 à février 1922. Lénine mourra en 1924 : Staline lui succèdera.
(5) Nom
donné à Saint-Pétersbourg en 1914 pour le russifier.
(6)Créée
en mai 1922, elle durera jusqu’en 1946.
(7) Il sera
canonisé (fête le 25 mars).
(8) Le
Métropolite de Kroutitsy est le 2ème personnage de l’Eglise russe, une sorte
d’adjoint du Patriarche.
(9) Le
Métropolite Serge avait adhéré en1922 à l’Eglise vivante, parce qu’il avait été
trompé (on lui avait montré un texte en sa faveur, soi-disant signé par le
Patriarche, mais c’était un faux). Il fera pénitence publiquement et sera
réintégré dans ses fonctions.
16
En 1927, il conclut une sorte de concordat avec le
gouvernement soviétique (la « Déclaration du 16 juillet 1927 ») et obtient une
« autorisation de fonctionnement d’un Synode d’évêques » à condition qu’il n’y
ait aucune attitude anti-soviétique, tant en Russie qu’à l’étranger. Mais,
néanmoins, l’Etat soviétique interdit l’élection d’un nouveau Patriarche. Le
Métropolite Serge écrit alors à tous les évêques russes à l’étranger pour leur
demander un engagement personnel écrit de ne rien faire qui puisse être pris
pour une déloyauté envers le gouvernement soviétique.
Le Métropolite Euloge, à Paris, est l’exemple même du cas de
conscience d’un évêque russe de l’étranger à cette époque. Il avait fait partie
du Synode de Karlovtsy et avait été envoyé par lui à Paris comme Archevêque
pour l’Europe occidentale. Mais il avait aussi demandé la bénédiction du
Patriarche Tykhon, qui l’avait confirmé : en Janvier 1922, il sera élevé au
rang de Métropolite. Il gardait des relations simultanément avec les deux
structures ecclésiales, parce que la situation était difficile et complexe. En
1926 il rompt avec le Synode de Karlovtsy, qu’il trouve trop engagé
politiquement. Il signe donc l’acte de loyauté demandé par Serge, tandis que
les « karlovtsiens » le rejettent. Le Métropolite Serge interdit le Synode de
Karlovtsy, qui prit alors son indépendance : ce sera la naissance de l’Eglise
Russe Hors Frontières, dont le Métropolite Antoine sera le chef (après le 2e
Guerre Mondiale : ils se transporteront à Münich -territoire sous contrôle
américain, alors que la Yougoslavie devenait communiste- puis, en 1949, ils
s’installeront définitivement à New-York). Euloge est confirmé dans ses
fonctions, mais ses relations avec Serge sont tendues.
A cette époque, il y avait régulièrement en Occident des
manifestations contre les persécutions religieuses en URSS, qui embarrassaient
le gouvernement soviétique mais causaient souvent un surcroit de persécution à
l’Eglise. En Janvier 1930, le pape Pie XI lance un grande « croisade de prières
» pour les victimes des persécutions en URSS : elle aura une audience
considérable. En février 1930, le Métropolite Serge se fait piéger par les
services secrets soviétiques : ils écrivent un texte dans lequel il est dit
qu’il n’y a pas de persécution de l’Eglise en URSS et ils lui font signer,
alors qu’il est tenu à l’isolement. Puis les Soviétiques communiquent ce texte
discrètement à un journal français qui le publie10. Cela provoque un tollé
d’indignation en Europe Occidentale et en Amérique du Nord. Le Métropolite
Euloge se laisse alors entraîner dans une grande manifestation oecuménique à
Londres, où il prend part à une célébration à Westminster en faveur des
Chrétiens persécutés de Russie. Le 11 juillet 1930, il fut démis de ses
fonctions par Serge de Moscou, ce qui fut confirmé le 6 janvier 1931 (Euloge
était interdit). Il en appela alors au Patriarche Photius II de Constantinople,
qui le reçut dans sa juridiction le 17 février1931. C’est à l’origine de
l’Archevêché russe du Patriarcat de Constantinople (la « rue Daru »).
Les persécutions continuèrent en URSS : ce fut un véritable
holocauste. En 1940, il ne subsistait que quelques centaines d’églises
paroissiales sur 70 000 et seulement 4 évêques ; 40 000 prêtres et plus de 600
évêques avaient été assassinés, 40 à 60 millions de fidèles avaient péri. Il
n’y avait plus aucun monastère, aucun séminaires ni école de théologie, aucune
publication 11.
Malgré tout cela, en avril 1934, un Synode accorda au
Métropolite Serge le titre de « Béatitude », ce qui était l’équivalent d’une
reconnaissance de son patriarcat (mais il n’était pas intronisé).
