Théologie de la sexualité
Le sens de la distinction
du masculin et du féminin
(hétérosexualité et
homosexualité)
Essai d’une interprétation
chrétienne de la question homosexuelle
Archiprêtre Marc-Antoine Costa de
Beauregard (Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale)
____
Avant
propos
« Maîtres
de
En
cette période de l’Histoire, placée depuis deux mille ans sous le vol embrasé
de l’Esprit, le Seigneur nous appelle constamment à nous repentir et à
confesser notre propre péché afin d’être dans la vérité. Celui qui dit qu’il
est sans péché est un menteur, dit le saint apôtre et évangéliste Jean. Les
évêques, les prêtres et le peuple chrétien tout entier ne dressent pas un doigt
accusateur devant la face de la société contemporaine, car ils n’ont pas été
institués juges de ce monde. En leur disant « Suis-moi ! », le
Christ les invite à monter sur
L’Esprit
saint appelle ainsi les baptisés à passer toujours du pharisaïsme au
prophétisme. L’assemblée prophétique des baptisés, présidée par les évêques et
les prêtres, et assistée par les diacres, prononce avec force, à chaque période
de l’Histoire,
La
parole prophétique du Seigneur est donc adressée par son Eglise en premier lieu
à ses propres membres, sensibles à l’appel évangélique toujours neuf. Mais,
dans sa grandeur de cœur, le Seigneur parle du haut de sa Croix, et du haut du
trône où Il préside l’assemblée des saints, à tous les hommes. Il n’abandonne
pas la société contemporaine à elle-même. Par le saint Esprit, « que le
monde ne peut recevoir », Il l’avertit tout de même de ce qui est le
péché, la justice et le jugement (Jean 16, 8). Un maire de France a marié deux
homosexuels le 5 juin 2004… Mais, le Père céleste ne fera pas preuve de colère
en laissant son monde à l’ignorance et à la folie ; Il ne le livrera pas à
ses propres passions ; mais toujours, par son Verbe et par son Esprit, Il
cherchera à sauver tous les pécheurs, « dont je suis le premier ».
Archiprêtre Marc-Antoine Costa de
Beauregard (Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale)
___________________
L’attitude
chrétienne par rapport à la vie et au comportement découle du saint baptême et
ne peut donc être exigée d’un non-chrétien. Toutefois l’Esprit saint appelle à
la fois les baptisés à être cohérents avec leur baptême et les non-baptisés à
connaître, au jour fixé par lui, la joie d’une existence conduite par la foi
dans le Christ. Ceci définit notre conscience de baptisés par rapport à
nous-mêmes et notre respect à l’égard de ceux qui ne sont pas chrétiens. La
promotion et l’éventuelle légalisation de l’homosexualité dans la société
d’aujourd’hui posent une vraie question à notre coeur de citoyens chrétiens.
L’Esprit saint nous demande de trouver l’attitude évangélique devant ce fait,
une attitude inspirée par
Il s’agit ici d’une question délicate, peut-être d’une des principales blessures de notre monde, une blessure qui affecte les relations entre les hommes et les femmes. C’est la plaie à vif de la dissension d’Adam et d’Eve. Or le Christ s’est incarné pour réconcilier Adam et Eve, et les réconcilier tous deux avec le Père. Le mystère de l’Eglise est porteur d’une vie nouvelle qui comporte la réconciliation des frères et soeurs ennemis et des fils avec leur Père. On ne peut aborder les questions de l’éthique sexuelle qu’avec beaucoup de délicatesse et de modestie en demandant pardon à l’avance à ceux que l’on va peut-être blesser par incompétence et par maladresse.
Nous voulons apporter ici non des conclusions mais des suggestions vraiment sans prétention pour aider à une réflexion nécessaire et actuelle. Nous tenterons de réfléchir du point de vue de la foi chrétienne sur trois points qui nous paraissent importants : le sens théologique de la différence sexuelle ; la question de l’homosexualité par rapport à la foi biblique ; l’attitude pastorale de l’Eglise face à l’homosexualité comme à l’hétérosexualité.
I. Le sens théologique de la différence sexuelle
A. Le caractère ontologique de l’hétérosexualité.
a) La création est fondée sur une distinction (cf. Paul Beaucamps, Création et séparation, Paris, 1969, p.149 à 225 : « créer par une parole qui sépare », p.231). Il est spécifiquement biblique d’annoncer la valeur absolue de la création, la différence absolue entre le créateur et la créature, entre l’incréé et le créé et, au sein même du créé, d’autres distinctions : celles de la lumière et des ténèbres ; la différenciation du temps par la succession des jours ; le sec et l’humide et, finalement, pour couronner l’oeuvre créatrice de Dieu, la distinction du masculin et du féminin, qui devient la distinction dans la nature humaine entre un homme et une femme précis - distinction qui est simultanément celle de deux personnes. Dès l’origine, la distinction des sexes, qui est une distinction dans l’ordre de la nature, semble souligner une distinction qui est de l’ordre des personnes créées.
Au
chapitre 1, verset 27, de
Selon saint Grégoire de Nysse (Hom.opif. XVII, col.189d) toutefois, la sexuation animale est surajoutée à la nature humaine en prévision de la chute. Le mode animal de procréation est donc béni et il ordonne la sexualité humaine pour la plénitude. Mais il faut prolonger cette réflexion. La finalité de cette sexuation est, au-delà de la procréation, l’amour eschatologique, né de la réconciliation et de la victoire sur la mort. Dieu a donné à l’humanité cette forme-là de multiplication, plutôt par exemple que le mode angélique, parce que l’être humain est appelé à découvrir existentiellement et dans la liberté l’essence de la relation interpersonnelle. Et il la découvre dans la polarité, quelquefois dans la tension ou le conflit, hétérosexuels. L’enjeu de l’éros hétérosexuel est la victoire sur la mort. En tout cas, il n’y a pas trace dans la parole de Dieu de deux créations successives masculine puis féminine : la femme n’est pas façonnée séparément mais distinguée, dégagée de la nature humaine une, faisant apparaître alors le masculin comme tel. Et saint Basile, comme d’ailleurs saint Grégoire, insiste sur l’unité de l’image dans le couple sexué (Sur l’origine de l’homme I, 18, S.C. 160). La bi-sexualité humaine, et non par exemple l’hermaphrodisme qui existe également parmi les créatures, n’est pas un élément secondaire, même si le second récit de la création introduit une antériorité du masculin par rapport au féminin : qu’il y ait antériorité ou simultanéité, la distinction sexuelle est voulue par Dieu, elle est bonne et bénie : « C’était très bon » (Gen.1, 31). Par conséquent la rencontre du masculin et du féminin et, dès qu’ils portent un nom pour signifier leur statut hypostatique, la rencontre d’un homme et d’une femme, est bénie (1,28) : ceci est le fondement ontologique du couple (Mt 19, 4 ou Mc 10, 6), simultanément distinction dans l’ordre de la nature (le masculin et le féminin) et distinction dans l’ordre des personnes.
