vendredi 12 juillet 2024

 

Théologie de la sexualité

Le sens de la distinction

du masculin et du féminin

(hétérosexualité et homosexualité)

Essai d’une interprétation chrétienne de la question homosexuelle

 

Archiprêtre Marc-Antoine Costa de Beauregard (Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale)

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Avant propos

 

« Maîtres de la Loi et Pharisiens hypocrites ! Vous fermez la porte du Royaume des cieux aux hommes et vous n’y entrez pas vous-mêmes…» (Matt. 23, 13) ; « vous les chargez de fardeaux accablants, sans les aider, même du bout d’un seul doigt, à les porter. Comme vous êtes à plaindre ! » (Luc 11, 46). Les chrétiens, particulièrement les pasteurs et les pères spirituels, sont effectivement bien à plaindre si, avant tout conseil dans le domaine de la vie, ils ne se sont purifiés de l’hypocrisie, de l’orgueil et de l’impénitence.


En cette période de l’Histoire, placée depuis deux mille ans sous le vol embrasé de l’Esprit, le Seigneur nous appelle constamment à nous repentir et à confesser notre propre péché afin d’être dans la vérité. Celui qui dit qu’il est sans péché est un menteur, dit le saint apôtre et évangéliste Jean. Les évêques, les prêtres et le peuple chrétien tout entier ne dressent pas un doigt accusateur devant la face de la société contemporaine, car ils n’ont pas été institués juges de ce monde. En leur disant « Suis-moi ! », le Christ les invite à monter sur la Croix par compassion pour tous les êtres humains, les justes et les injustes, particulièrement pour les pécheurs, dont le salut est peut-être compromis. Mais, comme seul un juste peut donner sa vie ni prier pour les pécheurs, nous comprenons très bien que seul le Christ monte de façon absolue sur la Croix pour son propre monde : les plus saints parmi les chrétiens sont seulement trouvés dignes d’être associés sacramentellement à l’œuvre unique de Jésus Christ, le Dieu Homme, le Seul sans péché. Tels les deux brigands du Golgotha, ils sont sacrifiés, non sur la Croix de Jésus, mais, de part et d’autre, sur leur propre croix, ou, comme la Mère de Dieu, au pied de la Croix, pour crier, en se tournant vers le Seigneur immolé par amour : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de ton monde !

L’Esprit saint appelle ainsi les baptisés à passer toujours du pharisaïsme au prophétisme. L’assemblée prophétique des baptisés, présidée par les évêques et les prêtres, et assistée par les diacres, prononce avec force, à chaque période de l’Histoire, la Parole divine qui veut sauver tous. Dans l’Eglise, la sagesse et la vérité de Dieu reposent en plénitude, expressions absolues de l’amour parfait en lequel le Trois-fois-Saint est glorifié. Cette plénitude de la Tradition, à laquelle s’identifie l’Eglise véritable et « catholique », comporte une théologie de la sexualité : le chrétien est immergé dans l’eau baptismale en tout son corps ; il est oint du Sceau du don du saint Esprit sur tout son corps par l’huile sacerdotale qui pénètre sa peau et sa chair ; et son corps et son âme sont nourris de l’intérieur par la communion au précieux Sang et au Corps très pur de Dieu ; sa sexualité-même est consacrée. Le prophétisme ecclésial rappelle au chrétien sa dignité baptismale et sacerdotale, et le ramène continuellement à la cohérence divino-humaine de son existence, lui parlant à la fois de l’incertitude du salut et de sa gratuité miséricordieuse.

La parole prophétique du Seigneur est donc adressée par son Eglise en premier lieu à ses propres membres, sensibles à l’appel évangélique toujours neuf. Mais, dans sa grandeur de cœur, le Seigneur parle du haut de sa Croix, et du haut du trône où Il préside l’assemblée des saints, à tous les hommes. Il n’abandonne pas la société contemporaine à elle-même. Par le saint Esprit, « que le monde ne peut recevoir », Il l’avertit tout de même de ce qui est le péché, la justice et le jugement (Jean 16, 8). Un maire de France a marié deux homosexuels le 5 juin 2004… Mais, le Père céleste ne fera pas preuve de colère en laissant son monde à l’ignorance et à la folie ; Il ne le livrera pas à ses propres passions ; mais toujours, par son Verbe et par son Esprit, Il cherchera à sauver tous les pécheurs, « dont je suis le premier ».


Archiprêtre Marc-Antoine Costa de Beauregard (Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale)

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L’attitude chrétienne par rapport à la vie et au comportement découle du saint baptême et ne peut donc être exigée d’un non-chrétien. Toutefois l’Esprit saint appelle à la fois les baptisés à être cohérents avec leur baptême et les non-baptisés à connaître, au jour fixé par lui, la joie d’une existence conduite par la foi dans le Christ. Ceci définit notre conscience de baptisés par rapport à nous-mêmes et notre respect à l’égard de ceux qui ne sont pas chrétiens. La promotion et l’éventuelle légalisation de l’homosexualité dans la société d’aujourd’hui posent une vraie question à notre coeur de citoyens chrétiens. L’Esprit saint nous demande de trouver l’attitude évangélique devant ce fait, une attitude inspirée par la Parole de Dieu et la Tradition ecclésiale plutôt que par des réactions épidermiques ou par une morale sociale.

Il s’agit ici d’une question délicate, peut-être d’une des principales blessures de notre monde, une blessure qui affecte les relations entre les hommes et les femmes. C’est la plaie à vif de la dissension d’Adam et d’Eve. Or le Christ s’est incarné pour réconcilier Adam et Eve, et les réconcilier tous deux avec le Père. Le mystère de l’Eglise est porteur d’une vie nouvelle qui comporte la réconciliation des frères et soeurs ennemis et des fils avec leur Père. On ne peut aborder les questions de l’éthique sexuelle qu’avec beaucoup de délicatesse et de modestie en demandant pardon à l’avance à ceux que l’on va peut-être blesser par incompétence et par maladresse.

Nous voulons apporter ici non des conclusions mais des suggestions vraiment sans prétention pour aider à une réflexion nécessaire et actuelle. Nous tenterons de réfléchir du point de vue de la foi chrétienne sur trois points qui nous paraissent importants : le sens théologique de la différence sexuelle ; la question de l’homosexualité par rapport à la foi biblique ; l’attitude pastorale de l’Eglise face à l’homosexualité comme à l’hétérosexualité.

I. Le sens théologique de la différence sexuelle

A. Le caractère ontologique de l’hétérosexualité.

La Tradition attire notre attention sur le fait que la différence sexuelle est un don fait par Dieu à la création et plus particulièrement à l’être humain.

a) La création est fondée sur une distinction (cf. Paul Beaucamps, Création et séparation, Paris, 1969, p.149 à 225 : « créer par une parole qui sépare », p.231). Il est spécifiquement biblique d’annoncer la valeur absolue de la création, la différence absolue entre le créateur et la créature, entre l’incréé et le créé et, au sein même du créé, d’autres distinctions : celles de la lumière et des ténèbres ; la différenciation du temps par la succession des jours ; le sec et l’humide et, finalement, pour couronner l’oeuvre créatrice de Dieu, la distinction du masculin et du féminin, qui devient la distinction dans la nature humaine entre un homme et une femme précis - distinction qui est simultanément celle de deux personnes. Dès l’origine, la distinction des sexes, qui est une distinction dans l’ordre de la nature, semble souligner une distinction qui est de l’ordre des personnes créées.

Au chapitre 1, verset 27, de la Genèse, l’Esprit saint dit que Dieu crée l’être humain le Sixième jour : « selon l’image de Dieu Il le fit, mâle et femelle, Il les fit » (traduction des Septante), et, selon certaines traditions rabbiniques : « mâle et femelle Il le fit ». La combinaison du singulier et du pluriel signifie l’unité du genre humain et la distinction fondamentale que Dieu opère en elle : c’est une unité-diversité. La différence sexuelle est une différence à l’intérieur même de la nature humaine et non l’effet de deux actes créateurs distincts et successifs : il n’y a pas de nature masculine ou de nature féminine spécifiques. Nous savons également que le Verbe incarné Lui-même a repris cette parole plusieurs fois (Mat 19, 4, Mc 10, 3-6). Le Créateur a donc confirmé son propre acte ontologique. L’hétérosexualité est ontologique. Il existe d’autres distinctions ontologiques, celle par exemple des deux arbres, l’arbre de la vie et l’arbre de la connaissance : là encore il s’agit d’une distinction dans l’unité. Ces distinctions sont des antinomies, non des contradictions. Elles sont toutes antérieures au péché. La distinction sexuelle n’est pas entrée dans le monde comme une conséquence de la chute. Cette antinomie est structurelle (sur les différentes distinctions de la création, cf. saint Maxime le Confesseur, Ambigua 41, 1305AB, résumé par Jean-Claude Larchet dans son introduction aux Questions à Thalassios, Paris, Les Editions de l’Ancre, 1992, p.24-25).

Selon saint Grégoire de Nysse (Hom.opif. XVII, col.189d) toutefois, la sexuation animale est surajoutée à la nature humaine en prévision de la chute. Le mode animal de procréation est donc béni et il ordonne la sexualité humaine pour la plénitude. Mais il faut prolonger cette réflexion. La finalité de cette sexuation est, au-delà de la procréation, l’amour eschatologique, né de la réconciliation et de la victoire sur la mort. Dieu a donné à l’humanité cette forme-là de multiplication, plutôt par exemple que le mode angélique, parce que l’être humain est appelé à découvrir existentiellement et dans la liberté l’essence de la relation interpersonnelle. Et il la découvre dans la polarité, quelquefois dans la tension ou le conflit, hétérosexuels. L’enjeu de l’éros hétérosexuel est la victoire sur la mort. En tout cas, il n’y a pas trace dans la parole de Dieu de deux créations successives masculine puis féminine : la femme n’est pas façonnée séparément mais distinguée, dégagée de la nature humaine une, faisant apparaître alors le masculin comme tel. Et saint Basile, comme d’ailleurs saint Grégoire, insiste sur l’unité de l’image dans le couple sexué (Sur l’origine de l’homme I, 18, S.C. 160). La bi-sexualité humaine, et non par exemple l’hermaphrodisme qui existe également parmi les créatures, n’est pas un élément secondaire, même si le second récit de la création introduit une antériorité du masculin par rapport au féminin : qu’il y ait antériorité ou simultanéité, la distinction sexuelle est voulue par Dieu, elle est bonne et bénie : « C’était très bon » (Gen.1, 31). Par conséquent la rencontre du masculin et du féminin et, dès qu’ils portent un nom pour signifier leur statut hypostatique, la rencontre d’un homme et d’une femme, est bénie (1,28) : ceci est le fondement ontologique du couple (Mt 19, 4 ou Mc 10, 6), simultanément distinction dans l’ordre de la nature (le masculin et le féminin) et distinction dans l’ordre des personnes.

b) La sexuation est liée à l’image de Dieu. « Dieu fit l’homme, selon l’image de Dieu Il le fit : mâle et femelle Il les fit » (1, 27). Dans la même parole, l’idée de création à l’image de Dieu et celle de distinction sexuelle sont liées. Cela ne veut pas dire que Dieu Lui-même soit sexué, comme dans les religions cosmiques : « cette division est étrangère aux attributs divins », dit encore saint Grégoire. Dieu est asexué. Mais cela veut dire que l’altérité est inscrite dans la nature humaine en tant qu’elle est à l’image de Dieu. Dieu a pris la sexuation dans le monde végétal et animal créés d’abord et en a enrichi la nature humaine. Il pouvait faire l’homme asexué comme lui-même ou comme les anges. Il pouvait donner à l’être humain un mode de multiplication angélique, ou un des nombreux modes de multiplication qu’Il a donné à ses créatures. Mais Il a choisi de placer l’hétérosexualité dès l’origine dans le sceau de l’image. L’image a la diversité comme signe. L’image est antinomique. La nature humaine est masculine-féminine : l’hébreu exprime cela par le jeu de mots intraduisible Ish-Ishsha. « La différence sexuelle est (...) un des facteurs essentiels de la constitution de l’image de Dieu qu’est l’humanité » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et morale chrétienne, Le Cerf, Paris, 1988, p.207). Dans cette diversité ontologique nous contemplons le sceau de la diversité divine: Dieu « porte en lui le mystère de l’altérité et l’inscrit dans la création » (Olivier Clément, Un sens à la vie, supplément au SOP n°243, décembre 1999) ; le divin, quoique simple et non composé, comporte une diversité, qui est l’antinomie trinitaire. Dès l’origine, la nature humaine à son image est une et diverse dans sa structure : la diversité dans l’ordre de la nature (la différentiation sexuelle), indique, révèle ou souligne la distinction des hypostases créées. Pour dire autrement : l’unité-diversité naturelle est l’image de l’unité-diversité des hypostases divines ou humaines. Même la Mère de Dieu dans sa divine parthénogénèse reçoit la fécondité dans l’altérité. Elle est féminine ; l’hypostase divine tient le rôle masculin. La Mère de Dieu ne s’autosuffit pas sexuellement, même dans sa virginité : c’est toute la profondeur antinomique de la virginité féconde. Elle ne s’autoféconde pas ; elle a besoin de l’Autre pour procréer. Et le Dieu qu’elle conçoit humainement assume Lui-même le signe de la sexualité masculine. Dieu asexué assume chastement et virginalement la sexualité par l’Incarnation.