Un grand changement se fera après juin 1941 et les terribles
défaites de l’Armée rouge infligées par l’armée allemande. Staline avait besoin
de l’Eglise pour mobiliser le patriotisme russe. Il libéralisa l’Eglise, qui
commença à se reconstituer. Le 4 septembre 1943 il y eut une rencontre entre
Staline et les hiérarques (le Métropolite Serge, le Métropolite Alexis13 -futur
patriarche- et le Métropolite Nicolas –futur adjoint d’Alexis). Le 8 septembre
1943, un concile de 19 évêques se tînt à Moscou : Serge fut élu patriarche (et
intronisé le 12 septembre). Mais il mourut peu après, le 15 mai1944. Un concile
se réunit le 31 janvier 1945 et élit Alexis Patriarche (intronisé le 4 février
1945). Il sera patriarche jusqu’en 1970. Son adjoint sera le métropolite
Nicolas de Kroutitsy, qui jouera un grand rôle dans les affaires occidentales,
d’abord positif puis négatif.
(10)
Mémoires du Métropolite Euloge, Paris, Saint-Serge, 2005. Il est un des rares à
dire la vérité sur cette question épineuse, qui a déchiré les Russes. Le
Métropolite Serge a été accablé et considéré comme un traître par beaucoup de
russes émigrés et même par certains orthodoxes en URSS. Pourtant, il fut un
évêque simultanément pragmatique (sauvant ainsi l’Eglise russe) et prophétique,
bénissant l’oeuvre missionnaire de la Confrérie Saint-Photius et du P.Eugraph.
Vladimir Lossky parle toujours de lui en l’appelant « le béatissime Serge de
Moscou ». L’histoire lui rendra justice.
(11)Histoire
de l’Eglise russe, Nouvelle Cité, 1989. Cette partie est écrite par Dimitri
Pospielovsky.
(13)
Comme Serge, il avait été membre de l’Eglise vivante pendant un temps.
17
ANNEXE II
La personne d’Eugraph Kovalevsky, signe de contradiction
A la suite de cette conférence, il y eut un débat et des
questions posées. L’une d’entre elles -posée par un de nos évêques- était très
importante : Pourquoi le P. Eugraph a-t-il rencontré tant d’hostilité ? J’y ai
répondu alors brièvement. Mais c’est une question très difficile, à laquelle on
ne peut pas répondre en quelques mots, qui dépasse le cadre chronologique de
cette conférence stricto sensu (l’évènement qui suscitera le plus d’hostilité
et d’incompréhension, à savoir la rupture avec le Patriarcat de Moscou, se
passera en 1953) et l’opinion qu’on peut avoir sur une personne comporte
toujours une part de subjectivité, surtout si on l’a connue. Voilà pourquoi je
la traite en annexe et plus longuement.
En préambule, il est utile de rappeler que, comme tous les
génies et les charismatiques, Eugraph Kovalevsky a suscité autant d’admiration
que d’hostilité, parce que ces personnages constituent en eux-mêmes une remise
en question des communautés humaines dans lesquelles ils vivent et sont cause inévitablement
de changements, qui sont parfois même des bouleversements, et donc qu’ils
dérangent : ils sont presque toujours des signes de contradiction.
La 1ère raison, objective, est que la mission qui fut confiée
à Eugraph K. par Dieu avait une importance capitale et constituait une remise
en cause de toute l’ecclésiologie chrétienne (pas seulement orthodoxe !). Au
fond, la véritable finalité était (et est toujours) de refaire l’unité de
l’Eglise, mais non selon des pensées d’homme, non selon les concepts
habituellement admis dans les milieux ecclésiastiques et chez les théologiens.
Cela concerne donc tout le monde, tous les Orthodoxes, tous les chrétiens et
même toute l’humanité. Cette « bombe ecclésiologique » ne pouvait évidemment
pas passer inaperçue et dérangeait les pouvoirs religieux en place (ce qui est
toujours le cas). Le contenu même du message dont il était porteur était
totalement nouveau, grave et universel. Or les institutions religieuses en
général, et chrétiennes en particulier, sont conservatrices et formalistes.
Tout ce qui n’est pas dans la norme (les sacro-saints « canons ») et dans les
usages (qui sont en fait des habitudes et que l’on confond souvent avec la
Tradition ) dérange1.
La 2e raison est qu’Eugraph K. ne s’est pas contenté de «
penser » de lancer des idées, d’écrire, mais qu’ il osa passer à l’acte, ce qui
est rare chez les personnes de génie. Maxime Kovalevsky a bien souligné cet
aspect2 : tant qu’on reste au plan de la pensée, des concepts, des idées, on
peut dire et écrire à peu près tout ce qu’on veut ; à partir du moment où l’on
passe à l’acte, cela dérange et suscite beaucoup d’hostilité. On ne vous le
pardonne pas.