b)
La sexuation est liée à l’image de Dieu. « Dieu fit l’homme, selon l’image
de Dieu Il le fit : mâle et femelle Il les fit » (1, 27). Dans la
même parole, l’idée de création à l’image de Dieu et celle de distinction
sexuelle sont liées. Cela ne veut pas dire que Dieu Lui-même soit sexué, comme
dans les religions cosmiques : « cette division est étrangère aux
attributs divins », dit encore saint Grégoire. Dieu est asexué. Mais cela veut
dire que l’altérité est inscrite dans la nature humaine en tant qu’elle est à
l’image de Dieu. Dieu a pris la sexuation dans le monde végétal et animal créés
d’abord et en a enrichi la nature humaine. Il pouvait faire l’homme asexué
comme lui-même ou comme les anges. Il pouvait donner à l’être humain un mode de
multiplication angélique, ou un des nombreux modes de multiplication qu’Il a
donné à ses créatures. Mais Il a choisi de placer l’hétérosexualité dès
l’origine dans le sceau de l’image. L’image a la diversité comme signe. L’image
est antinomique. La nature humaine est masculine-féminine : l’hébreu
exprime cela par le jeu de mots intraduisible Ish-Ishsha. « La différence
sexuelle est (...) un des facteurs essentiels de la constitution de l’image de
Dieu qu’est l’humanité » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et
morale chrétienne, Le Cerf, Paris, 1988, p.207). Dans cette diversité
ontologique nous contemplons le sceau de la diversité divine: Dieu « porte
en lui le mystère de l’altérité et l’inscrit dans la création » (Olivier
Clément, Un sens à la vie, supplément au SOP n°243, décembre 1999) ; le
divin, quoique simple et non composé, comporte une diversité, qui est
l’antinomie trinitaire. Dès l’origine, la nature humaine à son image est une et
diverse dans sa structure : la diversité dans l’ordre de la nature (la
différentiation sexuelle), indique, révèle ou souligne la distinction des
hypostases créées. Pour dire autrement : l’unité-diversité naturelle est
l’image de l’unité-diversité des hypostases divines ou humaines. Même
Dans son absolue virginité, le Verbe incarné, Dieu asexué, n’a pas été homme asexué. La virginité, absence d’exercice de la sexualité organique et liberté à l’égard de la convoitise, promeut la sexualité en signe de l’altérité. Elle désigne le mode de vie asexuel qui est celui du Royaume. En celui ou celle qui vit dans la virginité, Dieu transfigure la sexualité pour que la personne ou hypostase créée s’accomplisse dans la différence absolue des personnes en communion, au-delà de la différence relative des sexes. Ce qui appartient au Royaume, ce n’est pas l’homosexualité, mais l’asexualité des personnes ayant dépassé la nature. Dieu n’est pas homosexuel ; Il est asexuel. Ainsi sont tous ceux qui lui ressemblent par l’Esprit saint. Dans l’Eglise déjà, anticipant par le saint baptême le monde qui vient, « il n’y a plus homme ni femme » (Gal 3, 28 ). Et dans le Royaume, dit le Verbe Lui-même, il n’y a plus ni mari ni femme ( Mat 22, 30). Les deux voies de sanctification, le mariage et le monachisme, sont deux voies, non de mutilation, mais de transfiguration par la chasteté de la sexualité animale donnée par Dieu à la première humanité
c) La diversité est surtout une plénitude. Cela se voit particulièrement dans l’exclamation d’Adam. Il aperçoit, parce que Dieu le lui montre, autrui, la femme, celle qui n’est pas lui, dont justement le signe sexuel montre la différence, et il s’exclame : « Os de mes os ! Chair de ma chair ! » (2, 23) avec émerveillement. Il reçoit de Dieu l’altérité sexuelle comme un don et une bénédiction, et comme signe de l’altérité hypostatique - du non-moi. Par cette exultation, il contemple à la fois l’identité de nature et la diversité dans la nature. Et l’altérité est l’objet de sa joie. L’hétérosexualité est joie de la différence dans l’unité ; elle est également pressentiment de l’altérité hypostatique. Elle couronne la création de l’être humain, non seulement parce qu’elle lui épargne la solitude (« il n’est pas bon que l’être humain soit seul » ou « unique », monos, 2, 18) mais parce qu’elle l’enrichit de la non-identité et de la coïncidence des opposés. De même, Dieu n’est pas solitaire. En son unité absolue, et son unicité absolue, nous glorifions l’altérité absolue, celle des hypostases qui coïncident dans l’unité de nature.
B. La relation du divin et de l’humain.
Dieu a donné la différence sexuelle à l’humanité pour lui révéler le sens de la différence ontologique entre lui-même et elle.
a) L’hétérosexualité est l’image des relations entre l’humain et le divin. L’altérité est inscrite dans la chair de l’être humain comme signe de la distinction de la nature incréée et de la nature créée. Annonçant le projet d’introduire la distinction des sexes, Dieu dit : « Je veux lui faire une aide comme son vis-à-vis » ou « en face », ou encore « qui lui corresponde » (2, 18). Et ce vis-à-vis et cette concordance de l’homme et de la femme sont à l’image du face-à-face et de la correspondance de l’humanité et de Dieu. L’Esprit saint inspire de multiples fois, notamment dans le Cantique des cantiques, la révélation selon laquelle l’altérité de l’homme et de la femme symbolise conjugalement l’altérité de Dieu et de son peuple. L’hétérosexualité, qui est une différence relative, dans l’ordre du créé, est donnée comme signe de la différence absolue du créé et de l’incréé. A l’inverse, dans l’Epître aux Romains (ch. 1), saint Paul associe le lesbianisme à une méconnaissance du lien de l’époux et de l’épouse : « La femme homosexuelle (...) se passe de mari comme l’humanité (l’épouse) se passe de Dieu (l’époux) », commente Xavier Thévenot (op.cit.p.211). Le lesbianisme est comparable au repli sur soi de l’humanité sans Dieu. Le mystère de l’autre inaccessible dans le couple créé introduit au mystère de l’autre inaccessible et incompréhensible qu’est Dieu, dans le couple divino-humain.
Bien sûr, Dieu est incomparablement plus différent de l’être humain que la femme ne l’est de l’homme : c’est une différence de nature et elle est un abîme ; l’homme et Dieu sont incommensurables. Pourtant nous contemplons une similitude entre la relation de l’image à son modèle divin et la relation entre la femme et l’homme. L’altérité des natures divine et humaine se reflète dans l’altérité du masculin et du féminin en la nature humaine : cette altérité ne se retrouve pas par exemple dans la nature angélique ; par elle l’être humain est supérieur aux anges. La quête de la communion qui est celle de l’homme et de la femme est l’image de la quête de la communion de Dieu et de l’Homme. Ce n’est pas rien non plus que la discorde de l’Homme et de Dieu se reflète aussitôt dans la discorde de l’homme et de la femme. L’échec de la relation divino-humaine se répercute dans l’échec de la relation hétérosexuelle et de la relation interpersonnelle des hypostases créées. Et comment ne pas voir que, lorsque le Verbe s’incarna pour réconcilier la divinité avec l’humanité à son image, le premier signe qu’Il donna fut celui de Cana en Galilée, quand Il se rendit présent au sein du couple, pour réconcilier Adam et Eve (Jean 2, 1) ? Le Verbe, qui unit hypostatiquement Dieu et l’Homme, est également le Chef de l’homme et de la femme dans le mariage, l’hypostase du couple. Et l’homme est le chef de la femme à l’image du Verbe chef de l’Humanité Eglise (Eph 5, 32 ).
Ainsi, l’enjeu de l’hétérosexualité est la communion et la convivialité, avant d’être la procréation puisque l’humanité aurait pu recevoir du Seigneur un autre mode de multiplication. Le but de la différence est la communion dans la diversité, un mode d’union qui ne soit pas fusionnel : non pas l’union homosexuelle du même et du même ; mais l’union de l’un et de l’autre. Dieu crée un être autre que soi en vue d’un tel amour entre êtres différents par nature et en tant que personnes; et Il crée cet être d’une nature différente de la sienne en lui donnant la capacité de connaître un tel amour dans l’altérité. C’est le contenu même de l’amour que d’aimer l’altérité d’autrui, fût-ce au prix de l’amour de soi ; l’amour dans son essence divine est préférence d’autrui à soi. L’homme et la femme sont à la fois mêmes et autres, comme Dieu et l’homme sont à la fois mêmes, par l’image, et autres par la nature. La distinction hypostatique dans l’unité de nature fonde l’amour. Il n’y a d’amour véritable que dans la différence au sein d’une unité. En revanche, il n’y a pas d’amour entre les êtres humains et les anges ou les bêtes (pensons à la condamnation biblique de la zoophilie) parce qu’il y a là différence sans qu’il y ait unité de nature. Et en fait, de telles relations, comme également l’inceste, nieraient les différences et rendraient place au chaos.
Notons
enfin qu’il n’y a non plus de parole que dans la différence :
b) L’hétérosexualité pose une limite. En créant l’être humain, Dieu, par amour, se donne déjà une limite, celle d’une créature autre. Par la distinction des sexes, l’être humain se trouve également devant la limite de l’altérité. Adam se trouve devant celle qui est différente - et réciproquement. L’Homme est une limite pour Dieu et Dieu est une limite pour l’Homme. La femme est une limite pour l’homme, et réciproquement. Autrui est inaccessible et incompréhensible. L’être humain ne peut tout comprendre ni tout posséder. Il se trouve devant autrui qu’il ne peut ni posséder ni comprendre sans que celui-ci y consente et se livre à lui. L’homme est incompréhensible pour la femme. La femme est incompréhensible pour l’homme, comme le montre une longue culture misogyne. D’où la tentation du viol, de l’esclavage, de la torture, de toutes les formes de domination par lesquelles il cherchera dès la chute à réduire l’altérité. D’où également la tentation homosexuelle de nier l’altérité, ou son impuissance à l’assumer.
L’homme n’est pas femme et la femme n’est pas homme, quoique que leur nature soit une. « Etre homme, c’est être acculé à ne pas être femme, et réciproquement » (X.Thévenot, op.cit., p.199). Dieu n’est pas Homme et l’Homme n’est pas Dieu, malgré l’image et le projet de ressemblance : mais la ressemblance n’est pas identification ; elle préserve à l’infini la différence. Et l’amour hétérosexuel le plus digne de ce nom inclut l’amour de la différence, l’acceptation de l’incompréhensibilité d’autrui, comme sexe et comme personne. On peut se révolter contre la différence ou tenter de l’enfreindre : mais c’est une illusion. Autrui est une limite inconnue. Autrui est un inconnu ou un méconnu. Pourtant il est proche. L’expression « côte » ou « côté d’Adam » signifie bien les deux pôles naturels de l’altérité humaine. Il y a une similitude et une affinité entre le féminin et le masculin comme il y en a une entre l’humain et le divin. Il y a une complémentarité des sexes. D’une certaine façon le couple hétérosexuel est l’humanité totale. Mais demeure le mystère d’autrui, altérité des hypostases soulignées par la différence naturelle, énigme qui ne peut être transcendée que dans l’amour qui aime l’altérité de l’aimé(e). Dieu est inconnaissable ; pourtant Il est connu mystérieusement, apophatiquement, dans l’union. L’homme et la femme sont réciproquement inconnaissables l’un pour l’autre ; pourtant, ils peuvent se connaître apophatiquement à condition de s’aimer comme Dieu aime l’être humain, « comme le Christ aime l’Eglise », dit le saint apôtre Paul, dans l’union sacrificielle, en montant sur la croix de la différence et de l’incompréhensibilité d’autrui.