Dans son absolue virginité, le Verbe incarné, Dieu asexué, n’a pas été homme asexué. La virginité, absence d’exercice de la sexualité organique et liberté à l’égard de la convoitise, promeut la sexualité en signe de l’altérité. Elle désigne le mode de vie asexuel qui est celui du Royaume. En celui ou celle qui vit dans la virginité, Dieu transfigure la sexualité pour que la personne ou hypostase créée s’accomplisse dans la différence absolue des personnes en communion, au-delà de la différence relative des sexes. Ce qui appartient au Royaume, ce n’est pas l’homosexualité, mais l’asexualité des personnes ayant dépassé la nature. Dieu n’est pas homosexuel ; Il est asexuel. Ainsi sont tous ceux qui lui ressemblent par l’Esprit saint. Dans l’Eglise déjà, anticipant par le saint baptême le monde qui vient, « il n’y a plus homme ni femme » (Gal 3, 28 ). Et dans le Royaume, dit le Verbe Lui-même, il n’y a plus ni mari ni femme ( Mat 22, 30). Les deux voies de sanctification, le mariage et le monachisme, sont deux voies, non de mutilation, mais de transfiguration par la chasteté de la sexualité animale donnée par Dieu à la première humanité 

c) La diversité est surtout une plénitude. Cela se voit particulièrement dans l’exclamation d’Adam. Il aperçoit, parce que Dieu le lui montre, autrui, la femme, celle qui n’est pas lui, dont justement le signe sexuel montre la différence, et il s’exclame : « Os de mes os ! Chair de ma chair ! » (2, 23) avec émerveillement. Il reçoit de Dieu l’altérité sexuelle comme un don et une bénédiction, et comme signe de l’altérité hypostatique - du non-moi. Par cette exultation, il contemple à la fois l’identité de nature et la diversité dans la nature. Et l’altérité est l’objet de sa joie. L’hétérosexualité est joie de la différence dans l’unité ; elle est également pressentiment de l’altérité hypostatique. Elle couronne la création de l’être humain, non seulement parce qu’elle lui épargne la solitude (« il n’est pas bon que l’être humain soit seul » ou « unique », monos, 2, 18) mais parce qu’elle l’enrichit de la non-identité et de la coïncidence des opposés. De même, Dieu n’est pas solitaire. En son unité absolue, et son unicité absolue, nous glorifions l’altérité absolue, celle des hypostases qui coïncident dans l’unité de nature.

B. La relation du divin et de l’humain.

Dieu a donné la différence sexuelle à l’humanité pour lui révéler le sens de la différence ontologique entre lui-même et elle.

a) L’hétérosexualité est l’image des relations entre l’humain et le divin. L’altérité est inscrite dans la chair de l’être humain comme signe de la distinction de la nature incréée et de la nature créée. Annonçant le projet d’introduire la distinction des sexes, Dieu dit : « Je veux lui faire une aide comme son vis-à-vis » ou « en face », ou encore « qui lui corresponde » (2, 18). Et ce vis-à-vis et cette concordance de l’homme et de la femme sont à l’image du face-à-face et de la correspondance de l’humanité et de Dieu. L’Esprit saint inspire de multiples fois, notamment dans le Cantique des cantiques, la révélation selon laquelle l’altérité de l’homme et de la femme symbolise conjugalement l’altérité de Dieu et de son peuple. L’hétérosexualité, qui est une différence relative, dans l’ordre du créé, est donnée comme signe de la différence absolue du créé et de l’incréé. A l’inverse, dans l’Epître aux Romains (ch. 1), saint Paul associe le lesbianisme à une méconnaissance du lien de l’époux et de l’épouse : « La femme homosexuelle (...) se passe de mari comme l’humanité (l’épouse) se passe de Dieu (l’époux) », commente Xavier Thévenot (op.cit.p.211). Le lesbianisme est comparable au repli sur soi de l’humanité sans Dieu. Le mystère de l’autre inaccessible dans le couple créé introduit au mystère de l’autre inaccessible et incompréhensible qu’est Dieu, dans le couple divino-humain.

Bien sûr, Dieu est incomparablement plus différent de l’être humain que la femme ne l’est de l’homme : c’est une différence de nature et elle est un abîme ; l’homme et Dieu sont incommensurables. Pourtant nous contemplons une similitude entre la relation de l’image à son modèle divin et la relation entre la femme et l’homme. L’altérité des natures divine et humaine se reflète dans l’altérité du masculin et du féminin en la nature humaine : cette altérité ne se retrouve pas par exemple dans la nature angélique ; par elle l’être humain est supérieur aux anges. La quête de la communion qui est celle de l’homme et de la femme est l’image de la quête de la communion de Dieu et de l’Homme. Ce n’est pas rien non plus que la discorde de l’Homme et de Dieu se reflète aussitôt dans la discorde de l’homme et de la femme. L’échec de la relation divino-humaine se répercute dans l’échec de la relation hétérosexuelle et de la relation interpersonnelle des hypostases créées. Et comment ne pas voir que, lorsque le Verbe s’incarna pour réconcilier la divinité avec l’humanité à son image, le premier signe qu’Il donna fut celui de Cana en Galilée, quand Il se rendit présent au sein du couple, pour réconcilier Adam et Eve (Jean 2, 1) ? Le Verbe, qui unit hypostatiquement Dieu et l’Homme, est également le Chef de l’homme et de la femme dans le mariage, l’hypostase du couple. Et l’homme est le chef de la femme à l’image du Verbe chef de l’Humanité Eglise (Eph 5, 32 ).

Ainsi, l’enjeu de l’hétérosexualité est la communion et la convivialité, avant d’être la procréation puisque l’humanité aurait pu recevoir du Seigneur un autre mode de multiplication. Le but de la différence est la communion dans la diversité, un mode d’union qui ne soit pas fusionnel :  non pas l’union homosexuelle du même et du même ; mais l’union de l’un et de l’autre. Dieu crée un être autre que soi en vue d’un tel amour entre êtres différents par nature et en tant que personnes; et Il crée cet être d’une nature différente de la sienne en lui donnant la capacité de connaître un tel amour dans l’altérité. C’est le contenu même de l’amour que d’aimer l’altérité d’autrui, fût-ce au prix de l’amour de soi ; l’amour dans son essence divine est préférence d’autrui à soi. L’homme et la femme sont à la fois mêmes et autres, comme Dieu et l’homme sont à la fois mêmes, par l’image, et autres par la nature. La distinction hypostatique dans l’unité de nature fonde l’amour. Il n’y a d’amour véritable que dans la différence au sein d’une unité. En revanche, il n’y a pas d’amour entre les êtres humains et les anges ou les bêtes (pensons à la condamnation biblique de la zoophilie) parce qu’il y a là différence sans qu’il y ait unité de nature. Et en fait, de telles relations, comme également l’inceste, nieraient les différences et rendraient place au chaos.

Notons enfin qu’il n’y a non plus de parole que dans la différence : la Parole divine se fait entendre dans la différence du créé et de l’incréé ; la parole humaine, la première parole d’Adam, apparaît à la suite de la différenciation sexuelle. La parole suppose l’altérité. Et, bien sûr, toute la difficulté, et de l’amour et de la parole, que ce soit entre l’homme et la femme ou entre Dieu et l’Homme, vient de cette différence. D’où la tentation homosexuelle de rester « entre soi » - entre hommes ou entre femmes - et la tentation athée de rester entre êtres humains, affranchis de la différence du Tout-autre. Dieu également pouvait s’abstenir de créer une autre nature semblable à la sienne ; Il pouvait se suffire à soi. La sainte Trinité pouvait rester « entre soi »…Mais où aurait été la manifestation de l’amour sans le risque de l’altérité ? Et un dieu narcissique n’est pas Celui qui s’est révélé par le Verbe incarné et par le saint Esprit. Parce qu’Il est amour, Dieu ne s’autosuffit pas. Absolu ouvert, Dieu propose la participation à sa propre nature, c’est-à-dire l’amour comme communion dans la diversité des natures et des personnes.

b) L’hétérosexualité pose une limite. En créant l’être humain, Dieu, par amour, se donne déjà une limite, celle d’une créature autre. Par la distinction des sexes, l’être humain se trouve également devant la limite de l’altérité. Adam se trouve devant celle qui est différente - et réciproquement. L’Homme est une limite pour Dieu et Dieu est une limite pour l’Homme. La femme est une limite pour l’homme, et réciproquement. Autrui est inaccessible et incompréhensible. L’être humain ne peut tout comprendre ni tout posséder. Il se trouve devant autrui qu’il ne peut ni posséder ni comprendre sans que celui-ci y consente et se livre à lui. L’homme est incompréhensible pour la femme. La femme est incompréhensible pour l’homme, comme le montre une longue culture misogyne. D’où la tentation du viol, de l’esclavage, de la torture, de toutes les formes de domination par lesquelles il cherchera dès la chute à réduire l’altérité. D’où également la tentation homosexuelle de nier l’altérité, ou son impuissance à l’assumer.

L’homme n’est pas femme et la femme n’est pas homme, quoique que leur nature soit une. « Etre homme, c’est être acculé à ne pas être femme, et réciproquement » (X.Thévenot, op.cit., p.199). Dieu n’est pas Homme et l’Homme n’est pas Dieu, malgré l’image et le projet de ressemblance : mais la ressemblance n’est pas identification ; elle préserve à l’infini la différence. Et l’amour hétérosexuel le plus digne de ce nom inclut l’amour de la différence, l’acceptation de l’incompréhensibilité d’autrui, comme sexe et comme personne. On peut se révolter contre la différence ou tenter de l’enfreindre : mais c’est une illusion. Autrui est une limite inconnue. Autrui est un inconnu ou un méconnu. Pourtant il est proche. L’expression « côte » ou « côté d’Adam » signifie bien les deux pôles naturels de l’altérité humaine. Il y a une similitude et une affinité entre le féminin et le masculin comme il y en a une entre l’humain et le divin. Il y a une complémentarité des sexes. D’une certaine façon le couple hétérosexuel est l’humanité totale. Mais demeure le mystère d’autrui, altérité des hypostases soulignées par la différence naturelle, énigme qui ne peut être transcendée que dans l’amour qui aime l’altérité de l’aimé(e). Dieu est inconnaissable ; pourtant Il est connu mystérieusement, apophatiquement, dans l’union. L’homme et la femme sont réciproquement inconnaissables l’un pour l’autre ; pourtant, ils peuvent se connaître apophatiquement à condition de s’aimer comme Dieu aime l’être humain, « comme le Christ aime l’Eglise », dit le saint apôtre Paul, dans l’union sacrificielle, en montant sur la croix de la différence et de l’incompréhensibilité d’autrui.