La 3e raison est constitutive de son être spirituel. Eugraph,
depuis son enfance, mettait rigoureusement en pratique un élément essentiel de
l’enseignement du Christ : le Seigneur, pendant Ses trois années de mission sur
la terre, n’a pas cessé d’enseigner et de montrer par Ses miracles qu’il
fallait pratiquer la Loi en esprit et non selon la lettre, qu’il fallait
changer son coeur et non d’apparence extérieure. On peut même dire que c’est la
raison principale de Sa condamnation à mort : les prêtres, les scribes et les
Pharisiens Lui reprocheront violemment de ne pas pratiquer la Loi et de la
transgresser, allant même jusqu’à dire qu’Il faisait des exorcismes par le
pouvoir de Satan (Baal). Mais l’Eglise, qui est souvent formaliste à l’excès,
s’attachant plus aux règles extérieures qu’à l’esprit du Christ, perpétue
souvent ce péché des Juifs. Or Eugraph s’attachait toujours à l’esprit des
choses et non à leur forme extérieure : c’était une volonté de ressemblance au
Christ, un choix spirituel. Et c’était accentué chez lui par le fait qu’ il
avait un charisme lié à son « intelligence lumineuse »3 : il savait distinguer
d’emblée l’essentiel du secondaire. Il attachait une valeur absolue à
l’essentiel, à l’esprit, et y consacrait toute son énergie, et une valeur
relative au reste. Cela était d’ailleurs conforme aux principes de la Confrérie
Saint-Photius (cf. p.6).
(1) J’en parlais un jour avec un vieil évêque russe de mes
amis, qui avait très bien connu Eugraph, et il me répondit par une boutade
étonnante, mais révélatrice : « Dans l’Eglise, lorsqu’une tête dépasse, on la
coupe »…
(2) Dans son livre magistral Orthodoxie et Occident,
p.294-296.
(3) Une des expressions utilisées par plusieurs témoins pour
caractériser Eugraph. On en trouve un équivalent sous la plume du P. Lev
Gillet.
18
Le P. Eugraph enseignait toujours que la vie était supérieure
aux canons4, ce qui est conforme à l’enseignement du Christ et à la Tradition
chrétienne. Ce comportement sera souvent mal interprété : il sera souvent
accusé de désobéissance et de laxisme. En fait, il n’a jamais désobéi, au sens
spirituel, en esprit, mais il lui est arrivé de relativiser des règles et des
canons qui étaient inapplicables dans certaines circonstances et à certaines
personnes : il a pratiqué largement « l’économie », qui est une grande
tradition spirituelle de l’Eglise orthodoxe5. L’exemple le plus flagrant est
celui du calendrier : il a défendu pour les Orthodoxes occidentaux le droit de
conserver le calendrier grégorien, alors que les « vieux russes » faisaient du
calendrier julien une chose non négociable, un casus belli. Mais le problème du
calendrier était absolument secondaire, d’ordre historique et psychologique et
non théologique. A notre époque, cela ferait sourire…On peut ajouter qu’il
n’avait pas du tout un esprit juridictionnel, relativisant les juridictions
ecclésiales et considérant que l’Eglise orthodoxe était d’abord « une ». Il ne
s’est pas fait des amis…
La 4e raison tient au fait qu’Eugraph K., malgré toutes les
difficultés qu’il a rencontrées, l’hostilité, les incompréhensions, les mauvais
concours de circonstances (et aussi la malchance !), ait eu beaucoup de succès,
de réussites. Toutes ses entreprises ont été fécondes. Même lorsqu’il fut «
exilé » à Nice en 1937, en raison de la bêtise et de la jalousie de certains de
ses confrères (voir p. 11), il a très bien réussi et en quelques mois a remonté
la paroisse russe qui végétait et dont personne ne voulait s’occuper. Cette
réussite a suscité d’énormes jalousies. Or la jalousie est absolument féroce
dans les milieux ecclésiastiques (pour ce citer que deux cas historiques
célèbres : St Syméon le Nouveau Théologien, au 11e siècle, a été persécuté par
le syncelle du Patriarche par jalousie ; plus près de nous, en 1890, St
Nectaire d’Egine s’est fait jeter hors du Patriarcat d’Alexandrie par
jalousie). Les deux personnes qui ont fait échouer le sacre du Père Eugraph en
1953 par la calomnie, l’ont fait par jalousie, sous-tendue par l’ ambition pour
l’un et par la bêtise pour l’autre (voir page 14, note 60). Plusieurs auraient
bien voulu « récupérer » Eugraph et le faire travailler pour eux. Mais il a
toujours été d’une fidélité absolue à sa mission : il n’a pas dévié d’un iota,
il a obéi à Dieu. Cette obéissance passait par l’engagement qu’il avait pris
vis-à-vis de Mgr Irénée Winnaert sur son lit de mort. Il a donné sa vie pour la
mission que Dieu lui avait confiée.
A toutes ces raisons objectives, non liées directement à la
personnalité d’Eugraph, on peut ajouter que le contexte historique et religieux
a été très défavorable et lui a beaucoup nui : il s’agit des divisions
juridictionnelles liées aux problèmes politiques (la persécution des chrétiens
en URSS) qui ont empoisonné l’atmosphère et déchiré l’émigration russe pendant
toute cette période. Le schisme eulogien a été une catastrophe, parce que la
Confrérie perdait son substrat naturel et Eugraph aura beaucoup à en souffrir,
car il perdra la bienveillante protection du Métropolite Euloge, qui
l’appréciait beaucoup, et donc aussi la caution de l’Institut Saint-Serge
(surtout après 1935, en raison de la controverse sophiologique6, qui à travers
le P. Bougakov atteignait l’Institut St Serge).