La
connaissance mutuelle de Dieu et de l’Homme est apophatique : il en est de même
de la connaissance de l’homme et de la femme. Je peux dire de lui ou d’elle ce
qu’il ou elle n’est pas : mais comment le ou la définir, lui, elle,
l’indéfinissable depuis l’origine ? L’homme ne peut connaître la femme que doxologiquement,
en s’émerveillant d’elle : l’exclamation « Os de mes os ! Chair de ma
chair! » et l’éloge du « bien-aimé » du Cantique (5, 10-16) montrent
que l’être humain ne connaît l’autre sexe et l’autre personne qu’en jubilant,
dans l’éloge et la célébration, ce que traduit d’ailleurs en grande partie
l’art de tous les temps. Seul l’amour transcende cette différence qui n’a été
faite que pour lui. Seul l’amour franchit l’incompréhensibilité et fait
coïncider les opposés. Ce caractère incompréhensible de la femme pour l’homme
et de l’homme pour la femme - et de Dieu et de l’Homme -, quand il cesse
d’avoir l’amour pour enjeu et
Caractéristique
du refus de la différence lié au péché est l’attitude humaine devant la nudité.
Celle-ci affiche précisément le signe de la différence sexuelle.. Le péché,
refus de la différence ontologique entre Dieu et l’homme dont l’hétérosexualité
est l’emblème, occulte cette différence. Avant la chute, l’homme et la femme
« n’occultent pas leur différence sexuelle (Gen.2) » ; après la
chute (Gen.7), « la différence sexuelle est immédiatement camouflée »
(X.Thévenot, op.cit., p.206). C’est à partir de la révolte adamique
qu’apparaissent les fameuses tuniques qui voilent l’hétérosexualité, non
seulement à cause de la convoitise qui objective le sexe (« cachez ce sein
que je ne saurais voir ! », Molière, Tartuffe, Acte 3, scène 1), mais
parce que la différence elle-même est devenue obscène. Dans le mystère du
baptême, la nudité retrouve sous le regard chaste de
C’est
le péché qui introduira également l’inimitié, la véritable guerre des sexes
dont l’histoire de Samson dans le livre des Juges est l’exemple : elle
marque toute l’histoire de l’humanité déchue jusqu’à nos jours inclus. Le péché
instaurera la domination d’un sexe par l’autre et transformera en malédiction
les signes bénis de la différence sexuelle : la maternité avec ses douleurs et
le travail avec ses peines. Le péché pervertit et invertit toutes les données
positives de la création. Le Verbe s’incarne pour convertir ces données, leur
rendre leur dynamisme créateur, et Il commence, comme il a été dit, à Cana, en
se rendant présent à un mariage. La première aide à apporter à l’humanité
consiste à réconcilier l’homme et la femme et à rendre son sens à
l’hétérosexualité. Le charisme monastique, lui, peut-être vécu comme repentir
d’Adam et d’Eve chacun de son côté pour le mal fait à l’autre : conquête
du pardon de la femme ; conquête du pardon de l’homme ; purification
du ressentiment et de la haine contre la femme, contre l’homme... Et avec
c)
Il faut revenir sur le symbolisme conjugal des relations divino-humaines. Le
bel érotisme du Cantique des cantiques n’est pas seulement l’éloge de
l’hétérosexualité ; il est, au deuxième degré, la célébration des relations
amoureuses à travers lesquelles seules Dieu et son peuple se connaissent. Le
saint Esprit a également inspiré au prophète Osée (2, 16) cette parole :
« Je vais la séduire, Je la conduirai au désert et Je parlerai à son
coeur ». Dieu parle de son peuple de façon magnifiquement hétérosexuelle.
Les relations de Dieu et de l’humanité sont difficiles, parfois orageuses,
marquées par l’éloignement, l’incompréhension, la réconciliation et le pardon
mutuel. L’hétérosexualité est très difficile, c’est vrai, mais elle n’est pas
une illusion ; l’altérité est tellement difficile, mais comme elle est féconde
!
L’Esprit
saint a encore inspiré à
Ainsi, l’attitude chrétienne face à l’hétérosexualité comme face à l’homosexualité est d’abord une attitude théologique - avant d’être une attitude morale. Ou, pour mieux dire : notre morale est théologique. L’Evangile consiste dans la foi et la connaissance de Dieu ; et le comportement découle de cette foi et de cette connaissance. Le Christ n’est pas venu instaurer une morale. Il est venu proposer à l’être humain le salut par la connaissance parfaite de la vérité. C’est pourquoi les valeurs évangéliques sont tellement incompréhensibles pour ceux qui ne croient pas dans le Christ Dieu. Une morale sans fondement théologique n’a pas de sens, ce qu’exprime la parole de Dostoïevsky : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ».
C. La distinction des personnes (hypostases).
La différence sexuelle est de l’ordre de la nature, mais elle introduit à la différence qui est de l’ordre hypostatique et qui lui est supérieure. L’altérité de nature, comme nous l’avons déjà suggéré, souligne l’altérité hypostatique.
a) La base de la foi chrétienne, ce qui la distingue de toute autre spiritualité et de toute autre forme religieuse, est la révélation de la vie hypostatique de Dieu et, en conséquence, de la vie hypostatique de l’être humain. Le divin est Père et Fils et saint Esprit. Nous confessons l’unité absolue de la nature divine dans l’altérité absolue des personnes ou hypostases, ainsi que la communion absolue de ces hypostases. Ce mystère, révélé par le Verbe incarné, ne cesse d’émerveiller les croyants et de leur inspirer des doxologies ininterrompues : « Gloire au Père et au Fils et au saint Esprit ! » Les baptisés se prosternent sans cesse en chantant : « Saint Dieu ! Saint Fort ! Saint Immortel ! » Le Père est source de la divinité. Le Verbe ou Fils est gloire de la divinité. L’Esprit est communication de la divinité et communion en elle. Autre est le Père ; autre est le Fils ; autre le saint Esprit - et les trois sont une seule nature divine ! Non pas trois dieux : Dieu unique. Non pas une seule personne : trois personnes ou hypostases ! Unité absolue - diversité absolue !
b)
L’anthropologie révélée est ainsi une anthropologie trinitaire. La distinction
des sexes initie à la distinction des personnes, des hypostases créées. Adam
est d’abord un nom qui désigne la nature: celui qui est fait de la terre
(« adama »). Il devient, à partir de la distinction des sexes, un nom
propre. « Adam » et « Eve » désignent des hypostases créées
et non seulement un mâle et une femelle : la parole biblique (
Mais
la différence des sexes sera dépassée, non pas dans une homosexualité, mais
dans une asexualité, une union purement hypostatique, celle des hypostases
créées, à la ressemblance de la communion des personnes divines. En ce sens, le
mariage est inscrit dans le Royaume des cieux. La différence des personnes
transfigurées par la charité divine transcende ainsi la différence des sexes
qui était d’abord son emblème. Quand, au verset 27 du chapitre 1 de
En fin de compte, la distinction du masculin et du féminin signifie l’existence de personnes différentes et pas seulement d’êtres différents sur le plan de la nature. Et, de cette différence hypostatique, c’est finalement le corps qui est le signe. Le corps - et c’est pourquoi il est l’objet d’un tel respect pour la foi biblique et chrétienne - est le signe de la personne, de l’hypostase, et pas seulement le signe d’une nature humaine. Le corps est personnel, il est le visage reconnaissable de l’hypostase qui le fonde. Le Christ dit : « Ceci est mon corps » et comme ce corps du Christ, corps éminemment personnel, est vénéré ! Consommer le corps du Christ, c’est se nourrir du Christ, communier à la personne du Christ. Et la sainteté des relations conjugales du couple est justement dans la communion à la personne d’autrui en l’unité de nature. Le péché de la fornication, de la prostitution, tient au fait d’objectiver le corps et de mépriser sa valeur d’icône de la personne. La pornographie objective la sexualité. Le péché de la torture et des différentes formes de sadisme, inversement, consiste à chercher à atteindre la personne, à l’objectiver et à la contraindre par son corps. Le corps est quelqu’un d’autre, un non-moi. Il est, comme l’icône, le signe visible de la présence invisible d’autrui.