La connaissance mutuelle de Dieu et de l’Homme est apophatique : il en est de même de la connaissance de l’homme et de la femme. Je peux dire de lui ou d’elle ce qu’il ou elle n’est pas : mais comment le ou la définir, lui, elle, l’indéfinissable depuis l’origine ? L’homme ne peut connaître la femme que doxologiquement, en s’émerveillant d’elle : l’exclamation « Os de mes os ! Chair de ma chair! » et l’éloge du « bien-aimé » du Cantique (5, 10-16) montrent que l’être humain ne connaît l’autre sexe et l’autre personne qu’en jubilant, dans l’éloge et la célébration, ce que traduit d’ailleurs en grande partie l’art de tous les temps. Seul l’amour transcende cette différence qui n’a été faite que pour lui. Seul l’amour franchit l’incompréhensibilité et fait coïncider les opposés. Ce caractère incompréhensible de la femme pour l’homme et de l’homme pour la femme - et de Dieu et de l’Homme -, quand il cesse d’avoir l’amour pour enjeu et la Croix pour emblème, devient scandale, pierre d’achoppement. L’impatience s’exaspère alors en schisme et en divorce. Le péché type est peut-être le refus de la différence. Peut-être Satan est-il l’ange qui a dit à l’origine : Comment peut-il exister un autre que moi ? Et il pensait non seulement à la nature divine mais à la nature humaine.

Caractéristique du refus de la différence lié au péché est l’attitude humaine devant la nudité. Celle-ci affiche précisément le signe de la différence sexuelle.. Le péché, refus de la différence ontologique entre Dieu et l’homme dont l’hétérosexualité est l’emblème, occulte cette différence. Avant la chute, l’homme et la femme « n’occultent pas leur différence sexuelle (Gen.2) » ; après la chute (Gen.7), « la différence sexuelle est immédiatement camouflée » (X.Thévenot, op.cit., p.206). C’est à partir de la révolte adamique qu’apparaissent les fameuses tuniques qui voilent l’hétérosexualité, non seulement à cause de la convoitise qui objective le sexe (« cachez ce sein que je ne saurais voir ! », Molière, Tartuffe, Acte 3, scène 1), mais parce que la différence elle-même est devenue obscène. Dans le mystère du baptême, la nudité retrouve sous le regard chaste de la Foi la liberté de la différence sexuelle.

C’est le péché qui introduira également l’inimitié, la véritable guerre des sexes dont l’histoire de Samson dans le livre des Juges est l’exemple : elle marque toute l’histoire de l’humanité déchue jusqu’à nos jours inclus. Le péché instaurera la domination d’un sexe par l’autre et transformera en malédiction les signes bénis de la différence sexuelle : la maternité avec ses douleurs et le travail avec ses peines. Le péché pervertit et invertit toutes les données positives de la création. Le Verbe s’incarne pour convertir ces données, leur rendre leur dynamisme créateur, et Il commence, comme il a été dit, à Cana, en se rendant présent à un mariage. La première aide à apporter à l’humanité consiste à réconcilier l’homme et la femme et à rendre son sens à l’hétérosexualité. Le charisme monastique, lui, peut-être vécu comme repentir d’Adam et d’Eve chacun de son côté pour le mal fait à l’autre : conquête du pardon de la femme ; conquête du pardon de l’homme ; purification du ressentiment et de la haine contre la femme, contre l’homme... Et avec la Mère de Dieu, l’hétérosexualité retrouve son sens béni : en la conception et la procréation virginales, l’hétérosexualité signe la relation de l’humain et du divin plus encore que des êtres humains entre eux. En la Vierge, l’hétérosexualité est divino-humaine. La Mère de Dieu fonde un vrai féminisme : non la haine ou le mépris de l’homme ; mais l’autonomie spirituelle par rapport à lui, la possibilité de connaître Dieu sans passer par l’homme. Son hétérosexualité, symétrique de celle du Verbe incarné, qui est tournée vers l’humanité, est orientée vers le Créateur : une hétérosexualité théocentrique. Peut-être est-ce en cela que la Mère de Dieu purifie la faute d’Eve, comme le Christ, Second Adam, purifie la faute du Premier...

c) Il faut revenir sur le symbolisme conjugal des relations divino-humaines. Le bel érotisme du Cantique des cantiques n’est pas seulement l’éloge de l’hétérosexualité ; il est, au deuxième degré, la célébration des relations amoureuses à travers lesquelles seules Dieu et son peuple se connaissent. Le saint Esprit a également inspiré au prophète Osée (2, 16) cette parole : « Je vais la séduire, Je la conduirai au désert et Je parlerai à son coeur ». Dieu parle de son peuple de façon magnifiquement hétérosexuelle. Les relations de Dieu et de l’humanité sont difficiles, parfois orageuses, marquées par l’éloignement, l’incompréhension, la réconciliation et le pardon mutuel. L’hétérosexualité est très difficile, c’est vrai, mais elle n’est pas une illusion ; l’altérité est tellement difficile, mais comme elle est féconde !

 

L’Esprit saint a encore inspiré à la Tradition cette parole révélatrice (Eph.5, 23-27) : « L’homme est le chef de la femme tout comme le Christ est le chef de l’Eglise... Hommes, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle... » Cette parole, proclamée dans le sacrement du mariage, est une des clefs théologiques de la différence sexuelle. L’hétérosexualité est sainte quand elle est à l’image et à la ressemblance des relations divino-humaines, symbole existentiel de l’altérité divino-humaine. La création a une structure hiérarchique qui reflète la hiérarchie du Créateur et de la créature. L’hétérosexualité est une hiérarchie, un « ordre sacré », reflet de la hiérarchie du divin et de l’humain : dans cette hiérarchie, l’altérité est vécue réciproquement comme don total de soi, sacrifice et soumission amoureuse à l’autre sexe.

Ainsi, l’attitude chrétienne face à l’hétérosexualité comme face à l’homosexualité est d’abord une attitude théologique - avant d’être une attitude morale. Ou, pour mieux dire : notre morale est théologique. L’Evangile consiste dans la foi et la connaissance de Dieu ; et le comportement découle de cette foi et de cette connaissance. Le Christ n’est pas venu instaurer une morale. Il est venu proposer à l’être humain le salut par la connaissance parfaite de la vérité. C’est pourquoi les valeurs évangéliques sont tellement incompréhensibles pour ceux qui ne croient pas dans le Christ Dieu. Une morale sans fondement théologique n’a pas de sens, ce qu’exprime la parole de Dostoïevsky : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ».

C. La distinction des personnes (hypostases).

La différence sexuelle est de l’ordre de la nature, mais elle introduit à la différence qui est de l’ordre hypostatique et qui lui est supérieure. L’altérité de nature, comme nous l’avons déjà suggéré, souligne l’altérité hypostatique.

a) La base de la foi chrétienne, ce qui la distingue de toute autre spiritualité et de toute autre forme religieuse, est la révélation de la vie hypostatique de Dieu et, en conséquence, de la vie hypostatique de l’être humain. Le divin est Père et Fils et saint Esprit. Nous confessons l’unité absolue de la nature divine dans l’altérité absolue des personnes ou hypostases, ainsi que la communion absolue de ces hypostases. Ce mystère, révélé par le Verbe incarné, ne cesse d’émerveiller les croyants et de leur inspirer des doxologies ininterrompues : « Gloire au Père et au Fils et au saint Esprit ! » Les baptisés se prosternent sans cesse en chantant : « Saint Dieu ! Saint Fort ! Saint Immortel ! » Le Père est source de la divinité. Le Verbe ou Fils est gloire de la divinité. L’Esprit est communication de la divinité et communion en elle. Autre est le Père ; autre est le Fils ; autre le saint Esprit - et les trois sont une seule nature divine ! Non pas trois dieux : Dieu unique. Non pas une seule personne : trois personnes ou hypostases ! Unité absolue - diversité absolue !

La Tradition a également reçu du Verbe et de l’Esprit la connaissance d’une distinction en Dieu entre la nature et l’hypostase. La nature est ce qui est commun ; l’hypostase est ce qui n’est pas interchangeable. Le Père, source de la divinité, est Père du Fils et source de l’Esprit ; le Fils est Fils du Père et rempli du saint Esprit ; l’Esprit est Esprit du Père et Il resplendit dans et par le Fils. Leur volonté est unique comme unique est leur liberté : elles sont de l’ordre de la nature. La communion absolue des personnes exprime éternellement l’unité de volonté et l’unité de liberté et donc l’unité de nature. Mais l’unité de nature est manifestée, de toute pré-éternité ainsi que dans le temps, de façon hypostatique et non pas impersonnelle. Nous glorifions cette distinction de la nature et de l’hypostase sans pouvoir jamais l’objectiver dans une définition satisfaisante. Les symboles de la foi chrétienne - le Symbole de Nicée ou le Symbole de saint Athanase - ne sont pas des définitions : ils sont des glorifications du divin. Or, ce qui est dit de Dieu se reflète dans ses oeuvres et la Trinité est glorifiée non seulement en elle-même mais dans ses créatures et particulièrement en l’être humain, seule créature qui soit à son image.

b) L’anthropologie révélée est ainsi une anthropologie trinitaire. La distinction des sexes initie à la distinction des personnes, des hypostases créées. Adam est d’abord un nom qui désigne la nature: celui qui est fait de la terre (« adama »). Il devient, à partir de la distinction des sexes, un nom propre. « Adam » et « Eve » désignent des hypostases créées et non seulement un mâle et une femelle : la parole biblique (la Septante des Pères de l’Eglise) substitue « Adam » à « anthropos ». La preuve en est que Dieu appelle l’être humain par son nom : « Adam, où es-tu ? », lui dit-Il après la chute. Quand Adam et Eve se rencontrent, ce sont des personnes, des hypostases créées qui se rencontrent, à l’image des hypostases incréées et divines. Le couple hétérosexuel est le reflet de la divine Trinité. A la différence d’ordre naturel, celle du masculin et du féminin, s’ajoute la différence d’ordre hypostatique. Cette double différence est à l’image de celle qui caractérise Dieu et l’homme : distinction des natures divine et humaine et distinction des hypostases, celle, incréée, du Christ, par exemple, et celle, créée, de tel être humain. La différence sexuelle ne fonde pas la différence hypostatique, mais elle la souligne : la femme et l’homme sont l’un pour l’autre doublement incompréhensibles, comme Dieu et l’être humain sont l’un pour l’autre doublement mystérieux. « Seigneur, qui scrutera la multitude de mes péchés, qui sondera l’abîme de tes jugements ? » (apostiche des matines du Mercredi saint). Ils sont l’un pour l’autre un abîme d’inconnaissance, creusé en particulier par la liberté : entre Dieu et l’Homme, ce sont deux libertés de nature qui se rencontrent. Entre l’homme et la femme, avant que soit retrouvée la liberté unique et la volonté unique qui appartiennent à la nature humaine à l’image de la divinité, ce sont deux libre-arbitres qui se rencontrent, forme déchue de la liberté d’origine, selon saint Maxime. Et même dans un couple véritable, qui retrouverait la liberté d’origine, qui aurait une liberté unique et une volonté unique, qui réaliserait l’unité de nature, « une seule chair », toute liberté individualiste déchue étant dépassée, toute convoitise étant convertie, il subsisterait, à jamais et dans l’amour véritable, la distinction absolue et éternelle des hypostases, à l’image de Dieu. La procréation est le signe de l’unité de nature, car il n’y a de procréation qu’au sein d’une même nature et il a fallu que le Verbe s’incarnât et devînt de même nature qu’elle pour que la Vierge pût le concevoir selon la nature humaine devenue commune.