Il faut aborder maintenant la personnalité d’Eugraph, qui a
été souvent mal comprise, suscitant ainsi une vive hostilité et donnant lieu à
de nombreuses calomnies. Ne pouvant pas contester le contenu, on s’est attaqué
à l’homme.
Il y avait simultanément chez ce jeune homme des dons
extraordinaires7 et un désintéressement total, ce qui est rare et difficilement
admissible pour la plupart des gens. En général lorsque quelqu’un a beaucoup de
dons, il est ambitieux et a envie de réussir (que ce soit dans la société ou
même dans l’Eglise). Maxime Kovalevsky avait très bien discerné cela chez son
frère et a beaucoup insisté là-dessus : les gens ne pouvaient pas croire qu’un
homme aussi doué pût être aussi désintéressé (et donc honnête !) : on lui
prêtait alors des intentions machiavéliques, des calculs, une
stratégie. Mais tout cela était faux. Un exemple parmi
d’autres : on l’a accusé souvent de vouloir
(4) Les canons ne sont que des règles de vie promulguées à une
époque donnée, pour un peuple donné et dans des circonstances données : ils
n’ont pas un caractère absolu. La plupart sont d’ailleurs obsolètes et
inappliqués. Ce qui importe, c’est l’esprit des canons et non pas leur lettre.
Les canons sont faits pour l’Homme et non l’Homme pour les canons.
(5)Maxime K. écrira : « Entraîné par sa vision prophétique,
qui dépassait le temps et brûlait les étapes, le P. Eugraph considérait son
devoir d’obéissance avant tout selon l’esprit et l’économie » (Orthodoxie et
Occident, p.135).
(6) Vladimir Lossky, président de la confrérie, dénonça en
1935 les thèses du P. Boulgakov, Doyen de St Serge, au Métropolite Serge de
Moscou, qui les condamna. Le Métropolite Euloge en fut blessé et rompit avec la
Confrérie.
(7) Le Père Lev Gillet, qui était lui-même d’une grande
intelligence et très cultivé, dira à Mgr Winnaert qu’Eugraph est « l’homme que
je considère comme le plus remarquable à ma connaissance » (voir p.10). .
19
devenir évêque8 à tout prix. Mais la mission dont il avait été
investi supposait absolument un évêque, car sans évêque il n’y a pas d’Eglise.
Or aucun autre que lui n’était capable, dans ce cadre-là, d’assumer cette
fonction, de comprendre le sens de cette mission, et le troupeau dont il avait
la charge le réclamait comme évêque. Il a espéré trouver un occidental capable
d’assumer cette fonction (il l’a demandé à Dieu pendant 12 ans8), mais il ne
l’a pas trouvé. Le seul dans l’Orthodoxie historique à l’avoir compris, à cette
époque, était le Patriarche Serge de Moscou, mais il est mort en 1944.
Il y a une explication à ce paradoxe, c’est qu’Eugraph était
avant tout un spirituel. On ne peut pas le comprendre, si l’on oublie que le
coeur de sa vie et de son être était sa relation intime avec Dieu (lorsqu’il
parlait en chaire, il disait souvent, les yeux tournés vers le Ciel : « la
Divine Trinité, mon unique Ami », avec un accent russe inimitable). Dieu était
vraiment le centre de sa vie, et tout le reste était secondaire. Il n’agissait
et n’oeuvrait que pour le bien de l’Eglise de Dieu, sans rien prendre pour
lui-même.
Un autre aspect important de sa personnalité était sa liberté.
Au plan religieux sa voie était celle d’un prophète et au plan personnel il
était avant tout un artiste. Or les prophètes et les artistes sont libres. Il
était absolument impossible de l’enfermer dans un conformisme quelconque. Il
était toujours « lui-même », sans langue de bois et sans tricherie. Il avait la
même liberté et la même facilité de communication avec les clochards qu’avec
les princes. Or, pour beaucoup de gens, la liberté est insupportable.
L’humanité déchue aime le conformisme. Tous ceux qui sont détenteurs d’autorité
aiment le conformisme. Cette liberté allait de pair avec une créativité
extraordinaire : il faisait toujours du neuf ; dans tous les domaines il
innovait. En théologie, il ne se contentait pas de rabâcher, de redire ce que
les Pères avaient dit : il disait des choses nouvelles, qui n’avaient pas été
dites. Il a écrit d’admirables prières liturgiques, dans le style du rite des
Gaules, mais souvent meilleures que les anciennes. Ses créations
iconographiques étaient très audacieuses. Il a composé de nombreuses mélodies
liturgiques (que son frère Maxime mettait en forme et harmonisait). Eugraph
avait aussi un charisme particulier lié à la liberté et à la créativité : il ne
se définissait jamais « contre », ni contre les personnes (dont il ne disait
jamais de mal ) ni contre des idées. Il se définissait exclusivement « pour »,
positivement, par rapport à la Vérité, par rapport à Dieu. Il ne critiquait pas
ceux qui se trompaient, mais il rétablissait la vérité, sans les contredire, et
donc sans les blesser. Et il savait toujours voir le bien, même chez ceux qui se
trompaient ou se conduisaient mal.