La
différence de nature entre Dieu et l’être humain subsistera éternellement, même
entre l’être humain divinisé et l’être divin humanisé - elle subsiste en Christ
dont les deux natures ne sont pas confondues aussi unies soient-elles selon son
hypostase divine de Verbe. Elle subsiste en
II. L’homosexualité et la foi biblique
Après ce que nous venons de rappeler, il apparaît peut-être assez clairement que l’homosexualité n’est pas cohérente avec ce que Dieu a révélé de soi et de l’être humain, dans son être et dans son projet. Quelle que soit la compassion que le Seigneur nous invite à manifester à tout être humain, puisqu’ Il a donné sa vie pour lui, il existe un avertissement biblique clair concernant les pratiques homosexuelles. Cet avertissement devrait être interprété comme l’expression de la compassion du Père qui veut que tous soient sauvés. Nous suggérerons également les voies que cette divine compassion peut prendre dans l’Eglise, corps et sang de Dieu fait Homme.
A. L’avertissement biblique
a)
L’Esprit saint a averti du danger de mort que comporte l’homosexualité. Dans le
récit concernant la ville de Sodome (Gen.19, 1-29), ce qui est d’abord
stigmatisé, c’est l’atteinte à l’hospitalité, c’est-à-dire précisément le
mépris d’autrui, de l’étranger : le refus de l’altérité. Mais l’acte
homosexuel apparaît comme une telle souillure, que Lot préfère livrer sa propre
fille pour dissuader les Sodomites de le commettre : « Non, frères,
ne faites pas le mal... » (19, 7). Selon
b) C’est bien l’idolâtrie qui est à l’origine de l’homosexualité, comme l’explique clairement l’apôtre Paul : « Ils (certains païens) ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement : Amen ! C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement » (Ro.1, 25-27). Avant d’être un problème moral, l’homosexualité, disposition ou exercice contre-nature de la sexualité, est donc un problème théologique, lié à la méconnaissance de Dieu.
Rappelons
que l’idolâtre est celui qui ne connaît pas le Dieu créateur, celui qui confond
Dieu et la créature et qui reste pour cela enfermé dans le monde du créé, qui
se suffit à soi-même sans Dieu. L’idolâtrie est toujours présentée dans
L’inversion
sexuelle traduit l’inversion théologique et le désordre au sein de la création,
tout particulièrement en ce qui concerne l’image divine en l’être humain,
suivant ce qui a été dit plus haut. Cette inversion, comme tout péché, occulte
l’image divine trinitaire parce qu’elle occulte la différence au sein de la
nature. Et ce mépris de l’altérité place l’être humain dans une impasse : elle
est un obstacle à la ressemblance de Dieu, parce que c’est dans l’expérience
quelquefois crucifiante de la différence que l’être humain s’accomplit comme
hypostase. Comme toutes les fautes morales, qui se ramènent à l’occultation des
différences et des limites ontologiques, l’inversion empêche l’être humain de
se réaliser comme hypostase créée à l’image de l’hypostase incréée, parce
qu’elle l’asservit à l’idolâtrie de soi. Marcel Proust présente d’une façon
pathétique la solitude qui marque l’homosexualité masculine(cf. «
Saint
Maxime le Confesseur écrit que « le premier homme, pour avoir fait mauvais
usage de ses facultés naturelles qui devaient l’amener à sa finalité, se trouva
ignorer son Créateur... Il entremêla jusqu’à les confondre ses facultés
intellectuelles et ses sens et fut attiré par la connaissance des choses
sensibles, connaissance complexe et désastreuse, puisqu’elle déployait en lui
les passions... Il était même devenu pire que les bêtes, car il avait échangé
ce qu’il y avait en lui de naturel pour ce qui est contre nature » (A
Thalassios 253). Cette parole, qui est un commentaire de celle de l’Apôtre,
montre que l’idolâtrie entraîne l’ignorance de Dieu et que celle-ci à son tour
entraîne des symptômes pathologiques dans l’ordre du comportement, en
particulier la relation contre-nature qu’est l’homosexualité. Aussi, à l’égard
de tout péché, l’attitude de
c)
On peut encore voir dans la discorde d’Adam et d’Eve l’origine de l’inversion
sexuelle, comme d’ailleurs de tout péché. La parole « vous mourrez »
a été adressée à eux : la différence ontologique s’est transformée en eux, par
leur désobéissance, en discorde, en séparation. Cette discorde n’a-t-elle pas
comme rejeton la haine mutuelle des sexes et leur guerre historique ? L’homme
commence par accuser la femme devant Dieu ; c’est l’origine du
ressentiment de la femme à son égard et la première justification de sa
domination sur elle. La haine de la femme contre l’homme, ainsi que toutes les
formes de misogynie, incluent une homosexualité larvée : le féminin se referme
sur soi-même ; le masculin se suffit à soi-même, et chacun « meurt de son
côté » (Marcel Proust, ‘Sodome et Gomorrhe’, in A
Condamner ou justifier l’homosexualité est vraiment insuffisant. Il faut aller plus loin et contempler quel fruit pour le salut mûrit à Cana de Galilée, quand le Christ y réconcilie Adam et Eve. Le Christ a pris la maladie humaine à sa source et Il commence la restauration de l’humanité par la restauration du couple hétérosexuel, c’est-à-dire le rétablissement du « mode d’être » originel de l’être humain, mode d’être trinitaire fondé sur l’antinomie des personnes : « qu’ils soient un, comme nous sommes un », dit au Père le Verbe incarné (Jn.17, 22).
B. La condition de consacré.
Fondamentale dans la vision biblique et chrétienne de l’être humain est le mystère de sa consécration qui en fait un pontife, un prophète et un roi. De là découle toute l’éthique biblique.
a) En vérité, cette consécration eut lieu au Paradis car la mise à part de l’homme de toutes les autres créatures et le souffle de Dieu venant en Adam fut la première onction, le premier « sceau du don du saint Esprit ». Tout le mystère de l’Eglise était là en germe ; c’étaient les arrhes du Royaume. Après la chute, la sainte Trinité, dans sa miséricorde, renouvela cette consécration en mettant à part du genre humain perverti Noé et les siens. Puis le Trois-fois-Saint mit à part un peuple afin que toute chair puisse être sauvée, c’est-à-dire voir la face de Dieu et participer à la vie éternelle dans le Royaume. « Je vous ai séparés des autres peuples pour que vous soyez à moi », dit-Il à son Israël (Lev. 20, 23-26). Et ce rappel suit justement la condamnation de l’homosexualité (18, 22 ; 20, 13). Ne commettez pas cette abomination - celle-là entre autres - parce que Je vous ai séparés des autres nations et que vous n’êtes pas comme les autres : « Soyez à moi, saints car Je suis saint, Moi, le Seigneur ». Le peuple de Dieu est consacré (« qadosh ») au Dieu saint (« qadosh »). « Toutes les prescriptions donnée par l’Esprit saint dans le Lévitique ont pour dénominateur commun la sainteté de Dieu qui doit transparaître dans tous les actes et dans toutes les circonstances de la vie du peuple » qu’Il s’est consacré (TOB, p.246, note l). La consécration suppose un mode de vie différent de celui des autres êtres humains.
Enfin,
le Seigneur a, au milieu des temps et en vue du monde qui vient, renouvelé de
façon définitive cette consécration en instaurant l’immersion dans sa propre
mort et sa propre résurrection et en venant comme Esprit sur tous ceux qui
reconnaissaient le Verbe comme Seigneur. Et Il a manifesté ainsi le mystère
éternel de l’Eglise. C’est pourquoi, le saint apôtre Pierre s’adressant aux
baptisés les appelle « race élue, communauté sacerdotale du roi, nation
sainte, peuple que Dieu s’est acquis » (1 Pi.2, 9), parole reprise dans le
livre de l’Apocalypse : les baptisés sont « pontifes de Dieu et du
Christ » (20, 6 ; cf. 1, 6 et 5, 10), appelés à vivre, non selon les
passions mais selon le mode de vie divin qui est celui de la communion des
personnes ou hypostases. « La nouvelle création des chrétiens diffère de
tous les hommes du monde par la régénération de l’esprit (« noûs »),
la paix de la pensée, l’amour du Seigneur et l’éros céleste » (saint
Macaire, cité par Christos Yannaras, «
b) Les conséquences du statut des baptisés sont immenses. Le baptisé ne s’appartient pas : il appartient au Christ et à son Eglise, totalement - dans ses pensées, dans ses sentiments et dans ses comportements et donc dans sa sexualité. De cette appartenance, le signe est l’immersion totale et l’onction chrismale sur tout le corps, de la tête aux pieds. Le chrétien ne dispose pas de soi et il ne dispose pas non plus d’autrui, à plus forte raison d’un autre baptisé. En particulier, il ne dispose pas de son corps ou du corps d’autrui, redevenus par le baptême temple de l’Esprit saint. C’est le Verbe incarné Lui-même qui le dit : « Vous appartenez au Christ » (Mc.9, 41). L’Apôtre renchérit sur cet enseignement divin : «Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (2 Ti.2, 19)... Ignorez-vous que vous ne vous appartenez plus ?... Ne savez-vous pas que vos membres sont les membres du Christ ?... Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du saint Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu ? » (1 Co.6, 15 ; 19). La vie du baptisé est consacrée par la parole de Dieu et par l’onction de l’Esprit qui est Dieu. Sa sexualité est consacrée. Il est extrêmement difficile de vivre selon cette consécration, mais à Dieu tout est possible pour nous, que nous soyons mariés, que nous soyons moines. Dieu dans sa miséricorde supplée à notre faiblesse si nous mettons notre foi en lui.
c)
Ce qui désigne encore le baptisé en tant que consacré et membre du sacerdoce
royal de l’Eglise du Christ, c’est sa soumission à
Le Christ ne condamne pas nos frères homosexuels, en tant que personnes certes, mais pas en raison de leur comportement ; et Il les appelle à renoncer à tout comportement homosexuel et à vivre dans l’Eglise selon la sainteté du baptême afin d’avoir part à la vie éternelle.