Mais la différence des sexes sera dépassée, non pas dans une homosexualité, mais dans une asexualité, une union purement hypostatique, celle des hypostases créées, à la ressemblance de la communion des personnes divines. En ce sens, le mariage est inscrit dans le Royaume des cieux. La différence des personnes transfigurées par la charité divine transcende ainsi la différence des sexes qui était d’abord son emblème. Quand, au verset 27 du chapitre 1 de la Genèse, Dieu dit à la fois que l’Homme est fait à son image et qu’il est fait homme et femme, cela veut dire qu’au sein de l’image est inscrite une distinction qui n’est pas une distinction de nature mais qui est la distinction des hypostases.

En fin de compte, la distinction du masculin et du féminin signifie l’existence de personnes différentes et pas seulement d’êtres différents sur le plan de la nature. Et, de cette différence hypostatique, c’est finalement le corps qui est le signe. Le corps - et c’est pourquoi il est l’objet d’un tel respect pour la foi biblique et chrétienne - est le signe de la personne, de l’hypostase, et pas seulement le signe d’une nature humaine. Le corps est personnel, il est le visage reconnaissable de l’hypostase qui le fonde. Le Christ dit : « Ceci est mon corps » et comme ce corps du Christ, corps éminemment personnel, est vénéré ! Consommer le corps du Christ, c’est se nourrir du Christ, communier à la personne du Christ. Et la sainteté des relations conjugales du couple est justement dans la communion à la personne d’autrui en l’unité de nature. Le péché de la fornication, de la prostitution, tient au fait d’objectiver le corps et de mépriser sa valeur d’icône de la personne. La pornographie objective la sexualité. Le péché de la torture et des différentes formes de sadisme, inversement, consiste à chercher à atteindre la personne, à l’objectiver et à la contraindre par son corps. Le corps est quelqu’un d’autre, un non-moi. Il est, comme l’icône, le signe visible de la présence invisible d’autrui.

La différence de nature entre Dieu et l’être humain subsistera éternellement, même entre l’être humain divinisé et l’être divin humanisé - elle subsiste en Christ dont les deux natures ne sont pas confondues aussi unies soient-elles selon son hypostase divine de Verbe. Elle subsiste en la Mère de Dieu qui, bien que « plus vénérable que les chérubins et plus glorieuse incomparablement que les séraphins », bien que divinisée, n’en demeure pas moins une créature. Mais la différence de nature entre l’homme et la femme disparaîtra, car il n’y a pas deux natures humaines différentes, mais seulement une différence au sein de la nature humaine. « Dans le Royaume, dit le Verbe incarné, il n’y a plus ni homme ni femme ; on est comme des anges », comparaison qui ne signifie pas un état incorporel mais un état asexué - au-delà et de l’hétérosexualité et de l’homosexualité. La virginité, non comme état asexué mais comme transfiguration de la sexualité, en est le signe prophétique. Et les personnes, les hypostases créées, resplendiront comme le soleil (cf. Dan. 12, 3 ; Mat. 13, 43). En Christ, qui est l’être humain futur, marqué pourtant du signe masculin, comme en Marie, marquée pourtant du signe féminin, les distinctions sont transcendées. L’Esprit saint a inspiré à l’apôtre Paul cette parole (Gal. 3, 28) : « En Christ, il n’y a plus ni homme ni femme ». Dans l’accomplissement de l’être humain, appelé déification, le masculin et le féminin sont transcendés, non plus comme signes de la différence hypostatique, mais comme fonctions naturelles. Le même Esprit saint fit écrire à saint Maxime le Confesseur à propos du Verbe incarné : « Il a opéré l’union de l’homme en enlevant, au moyen de l’Esprit et d’une manière secrète, la différence qui existe entre les deux sexes et en rendant leur nature libre de toute emprise des passions... » La distinction sexuelle n’aura plus d’utilité, non seulement parce que la procréation n’aura plus lieu d’être, mais parce que cette distinction aura fini de servir à la révélation de la différence hypostatique maintenant resplendissante. La différence sexuelle est l’image nécessaire mais passagère de la distinction des hypostases créées.

II. L’homosexualité et la foi biblique

Après ce que nous venons de rappeler, il apparaît peut-être assez clairement que l’homosexualité n’est pas cohérente avec ce que Dieu a révélé de soi et de l’être humain, dans son être et dans son projet. Quelle que soit la compassion que le Seigneur nous invite à manifester à tout être humain, puisqu’ Il a donné sa vie pour lui, il existe un avertissement biblique clair concernant les pratiques homosexuelles. Cet avertissement devrait être interprété comme l’expression de la compassion du Père qui veut que tous soient sauvés. Nous suggérerons également les voies que cette divine compassion peut prendre dans l’Eglise, corps et sang de Dieu fait Homme.

A. L’avertissement biblique

a) L’Esprit saint a averti du danger de mort que comporte l’homosexualité. Dans le récit concernant la ville de Sodome (Gen.19, 1-29), ce qui est d’abord stigmatisé, c’est l’atteinte à l’hospitalité, c’est-à-dire précisément le mépris d’autrui, de l’étranger : le refus de l’altérité. Mais l’acte homosexuel apparaît comme une telle souillure, que Lot préfère livrer sa propre fille pour dissuader les Sodomites de le commettre : « Non, frères, ne faites pas le mal... » (19, 7). Selon la Parole de Dieu, l’homosexualité est donc pire que la prostitution. Cette faute entraîne la mort : « C’est une abomination ; ils mourront » (Lev.18, 22 ; 20, 13). « Abomination » (To’Ebah) désigne dans l’Ancien Testament le comportement idolâtrique dont la conséquence est la mort. C’est également au sujet de l’idolâtrie qu’il est dit à l’être humain « vous mourrez » dès le Paradis (Gen.2, 17). L’homosexualité est avant tout une faute religieuse, une forme d’idolâtrie.

b) C’est bien l’idolâtrie qui est à l’origine de l’homosexualité, comme l’explique clairement l’apôtre Paul : « Ils (certains païens) ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement : Amen ! C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement » (Ro.1, 25-27). Avant d’être un problème moral, l’homosexualité, disposition ou exercice contre-nature de la sexualité, est donc un problème théologique, lié à la méconnaissance de Dieu.

Rappelons que l’idolâtre est celui qui ne connaît pas le Dieu créateur, celui qui confond Dieu et la créature et qui reste pour cela enfermé dans le monde du créé, qui se suffit à soi-même sans Dieu. L’idolâtrie est toujours présentée dans la Bible comme une attitude religieuse qui conduit à la mort ou qui est punie de mort, parce qu’elle porte atteinte à la dignité de Dieu et qu’elle prive l’être humain de la vie qui consiste à glorifier Dieu comme tel. La mort est la conséquence d’une faute dans le domaine religieux. Elle manifeste un disfonctionnement majeur dans la relation divino-humaine, la stérilité mystique, emblème de l’autosuffisance. Au Paradis, les êtres écoutèrent la créature (le serpent) au lieu d’écouter le Créateur, et ils connurent la mort. L’idolâtrie est considérée comme une perversion religieuse : « Les païens, dit l’apôtre Paul, ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur », ce qui est la définition de l’idolâtrie. Le mépris de la différence sexuelle est donc le signe d’une perversion plus grave : le mépris de la différence entre incréé et créé ; le mépris de l’altérité introduite par Dieu dans la créature d’abord indifférenciée, l’être humain. L’homosexualité, autosuffisance stérile (sur la stérilité suivant la Bible et les Pères, voir Jean-Claude Larchet, Pour une éthique de la procréation. Eléments d’anthropologie patristique, Paris, le Cerf, 1998, p.13-30), serait ainsi en contradiction avec l’action créatrice de Dieu : la première distinction qu’Il a créée est celle de la créature par rapport à lui-même. Les autres distinctions sont celles du visible et de l’invisible, du ciel et de la terre, de la lumière et des ténèbres, et finalement la distinction sexuelle donnée aux animaux, puis à l’être humain. L’homosexualité  « est anticréationnelle dans sa structure puisqu’elle estomperait les séparations que Dieu a mises dans le chaos originel » (X. Thévenot, op.cit., p.223). L’homosexualité n’est pas seulement contre-nature, ainsi que l’est l’ensemble du monde déchu. Le péché en général est contre-nature : le mensonge, l’exploitation des pauvres par les riches, etc. Mais, comme tout péché, l’homosexualité manifeste une perversion de la relation avec Dieu.

L’inversion sexuelle traduit l’inversion théologique et le désordre au sein de la création, tout particulièrement en ce qui concerne l’image divine en l’être humain, suivant ce qui a été dit plus haut. Cette inversion, comme tout péché, occulte l’image divine trinitaire parce qu’elle occulte la différence au sein de la nature. Et ce mépris de l’altérité place l’être humain dans une impasse : elle est un obstacle à la ressemblance de Dieu, parce que c’est dans l’expérience quelquefois crucifiante de la différence que l’être humain s’accomplit comme hypostase. Comme toutes les fautes morales, qui se ramènent à l’occultation des différences et des limites ontologiques, l’inversion empêche l’être humain de se réaliser comme hypostase créée à l’image de l’hypostase incréée, parce qu’elle l’asservit à l’idolâtrie de soi. Marcel Proust présente d’une façon pathétique la solitude qui marque l’homosexualité masculine(cf. « La Race maudite », in Contre Sainte-Beuve, Gallimard, coll. Idées, Paris, 1954.) Jean-Paul Sartre prend le cas du plaisir solitaire, pratique d’autosuffisance et d’autosatisfaction, comme emblème de l’incommunicabilité des sexes (cf. « Le plaisir, il n’y a que moi qui sache me le donner », Jean-Paul Sartre, Le Mur, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1981, p.110 ; l’ensemble de la nouvelle illustre l’incommunicabilité des sexes).

Saint Maxime le Confesseur écrit que « le premier homme, pour avoir fait mauvais usage de ses facultés naturelles qui devaient l’amener à sa finalité, se trouva ignorer son Créateur... Il entremêla jusqu’à les confondre ses facultés intellectuelles et ses sens et fut attiré par la connaissance des choses sensibles, connaissance complexe et désastreuse, puisqu’elle déployait en lui les passions... Il était même devenu pire que les bêtes, car il avait échangé ce qu’il y avait en lui de naturel pour ce qui est contre nature » (A Thalassios 253). Cette parole, qui est un commentaire de celle de l’Apôtre, montre que l’idolâtrie entraîne l’ignorance de Dieu et que celle-ci à son tour entraîne des symptômes pathologiques dans l’ordre du comportement, en particulier la relation contre-nature qu’est l’homosexualité. Aussi, à l’égard de tout péché, l’attitude de la Tradition ecclésiale est-elle plus thérapeutique que juridique : le péché est une maladie encore plus qu’une faute juridique et la Loi a été donnée pour déceler ce mal. Ce qui est vrai de l’homosexualité est évidemment vrai pour l’échec hétérosexuel dont Adam et Eve donnent l’exemple au Paradis. Toute occultation de la différence ontologique est un péché, et pas seulement l’homosexualité. Tout péché conduit à la mort. La révélation chrétienne, parce qu’elle est la révélation de la nature trinitaire de Dieu et du caractère trinitaire de l’image de Dieu en l’homme, est la mieux placée pour déceler la raison théologique pour laquelle l’homosexualité est un mal.

c) On peut encore voir dans la discorde d’Adam et d’Eve l’origine de l’inversion sexuelle, comme d’ailleurs de tout péché. La parole « vous mourrez » a été adressée à eux : la différence ontologique s’est transformée en eux, par leur désobéissance, en discorde, en séparation. Cette discorde n’a-t-elle pas comme rejeton la haine mutuelle des sexes et leur guerre historique ? L’homme commence par accuser la femme devant Dieu ; c’est l’origine du ressentiment de la femme à son égard et la première justification de sa domination sur elle. La haine de la femme contre l’homme, ainsi que toutes les formes de misogynie, incluent une homosexualité larvée : le féminin se referme sur soi-même ; le masculin se suffit à soi-même, et chacun « meurt de son côté » (Marcel Proust, ‘Sodome et Gomorrhe’, in A la Recherche du temps perdu, Gallimard, coll. La Pléiade, t.2, p.616). Le féminisme passionnel et le masculinisme passionnel (« machisme »), issus d’une mésentente où l’incompréhensibilité des sexes, soulignée par l’incompréhensibilité des personnes, devient hermétique par perte du charisme de l’amour, sont les rejetons du divorce archétypique d’Adam et Eve. Quand la différence ontologique est pervertie en division « diabolique » (le Diable est le « Diviseur », l’Esprit de division singeant et pervertissant l’oeuvre de discernement du Créateur), chaque sexe se replie sur soi. Les deux pôles du péché sont l’exaspération de la différence dans la discorde et l’occultation de la différence dans l’autosuffisance. A l’inverse, l’humanité peut tout espérer de la réconciliation des sexes, c’est-à-dire d’une véritable profondeur spirituelle du sacrement du mariage. Il n’est pas indifférent qu’à une époque comme la nôtre, où la société est ravagée par le divorce, l’homosexualité soit endémique et publiquement prônée. Le rapport entre divorce et homosexualité doit faire l’objet d’une vraie attention non seulement sur le plan psychologique, mais surtout sur le plan théologique.