Ces traits essentiels de sa personnalité seront souvent mal
compris et mal interprétés. Après son sacre épiscopal, en 1964, plusieurs
personnes de son entourage, et notamment des prêtres qui étaient ses
collaborateurs, souhaitaient qu’il change d’apparence extérieure, de style, de
mode de vie. Ils voulaient en faire un évêque « bien comme il faut », conforme
au style ecclésiastique : au fond, ils voulaient le « formater ». Mais l’évêque
Jean était aux antipodes du style ecclésiastique, des conformismes et des
mondanités religieuses. Il était un homme libre et il est demeuré libre.
Plusieurs ne comprendront pas, se révolteront et l’abandonneront. Il avait « la
liberté des enfants de Dieu ». Mais il faut ajouter quelque chose : cette
liberté allait de pair avec une vie chrétienne exemplaire. Depuis qu’il était
enfant, il s’efforçait scrupuleusement de vivre chrétiennement, de mettre
réellement en pratique l’Evangile : il était d’une bonté extraordinaire, il ne
jugeait jamais personne et pardonnait tout. Je témoigne de l’avoir vu aimer ses
ennemis, ce qui est un comportement chrétien rare.
Une autre raison d’hostilité tient à la psychologie humaine
(psychologie non spiritualisée comme dirait St Silouane…). Beaucoup devaient quelque
chose au P. Eugraph, mais ne voulaient pas le reconnaître. Critiquer le P.
Eugraph, distiller des réserves soupçonneuses à son égard, colporter des on-dit
leur permettait de s’affranchir d’une gratitude élémentaire qui les eût
honorés. C’est hélas très répandu dans le monde et même dans l’Eglise. Sur ce
point précis, nous disposons du témoignage d’un des plus grands spirituels de
notre temps, le P. Sophrony, qui connaissait bien le P.
(8) Que d’ironie sur ce sujet chez les « bien-pensants » !
Mais ceux qui profèrent cette accusation ne se rendent pas compte de son
ineptie. Si Eugraph avait été ambitieux, il n’aurait certainement pas choisi
cette voie pleine d’embûches et de difficultés. L’Archevêque Théophane de
Poltava lui avait prédit le martyre, en 1919, et sa mère, Inna, lui avait
prédit à peu près la même chose, lorsqu’il s’agît de l’ordonner prêtre en 1937
(voir p.11, note 43). S’il était resté dans l’Eglise russe classique,
historique, il aurait pu faire une très belle carrière ecclésiastique et
atteindre les sommets. Il avait l’envergure d’un patriarche ! Le P. Eugraph
dit, dans une homélie de 1956 (L’Orthodoxie occidentale), qu’il a prié Dieu, de
1925 à 1937, de lui faire rencontrer un occidental capable d’accomplir cette
grande oeuvre.
20
Eugraph et qui avait fréquenté la paroisse Saint-Irénée et
l’institut Saint-Denys, juste après la 2ème
guerre mondiale. En 1960, de son monastère de Maldon (en
Angleterre) il écrivit une très belle lettre de soutien à son ami, le P.
Eugraph, qui se débattait dans des négociations difficiles avec le Saint Synode
de l’Eglise Russe Hors Frontières : « Il est possible que le rôle immense qu’il
vous a été destiné de jouer, inconnu des hommes mais connu de Dieu, sur le
chemin de la théologie contemporaine, soit en fait la raison de tous les
malentendus. Les hommes ne veulent pas voir qu’ils vous doivent leurs
ascensions en théologie, et Lossky [et d’autres] et nombreux parmi les
meilleurs théologiens catholiques français. Votre parole ardente et très
souvent vos réponses d’une profondeur exceptionnelle de pensée…ont été ce grain
qui permet la montée actuelle. En de tels cas, les hommes sont toujours portés
à ne devoir à aucune personne vivante, mais seulement à leurs propres dons, tel
ou tel de leurs travaux…Vous rendre gloire en vous reconnaissant leur dû, voilà
ce que ne désirent pas les hommes. Je prie Dieu que la force divine triomphe et
guérisse cette plaie dont est atteint le corps de notre Eglise »9.
Ces critiques nombreuses, ces sous-entendus, ces calomnies
sont d’autant plus injustes que le P. Eugraph, devenu ensuite l’Evêque Jean,
était centré sur ses fonctions pastorales. Tout dans son comportement de prêtre
puis d’évêque était tourné vers les brebis qui lui avaient été confiées. Il
était avant tout un pasteur et non un chercheur en chambre, un penseur
abstrait. La grande oeuvre de sa vie, qui fut la restauration d’un rite
occidental au sein de l’Eglise orthodoxe, fut essentiellement pastorale, et non
archéologique10 : il avait en vue la vie spirituelle du peuple de Dieu. Que
pouvait-on demander de plus à un prêtre ou à un évêque ?