C. L’acquisition du Saint-Esprit.
La vraie question, pour un inverti comme pour tout être humain, c’est la question de la participation aux dons du saint Esprit par qui il peut trouver la vie éternelle. Cela dépasse un simple problème de morale sociale. La vraie question de l’existence humaine est : Serai-je sauvé ?
a) La participation au Royaume de Dieu est donnée par le Christ comme l’enjeu de l’existence humaine sur terre. Le seul respect des lois divines et humaines est un moyen et non une fin en soi. « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est proche », dit le Verbe incarné après saint Jean Baptiste le Précurseur. Et l’on sait combien les saints de l’Eglise orthodoxe, comme saint Séraphin de Sarov, ont magnifié cet appel. Tel ou tel mode de vie permet-il de participer aux dons du saint Esprit ? L’être humain peut-il être déifié, devenir un saint, peut-il connaître la plénitude du saint Esprit par telle ou telle voie ? Là est la seule question sérieuse. Ce monde passe, et ses convoitises : faut-il le rappeler ? Faut-il rappeler que nous sommes mortels, que la civilisation dans laquelle nous nous trouvons est minée par le péché ? Pensons à ce qui dure, c’est-à-dire justement cette vie éternelle par le saint Esprit. L’interprétation juridique du christianisme n’est pas satisfaisante. Le Verbe s’est incarné, est mort et est ressuscité pour que l’être humain puisse recevoir la plénitude du saint Esprit et, par lui, connaître le Père, être déifié, être avec lui le Christ à la droite de ce même Père. Tel est l’Evangile. Et les trois premières versions du saint Evangile commencent par le même appel : « Convertissez-vous en vue du Royaume », c’est-à-dire du saint Esprit.
b) Les actes homosexuels, comme d’ailleurs certains actes hétérosexuels, ne sont pas compatibles avec le baptême. Saint Paul l’exprime nettement dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe: « les homosexuels, les pédérastes, les idolâtres... n’hériteront pas le Royaume des cieux » (1Co. 6, 9-10). Ce n’est pas parce qu’un tribunal fût-il divin l’a juridiquement décidé. C’est que ce mode de vie est incompatible avec la vie trinitaire. Les passions en général, et l’inversion sexuelle sous sa forme passionnelle et non convertie, empêchent l’être humain de participer à la grâce du saint Esprit, que pourtant le Père céleste, à la prière du Verbe, donne en surabondance. Pourquoi ?
c) Les passions en général se ramènent à l’amour idolâtre de soi, que ce soit la colère, l’amour de l’argent, l’injustice sociale, que ce soit une hétérosexualité vécue comme possession d’autrui et objectivation de sa personne et de son corps. Quand dans la relation sexuelle entre homme et femme, autrui n’est que l’instrument de mon propre plaisir, l’acquisition du saint Esprit m’est impossible, parce que je vis dans l’idolâtrie narcissique de moi-même. L’amour de soi a été présenté par les Pères anciens, tel saint Maxime le Confesseur par exemple, comme la racine de tous les maux. Il est repliement sur soi, autosuffisance, négation de l’antinomie trinitaire des personnes. C’est encore le péché d’idolâtrie. « L’ignorance de Dieu, dit saint Maxime, amène à diviniser la création. En effet l’amour que le genre humain porte à son propre corps constitue une adoration manifeste de la création divinisée » ; c’est pourquoi, « l’amour de soi engendre tous les maux ». Il décrit encore la condition des êtres humains esclaves de leurs passions : « L’immense et innombrable foule des passions envahit la vie des humains. Leur vie devient ainsi déplorable. Car les êtres humains... poursuivent eux-mêmes, sans le savoir, la cause de leur corruption. L’unité de la nature humaine s’effrite en mille morceaux et les hommes, comme des fauves, dévorent leur propre nature... » L’amour de soi entraîne l’atomisation du genre humain, « la nature se morcelle en autonomies individuelles » (C.Yannaras, op.cit., p.17) parce que chacun se replie sur soi, perd la vie hypostatique pour régresser vers une vie égoïstement individuelle et nie jusqu’à l’existence d’autrui. Autrui n’existe plus en lui-même comme une personne absolue : il n’est plus que l’instrument de mon auto-réalisation, de mon pouvoir, de ma jouissance, de mon cannibalisme sexuel. Et l’Autre qui est la personne divine, grand gêneur, disparaît de mon ciel. L’amour de soi conduit à la négation de l’humanité et de la divinité, et de l’ensemble de la nature cosmique réduite au statut de proie. Or, ce qui est vrai de toutes les passions, l’est particulièrement de l’homosexualité, parce que, nous semble-t-il, elle est la forme éloquente et emblématique de l’amour de soi, étant l’amour du même pour le même - même si, psychologiquement, il subsiste dans une relation homosexuelle quelque chose de l’hétérosexualité, l’un assumant un comportement plus « masculin » et l’autre une attitude plus « féminine », ce qui est bien significatif de la valeur que revêt l’antinomie des sexes pour une relation interpersonnelle... L’homosexuel est un Narcisse amoureux de soi. D’André Gide, François Mauriac écrivait qu’« il n’a exploré d’autre continent que lui-même » (F.Mauriac, Mémoires intérieurs, Flammarion, « Le Livre de poche », Paris, 1966, p.156). Et Madeleine Gide, dans un carnet secret, écrit ceci : « Tu étais à toi-même ton seul but - ton seul souci - ton seul amour - qui t’envahit, André ! » (cité par F.Mauriac, op.cit., p.256). Bertrand Vergely écrit : « L’homosexualité est liée en profondeur à un phénomène narcissique (...), à une intense fixation narcissique du moi » (op.cit., p.2 et 3).
Pour toutes ces raisons, présenter l’homosexualité, ainsi qu’on le fait dans le monde contemporain, comme un mode de vie parmi d’autres ou, pire, comme une voie d’épanouissement, est une imposture. Comment l’être humain peut-il s’épanouir autrement que selon l’image trinitaire dont le sceau est en lui ? Et la prétendue « libération homosexuelle », loin d’être un progrès, est une régression caractérisée.
III. L’attitude pastorale de l’Eglise
Devant la souffrance de la société civile et devant la faiblesse de certains de ses membres, l’Eglise du Christ a eu, depuis l’origine, et se fondant sur l’héritage biblique, une attitude de type thérapeutique.
A. L’ascétisme mystique des chrétiens
a) Parce qu’elle révèle et valorise la personne, l’Eglise appelle à la conversion par la lutte spirituelle pour son affranchissement à l’égard des passions. Elle propose d’abord une définition de la « passion » comme une forme pathologique de la pensée, de l’imagination et du comportement. Saint Jean Climaque (Echelle 15, 74) dit : « La passion, au sens propre, est un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme et qui, désormais, lui a fait contracter une liaison intime avec lui et l’a établie comme une disposition naturelle, en vertu de laquelle elle s’y porte d’elle-même, spontanément et par affinité ». La passion est une disposition contre nature qui devient une seconde nature. La condamnation, proscrite par le Christ (« ne condamnez pas », Mat. 7, 1 ; Luc. 6, 37), serait une identification de la personne avec la seconde nature du péché, soit pour l’excuser soit pour la rejeter : je suis coléreux, il est ceci ou cela, par exemple homosexuel. Un tel jugement réduit la personne à la passion et décourage la conversion et la guérison. Mais la passion, soulignent certains Pères, est l’inversion d’un désir fondamental et légitime. La conversion réoriente la passion vers sa finalité naturelle, généralement l’union à Dieu. Face à la parole de Dieu, la conscience reconnaît - c’est le début de repentir - l’orientation erronée de la passion, la déteste dans les larmes et supplie le Dieu miséricordieux de lui accorder pardon et guérison.
b) L’ascétisme ne consiste pas seulement dans le repentir continuel. Il se définit comme un exercice (c’est son sens propre) à vivre déjà dans le Royaume. L’ascèse est « la lutte de l’homme contre sa propre nature, contre la mort mélangée à la nature humaine. Il faut que la révolte de la nature meure, afin que la nature vive sa vocation naturelle et qu’elle participe à la vie de Dieu » (C.Yannaras, op.cit ;, p.53). Le combat n’est pas seulement contre les passions égoïstes : il est encore plus un combat pour la vie en Christ, en l’occurrence pour l’acquisition de la chasteté. C’est une conquête. Le chrétien est un conquérant des données du Royaume qui sont déjà à sa disposition par le baptême, la chrismation, l’eucharistie et tous les sacrements de l’Eglise. Dieu seul est chaste. Le combat pour la chasteté en ce monde est l’acquisition grâce au saint Esprit d’une qualité divine. En s’unissant à la personne divine du Christ par les énergies du saint Esprit dans un choix quotidien de prière, de repentir et d’application des commandements de vie, le baptisé peut acquérir non seulement la chasteté, mais encore l’humilité et toutes les vertus ou puissances divines. « Heureux, dit encore saint Jean Climaque, celui qui est parvenu à une insensibilité parfaite devant tout corps, toute carnation et toute beauté » (15, 7), c’est-à-dire tout à fait libre de la convoitise. La chasteté, amour sans convoitise, est « la demeure bien-aimée du Christ et le ciel terrestre du coeur » (15, 2).