Condamner ou justifier l’homosexualité est vraiment insuffisant. Il faut aller plus loin et contempler quel fruit pour le salut mûrit à Cana de Galilée, quand le Christ y réconcilie Adam et Eve. Le Christ a pris la maladie humaine à sa source et Il commence la restauration de l’humanité par la restauration du couple hétérosexuel, c’est-à-dire le rétablissement du « mode d’être » originel de l’être humain, mode d’être trinitaire fondé sur l’antinomie des personnes : « qu’ils soient un, comme nous sommes un », dit au Père le Verbe incarné (Jn.17, 22).

B. La condition de consacré.

Fondamentale dans la vision biblique et chrétienne de l’être humain est le mystère de sa consécration qui en fait un pontife, un prophète et un roi. De là découle toute l’éthique biblique.

a) En vérité, cette consécration eut lieu au Paradis car la mise à part de l’homme de toutes les autres créatures et le souffle de Dieu venant en Adam fut la première onction, le premier « sceau du don du saint Esprit ». Tout le mystère de l’Eglise était là en germe ; c’étaient les arrhes du Royaume. Après la chute, la sainte Trinité, dans sa miséricorde, renouvela cette consécration en mettant à part du genre humain perverti Noé et les siens. Puis le Trois-fois-Saint mit à part un peuple afin que toute chair puisse être sauvée, c’est-à-dire voir la face de Dieu et participer à la vie éternelle dans le Royaume. « Je vous ai séparés des autres peuples pour que vous soyez à moi », dit-Il à son Israël (Lev. 20, 23-26). Et ce rappel suit justement la condamnation de l’homosexualité (18, 22 ; 20, 13). Ne commettez pas cette abomination - celle-là entre autres - parce que Je vous ai séparés des autres nations et que vous n’êtes pas comme les autres : « Soyez à moi, saints car Je suis saint, Moi, le Seigneur ». Le peuple de Dieu est consacré (« qadosh ») au Dieu saint (« qadosh »). « Toutes les prescriptions donnée par l’Esprit saint dans le Lévitique ont pour dénominateur commun la sainteté de Dieu qui doit transparaître dans tous les actes et dans toutes les circonstances de la vie du peuple » qu’Il s’est consacré (TOB, p.246, note l). La consécration suppose un mode de vie différent de celui des autres êtres humains.

Enfin, le Seigneur a, au milieu des temps et en vue du monde qui vient, renouvelé de façon définitive cette consécration en instaurant l’immersion dans sa propre mort et sa propre résurrection et en venant comme Esprit sur tous ceux qui reconnaissaient le Verbe comme Seigneur. Et Il a manifesté ainsi le mystère éternel de l’Eglise. C’est pourquoi, le saint apôtre Pierre s’adressant aux baptisés les appelle « race élue, communauté sacerdotale du roi, nation sainte, peuple que Dieu s’est acquis » (1 Pi.2, 9), parole reprise dans le livre de l’Apocalypse : les baptisés sont « pontifes de Dieu et du Christ » (20, 6 ; cf. 1, 6 et 5, 10), appelés à vivre, non selon les passions mais selon le mode de vie divin qui est celui de la communion des personnes ou hypostases. « La nouvelle création des chrétiens diffère de tous les hommes du monde par la régénération de l’esprit (« noûs »), la paix de la pensée, l’amour du Seigneur et l’éros céleste » (saint Macaire, cité par Christos Yannaras, « La Morale de la liberté », in La Loi de la liberté, Mame, Paris, 1972, p.41). « Le christianisme n’est pas n’importe quoi, car ce mystère est grand. Prends donc conscience de ta noblesse : tu as été appelé à une dignité royale, une race d’élus, un sacerdoce royal et une nation sainte. Le mystère du christianisme est étranger à ce monde » (ibid. p.48).

b) Les conséquences du statut des baptisés sont immenses. Le baptisé ne s’appartient pas : il appartient au Christ et à son Eglise, totalement - dans ses pensées, dans ses sentiments et dans ses comportements et donc dans sa sexualité. De cette appartenance, le signe est l’immersion totale et l’onction chrismale sur tout le corps, de la tête aux pieds. Le chrétien ne dispose pas de soi et il ne dispose pas non plus d’autrui, à plus forte raison d’un autre baptisé. En particulier, il ne dispose pas de son corps ou du corps d’autrui, redevenus par le baptême temple de l’Esprit saint. C’est le Verbe incarné Lui-même qui le dit : « Vous appartenez au Christ » (Mc.9, 41). L’Apôtre renchérit sur cet enseignement divin : «Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (2 Ti.2, 19)... Ignorez-vous que vous ne vous appartenez plus ?... Ne savez-vous pas que vos membres sont les membres du Christ ?... Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du saint Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu ? » (1 Co.6, 15 ; 19). La vie du baptisé est consacrée par la parole de Dieu et par l’onction de l’Esprit qui est Dieu. Sa sexualité est consacrée. Il est extrêmement difficile de vivre selon cette consécration, mais à Dieu tout est possible pour nous, que nous soyons mariés, que nous soyons moines. Dieu dans sa miséricorde supplée à notre faiblesse si nous mettons notre foi en lui.

c) Ce qui désigne encore le baptisé en tant que consacré et membre du sacerdoce royal de l’Eglise du Christ, c’est sa soumission à la Parole. Il nous a été donné un Esprit d’obéissance au Christ et non un esprit de contestation. La parole de Dieu est Esprit et Vie (1Jn. 2, 7) et nous ne pouvons être trompés par elle. Si le baptisé entend cette parole, s’il essaye sincèrement d’en vivre, sa vie, nous le croyons de toutes nos forces, doit pouvoir se transformer à l’image du Christ et de ses saints, quelle que soit cette vie au départ, une vie d’hétérosexuel ou d’homosexuel, une vie célibataire ou une vie mariée. Quels que nous soyons quand la parole du Christ nous est adressée, l’appel à la sainteté est le même : «Je ne te condamne pas... Va et ne pèche plus ! » (Jn.8, 11). Ce qui sauve c’est l’obéissance au Seigneur et la foi qui est à son fondement. La foi guérit.

 

Le Christ ne condamne pas nos frères homosexuels, en tant que personnes certes, mais pas en raison de leur comportement ; et Il les appelle à  renoncer à tout comportement homosexuel et à vivre dans l’Eglise selon la sainteté du baptême afin d’avoir part à la vie éternelle.

C. L’acquisition du Saint-Esprit.

La vraie question, pour un inverti comme pour tout être humain, c’est la question de la participation aux dons du saint Esprit par qui il peut trouver la vie éternelle. Cela dépasse un simple problème de morale sociale. La vraie question de l’existence humaine est : Serai-je sauvé ?

a) La participation au Royaume de Dieu est donnée par le Christ comme l’enjeu de l’existence humaine sur terre. Le seul respect des lois divines et humaines est un moyen et non une fin en soi. « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est proche », dit le Verbe incarné après saint Jean Baptiste le Précurseur. Et l’on sait combien les saints de l’Eglise orthodoxe, comme saint Séraphin de Sarov, ont magnifié cet appel. Tel ou tel mode de vie permet-il de participer aux dons du saint Esprit ? L’être humain peut-il être déifié, devenir un saint, peut-il connaître la plénitude du saint Esprit par telle ou telle voie ? Là est la seule question sérieuse. Ce monde passe, et ses convoitises : faut-il le rappeler ? Faut-il rappeler que nous sommes mortels, que la civilisation dans laquelle nous nous trouvons est minée par le péché ? Pensons à ce qui dure, c’est-à-dire justement cette vie éternelle par le saint Esprit. L’interprétation juridique du christianisme n’est pas satisfaisante. Le Verbe s’est incarné, est mort et est ressuscité pour que l’être humain puisse recevoir la plénitude du saint Esprit et, par lui, connaître le Père, être déifié, être avec lui le Christ à la droite de ce même Père. Tel est l’Evangile. Et les trois premières versions du saint Evangile commencent par le même appel : « Convertissez-vous en vue du Royaume », c’est-à-dire du saint Esprit.

b) Les actes homosexuels, comme d’ailleurs certains actes hétérosexuels, ne sont pas compatibles avec le baptême. Saint Paul l’exprime nettement dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe: « les homosexuels, les pédérastes, les idolâtres... n’hériteront pas le Royaume des cieux » (1Co. 6, 9-10). Ce n’est pas parce qu’un tribunal fût-il divin l’a juridiquement décidé. C’est que ce mode de vie est incompatible avec la vie trinitaire. Les passions en général, et l’inversion sexuelle sous sa forme passionnelle et non convertie, empêchent l’être humain de participer à la grâce du saint Esprit, que pourtant le Père céleste, à la prière du Verbe, donne en surabondance. Pourquoi ?

c) Les passions en général se ramènent à l’amour idolâtre de soi, que ce soit la colère, l’amour de l’argent, l’injustice sociale, que ce soit une hétérosexualité vécue comme possession d’autrui et objectivation de sa personne et de son corps. Quand dans la relation sexuelle entre homme et femme, autrui n’est que l’instrument de mon propre plaisir, l’acquisition du saint Esprit m’est impossible, parce que je vis dans l’idolâtrie narcissique de moi-même. L’amour de soi a été présenté par les Pères anciens, tel saint Maxime le Confesseur par exemple, comme la racine de tous les maux. Il est repliement sur soi, autosuffisance, négation de l’antinomie trinitaire des personnes. C’est encore le péché d’idolâtrie. « L’ignorance de Dieu, dit saint Maxime, amène à diviniser la création. En effet l’amour que le genre humain porte à son propre corps constitue une adoration manifeste de la création divinisée » ; c’est pourquoi, « l’amour de soi engendre tous les maux ». Il décrit encore la condition des êtres humains esclaves de leurs passions : « L’immense et innombrable foule des passions envahit la vie des humains. Leur vie devient ainsi déplorable. Car les êtres humains... poursuivent eux-mêmes, sans le savoir, la cause de leur corruption. L’unité de la nature humaine s’effrite en mille morceaux et les hommes, comme des fauves, dévorent leur propre nature... » L’amour de soi entraîne l’atomisation du genre humain, « la nature se morcelle en autonomies individuelles » (C.Yannaras, op.cit., p.17) parce que chacun se replie sur soi, perd la vie hypostatique pour régresser vers une vie égoïstement individuelle et nie jusqu’à l’existence d’autrui. Autrui n’existe plus en lui-même comme une personne absolue : il n’est plus que l’instrument de mon auto-réalisation, de mon pouvoir, de ma jouissance, de mon cannibalisme sexuel. Et l’Autre qui est la personne divine, grand gêneur, disparaît de mon ciel. L’amour de soi conduit à la négation de l’humanité et de la divinité, et de l’ensemble de la nature cosmique réduite au statut de proie. Or, ce qui est vrai de toutes les passions, l’est particulièrement de l’homosexualité, parce que, nous semble-t-il, elle est la forme éloquente et emblématique de l’amour de soi, étant l’amour du même pour le même - même si, psychologiquement, il subsiste dans une relation homosexuelle quelque chose de l’hétérosexualité, l’un assumant un comportement plus « masculin » et l’autre une attitude plus « féminine », ce qui est bien significatif de la valeur que revêt l’antinomie des sexes pour une relation interpersonnelle... L’homosexuel est un Narcisse amoureux de soi. D’André Gide, François Mauriac écrivait qu’« il n’a exploré d’autre continent que lui-même » (F.Mauriac, Mémoires intérieurs, Flammarion, « Le Livre de poche », Paris, 1966, p.156). Et Madeleine Gide, dans un carnet secret, écrit ceci : « Tu étais à toi-même ton seul but - ton seul souci - ton seul amour - qui t’envahit, André ! » (cité par F.Mauriac, op.cit., p.256). Bertrand Vergely écrit : « L’homosexualité est liée en profondeur à un phénomène narcissique (...), à une intense fixation narcissique du moi » (op.cit., p.2 et 3).