Il faut ajouter qu’il avait certains défauts…qui sont à son
honneur. Comme tout homme, il avait des faiblesses, dont une : lorsqu’il était
attaqué personnellement, il était incapable de se défendre (alors que lorsque
l’Eglise ou une personne était attaquée, il avait une parole de feu). Cette
faiblesse a souvent été incomprise : lorsque le Métropolite Eleuthère lui donna
l’ordre aller à Nice pour s’occuper d’une paroisse russe en déclin et qu’il
obéit, son Doyen le P. Michel Belsky, son ami Vladimir Lossky et ses confrères
le rabrouèrent pour son obéissance, allant presque jusqu’à l’accuser de
masochisme. Il était tout simplement incapable de se défendre. Cette déficience
a aussi été mal interprétée : on disait que son silence était un aveu.
Je voudrais terminer en rappelant un aspect de la condition
humaine qui est affligeant mais courant : l’homme passe souvent de l’admiration
à la haine (on brûle ce qu’on a adoré). On peut appeler cela le syndrome de
l’amour déçu. Beaucoup de ceux qui ont admiré le P. Eugraph l’ont abandonné
lorsqu’il fallut se battre, résister à l’opinion publique et aux autorités.
Déçus par eux-mêmes, parce qu’ils n’avaient pas eu le courage de tenir bon dans
la tempête, ils sont passés de l’admiration à la critique, puis, souvent, à la
haine. Ne pouvant pas critiquer le contenu (qu’ils avaient longtemps défendu),
ils ont alors attaqué la personne, sous la forme de ragots et de calomnies.
Pour eux, le Père Eugraph était un amour déçu et ils ne le lui pardonnaient
pas. On sent bien dans leurs écrits, en filigrane, leur déception (« dommage…,
comme cela aurait pu être bien… »).
Voilà les raisons qui permettent d’expliquer, dans une
certaine mesure, pourquoi le P. Eugraph dût faire face à tant d’hostilité. Ce
n’est probablement pas exhaustif, d’autant plus que dans ce domaine, éminemment
psychologique, beaucoup d’éléments échappent à la raison. Ces bruits de
couloir, ces ragots de sacristie, ces calomnies sont colportés depuis 80 ans.
Maxime Kovalevsky, qui est un homme incontestable et incontesté dans
l’Orthodoxie, les qualifie d’un seul mot : « absurdes11 ». C’est ce que
l’histoire montrera lorsque les passions se seront apaisées.
Dieu, qui connaît les secrets du coeur de chaque homme, jugera
de tout cela.
(9) Lettre du 12 janvier 1960, traduite du russe. Archives de
l’ECOF
(10)D’où les accusations absurdes et infondées de « rite
composite » ou de « création personnelle », faites par des gens qui ignoraient
tout des rites occidentaux, et souvent même de l’histoire du rite byzantin, et
qui confondaient Tradition et usages. Je m’en suis rendu compte personnellement
lors de réunions de travail liturgiques où j’ai constaté que la plupart de ceux
qui critiquaient le rite des Gaules restauré ne l’avaient jamais vu célébrer,
ni même jamais lu. Ils critiquaient sans avoir eu l’honnêteté d’en prendre
connaissance. Ces critiques étaient fondées sur des a-priori, des rumeurs, des
ragots. Des liturgistes mondialement connus, comme Dom Lambert Beauduin, le
fondateur de Chèvetogne, ou plus récemment l’évêque allemand Klaus Gamber,
spécialiste des manuscrits liturgiques gallo-romains, ont reconnu publiquement
le sérieux et la valeur des travaux de restauration de l’ancien rite des Gaules
au sein de l’Orthodoxie par la Confrérie Saint-Photius et le P. Eugraph
Kovalevsky.
(11) In memoriam Jean de Saint-Denis, témoignage de Maxime K.,
p. 27.
21
Annexe
III : Sources et bibliographie
I- Sources et archives
Ecrire l’histoire de la Confrérie Saint-Photius n’est pas
facile, car la plupart des archives sont en Russie, et probablement en russe.
Il n’y a en France que des archives partielles, qui concernent essentiellement
la Province Saint-Irénée et le Centre missionnaire Saint-Irénée, ainsi que
l’Institut Saint-Denys, dont La plupart des pièces sont en français. Elles sont
conservées dans les archives de l’Eglise Catholique Orthodoxe de France, au
siège de l’évêché.
Mais certains livres, écrits par des témoins et des acteurs
importants de cette histoire, peuvent être considérés comme des sources,
notamment les quatre suivants :
BOURNE, Vincent : La Queste de Vérité d’Irénée Winnaert, Labor
et Fides, 1966 (mais l’ouvrage a été écrit en 1961), in-4°, 339 p., ill.
Concerne l’Orthodoxie occidentale jusqu’à 1937.
BOURNE, Vincent : La Divine contradiction [ I ], Les cinq
continents, 1975, in-8°, 242 p, ill.
Histoire d’Eugraph K. et de l’Orthodoxie occidentale, jusqu’au
retour d’Eugraph de captivité, en 1943.