Ce
n’est pas seulement un idéal : la chasteté est une vertu, objet de la conquête
non seulement d’un ou d’une homosexuelle, mais bien sûr d’un hétérosexuel,
moine, célibataire, marié : de toute personne qui s’exerce à vivre dans
l’Eglise d’après son baptême. L’ascétisme est mystique parce qu’il consiste à
acquérir une humanité nouvelle, l’humanité déifiée du Christ. Il est
« participation immédiate, corporelle, à la vérité de l’incarnation de
Dieu et de la déification de l’homme » (C.Yannaras, p.55). Les chrétiens sont
une « race nouvelle », la « race de ceux qui cherchent le
Seigneur » (Ps. 23, 6) : ils sont même « de la race de Dieu » (Ac.17,
28-29) par le baptême. Ils sont une mutation anthropologique survenue dans
l’humanité par le don du saint Esprit à
c)
Les instruments de lutte et de thérapeutique sont également donnés par
Le premier des instruments est la prière, parce qu’elle constitue l’acte de foi par excellence. C’est en elle que le baptisé reçoit le don d’exprimer même les désirs qu’il ne se connaissait pas, la vocation profonde de son être, la nostalgie profonde qu’il a du Paradis et l’espérance folle d’être sauvé malgré tout. La prière libère également tous les charismes du saint Esprit que la personne a reçu au baptême, par exemple le charisme de la chasteté.
La vénération ou l’adoration sont également salutaires. Puisque l’idolâtrie est l’origine des maux de l’être humain, que celui-ci se prosterne intérieurement et extérieurement devant Dieu et qu’il le reconnaisse comme Seigneur. Les métanies sont conseillées par nos pères spirituels parce qu’elles concrétisent la démarche d’adoration et de reconnaissance de la transcendance du Créateur. Elles contribuent à guérir l’âme de l’idolâtrie. Le jeûne est fondamental parce que je m’y engage physiquement, je démontre que tout mon être opte pour la vie nouvelle et répond à l’appel évangélique. « L’ascèse orthodoxe est toujours un acte corporel » (C.Yannaras, op.cit., p.54). Tous ces instruments mobilisent non seulement la conscience mais encore l’inconscient et l’involontaire ; c’est pourquoi ils sont indispensables. Le sacrement de la confession et du repentir consiste à dévoiler les pensées qui ont émergé du coeur : dire à Dieu la vérité sur soi devant témoin, renier le péché devant l’Eglise, verbaliser ses fautes cachées dans un contexte de prière intense du pénitent et du confesseur, est une thérapeutique. C’est la prière de l’Eglise, la foi de l’Eglise, encore plus que la prise de conscience et la résolution de la personne, qui donnent la guérison, le miracle de la santé de l’âme et du corps.
Il faut croire au miracle pour chercher ainsi la guérison de son homosexualité reconnue d’abord comme une maladie de l’âme. N’oublions pas l’onction des malades, où intervient si fortement la prière de foi de la communauté des croyants. Le pénitent public - c’est pourquoi la confession et l’onction sont administrées dans l’église - est le frère souffrant dont la communauté peut prendre en charge la souffrance et la guérison en priant et en jeûnant elle-même. A cela est jointe l’obéissance au père spirituel : car, la maladie de l’âme venant de la désobéissance, c’est en s’exerçant à l’obéissance qu’on peut retrouver la santé. L’enseignement des Pères est qu’il faut appliquer au mal le remède inverse. Puisque par la désobéissance la souffrance et la mort sont entrées dans la création bonne, c’est par l’obéissance, dont le Christ est le prophète par excellence, que le salut est donné au genre humain, comme le dit l’apôtre Paul (cf. Ro.5, 19). « L’ascèse, dit encore C.Yannaras, tend à imiter l’obéissance du second Adam (...), fidélité à l’image de Dieu » (p.27). Il peut également être fait recours à l’aide d’un psychologue, mais dans le cas exclusif où celui-ci reconnaît l’existence et la souveraineté de Dieu. C’est une façon de « médicaliser » le péché et de le libérer de sa gangue juridique. Le Christ est tout de même appelé « Médecin des âmes et des corps ». Mais le Remède des remèdes, toutes ces méthodes y préparant, est la communion eucharistique avec repentir et foi. C’est par l’eucharistie, « possibilité de participer à la nouvelle nature humaine du Verbe incarné (...), unité organique des personnes dans la communauté de la nouvelle nature » (Yannaras, p.43), que notre frère malade, soutenu et accompagné par la prière, le repentir et le jeûne de l’assemblée, communie à la vie nouvelle et impérissable ainsi qu’à toutes les vertus divines. (Sur cette question, voir Thérapeutique des maladies spirituelles de Jean-Claude Larchet, Paris, Editions du Cerf, 4ème édition, 2000).
B. Homosexualité génétique ou acquise ?
A notre époque, la question homosexuelle a été relancée par la distinction opérée entre la condition et les actes homosexuels.
a) Les comportements homosexuels sont généralement le résultat d’une perversion à la suite d’une rencontre, de l’influence de quelqu’un, voire de lectures ou d’images. Toutes les formes de péché sont dans l’humanité déchue. A la suite d’une influence perverse, telle ou telle tendance peut devenir comme une seconde nature, pour reprendre la pensée de saint Jean Climaque : « Un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme et qui, désormais, lui a fait contracter une liaison intime avec lui et l’a établie comme une disposition habituelle ». A cette déviation, comme à tout péché, correspondent les remèdes évoqués plus haut, si toutefois la personne concernée est sensible au message évangélique : la thérapeutique ecclésiale suppose la foi dans le Christ Médecin de l’âme et du corps.
b)
L’objection d’une homosexualité naturelle est un contresens du point de vue
biblique, si l’on se rapporte à ce qui a été dit plus haut. Mais le mot naturel
dans le langage courant désigne le plus souvent la nature déchue et donc
proprement contre-nature. Le péché - tout péché - est contre-nature. La vie
naturelle est la vie paradisiaque, la vie qui se développe en conformité avec
le donné paradisiaque ou la vie dans le Royaume où la nature est transfigurée.
Le Verbe s’est incarné pour rendre à l’humanité la possibilité d’une vie
naturelle, cohérente avec l’image divine, avec la volonté divine, avec la
création visible et invisible. Et certes, dans cette existence contre-nature
dont hérite l’être humain à sa conception, il y a une hérédité du péché (Sur la
question de l’hérédité adamique, voir Jean-Claude Larchet, Maxime le
Confesseur, médiateur entre l’Orient et l’Occident, Paris, Le Cerf, 1998,
p.77-124). D’une prétendue homosexualité « génétique » on n’a
d’ailleurs pas la trace biologique. Bertrand Vergely écrit : « Jusqu'à
ce jour, on n’a pas trouvé le gène de l’homosexualité » (Le PACS, ou
l’aménagement désespéré d’un monde désespéré, supplément au SOP n°238, mai
1999, p.1) ; et le médecin, psychiatre et psychanalyste Jean-Paul Mensior
affirme : « Mon expérience thérapeutique m’autorise à affirmer que
l’homosexualité a toujours une origine psychologique... et non génétique.
L’observation clinique le montre massivement » (Chemins d’humanisation.
Essai anthropologique, Bruxelles, Lumen Vitae, coll. »Trajectoires »,
n°7, 1998, p.59). Mais, si l’on tient à parler d’ « homosexualité
génétique », elle est à comparer, du point de vue de
Cependant, tant que l’être humain n’a pas connu la seconde naissance, la naissance selon l’Esprit, par laquelle il hérite de l’humanité sainte du Christ, il continue de porter en soi, dans son sang, tous les germes héréditaires du péché. En ce sens, l’homosexualité est génétique, mais comme le sont les autres passions. En ce sens également, nul ne peut penser à un homosexuel autrement que comme à son frère : homosexuel mon frère ; homosexuelle ma soeur - parce que l’homosexualité, comme toutes les passions, est dans la nature déchue dont j’hérite à la conception. Le péché ou la souffrance ou la maladie de mon prochain sont mon péché, ma souffrance ou ma maladie. Ceci doit libérer le chrétien conscient de toute condamnation à l’égard des invertis. Si nous voyons notre frère ou notre soeur tomber dans la satisfaction de telle ou telle passion, faisons pénitence comme si nous étions nous-mêmes tombés dans cette faiblesse, disent nos Pères spirituels.