Pour toutes ces raisons, présenter l’homosexualité, ainsi qu’on le fait dans le monde contemporain, comme un mode de vie parmi d’autres ou, pire, comme une voie d’épanouissement, est une imposture. Comment l’être humain peut-il s’épanouir autrement que selon l’image trinitaire dont le sceau est en lui ? Et la prétendue « libération homosexuelle », loin d’être un progrès, est une régression caractérisée.

III. L’attitude pastorale de l’Eglise

Devant la souffrance de la société civile et devant la faiblesse de certains de ses membres, l’Eglise du Christ a eu, depuis l’origine, et se fondant sur l’héritage biblique, une attitude de type thérapeutique.

A. L’ascétisme mystique des chrétiens 

a) Parce qu’elle révèle et valorise la personne, l’Eglise appelle à la conversion par la lutte spirituelle pour son affranchissement à l’égard des passions. Elle propose d’abord une définition de la « passion » comme une forme pathologique de la pensée, de l’imagination et du comportement. Saint Jean Climaque (Echelle 15, 74) dit : « La passion, au sens propre, est un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme et qui, désormais, lui a fait contracter une liaison intime avec lui et l’a établie comme une disposition naturelle, en vertu de laquelle elle s’y porte d’elle-même, spontanément et par affinité ». La passion est une disposition contre nature qui devient une seconde nature. La condamnation, proscrite par le Christ (« ne condamnez pas »,  Mat. 7, 1 ; Luc. 6, 37), serait une identification de la personne avec la seconde nature du péché, soit pour l’excuser soit pour la rejeter : je suis coléreux, il est ceci ou cela, par exemple homosexuel. Un tel jugement réduit la personne à la passion et décourage la conversion et la guérison. Mais la passion, soulignent certains Pères, est l’inversion d’un désir fondamental et légitime. La conversion réoriente la passion vers sa finalité naturelle, généralement l’union à Dieu. Face à la parole de Dieu, la conscience reconnaît - c’est le début de repentir - l’orientation erronée de la passion, la déteste dans les larmes et supplie le Dieu miséricordieux de lui accorder pardon et guérison.

b) L’ascétisme ne consiste pas seulement dans le repentir continuel. Il se définit comme un exercice (c’est son sens propre) à vivre déjà dans le Royaume. L’ascèse est « la lutte de l’homme contre sa propre nature, contre la mort mélangée à la nature humaine. Il faut que la révolte de la nature meure, afin que la nature vive sa vocation naturelle et qu’elle participe à la vie de Dieu » (C.Yannaras, op.cit ;, p.53). Le combat n’est pas seulement contre les passions égoïstes : il est encore plus un combat pour la vie en Christ, en l’occurrence pour l’acquisition de la chasteté. C’est une conquête. Le chrétien est un conquérant des données du Royaume qui sont déjà à sa disposition par le baptême, la chrismation, l’eucharistie et tous les sacrements de l’Eglise. Dieu seul est chaste. Le combat pour la chasteté en ce monde est l’acquisition grâce au saint Esprit d’une qualité divine. En s’unissant à la personne divine du Christ par les énergies du saint Esprit dans un choix quotidien de prière, de repentir et d’application des commandements de vie, le baptisé peut acquérir non seulement la chasteté, mais encore l’humilité et toutes les vertus ou puissances divines. « Heureux, dit encore saint Jean Climaque, celui qui est parvenu à une insensibilité parfaite devant tout corps, toute carnation et toute beauté » (15, 7), c’est-à-dire tout à fait libre de la convoitise. La chasteté, amour sans convoitise, est « la demeure bien-aimée du Christ et le ciel terrestre du coeur » (15, 2).

Ce n’est pas seulement un idéal : la chasteté est une vertu, objet de la conquête non seulement d’un ou d’une homosexuelle, mais bien sûr d’un hétérosexuel, moine, célibataire, marié : de toute personne qui s’exerce à vivre dans l’Eglise d’après son baptême. L’ascétisme est mystique parce qu’il consiste à acquérir une humanité nouvelle, l’humanité déifiée du Christ. Il est « participation immédiate, corporelle, à la vérité de l’incarnation de Dieu et de la déification de l’homme » (C.Yannaras, p.55). Les chrétiens sont une « race nouvelle », la « race de ceux qui cherchent le Seigneur » (Ps. 23, 6) : ils sont même « de la race de Dieu » (Ac.17, 28-29) par le baptême. Ils sont une mutation anthropologique survenue dans l’humanité par le don du saint Esprit à la Pentecôte, après la Pâque vivifiante du Seigneur.

 

c) Les instruments de lutte et de thérapeutique sont également donnés par la Tradition des Apôtres et des Pères de l’Eglise. La lutte spirituelle, par exemple dans le domaine de la sexualité qui nous occupe ici, n’a pas seulement pour but la libération. La chasteté n’est pas seulement l’absence de tentation, l’absence de convoitise. Elle est un état d’amour actif pour le prochain considéré comme une hypostase à part entière. Elle culmine par exemple dans l’amour de l’ennemi, le prochain qui est aimé pour lui-même, au-delà de toute attraction et de toute répulsion.

Le premier des instruments est la prière, parce qu’elle constitue l’acte de foi par excellence. C’est en elle que le baptisé reçoit le don d’exprimer même les désirs qu’il ne se connaissait pas, la vocation profonde de son être, la nostalgie profonde qu’il a du Paradis et l’espérance folle d’être sauvé malgré tout. La prière libère également tous les charismes du saint Esprit que la personne a reçu au baptême, par exemple le charisme de la chasteté.

La vénération ou l’adoration sont également salutaires. Puisque l’idolâtrie est l’origine des maux de l’être humain, que celui-ci se prosterne intérieurement et extérieurement devant Dieu et qu’il le reconnaisse comme Seigneur. Les métanies sont conseillées par nos pères spirituels parce qu’elles concrétisent la démarche d’adoration et de reconnaissance de la transcendance du Créateur. Elles contribuent à guérir l’âme de l’idolâtrie. Le jeûne est fondamental parce que je m’y engage physiquement, je démontre que tout mon être opte pour la vie nouvelle et répond à l’appel évangélique. « L’ascèse orthodoxe est toujours un acte corporel » (C.Yannaras, op.cit., p.54). Tous ces instruments mobilisent non seulement la conscience mais encore l’inconscient et l’involontaire ; c’est pourquoi ils sont indispensables. Le sacrement de la confession et du repentir consiste à dévoiler les pensées qui ont émergé du coeur : dire à Dieu la vérité sur soi devant témoin, renier le péché devant l’Eglise, verbaliser ses fautes cachées dans un contexte de prière intense du pénitent et du confesseur, est une thérapeutique. C’est la prière de l’Eglise, la foi de l’Eglise, encore plus que la prise de conscience et la résolution de la personne, qui donnent la guérison, le miracle de la santé de l’âme et du corps.

Il faut croire au miracle pour chercher ainsi la guérison de son homosexualité reconnue d’abord comme une maladie de l’âme. N’oublions pas l’onction des malades, où intervient si fortement la prière de foi de la communauté des croyants. Le pénitent public - c’est pourquoi la confession et l’onction sont administrées dans l’église - est le frère souffrant dont la communauté peut prendre en charge la souffrance et la guérison en priant et en jeûnant elle-même. A cela est jointe l’obéissance au père spirituel : car, la maladie de l’âme venant de la désobéissance, c’est en s’exerçant à l’obéissance qu’on peut retrouver la santé. L’enseignement des Pères est qu’il faut appliquer au mal le remède inverse. Puisque par la désobéissance la souffrance et la mort sont entrées dans la création bonne, c’est par l’obéissance, dont le Christ est le prophète par excellence, que le salut est donné au genre humain, comme le dit l’apôtre Paul (cf. Ro.5, 19). « L’ascèse, dit encore C.Yannaras, tend à imiter l’obéissance du second Adam (...), fidélité à l’image de Dieu » (p.27). Il peut également être fait recours à l’aide d’un psychologue, mais dans le cas exclusif où celui-ci reconnaît l’existence et la souveraineté de Dieu. C’est une façon de « médicaliser » le péché et de le libérer de sa gangue juridique. Le Christ est tout de même appelé « Médecin des âmes et des corps ». Mais le Remède des remèdes, toutes ces méthodes y préparant, est la communion eucharistique avec repentir et foi. C’est par l’eucharistie, « possibilité de participer à la nouvelle nature humaine du Verbe incarné (...), unité organique des personnes dans la communauté de la nouvelle nature » (Yannaras, p.43), que notre frère malade, soutenu et accompagné par la prière, le repentir et le jeûne de l’assemblée, communie à la vie nouvelle et impérissable ainsi qu’à toutes les vertus divines. (Sur cette question, voir Thérapeutique des maladies spirituelles de Jean-Claude Larchet, Paris, Editions du Cerf, 4ème édition, 2000).