BOURNE, Vincent : La Divine contradiction T. I I, Présence
Orthodoxe, 1978, in-8°, 533 p., ill.
Suite du précédent : histoire de l’Eglise Catholique Orthodoxe
de France, de 1943 à 1970.
KOVALEVSKY, Maxime : Orthodoxie et Occident, renaissance d’une
Eglise locale, L’Ancre, 1994, in-8°, 462 p., ill.
Ecrit avant 1988, mais l’auteur n’a pas eu le temps d’en
écrire la conclusion, parce qu’il est né au Ciel le 13 juin 1988. C’est son
épouse, Madeleine, qui était aussi sa collaboratrice-secrétaire qui en fera l’édition.
Maxime fut non seulement membre de la Confrérie Saint-Photius, mais aussi l’un
des principaux collaborateurs du P. Eugraph : sa fidélité exemplaire et sans
faille reposait non sur leurs attaches familiales, mais sur la conviction que
son frère Eugraph obéissait à Dieu et que la mission dont il avait été chargé
était juste et bonne. Ce livre nous montre aussi que la famille Kovalevsky
était entièrement dévouée à Dieu et à Son Eglise, sans la moindre ambition
personnelle, sans le moindre calcul humain.
Dans les trois ouvrages sus-mentionnés, outre le récit
d’évènements dont les auteurs furent témoins et acteurs, on trouve de nombreux
passages de l’autobiographie du P. Eugraph (appelée « Ma vie » par Vincent
Bourne et « Souvenirs » par Maxime Kovalevsky), qui constituent une source de
premier ordre.
II- Bibliographie analytique et critique
BANGE, Renée et Christian : La Confrérie de Saint-Photius et
ses travaux sur la liturgie occidentale, in Présence Orthodoxe, n° 173, 2e
trim.2013, p.19-40.
Conférence faite à l’Institut Saint-Denys dans le cadre des 6e
Journées Kovalevsky (17 octobre 2009) portant sur la restauration de la
liturgie selon l’ancien rite des Gaules. Ils sont les premiers, à ma
connaissance, à avoir travaillé directement sur les archives de l’ECOF. Travail
remarquable, que j’ai beaucoup utilisé : je leur en sais gré.
In Memoriam Jean de Saint-Denis-Eugraph Kovalevsky-1905-1970 /
[Eglise Catholique Orthodoxe de France], Présence Orthodoxe, [1970], in-12°,163
p. (sans table des matières, hélas).
Ces témoignages provenant du monde entier, de tous les milieux
et de toutes les parties de la société, sont la meilleure réponse aux «
calomnies absurdes », comme les appelle Maxime Kovalevsky, colportées dans les
milieux ecclésiastiques sur le P. Eugraph (devenu Evêque Jean) depuis plus de
80 ans.
KOVALEVSKY, Madeleine : Maxime Kovalevsky, l’homme qui
chantait Dieu, Osmondes, 1994, in-8°, 320 p, ill. (sans table des matières,
hélas).
Recueil de souvenirs personnels. Cet ouvrage est intéressant
parce qu’il montre qu’entre le Maxime intime et l’homme d’Eglise, le grand
compositeur de musique sacrée qu’il fut, il y avait une unité profonde, d’ordre
spirituel. Il n’y avait pas de hiatus entre la vie intérieure et la vie
extérieure, ce qui est une des grandes richesses de l’Orthodoxie.
22
BEHR-SIGEL, Elisabeth : Un moine de l’Eglise d’Orient, le Père
Lev Gillet, Le Cerf, 1993, in-8°, 637 p, ill.
Disciple et amie du P. Lev Gillet, avec lequel elle
entretenait une correspondance suivie, elle apporte beaucoup d’éléments
intéressants, dans le détail des évènements. Mais son opinion sur le P. Eugraph
est changeante, contradictoire et extrêmement partiale, probablement influencée
par celle du P. Lev et par l’environnement humain et ecclésial.
La Fondation de la paroisse des Trois Saints Hiérarques /
Diocèse de Chersonèse [Diocèse du Patriarcat de Moscou pour la France].
Document électronique du site informatique de ce diocèse.
Ensemble disparate de 8 documents, datés de mai à novembre
2003, qui comportent beaucoup d’éléments intéressants, notamment sur la vie et
les acteurs de la Confrérie Saint-Photius. Mais c’est l’histoire vue de Moscou
: tout ce qui concerne le P. Lucien Chambault (dans le dernier document) est au
minimum inexact et souvent faux. Le rôle désastreux de l’Archimandrite
Ieremine, qui s’était allié au P. Chambault contre le P. Eugraph, est
totalement occulté, de même que la destitution étrange et expéditive, pour ne
pas dire violente, de l’Exarque, le Métropolite Séraphin, en 1949.
Métropolite Euloge : Le Chemin de ma vie, mémoires du
Métropolite Euloge, Presses Saint-Serge, 2005, In-8°, 582 p., ill. A compléter
par : NIVIERE, Antoine, Le Métropolite Euloge Georguievsky (1868-1946), in : Le
Messager orthodoxe, n° 127, I/II 1996, p. 10-30, qui donne une chronologie très
précise de la vie du Métropolite Euloge.