Mais nous participons au saint baptême, à la sainte chrismation et à la non moins sainte eucharistie, précisément pour être guéris des conséquences héréditaires du péché et pour participer à la vie vraiment naturelle qui est en Christ. Nous « revêtons le Christ » au baptême, avec toute l’impeccabilité possible que cela suppose. Nous sommes appelés à répondre à l’inversion, qui définit en réalité toute maladie de l’âme, par la conversion. L’homosexualité peut être une situation « naturelle » si on interprète ce mot entre guillemets comme synonyme de « nature déchue », humanité malheureuse, blessée par « un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme », pour reprendre encore les mots de saint Jean Climaque. C’est un handicap de naissance, handicap génétique qui est le signe de l’état déchu de l’être humain. L’homosexuel est au milieu de nous comme un signe, le signe douloureux d’une humanité livrée à l’idolâtrie de soi. Le monde dans lequel nous vivons n’est pas le monde transfiguré, même s’il y tend. Les baptisés sont précisément dans le monde pour inverser le signe de son Histoire et orienter celle-ci vers le Royaume où règne, avant tous les siècles et à jamais, le Fils de l’Homme.
A ce niveau, il importe de distinguer la prétendue « nature homosexuelle » et les actes homosexuels. Il est des êtres humains qui sont conscients de tendances homosexuelles - acquises ou, pensent-ils, génétiques - et qui répondent à l’appel du Christ, qui essaient de convertir cela, de le métamorphoser. Il y a tout un chemin de sainteté dans la lutte pour la chasteté - lutte souvent, il faut le savoir, dramatique - dans le cas dont nous parlons, comme il est un chemin de sainteté dans d’autres formes de souffrances, d’autres formes de handicap ou de privation qu’on aurait connues à la naissance ou depuis la naissance. Pensons à un petit enfant qui devient diabétique : il va falloir vivre avec le diabète, en suivant un traitement quotidien et contraignant sans lequel il mourrait. Et ce diabète va structurer son existence et pourra devenir pour lui un chemin de sanctification. L’homosexualité, si le baptisé accepte le combat spirituel non seulement pour la guérison mais surtout pour le salut, peut être un chemin de sainteté, comme toute faiblesse humaine. C’est le repentir, « sentiment de la privation de la grâce (...), de la séparation de Dieu, le deuil pour la perte de sa Personne, le goût de la mort à laquelle aboutit la privation de la vie divine » (C.Yannaras, p.31), qui transforme le péché en voie de sanctification.
c) La conversion et la thérapeutique supposent que la personne homosexuelle - car elle est avant tout une personne ! - rencontre toute l’attention et toute la compassion possible de la part de la communauté chrétienne qui accueille ce frère ou cette soeur souffrants. Là est le fondement du salut : rencontrer dans l’Eglise le Christ compatissant, en ses frères, en son prêtre. L’Esprit saint demande qu’on l’accueille comme quelqu’un qui illustre symptomatiquement un mal qui est dans l’humanité et donc en chacun de nous qui nous voulons chrétiens. Ce n’est que dans un climat de compassion que peuvent être entendus l’appel à la conversion et le projet thérapeutique qui est celui de l’Eglise. L’Eglise est, entre autres dimensions, un hôpital. Ce n’est que dans un tel climat de compassion que la personne peut se reconnaître malade et accéder au repentir. Quand les membres de l’assemblée acceptent qu’il y ait des malades parmi eux, s’abstenant de se considérer eux-mêmes comme bien portants et entrant dans le repentir, l’homosexuel comme toute personne humaine blessée peut, par le repentir, grandir vers la ressemblance divine et la sainteté. L’état de péché est maladie (cf. Mat. 9/19): la preuve en est qu’il conduit à la mort. C’est une maladie mortelle. Par ailleurs, la maladie elle-même est considérée comme la manifestation du péché, soit de la personne elle-même - par exemple si elle a entretenu ses tendances homosexuelles avec complaisance - soit tout simplement de l’humanité.
« Ni lui ni ses parents n’ont péché », dit le Christ de l’aveugle-né : mais cette infirmité est permise pour que Dieu soit glorifié. Comment Dieu est-Il glorifié dans l’infirmité, dans la maladie, dans le handicap de naissance ? Il est glorifié quand le souffrant le glorifie, quand son entourage devient l’agent de la compassion divine, quand l’infirmité devient chemin de sanctification et de déification. Il est glorifié « par de bonnes actions qui ont pour seul but la gloire de Dieu et la manifestation de son image » (C.Yannaras, p.42). Il y a bien des homosexuels convertis qui seront dans le Royaume avant bien des hétérosexuels qui se sont crus justes. En réalité l’homosexualité n’est rien ; l’hétérosexualité n’est rien : ce qui compte c’est la conversion au Christ en vue du Royaume, c’est-à-dire en vue de la participation à la grâce déifiante du Saint-Esprit.
La compassion n’est pas la pitié. Elle n’est pas humaine. Elle est un charisme divin. Dans le cas qui nous occupe, l’acquisition de la compassion nous permet de voir le Christ dans le frère souffrant : parce qu’il aura joui de la compassion de ses frères et de ses pères en Dieu, le frère homosexuel découvrira mieux le Christ et la vie en lui. Le Christ compatissant se sera manifesté à lui par les frères. La compassion permet l’évangélisation de la sexualité, qu’elle soit hétéro ou homosexuelle, qu’elle soit monastique ou conjugale. L’évangélisation de la sexualité consiste à appeler à la conversion tout l’éros qui est en l’être humain et à l’orienter vers la charité impérissable du Christ. Elle consiste à introduire la dimension ascétique dans la vie sexuelle.
Dans ce contexte, il ne faut pas avoir peur de poser la question des homosexuels chrétiens. Au premier degré, d’après ce qui a été exposé plus haut, l’expression est un contre-sens : l’homosexualité, pas plus que l’injustice sociale, l’égoïsme et les autres passions, n’est chrétienne. Il y a des personnes pour s’évertuer à démontrer qu’on peut être homosexuel et chrétien, semblables en cela à André Gide : « Incapable de renoncer au Christ comme il l’était de renoncer à lui-même, il lui restait de tirer à lui chaque parole du Seigneur » (F.Mauriac, op.cit., p.275). Certains disent que l’Evangile ne comporte pas de condamnation de l’homosexualité. Mais le Christ ne condamne pas : Il appelle au changement de vie. « Le Christ dans son enseignement paraît ne s’être jamais inquiété de nos goûts singuliers. Il ne lui importe aucunement de connaître la bizarrerie des inclinations. Son exigence, et qui est la même pour tous, c’est que nous soyons purs, que nous renoncions à notre convoitise, quel qu’en soit l’objet. La réprobation du monde à l’égard de l’homosexualité est d’ordre social, et n’offre aucun caractère commun avec la condamnation que le Christ porte contre les souillures, ni avec la bénédiction dont Il recouvre les coeurs qui se sont gardés purs » (ibid., p.277). L’homosexualité est en elle-même en deçà de la vie en Christ, de la vie ecclésiale, parce qu’elle est une « auto-adoration », une hypertrophie de l’individualisme (B.Vergely, op.cit., p.3) et qu’en ce sens elle se situe aux antipodes de la nature humaine créée à l’image trinitaire de Dieu : c’est pourquoi un homosexuel impénitent ou triomphant ne peut s’approcher de la sainte communion, tout simplement parce que le mode de vie qu’il affiche fait qu’il n’est en communion ni avec le Christ ni avec son Eglise.
Mais l’expression « homosexuel chrétien » désigne également celui qui, avec des tendances homosexuelles, ou avec une vie homosexuelle, vient dans l’Eglise pour se convertir et lutter pour l’acquisition de l’Esprit de Vie - devenir chrétien. Cette situation concerne la communauté, comme nous l’avons dit. Mais elle est plus particulièrement de la responsabilité de l’évêque et du prêtre à qui un tel drame est confié dans le secret de la confession. L’évêque ou le prêtre seront l’image du Bon Pasteur qu’est le Christ lui-même s’ils se consacrent à cette personne pour l’aider à découvrir l’incompatibilité entre les actes homosexuels et la vie chrétienne, et en quoi l’homosexualité est une impasse spirituellement parlant. Ce n’est pas seulement un mal moral, un interdit religieux ou social. C’est une passion qui, sauf conversion, empêche de goûter à la plénitude du saint Esprit. Le pasteur - le Bon Pasteur - est là pour aider la personne à trouver le chemin, sinon de la guérison, en tout cas du salut.