B. Homosexualité génétique ou acquise ?

A notre époque, la question homosexuelle a été relancée par la distinction opérée entre la condition et les actes homosexuels.

a) Les comportements homosexuels sont généralement le résultat d’une perversion à la suite d’une rencontre, de l’influence de quelqu’un, voire de lectures ou d’images. Toutes les formes de péché sont dans l’humanité déchue. A la suite d’une influence perverse, telle ou telle tendance peut devenir comme une seconde nature, pour reprendre la pensée de saint Jean Climaque : « Un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme et qui, désormais, lui a fait contracter une liaison intime avec lui et l’a établie comme une disposition habituelle ». A cette déviation, comme à tout péché, correspondent les remèdes évoqués plus haut, si toutefois la personne concernée est sensible au message évangélique : la thérapeutique ecclésiale suppose la foi dans le Christ Médecin de l’âme et du corps.

b) L’objection d’une homosexualité naturelle est un contresens du point de vue biblique, si l’on se rapporte à ce qui a été dit plus haut. Mais le mot naturel dans le langage courant désigne le plus souvent la nature déchue et donc proprement contre-nature. Le péché - tout péché - est contre-nature. La vie naturelle est la vie paradisiaque, la vie qui se développe en conformité avec le donné paradisiaque ou la vie dans le Royaume où la nature est transfigurée. Le Verbe s’est incarné pour rendre à l’humanité la possibilité d’une vie naturelle, cohérente avec l’image divine, avec la volonté divine, avec la création visible et invisible. Et certes, dans cette existence contre-nature dont hérite l’être humain à sa conception, il y a une hérédité du péché (Sur la question de l’hérédité adamique, voir Jean-Claude Larchet, Maxime le Confesseur, médiateur entre l’Orient et l’Occident, Paris, Le Cerf, 1998, p.77-124). D’une prétendue homosexualité « génétique » on n’a d’ailleurs pas la trace biologique. Bertrand Vergely écrit : « Jusqu'à ce jour, on n’a pas trouvé le gène de l’homosexualité » (Le PACS, ou l’aménagement désespéré d’un monde désespéré, supplément au SOP n°238, mai 1999, p.1) ; et le médecin, psychiatre et psychanalyste Jean-Paul Mensior affirme : « Mon expérience thérapeutique m’autorise à affirmer que l’homosexualité a toujours une origine psychologique... et non génétique. L’observation clinique le montre massivement » (Chemins d’humanisation. Essai anthropologique, Bruxelles, Lumen Vitae, coll. »Trajectoires », n°7, 1998, p.59). Mais, si l’on tient à parler d’ « homosexualité génétique », elle est à comparer, du point de vue de la Révélation, avec la violence génétique, l’amour de soi génétique et toutes les passions déviées dont l’être humain hérite à la conception. Seul le Christ est sans péché, conçu sans péché, puisque, en ce qui le concerne, la semence virile a été remplacée par la grâce du saint Esprit qui a purifié la Mère de Dieu du péché d’origine et l’a rendue féconde de son Dieu. Cette humanité-là, celle du Verbe incarné, vrai Dieu et vrai Homme, celle dont hérite l’être humain par le saint baptême et dont il se nourrit dans la sainte eucharistie, est libre de toute perversité génétique.

Cependant, tant que l’être humain n’a pas connu la seconde naissance, la naissance selon l’Esprit, par laquelle il hérite de l’humanité sainte du Christ, il continue de porter en soi, dans son sang, tous les germes héréditaires du péché. En ce sens, l’homosexualité est génétique, mais comme le sont les autres passions. En ce sens également, nul ne peut penser à un homosexuel autrement que comme à son frère : homosexuel mon frère ; homosexuelle ma soeur - parce que l’homosexualité, comme toutes les passions, est dans la nature déchue dont j’hérite à la conception. Le péché ou la souffrance ou la maladie de mon prochain sont mon péché, ma souffrance ou ma maladie. Ceci doit libérer le chrétien conscient de toute condamnation à l’égard des invertis. Si nous voyons notre frère ou notre soeur tomber dans la satisfaction de telle ou telle passion, faisons pénitence comme si nous étions nous-mêmes tombés dans cette faiblesse, disent nos Pères spirituels.

Mais nous participons au saint baptême, à la sainte chrismation et à la non moins sainte eucharistie, précisément pour être guéris des conséquences héréditaires du péché et pour participer à la vie vraiment naturelle qui est en Christ. Nous « revêtons le Christ » au baptême, avec toute l’impeccabilité possible que cela suppose. Nous sommes appelés à répondre à l’inversion, qui définit en réalité toute maladie de l’âme, par la conversion. L’homosexualité peut être une situation « naturelle » si on interprète ce mot entre guillemets comme synonyme de « nature déchue », humanité malheureuse, blessée par « un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme », pour reprendre encore les mots de saint Jean Climaque. C’est un handicap de naissance, handicap génétique qui est le signe de l’état déchu de l’être humain. L’homosexuel est au milieu de nous comme un signe, le signe douloureux d’une humanité livrée à l’idolâtrie de soi. Le monde dans lequel nous vivons n’est pas le monde transfiguré, même s’il y tend. Les baptisés sont précisément dans le monde pour inverser le signe de son Histoire et orienter celle-ci vers le Royaume où règne, avant tous les siècles et à jamais, le Fils de l’Homme.

A ce niveau, il importe de distinguer la prétendue « nature homosexuelle » et les actes homosexuels. Il est des êtres humains qui sont conscients de tendances homosexuelles - acquises ou, pensent-ils, génétiques - et qui répondent à l’appel du Christ, qui essaient de convertir cela, de le métamorphoser. Il y a tout un chemin de sainteté dans la lutte pour la chasteté - lutte souvent, il faut le savoir, dramatique - dans le cas dont nous parlons, comme il est un chemin de sainteté dans d’autres formes de souffrances, d’autres formes de handicap ou de privation qu’on aurait connues à la naissance ou depuis la naissance. Pensons à un petit enfant qui devient diabétique : il va falloir vivre avec le diabète, en suivant un traitement quotidien et contraignant sans lequel il mourrait. Et ce diabète va structurer son existence et pourra devenir pour lui un chemin de sanctification. L’homosexualité, si le baptisé accepte le combat spirituel non seulement pour la guérison mais surtout pour le salut, peut être un chemin de sainteté, comme toute faiblesse humaine. C’est le repentir, « sentiment de la privation de la grâce (...), de la séparation de Dieu, le deuil pour la perte de sa Personne, le goût de la mort à laquelle aboutit la privation de la vie divine » (C.Yannaras, p.31), qui transforme le péché en voie de sanctification.

c) La conversion et la thérapeutique supposent que la personne homosexuelle - car elle est avant tout une personne ! - rencontre toute l’attention et toute la compassion possible de la part de la communauté chrétienne qui accueille ce frère ou cette soeur souffrants. Là est le fondement du salut : rencontrer dans l’Eglise le Christ compatissant, en ses frères, en son prêtre. L’Esprit saint demande qu’on l’accueille comme quelqu’un qui illustre symptomatiquement un mal qui est dans l’humanité et donc en chacun de nous qui nous voulons chrétiens. Ce n’est que dans un climat de compassion que peuvent être entendus l’appel à la conversion et le projet thérapeutique qui est celui de l’Eglise. L’Eglise est, entre autres dimensions, un hôpital. Ce n’est que dans un tel climat de compassion que la personne peut se reconnaître malade et accéder au repentir. Quand les membres de l’assemblée acceptent qu’il y ait des malades parmi eux, s’abstenant de se considérer eux-mêmes comme bien portants et entrant dans le repentir, l’homosexuel comme toute personne humaine blessée peut, par le repentir, grandir vers la ressemblance divine et la sainteté. L’état de péché est maladie (cf. Mat. 9/19): la preuve en est qu’il conduit à la mort. C’est une maladie mortelle. Par ailleurs, la maladie elle-même est considérée comme la manifestation du péché, soit de la personne elle-même - par exemple si elle a entretenu ses tendances homosexuelles avec complaisance - soit tout simplement de l’humanité.

« Ni lui ni ses parents n’ont péché », dit le Christ de l’aveugle-né : mais cette infirmité est permise pour que Dieu soit glorifié. Comment Dieu est-Il glorifié dans l’infirmité, dans la maladie, dans le handicap de naissance ? Il est glorifié quand le souffrant le glorifie, quand son entourage devient l’agent de la compassion divine, quand l’infirmité devient chemin de sanctification et de déification. Il est glorifié « par de bonnes actions qui ont pour seul but la gloire de Dieu et la manifestation de son image » (C.Yannaras, p.42). Il y a bien des homosexuels convertis qui seront dans le Royaume avant bien des hétérosexuels qui se sont crus justes. En réalité l’homosexualité n’est rien ; l’hétérosexualité n’est rien : ce qui compte c’est la conversion au Christ en vue du Royaume, c’est-à-dire en vue de la participation à la grâce déifiante du Saint-Esprit.

La compassion n’est pas la pitié. Elle n’est pas humaine. Elle est un charisme divin. Dans le cas qui nous occupe, l’acquisition de la compassion nous permet de voir le Christ dans le frère souffrant : parce qu’il aura joui de la compassion de ses frères et de ses pères en Dieu, le frère homosexuel découvrira mieux le Christ et la vie en lui. Le Christ compatissant se sera manifesté à lui par les frères. La compassion permet l’évangélisation de la sexualité, qu’elle soit hétéro ou homosexuelle, qu’elle soit monastique ou conjugale. L’évangélisation de la sexualité consiste à appeler à la conversion tout l’éros qui est en l’être humain et à l’orienter vers la charité impérissable du Christ. Elle consiste à introduire la dimension ascétique dans la vie sexuelle.

Dans ce contexte, il ne faut pas avoir peur de poser la question des homosexuels chrétiens. Au premier degré, d’après ce qui a été exposé plus haut, l’expression est un contre-sens : l’homosexualité, pas plus que l’injustice sociale, l’égoïsme et les autres passions, n’est chrétienne. Il y a des personnes pour s’évertuer à démontrer qu’on peut être homosexuel et chrétien, semblables en cela à André Gide : « Incapable de renoncer au Christ comme il l’était de renoncer à lui-même, il lui restait de tirer à lui chaque parole du Seigneur » (F.Mauriac, op.cit., p.275). Certains disent que l’Evangile ne comporte pas de condamnation de l’homosexualité. Mais le Christ ne condamne pas : Il appelle au changement de vie. « Le Christ dans son enseignement paraît ne s’être jamais inquiété de nos goûts singuliers. Il ne lui importe aucunement de connaître la bizarrerie des inclinations. Son exigence, et qui est la même pour tous, c’est que nous soyons purs, que nous renoncions à notre convoitise, quel qu’en soit l’objet. La réprobation du monde à l’égard de l’homosexualité est d’ordre social, et n’offre aucun caractère commun avec la condamnation que le Christ porte contre les souillures, ni avec la bénédiction dont Il recouvre les coeurs qui se sont gardés purs » (ibid., p.277). L’homosexualité est en elle-même en deçà de la vie en Christ, de la vie ecclésiale, parce qu’elle est une « auto-adoration », une hypertrophie de l’individualisme (B.Vergely, op.cit., p.3) et qu’en ce sens elle se situe aux antipodes de la nature humaine créée à l’image trinitaire de Dieu : c’est pourquoi un homosexuel impénitent ou triomphant ne peut s’approcher de la sainte communion, tout simplement parce que le mode de vie qu’il affiche fait qu’il n’est en communion ni avec le Christ ni avec son Eglise. 

Mais l’expression « homosexuel chrétien » désigne également celui qui, avec des tendances homosexuelles, ou avec une vie homosexuelle, vient dans l’Eglise pour se convertir et lutter pour l’acquisition de l’Esprit de Vie - devenir chrétien. Cette situation concerne la communauté, comme nous l’avons dit. Mais elle est plus particulièrement de la responsabilité de l’évêque et du prêtre à qui un tel drame est confié dans le secret de la confession. L’évêque ou le prêtre seront l’image du Bon Pasteur qu’est le Christ lui-même s’ils se consacrent à cette personne pour l’aider à découvrir l’incompatibilité entre les actes homosexuels et la vie chrétienne, et en quoi l’homosexualité est une impasse spirituellement parlant. Ce n’est pas seulement un mal moral, un interdit religieux ou social. C’est une passion qui, sauf conversion, empêche de goûter à la plénitude du saint Esprit. Le pasteur - le Bon Pasteur - est là pour aider la personne à trouver le chemin, sinon de la guérison, en tout cas du salut.

C. L’Eglise et le monde.

L’attitude chrétienne devant le phénomène social de l’homosexualité nous ramène à la question des relations que le monde entretient avec l’Eglise. 

a) La modernité de l’Eglise est dans l’actualisation permanente de la Tradition des Apôtres et des Pères par le saint Esprit. L’Eglise est actuelle par le discernement et la compassion que le Christ dont elle est le Corps manifeste en elle. A bien des égards notre société semble une société post-chrétienne : certains s’en plaignent ; d’autres s’en réjouissent. Mais, à bien des égards, ce qu’on y observe est plutôt pré-chrétien : la promotion de l’homosexualité est un archaïsme, un retour à un des modes de vie païen. Certaines revendications qui se font entendre dans le monde d’aujourd’hui consistent à demander le droit de vivre comme on vivait à Corinthe, à Rome ou à Athènes avant la Résurrection. On réclame le droit de régresser à une vie pré-chrétienne. 