Rédigées entre 1935 et 1938 par le Métropolite Euloge avec
l’aide de T.Manoukhina et publiées en français 50 ans après sa mort, elles
permettent de mieux comprendre le contexte russe dans lequel la Confrérie a
évolué. Le Métropolite Euloge n’était pas un grand théologien, mais un pasteur
remarquable. Il bénissait avec bienveillance ce que faisait la Confrérie
Saint-Photius, sans s’intéresser personnellement au contenu ni en comprendre
l’enjeu. Il se préoccupait essentiellement du peuple russe émigré dont il avait
la charge spirituelle : la 1ère paroisse francophone, qu’il bénit en 1927,
n’était intéressante pour lui que pour aider les jeunes russe francisés, qui ne
comprenaient plus ni le slavon ni le russe. Il n’avait aucune perspective
missionnaire, mais n’empêchait pas ses clercs et ses ouailles d’en avoir. Il
avait une opinion mitigée sur le P. Lev Gillet, qu’il jugeait trop
intellectuel, trop personnel et éloigné des réalités du terrain.
ROSS, Nicolas : Saint-Alexandre-Nevsky, Centre spirituel de
l’émigration russe, 1918-1939, Les Syrtes, 2011, in-8°, 595 p., ill. (basé en
grande partie sur le « Journal » de Pierre Kovalevsky).
Décrit bien l’atmosphère des milieux orthodoxes russes à Paris
dans l’entre-deux guerres, et en particulier les divisions juridictionnelles.
Il montre bien que la majorité des fidèles russes n’avait aucun souci d’une «
mission » auprès des français : la confrérie Saint-Photius était une exception.
Il permet de mieux saisir les incompréhensions et l’hostilité auxquelles le P.
Eugraph Kovalevsky a dû faire face.
KOVALEVSKY, Pierre : Histoire de Russie et de l’URSS, Les cinq
continents, 1970, in-8°, 420 p.
Donne le cadre général de l’histoire russe contemporaine, avec
beaucoup d’objectivité scientifique.
Histoire de l’Eglise russe, seconde partie : de la Révolution
à l’époque actuelle / Dimitri POSPIELOVSKY, p.87-141, Nouvelle cité, 1989,
in-8°.
Intéressant surtout sur la persécution des chrétiens en URSS
par les communistes, avec des précisions statistiques impressionnantes.
L’Eglise orthodoxe russe au XXe siècle / Mikhail V.
CHKAROVSKY, in : L’Eglise orthodoxe en Europe orientale au XXe siècle/
Christine CHAILLOT, Dir., Le Cerf, 2009, in-8°, p. 323-383.
Il y a beaucoup de précisions historiques sur cette période
tragique et difficile à comprendre, mais l’auteur utilise un vocabulaire
influencé par l’ idéologie communiste (l’armée fasciste, pour l’armée
allemande…).
WARE, Kallistos [Mgr] : L’Orthodoxie, l’Eglise des sept
conciles, 3e éd., Le Cerf, 2002, in-8°, 468 p. Sur l’histoire contemporaine de
l’Eglise russe et le Patriarche Tikhon voir le chap.8, p.187 à 215.
Bien qu’il ne fasse que survoler l’histoire contemporaine de
l’Eglise russe, cet auteur est le meilleur sur la question des relations entre
le pouvoir communiste et l’Eglise russe sous le Patriarche Tikhon et le
Métropolite Serge. Tout le livre est remarquable. L’auteur, qui est anglais, a
une perception évidente de la relation entre l’Occident et l’Orient Chrétiens.
23
Table des matières
Pages :
La Confrérie Saint-Photius (1925-1950) : un mouvement
prophétique
à la fin du 2ème millénaire (conférence du 29 août
2013)…………………………………………1
I. Survol de 2000 ans d’histoire de l’Eglise …………………………………………………….1
1. L’Eglise apostolique et indivise (le 1er millénaire)
2. L’Eglise divisée et déchirée (de 1054 à la 1ère guerre
mondiale)…………………………..3
II. La Confrérie Saint-Photius
(1925-1950)……………………………………………………..4
1. Sa création, son but et ses principes
2. L’organisation et le mode de vie de la
Confrérie……………………………………………6
3. La grande oeuvre de la Confrérie : la restauration d’une
Eglise orthodoxe occidentale
et d’un rite occidental au sein de
l’Orthodoxie……………………………………………...8
Conclusion………………………………………………………………………………………14
ANNEXES (N.B. : la numérotation des notes des annexes est
propre à chaque annexe)
Annexe I : Le contexte historique de l’Eglise orthodoxe en
Russie et en URSS…………….15
(1917-1950)
Annexe II : la personne d’Eugraph Kovalevsky, signe de
contradiction……………………..17
Annexe III : Sources et
bibliographie…………………………………………………………...21
Table des matières………………………………………………………………………………..23