C. L’Eglise et le monde.
L’attitude chrétienne devant le phénomène social de l’homosexualité nous ramène à la question des relations que le monde entretient avec l’Eglise.
a)
La modernité de l’Eglise est dans l’actualisation permanente de
Mais
nous sommes également dans une société pré-chrétienne parce que, comme le dit
le titre du livre de Père Alexandre Men, « le christianisme ne fait que
commencer ». Tout est à annoncer de nouveau ; tout est à expliquer de
façon toujours nouvelle ; tout est à penser en profondeur à partir du saint
Evangile en réponse au défi lancé aux baptisés par ceux qui ne connaissent pas
Dieu. Le monde interpelle les chrétiens, non pour qu’ils livrent une parole
psychologique ou philosophique que d’autres donnent déjà, mais pour qu’ils
fassent entendre, même si on la rejette, la parole théologique qui sauve. Or la
question homosexuelle est une question théologique, au sens où elle
s’interprète à partir de la relation de l’être humain avec Dieu. L’Eglise est à
l’avant du monde et c’est de cette proue qu’elle annonce une parole qu’elle
seule peut dire. On nous dira qu’il y a deux mille ans de christianisme derrière
nous. Il semble que dans bien des domaines, comme le montre le défi des grandes
questions écologiques, éthiques et bioéthiques de notre temps, tout soit à
faire de nouveau sur la base du témoignage des saints Pères de tous les temps.
La parole chrétienne est une parole sans compromis quoique pleine de
compassion, parce qu’elle est une parole prophétique et neuve. Les
manifestations, les publications et les revendications en faveur de la place
des homosexuels dans la société ne sont pas seulement les symptômes d’un monde
« déchristianisé » - y a-t-il d’ailleurs eu jamais de société
chrétienne ? Ces symptômes sont également les signes d’un monde où les
chrétiens n’ont pas encore toujours le courage de parler de Dieu, d’annoncer
l’Evangile, la sainteté, la profondeur de l’expérience spirituelle, la mystique
insondable du christianisme, la vérité historique de
b)
La législation civile concerne les chrétiens. La demande actuelle dans la
société d’une légalisation de l’homosexualité est un défi d’actualité. L’Eglise
ne peut pas (heureusement...) imposer sa loi à la société. Elle n’a pas le droit
d’ecclésialiser de force le monde. Elle n’a de pouvoir que celui de l’amour
crucifié et d’autre exemple à donner que celui de la transfiguration de ses
saints. Elle ne peut qu’évangéliser, en paroles et en actes. Elle ne peut
qu’inviter le monde à une conversion sans laquelle toute morale est vaine. Elle
peut ainsi inspirer la législation d’un pays. Elle ne s’identifie pas au monde;
elle n’est pas « du monde », elle ne lui appartient pas. Elle ne
cherche pas non plus à justifier socialement son existence en apparaissant
comme une institution protectrice de l’ordre moral de ce monde. Mais elle est
« en lui » comme sa conscience et son coeur. Les chrétiens sont des
membres de l’Eglise qui sont également des citoyens du monde et qui « rendent
à César ce qui est à César », non seulement en payant leurs impôts mais
également en participant à la vie civile par le vote. Ils élisent et sont élus.
Ils peuvent proposer, défendre une loi ou s’y opposer. Ils peuvent donc
contribuer à la transformation de la société non seulement en la sanctifiant de
l’intérieur par leur propre sanctification mais également en l’éduquant par le
moyen de la législation. La loi, selon saint Paul, est une pédagogie (cf. Ga.3,
24s). L’Eglise, par le ministère des évêques et par la voix des laïcs, peut
faire entendre dans le monde, avec douceur et humilité, une parole sage en
faveur de l’être humain. Elle peut s’interposer pour défendre l’être humain
contre ce qui le déshumanise. Dieu s’est incarné pour s’interposer entre
l’homme et l’homme. C’est ainsi que
c) La prière pour le monde reste l’attitude fondamentale du baptisé devant les défis d’une époque et devant les signes des temps. Et la prolifération de l’homosexualité et la propagande dont elle est l’objet, comme le divorce endémique, sont des signes des temps. Abraham le premier en a donné l’exemple quand il priait pour Sodome (Gen.18/16). Les chrétiens ne prient pas toujours autant qu’il leur est demandé de le faire et ils ne croient pas toujours à la prière, à la puissance de la foi et à la volonté de Dieu d’agir dans le monde par son Verbe et son Esprit pour faire miséricorde à l’être humain en ouvrant son cœur à sa révélation. Nous croyons trop à nos raisonnements humains et nous ne demandons pas assez à Dieu d’agir. Nous ne nous proposons pas assez d’agir avec lui. C’est notre grand péché. Abraham a intercédé pour Sodome devant Dieu. Nous pouvons faire de même : « haïr le péché mais aimer le pécheur », suivant l’adage patristique. Et l’amour est essentiellement la préoccupation du salut d’autrui. En effet, le Christ n’est pas venu, comme Il le dit Lui-même, pour condamner le monde mais pour le sauver ; et les chrétiens n’ont pas été établis juges du monde mais pontifes, rois et prophètes pour le monde. Tous les chrétiens sont membres du sacerdoce du Christ par le saint baptême et ceci fonde leur attitude première : l’intercession pour eux-mêmes et pour le monde. Devant le drame de l’homosexualité institutionnalisée, la prière pour la conversion des coeurs et l’illumination des intelligences ; la prière pour le pardon et la guérison de nos frères invertis ; la prière pour nous-mêmes dont le péché est manifesté : voilà ce que demande l’Esprit saint aux disciples du Christ. La prière pour le monde commence par la conversion personnelle et le jeûne pour le monde, la conversion des chrétiens, l’extirpation de l’hypocrisie et de toute impureté. Il nous est demandé d’extirper de nos coeurs les racines du mal que nous voyons autour de nous dans la société. Il est vain de stigmatiser l’homosexualité ou une autre maladie de l’humanité, si nous n’extirpons pas de nos coeurs par le repentir la convoitise et toutes les perversions de nos âmes, les démons qui les habitent et que nomme Charles Baudelaire :
« Si
le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont
pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le
canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. » (Les Fleurs du Mal, « Au lecteur », v.25-28)
Cette réflexion trop approximative sur la question homosexuelle est l’occasion pour nous d’élargir le débat à la question de l’éthique chrétienne en elle-même, dont l’éthique sexuelle est un chapitre particulièrement important : la sexualité en effet touche aux profondeurs inconscientes de l’être humain et à sa relation avec le Créateur, avec la création et avec toutes les créatures. L’éthique chrétienne n’est pas individuelle : elle est ecclésiale ; elle correspond au mode de vie auquel l’être humain a accès par le baptême en devenant membre du Corps du Christ, consacré en chair et en sang du Christ. Le baptisé ne s’appartient pas. En tant que personne en communion avec d’autres personnes divines et humaines, il est intégré à une communauté consciente, porteuse de la pensée et de la vie de Dieu, et il participe à l’unanimité de cette pensée et de cette vie. L’attitude que l’Esprit saint nous invite à avoir est une attitude ecclésiale de discernement sans condamnation, dans la vérité et la compassion. C’est également une attitude prophétique : elle annonce la plénitude de la vie en Dieu, elle est en avance sur ce monde et sur ce temps ; elle annonce le monde qui vient, le monde futur, le Royaume ; et l’Eglise a pour mission de préparer les hommes et les femmes de notre époque et de chaque époque à vivre dans le Royaume. Elle doit se méfier de la morale. « La morale, écrit Christos Yannaras, corrompt l’Eglise, elle change les critères de l’Eglise en critères de ce monde, elle altère le ‘grand mystère de la piété’ en nécessité rationnelle sociale » (op.cit., p.57). Il ne s’agit pas pour l’ « être ecclésial » (l’expression est du métropolite Jean Zizioulas) d’être en tant qu’individu conforme aux règles d’une morale sociale ou prétendue chrétienne : il s’agit d’oeuvrer par le repentir à la régénération de l’être humain en Christ.
La revendication homosexuelle dans notre société est, elle, de type moral. Elle exprime la recherche d’une justification et d’une reconnaissance par la société d’un style de vie jusqu’alors réprouvé. En ce sens, la dépénalisation et la légalisation seront forcément interprétées comme légitimation - sans parler du caractère incitateur de ces nouvelles dispositions de la société. Mais la nouvelle morale sociale ne changera rien à la question de fond, parce que la question homosexuelle n'est pas une question de morale. C’est une question de liberté et d’éthique, c’est-à-dire de cohérence avec la nature profonde de l’être humain à l’image de Dieu. L’impossibilité dans laquelle est l’être humain à vivre selon cette nature n’est pas surmontée par l’affirmation ou l’infirmation de la loi morale. Le repentir est le cri de l’être humain confronté à l’impossibilité d’obéir sans Dieu au commandement divin.
Le
Christ ne propose pas la conformité à une morale sociale ou religieuse, mais la
conversion par le repentir et la restauration des relations interpersonnelles
avec le Père et avec tous les êtres humains par la grâce du saint Esprit, car à
Dieu, ce qui est impossible à l’être humain est possible. Encore faut-il que
l’être humain mette sa foi en Dieu. Le transgresseur de la morale est le mieux
placé pour faire cette expérience de liberté qu’est le repentir ; sa
non-conformité est sa chance de connaître la miséricorde divine et, ainsi,
Marc-Antoine Costa de Beauregard
(novembre 2001)