Mais nous sommes également dans une société pré-chrétienne parce que, comme le dit le titre du livre de Père Alexandre Men, « le christianisme ne fait que commencer ». Tout est à annoncer de nouveau ; tout est à expliquer de façon toujours nouvelle ; tout est à penser en profondeur à partir du saint Evangile en réponse au défi lancé aux baptisés par ceux qui ne connaissent pas Dieu. Le monde interpelle les chrétiens, non pour qu’ils livrent une parole psychologique ou philosophique que d’autres donnent déjà, mais pour qu’ils fassent entendre, même si on la rejette, la parole théologique qui sauve. Or la question homosexuelle est une question théologique, au sens où elle s’interprète à partir de la relation de l’être humain avec Dieu. L’Eglise est à l’avant du monde et c’est de cette proue qu’elle annonce une parole qu’elle seule peut dire. On nous dira qu’il y a deux mille ans de christianisme derrière nous. Il semble que dans bien des domaines, comme le montre le défi des grandes questions écologiques, éthiques et bioéthiques de notre temps, tout soit à faire de nouveau sur la base du témoignage des saints Pères de tous les temps. La parole chrétienne est une parole sans compromis quoique pleine de compassion, parce qu’elle est une parole prophétique et neuve. Les manifestations, les publications et les revendications en faveur de la place des homosexuels dans la société ne sont pas seulement les symptômes d’un monde « déchristianisé » - y a-t-il d’ailleurs eu jamais de société chrétienne ? Ces symptômes sont également les signes d’un monde où les chrétiens n’ont pas encore toujours le courage de parler de Dieu, d’annoncer l’Evangile, la sainteté, la profondeur de l’expérience spirituelle, la mystique insondable du christianisme, la vérité historique de la Résurrection et de la Pentecôte, et le caractère irréductible de la foi chrétienne à toute philosophie, à toute idéologie, à toute autre religion et à toute morale sociale. 

b) La législation civile concerne les chrétiens. La demande actuelle dans la société d’une légalisation de l’homosexualité est un défi d’actualité. L’Eglise ne peut pas (heureusement...) imposer sa loi à la société. Elle n’a pas le droit d’ecclésialiser de force le monde. Elle n’a de pouvoir que celui de l’amour crucifié et d’autre exemple à donner que celui de la transfiguration de ses saints. Elle ne peut qu’évangéliser, en paroles et en actes. Elle ne peut qu’inviter le monde à une conversion sans laquelle toute morale est vaine. Elle peut ainsi inspirer la législation d’un pays. Elle ne s’identifie pas au monde; elle n’est pas « du monde », elle ne lui appartient pas. Elle ne cherche pas non plus à justifier socialement son existence en apparaissant comme une institution protectrice de l’ordre moral de ce monde. Mais elle est « en lui » comme sa conscience et son coeur. Les chrétiens sont des membres de l’Eglise qui sont également des citoyens du monde et qui « rendent à César ce qui est à César », non seulement en payant leurs impôts mais également en participant à la vie civile par le vote. Ils élisent et sont élus. Ils peuvent proposer, défendre une loi ou s’y opposer. Ils peuvent donc contribuer à la transformation de la société non seulement en la sanctifiant de l’intérieur par leur propre sanctification mais également en l’éduquant par le moyen de la législation. La loi, selon saint Paul, est une pédagogie (cf. Ga.3, 24s). L’Eglise, par le ministère des évêques et par la voix des laïcs, peut faire entendre dans le monde, avec douceur et humilité, une parole sage en faveur de l’être humain. Elle peut s’interposer pour défendre l’être humain contre ce qui le déshumanise. Dieu s’est incarné pour s’interposer entre l’homme et l’homme. C’est ainsi que la Conférence des évêques orthodoxes d’Amérique a pris position en ce qui concerne la légalisation de l’homosexualité en mars 1978 et a formellement condamné les actes homosexuels, ajoutant que « ceux qui adoptent le style de vie homosexuel ne sont pas qualifiés pour enseigner les enfants et pour agir en tant que guides spirituels » (cité par Stanley S. Harakas, dans Contemporary moral issues, Mineapolis, USA, 1982, p.96). En Roumanie, le patriarche Théoctiste et le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe ont, en 1994 et en 2000, demandé à l’Etat de ne pas légaliser l’homosexualité, prenant ainsi la défense de l’être humain lui-même, appelé à s’épanouir dans la vie familiale. L’Eglise n’a pas la coeur assez dur pour abandonner le monde à lui-même : ce serait désespérer du monde et des hommes. Il est vrai que nous ne sommes pas dans un monde chrétien et que les chrétiens n’ont pas le droit d’imposer leur vision du monde. Mais il faut garder tout de même le courage d’annoncer l’Evangile, par amour de l’être humain. Peut-on laisser se noyer un frère ? L’Eglise a à parler, non seulement dans l’intérêt de ses propres membres disséminés dans la société, mais également pour le bien de tout homme et toute femme au coeur sincère et bien disposé qui peut entendre la parole de Dieu. La conscience chrétienne n’a pas seulement la mission d’annoncer l’Evangile ; elle a également celle de dénoncer ce qui déshumanise, ce qui tourmente l’image de Dieu en l’homme. 

c) La prière pour le monde reste l’attitude fondamentale du baptisé devant les défis d’une époque et devant les signes des temps. Et la prolifération de l’homosexualité et la propagande dont elle est l’objet, comme le divorce endémique, sont des signes des temps. Abraham le premier en a donné l’exemple quand il priait pour Sodome (Gen.18/16). Les chrétiens ne prient pas toujours autant qu’il leur est demandé de le faire et ils ne croient pas toujours à la prière, à la puissance de la foi et à la volonté de Dieu d’agir dans le monde par son Verbe et son Esprit pour faire miséricorde à l’être humain en ouvrant son cœur à sa révélation. Nous croyons trop à nos raisonnements humains et nous ne demandons pas assez à Dieu d’agir. Nous ne nous proposons pas assez d’agir avec lui. C’est notre grand péché. Abraham a intercédé pour Sodome devant Dieu. Nous pouvons faire de même : « haïr le péché mais aimer le pécheur », suivant l’adage patristique. Et l’amour est essentiellement la préoccupation du salut d’autrui. En effet, le Christ n’est pas venu, comme Il le dit Lui-même, pour condamner le monde mais pour le sauver ; et les chrétiens n’ont pas été établis juges du monde mais pontifes, rois et prophètes pour le monde. Tous les chrétiens sont membres du sacerdoce du Christ par le saint baptême et ceci fonde leur attitude première : l’intercession pour eux-mêmes et pour le monde. Devant le drame de l’homosexualité institutionnalisée, la prière pour la conversion des coeurs et l’illumination des intelligences ; la prière pour le pardon et la guérison de nos frères invertis ; la prière pour nous-mêmes dont le péché est manifesté : voilà ce que demande l’Esprit saint aux disciples du Christ. La prière pour le monde commence par la conversion personnelle et le jeûne pour le monde, la conversion des chrétiens, l’extirpation de l’hypocrisie et de toute impureté. Il nous est demandé d’extirper de nos coeurs les racines du mal que nous voyons autour de nous dans la société. Il est vain de stigmatiser l’homosexualité ou une autre maladie de l’humanité, si nous n’extirpons pas de nos coeurs par le repentir la convoitise et toutes les perversions de nos âmes, les démons qui les habitent et que nomme Charles Baudelaire : 

« Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,

N’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. » (Les Fleurs du Mal, « Au lecteur », v.25-28)

Cette réflexion trop approximative sur la question homosexuelle est l’occasion pour nous d’élargir le débat à la question de l’éthique chrétienne en elle-même, dont l’éthique sexuelle est un chapitre particulièrement important : la sexualité en effet touche aux profondeurs inconscientes de l’être humain et à sa relation avec le Créateur, avec la création et avec toutes les créatures. L’éthique chrétienne n’est pas individuelle : elle est ecclésiale ; elle correspond au mode de vie auquel l’être humain a accès par le baptême en devenant membre du Corps du Christ, consacré en chair et en sang du Christ. Le baptisé ne s’appartient pas. En tant que personne en communion avec d’autres personnes divines et humaines, il est intégré à une communauté consciente, porteuse de la pensée et de la vie de Dieu, et il participe à l’unanimité de cette pensée et de cette vie. L’attitude que l’Esprit saint nous invite à avoir est une attitude ecclésiale de discernement sans condamnation, dans la vérité et la compassion. C’est également une attitude prophétique : elle annonce la plénitude de la vie en Dieu, elle est en avance sur ce monde et sur ce temps ; elle annonce le monde qui vient, le monde futur, le Royaume ; et l’Eglise a pour mission de préparer les hommes et les femmes de notre époque et de chaque époque à vivre dans le Royaume. Elle doit se méfier de la morale. « La morale, écrit Christos Yannaras, corrompt l’Eglise, elle change les critères de l’Eglise en critères de ce monde, elle altère le ‘grand mystère de la piété’ en nécessité rationnelle sociale » (op.cit., p.57). Il ne s’agit pas pour l’ « être ecclésial » (l’expression est du métropolite Jean Zizioulas) d’être en tant qu’individu conforme aux règles d’une morale sociale ou prétendue chrétienne : il s’agit d’oeuvrer par le repentir à la régénération de l’être humain en Christ. 

La revendication homosexuelle dans notre société est, elle, de type moral. Elle exprime la recherche d’une justification et d’une reconnaissance par la société d’un style de vie jusqu’alors réprouvé. En ce sens, la dépénalisation et la légalisation seront forcément interprétées comme légitimation - sans parler du caractère incitateur de ces nouvelles dispositions de la société. Mais la nouvelle morale sociale ne changera rien à la question de fond, parce que la question homosexuelle n'est pas une question de morale. C’est une question de liberté et d’éthique, c’est-à-dire de cohérence avec la nature profonde de l’être humain à l’image de Dieu. L’impossibilité dans laquelle est l’être humain à vivre selon cette nature n’est pas surmontée par l’affirmation ou l’infirmation de la loi morale. Le repentir est le cri de l’être humain confronté à l’impossibilité d’obéir sans Dieu au commandement divin.

Le Christ ne propose pas la conformité à une morale sociale ou religieuse, mais la conversion par le repentir et la restauration des relations interpersonnelles avec le Père et avec tous les êtres humains par la grâce du saint Esprit, car à Dieu, ce qui est impossible à l’être humain est possible. Encore faut-il que l’être humain mette sa foi en Dieu. Le transgresseur de la morale est le mieux placé pour faire cette expérience de liberté qu’est le repentir ; sa non-conformité est sa chance de connaître la miséricorde divine et, ainsi, la Personne divine elle-même. Le cri de repentir et de confiance en Dieu Sauveur place précisément le pécheur devant la miséricorde de Dieu et non devant le jugement des hommes : « Contre toi seul j’ai péché ! » (Ps. 50) - et, dit Marmeladov dans Crime et Châtiment (cité par Christos Yannaras), « nous entendrons son Verbe : Approchez, dira-t-Il, approchez, vous aussi les ivrognes, approchez, les faibles créatures éhontées ! Nous avancerons tous sans crainte et nous nous arrêterons devant lui et Il dira : Vous êtes des porcs, vous avez l’aspect de la bête et vous portez son signe, mais venez aussi. Et alors vers lui se tourneront les intelligents et ils s’écrieront : Seigneur ! Pourquoi reçois-Tu ceux-là ? Et Lui dira : Je les reçois, ô sages, je les reçois, ô vous intelligents, parce qu’aucun d’eux ne s’est jamais cru digne de cette faveur. Et Il nous tendra ses bras divins et nous nous y précipiterons... et nous comprendrons tout... Seigneur, que ton Règne arrive ! »

  

Marc-Antoine Costa de Beauregard

(novembre 2001)